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Full text of "La Vie de monsieur Des-Cartes"

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LA    VIE 


D  E 


MONSIEUR 

DESCARTES 


SECONDE    PARTIE. 


A     P  A  R  î  S, 

Chez  DANIEL  H  OR  T  H  E  M  E  L  S  ,  rue  faint  Jacques , 

au  Mccénas. 

M.     D  C.      X  C  I. 
AVEC    PRiriZlEGE     DV    ROI, 


BIBLIOTHECA 


Digitized  by  the  Ihternet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


6 

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http://www.archive.org/details/laviedemonsieurd02bail 


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TABLE 

DES      CHAPITRES 

BE    LA    SECONDE   PARTIE. 


LIVRE    CINQUIFME. 

Contenant  ce  quis'eftpafTé  au  fujet  de  M.  Defcartesj  depiùs-^ 
Je  têms  de  la  connoifîance  qu'il  fît  avec  les  ProfeiTeurs 
d'Utrccht,  jufqu'à  la  publication  de  Tes  Méditations  Mé- 
thaphylîqiies, 

ChAp.  I.  71//^  d.e  Roy ,  ou  RègÎHS  apprend  la  méthode  &  les  princi- 
pes de  la  Philofophie  de  Ai.  Defeartes  par  la  bouche  de 
M.  Rènéry  ,  &  par  la  levure  des  EJfais  de  cette  Philofophie.  Il  les  enfei- 
gne  a  [es  Ecoliers ,  &  il  parvient  par  ce  moyen  a  une  Chaire  de  Profejfeur 
en  Médecine  dans  tVniverfité  d'Vtrecht,  Objiacles  furvenus  durant  U 
brigue  de  cette  Chaire.  M.  Régius  regarde  Aï.  Defeartes  comme  l'au- 
teur de  fa  fortune  &  de  fes  connoïffmces.  Il  fe  déclare  fon  Difciple ,  &' 
fe  dévoué  a  luy  d'une  manière  particulière.  Confufion  dans  les  lettres  im^ 
primées  de  Aï.  Defeartes.  P^%^  i 

Ch  AP.  II.  M.  Defeartes  fait  un  abrégé  de  Médecine  j  &  s'appercevant 
^ull  vieillijjhit  jil  fonge  aux  moyens  de  conferver  fa  famé.  Succès  de 
Ad.  Rénérï  dans  la  profefion  de  la  Philofophie.  Prudence  avec  laquelle  il 
enfeigne  la  ?néthode  de  M.  Defeartes.  Il  e fi  foulage  dans  fes  exercices  y 
(îf  employé  le  têms  de  fon  repos  a  méditer  fur  la  Géo?nétrie  de  M.  Def- 
eartes &  fur  fa  Phyfiejue.  Du  Livre  de  la  Vérité  j  traduit  en  François,, 
J.Hgement  cfuen  fait  M.  Defeartes.  Amitié  étroite  de  M.  Bannius  &• 
de  M.  Bloemaert  Prêtres  catholiques  de  Hollande  avec  M.  Defeartes. 
Leur  éloge  &  leur  défenfe.  Jugement  de  la  Mufique  de  M.  Bannius.    1 1 

Chap.  III.  Mort  de  M.  Rénéri  Profeffeur  a  ZJtreeht  le  premier  des 
Sénateurs  de  M.  Defeartes ,  ejul  ait  enfeigné  fes  principes  publiquement. 
Panégyrique  de  M  Defeartes  fait  par  ordre  des  Aïagifirats  dans  l'Orai- 
f on  funèbre  que  M.  Emilius  prononça  a  l'honneur  de  Aï.  Rénéri.  M-  Ré- 
gius devient  le  premier  des  Difciples  de  M.  Defeartes.  Amitié  de  M^ 
Emilius  avec  M.  Defeartes.  Modeftie  de  M.  Defeartes  quand  il  s'agit  de 
fouffrlr  ou  de  rejetter  les  lokanges.  On  augmente  les  appolntemens  de  M. 
Règlus ,  qui  e  fi  fait  Profeffeur  extraordinaire  des  Problèmes  ,  &  des  nou- 
.yeaute'^^^dePhyfquey&c^-        '  i8 

*  *     Chap.  LV, 


TABLE 

ChAp.IV.  Mort  dn  Mathématicien  HortenfiM  ^  avec  um  re7nar<jue 
de  M.  Defcartes  fur  fon  Horofcofe.  Mort  d' Elichman  ^  &  du  Philofo- 
■phe  Campanelle.  Jugement  ^lîe  M.  Defcartes  fai/hit  des  écrits  &  de  l'ef- 
prit  de  ce  dernier.  Origine  des  troubles  excite'^  dans  rUnivcrJîte  d'ZJ- 
trecht ,  an  f h  jet  de  la  Philofophie  de  M,  Defcartes ,  par  Gijhcrt  VoetiHs. 
Hifloire  de  cet  homme ,  fon  portrait.  Jngement  des  Sfavans  fur  fon  ef~ 
prit ,  &  fes  écrits.  Moyens  dont  il  fe  fert  pouY  attacjiiey  la  Philofophie  de 
M.  Defcartes.  Ses  théfes  touchant  l'^théïfme.  ±  ^ 

Chap,  V.  M.  Régius  prend  des  précautions  contre  la  wauvaife  hu- 
Kteur  de  F'oetius  e^uil  avoit  k  ménager.  Préjudice  cfuil  fait  a  fa  perfon- 
fie ,  &  a  la  Philofophie  Carte fenne  dans  fes  leçons  problématiques  de 
Phyfique.  Son  indifcrétion  a  une  théfe  des  Péripatèticiens,  Amis  que  M. 
Defcartes  avoit  a  Vtrecht.  Il  inflruit  Régius  fur  divers  points  de  Phyfi- 
que.  Son  fentiment  fur  la  circulation  du  fang.  Ingratitude  &  malhonnC" 
teté  de  Plempius  a  l'' égard  de  M.  Defcartes  ,  qui  la  fonffre  plus  patiem^ 
ment  que  Régius.  Il  tâche  de  fe  retrancher  touchant  le  commerce  des  let- 
tres ^  pour  fe  procurer  plus  de  retraite  &  de  repos  j  mais  ce  fut  en  vain. 
Le  P.  Merfenne  lui  envoyé  le  traité  des  Coniques  de  M.  Pafcal  le  jeune. 
Jugement  qu'il  en  ^t.  55 

Chap.  VI.  Traité  de  M. des  Argues  touchant  les  SeÛlons  Coniques, 
Avis  que  luy  donne  M.  Defcartes  touchant  fon  deffein.  Différence  de  la 
manière  d^ écrire  pour  les  Curieux  dtavec  celle  d^  écrire  pour  les  Sçavans^ 
eu  pour  les  gens  de  la  Profeffion.  Ouvrage  de  Ai.  Mydorgè  fur  les  Se- 
rions Coniques.  Continuation  de  cet  ouvrage.  Obfervations  de  M.  de 
Be  aune  fur  les  lignes  courbes ,  &  autres  que  fiions  qu  il  propofe  a  M,  Def- 
cartes. Infiances  qu'il  luy  fait ,  mais  en  vain  ,  pour  publier  fon  Monde. 
Mauvaife  fanté  de  M.  de  Beaune.  Il  travaille  aux  lunettes  fur  les  in~ 
ftru^ions  de  M.  Defcartes ,  qui  ejpére  plus  de  luy  que  de  M.  du  Mau- 
rier.  4 1 

Chap.  VII.  M.  Defcartes  fe  rapproche  de  fes  amis  d'Vtrecht,  & 
vient  demeurer  prés  de  cette  ville  ^  puis  a  Leyde.  Eflime  quon  faifoit  de 
luy  dans  l'ZJniverfté  de  Leyde.  Son  amitié  avec  Heydanus  &  Rivet. 
Eloge  du  premier  qui  prêche  a.  la  Carte fienne.  CaraSlére  de  rejprit  du  fe- 
tond.  Impreffion  d'un  livre  anonyme  contre  M.  Defcartes  faite  fans  fuc~ 
ces.  Accidens  arrivez,  en  Hollande  au  commencement  de  l'année  KJ40. 
Hifioire  dt  une  famé  ife  gageure  de  Mathématique  entre  Stampieen  &  Waef- 
fenaer ,  ou  M.  Defcartes  fe  trouve  mêlé.  CaraSlére  de  l'efprit  de  Stam- 
pire  î  qui  perd  la  gageure.  Deffein  d'un  voyage  de  M.  Defcartes  en 
France  différé  ,  puis  rtmpu.  47 

Chap.  VIII.  L'efprit  de  P^oetitts  s^aigrît  contre  M.  Defcartes  &  M. 
Régius  y  au  fujet  des  théfes  de  ce  dernier  touchant  le  mouvement  du  caur 
&  la  circulation  du  fang.  M.  Defcartes  corrige  ces  théfes  ^  &  veut  bien 
y  affifter  y  pourvu  que  ce  fait  dans  f  Ecoute  de  Mademoifelle  de  Schur^ 
mans.  Eloge  de  cette  Demolfelle ,  dont  le  coeur  efi  gâté  par  Labadte  y  & 
^eff  'it  par  FoetiHS  :  par  le  premier  ,f»ni  prétexte  d'une  pltu  grande  ré- 

formatitn', 


DES      CHAPITRES. 

fbrmdtîûft  y  par  le  fécond ,  fom  prétexte  de  s'enfoncer  dans  les  controver. 
fes  de  la  Théologie.  Primer  o/e  &  S ilvins  réfutent  les  ihéfes  de  Aï.  Ré" 
çius  ,  aui  fe  défend.  Ordonnance  des  Curateurs  de  VUniverfité  d^Utrecht^ 
k  laquelle  M.  Defcartes  fait  une  explication  en  forme  de  Répenfe.  57 

Chap.  IX.  Ai.  Defcartes  déclare  fon  fentiment  touchant  le  fiége  de 
l'Ame  dans  le  cerveau.  Vfage  de  la  petite  Glande  appellée  Conarium. 
Réflexion  de  M.  de  Sorbiére  peu  obligeante  pour  M.  Defcartes.  Senti* 
•ment  de  M.  Defcartes  touchant  la  mémoire ,  quil  divife  en  trois  efpé-» 
ces  y  corporelle ^  locale  ^  &  intelleQuelle.  Projet  de  faire  pajfer  Ai.  Def. 
cartes  &AÏ.Afydorge  en  Angleterre,  pour  s'jf  établir  fout  laproteBion  & 
par  les  bien- fait  s  du  Roy  de  la  Grand'  Bretagne.  Il  efl  fans  effet.  Eloge  de 
M'  Cavendish  ou  Candifch  ami  de  AI.  Defcartes  &  de  AI.  Aiydorge, 
Deux  ejpéces  de  Sénateurs  de  la  Phiiojophie  de  AI.  Defcartes.  Amitié 
de  Ad.  de  Saumaife  avec  AI.  Defcartes.  Mauvaife  humeur  de  M.  de  Sau^ 
maife  envers  fes  meilleurs  amis.  AI.  Defcartes  nen  cfl  pas  exempt.         6^ 

Chap.  X.  M.  Defcartes  fe  brouille  avec  les  Je  fuit  es  contre  fon  atten* 
te.  Eftirne  &  déférence  quil  avait  pour  leur  Compagnie  en  général ,  & 
pour  fes  membres  particuliers.  Il  efl  attaqué  par  le  P.Bourdin  dans  des 
théfes  de  Alathématique ,  &  par  un  Ecrit  particulier.  AI.  Defcartes  écrit 
AU  P  Re  fleur  du  Collège  de  C lermont ,  pour  faire  changer  cette  manière 
de  réfuter  fes  écrits  ,  pour  ff  avoir  les  fentimens  de  la  Société,  &  pourfo 
préparer  a  fontenir  le  choc  des  Jéfuites ,  au  cas  qu'ils  luy  refufaffent  leun 
bienveillance  &  la  charité  quil  efpéreit  d'eux.  Il  informe  fes  a?ms  de  ce 
fui  fe  pajfe  y  &  il  répond  d'abord  à  P Ecrit  du  P.  Bourdin.  70 

Chap.  XI.  Le  Père  Bourdin  écrit  k  AI.  Defcartes ,  &  il  en  refait  une 
répenfe  que  nous  avons  perdue.  Peu  de  jours  après  il  reçoit  la  réfutation 
de  fa  yélitation.  Conditions  que  M.  Defcartes  demande  ah  Père  Bour^ 
din  pour  agir  de  bonne  foy  dans  leur  différent.  Le  Père  ReUtur  reçoit  tn- 
fln  la  lettre  de  AI.  Defcartes  ,  &  au  Heu  d^ accepter  fes  propofitïons ,  /'/  or^ 
donne  au  P.  Bourdin  de  luy  rendre  raifon  de  fon  procédé  ^  &  de  ne  faire^ 
ifn'une  caufe  perfonnelle  de  fa  querelle  avec  AI.  Defcartes.  Le  P.  Bour- 
din fe  brouille  avec  le  P.  Aitrfenne  au  fujet  d'un  écrit  français  en  former 
de  lettre ,  qu'il  luy  avoït  confié  ,  &  que  celuy-cy  avait  envoyé  à  Ai.  Def- 
cartes  fans  fa  participation.  Ad  Defcartes  répond  a  cet  Ecrit.  AI.  des 
Argues  prend  fa  défenfe  contre  le  P .  Bourdin.  AI.  Defcartes  fe  prépare 
a.  la  guerre  contre  les  Jéfuites  y  O"  a^la  réfutation  de  la  Philofophie  Scha- 
la flique.  Jugement  qu'il  fait  des  Conimbres  ,■  du  Feuillant ,  &  de  Raconis. 
Il  travaille  a  un  cours  méthodique  de  fa  Philofophie.  79- 

Chap'.  XII.  Aiort  de  Francine  Defcartes ,  avec  un  abrégé  de  fa  vie. 
Doutes  fur  le  mariage  fécret  de  fon  père.  Reproches  de  fes  envieux  fur  c#- 
fomt.  Il  remédit  prornptcmim  au  déréglemtnt  de  fon  célibat.  Il  retourne 
d'Amersfort  à  Leyde.  Foetius  fo /licite  les  Proteflans  &  les  Catholiques^ 
contre  lui.  Il  s'addreffe  au  P.  Aderfenne  pour  le  porter  a  écrire  contre  Ad.- 
De  cartes.,  &  lui  promet  des  rnatiéri. s  pou-  cet  effet.  Conduite  plaif^nte  de< 
se  A^miftre  pour  gagner  ce  Religieux.  Mort  du  père  de  Ad.  Defcartes.  H 

a  ij  ^  rf/m^y 


TABLE 

rompt  le  voyage  i^h*11  mèditeit  défaire  en  France,  Il  charge  V^bbèTlcot  du 
foin  de  fes  affaires  domelîi^nes.  Afort  de  M.  Dounot  Âiathématicien  du 
tiombre  de  fes  amis.  Mort  de  M.,  de  Beaugrand,  avec  le  caraElére  de  fan  ef- 
tfrit.  Faux  bruit  de  la  mort  de  M.  de  Beaune.  Afort  du  Feuillant.  Le  Roy 
rappelle  Ai.  Defcartes  pour  V honorer  d'une  charge  &  d'une  penfîon  dans 
fon  Royaume.  Il  s  en  excufe ,  &  demeure  dans  fa  retraite.  g^ 


LIVRE     S  I  X  I  E*  M  E 

Contenant  ce  qui  s'efl  pa{îe  depuis  la  publication  de  (es 

Méditations  Metaphyfiques  ,  jufqu'à  la  publication 

de  fes  Principes  de  Phyfique. 

ChAP.  I.  je  DITION des  Méditations  Mêtaphyftques  de  M.  Defcartes, 
malgré  fa  réfolution  de  ne  plus  imprimer.  Fiifloire  de  cet  ou- 
vrage. Deffein  &  motifs  de  fon  Auteur.  Pourcjuoy  il  veut  fe  munir  de 
Vautorité  des  Sçav/ins.  Pourcjuoy  il  recherche  l' approbation  eu  le  juge- 
ment des  principaux  Théologiens  parmi  les  Catholic^ues.  Délibérations 
diverfes  fur  la  manière  de  s^y  prendre.  Il  saddreffe  au  P.  Gibieuf  pêur 
conduire  le  Père  Merfenne  dans  le  ménagement  de  toute  cette  affaire.  Il 
dédie  fon  ouvrage  a  Meffieurs  de  Sorbonue  ^  ce  fi- a- dire,  a  toute  la  Fa- 
culté de  Théologie  de  Paris.  Titre  de  ï ouvrage.  Pourquoi  il  ejl  écrit  en 
latin,  fj  ^ 

Chap.  II.  Le  Père  Merfenne  procure  des  cenfeurs  a  M.  DefcarteSy 
pour  luy  faire  des  objeSlions  contre  fes  Méditations  Metaphyfiques , 
afin  d' éclaire ir  la  r'érité ,  &  de  perfeElionner  fon  ouvrage.  Abrégé  de 
ces  Méditations.  Pourquoy  M.  Defcartes  ne  traite  pas  de  l'immorta- 
lité de  l'Ame ,  mais  feulement  de  fa  difrin^ion  réelle  d'avec  le  corps. 
Sa  manière  d'écrire.  Il  s'attache  moins  k  l'ordre  des  matières  qu'a  celuy 
des  raifens.  Hifloire  des  premières  objections  contre  fon  livre  faites 
par  M.  Catérus  Théologien  des  Pais-bas.  Il  veut  que  M.  des  Argues 
foit  du  nombre  de  fes  Juges.  Bonne  opinion  qu'il  a  de  fon  ouvrage.  En 
quoy  confîfte  principalement  l'excellence  de  ces  Méditations.  107 

Chap.  III.  Hifloire  des  fécondes  Ob jetions  faites  par  divers  Théo- 
logiens &  Philofophes  de  Paris  contre  les  Méditations  Metaphyfiques. 
Réponfe  de  M.  Defcartes ,  fuivie  d'un  autre  écrit  difpofè  félon  la  mé' 
ihode  des  Géomètres.  Livre  de  M.  Morin  de  Deo.  Jugement  qu'en  fait 
M.  Defcartes,  &  fa  modeflie  a  parler  de  /'Infini.  Hifloire  des  troifièr/ies 
Ob jetions  faites  par  M.  Hobbes  Anglois.  Conduite  de  M.  Hobbes 
dans  l étude  de  la  Philofophie  Cartéfienne.  M.  Defcartes  renonce  a  la 
réfutation  de  la  Philofophie  fcholaflique.  Il  répond  aux  Remarques  de 
M.  Hobbes  fur  fa  Dioptriqi'e ,  &  veut  rompre  commerce  de  lettres  avec 
lig  _,  après  avoir  connu  fon  génie»  117 

Chap. 


DES    CHAPITRES. 

ChAp  IV.  Hifloire  des  (juatriémes  objeClions  fixités  fur  les  Aièditations 
de  M.  Defcartes ,  far  M.  Arnaud  DoEleur  de  Sorbonne.  Qh^alitez.  de 
l'efprit  &  des  connoijfances  de  ce  Doreur.  Efiime  ^ne  M.  Defcartes 
fait  de  fes  ob jetions .  Ejforts  e^nil  fait  pour  y  répondre.  Rejfernblance 
ds  la  Philofophie  de  M.  Defcartes  avec  celle  de  S.  AHguflin.  Utilité 
des  Obje filons  de  M.  Arnaud  ,  pour  corriger  les  Ji^éditations  de  Ai.  Def- 
cartes. Difficulté  fur  la  manière  d'expliquer  la  Tranffubflantiation.  M. 
Defcartes  &  M.  Arnaud  fe  font  peu  connus  depuis.  Ouvrages  divers  de 
M.,  des  Argues  eftirnez^  de  M.  Defcartes .  124 

Chap.  V.  Hijloire  des  cinquièmes  ObjeSlions  faites  par  Ai.  Gajfendi 
venu  nouvellement  de  fa  province  pour  l'Affemblée  du  Clergé  a  Adante  , 
Ô"  pour  s" établir  a  Paris.  Origine  de  Vanimofité  &  de  la  jaloujie  de 
JM.  Gajfendi  contre  Ad.  Defcartes.  Jugement  de  Ad.  Defcartes  fur  la, 
Dijfertation  que  Ai.  Gajfendi  avait  faite  autrefois  des  parhê lies  de  Rome. 
Douceur  &  modération  de  Ai.  Gajfendi.  Son  adrejfe  &  [a  dijfimula- 
tion  envers  Ai.  Defcartes.  Sincérité  choquante  de  celuy-cy  dans  la  ré- 
ponje  a  fes  ObjeSlions.  Brou  Hier  ie  de  ces  deux  amis  entretenue  d^  aug- 
mentée dans  la  fuite  par  quelques  efprits  inquiets.  Hijloire  des  fîxiémes 
objeSlions.  Edition  des  Aiéditations.  Aiodejiie  de  Ai.  Defcartes  fur  le 
titre  de  fes  réponfes.  Réflexions  fur  les  approbations  du  livre  mis  long- 
tëms  après  a  /'Index.  Objections  de  Huelnérus  venues  après  coup  Eloges 
des  Aiéditations  de  Ai.  Defcartes ,  &  de  la  méthode  d'Acomins  par  cet 
HuelnèrM.  131 

Chap.  V\.  Voetius  ejl  fait  ReEleur  de  IVniverJîté  d'Vtrecht.  Ré- 
gius  craignant  pour  la  Philofophie  de  Ai.  Defcartes  &  pour  Uiy-rnême, 
iuy  fait  fa  cour  &  luy  rend  toutes  fortes  de  foumijjions.  Il  luy  donne 
fes  théfes  a  corriger  par  déférence.  L'éclat  de  ces  théfes  luy  fait  re- 
prendre fa  rnauvaife  volonté  contre  luy  &  contre  Ad.  Dejcartes.  Régius 
choque  les  autres  Profejfeurs  mal  a  propos.  Il  envoyé  fes  théfes  à  corri- 
ger a  Ad.  Defcartes  ,  &  luy  demande  les  fecours  nécejjaires  pour  mettre 
fes  dogmes  hors  d'atteinte.  Voetius  reçoit  réponfe  aux  j'olUcltations  qu'il 
avoit  faites  auprès  du  P.  Aierfenne ,  pour  le  faire  écrire  contre  Ad.  Def- 
cartes. Grands  éloges  de  la  Philofophie  de  Ai.  Defcartes  ,  conforme  a  la 
doElrine  de  S.  Augujiin,  &  utile  a  la  Religion.  Pratiques  de  Voetius  contre 
Régius  ^  quil  veut  faire  déclarer  hérétique,  théfes  de  P^oetius  centre  les 
opinions  de  Régius  &  de  Ai.  Defcartes.  13^ 

Chap.  VII.  Régius  prend  le  parti  de  fe  dé  fendre  contre  les  théfes  de 
Voetius,  par  la  plume  ,  plutôt  que  par  la  difpute.  M.  Defcartes  V exhorte 
plutôt  au  filence  }  luy  fait  quelques  remontrances  fur  fa  conduite  pafjée\ 
luy  donne  divers  avis  pour  V avenir.  Ai.  Régius  luy  envoyé  le  projet  de 
fa  Réponfe  a  f^oetius  pour  la  corriger.  2id.  Defcartes  ne  la  trouve  point 
bonne.  Il  le  porte  a  retracer  de  bonne  foy  ce  quil  avoit  avancé  mal  a 
propos ,  &  à  prendre  les  voyes  de  douceur  &  de  modcflie  dans  fa  Ré- 
fonfe,  dont  il  luy  trace  le  modèle ,  &  dont  il  luy  fournit  les  matières. 
Troubles  caufeT^par  l'édition  de  cette  Réponfe.    On  en  ordonne  la  fup- 

a  iij  *  prejjion. 


TABLE 

^rejpon.  Décret  des  M^gifirats ,  &  jugemem  des  Vrofejfeurs  de  l^Vnl" 
vcrjttêi  pour  défendre  a  Aï.  Réglus  d'enfeigner  la  Philofophie  de  Ai, 
Defcartes ,  ^«/  confeille  k  Aï.  Régins  d'y  acquiefcer.  Li(?elles  de  Voe^ 
tins.  148. 

Chap.  Vïir.  Semimens  farorables  des  Pérès  de  l'Oratoire  pour  les 
Méditations  AïétaphyJtcfHes  de  M.  Dtfcartes.  Eloge  du  Père  de  la, 
Barde.  Mort  du  P.  Gibieuf.  Semimens  favorables  des  Je  fuites  pour  les 
mêmes  Méditations.  Eloge  du  P.  Vatier ,  &  du  P.  Méland  ,  qui  ap~ 
prouvent  tout  ce  quil  a  écrit  ^  &  même  fa  manière  d'expliquer  la  Tranf- 
fuhflantiation.  Le  Père  Méland  fait  un  abrégé  de  fes  Méditations ,  & 
les  rnet  en  fille  fcholafticjjke  &  intelligible  aux  efprits  les  plus  médiocres. 
Le  Père  Bourdin  fuit  les  feptièmes  ObjeSiions  dune  manière  ^ui  met  Ai,, 
De fc  entes  en  mauvaife  humeur.  Il  répond  à  ces  ob Je  fiions ,  d^  écrit  une 
Dijprtation  en  forme  de  Lettre  au  Père  Dinct  ,  contre  le  Père  Bourdin 
&  f^oetius..  Sa  rècanciliation  avec  le  Père  Bourdin.  Seconde  édition 
des  Méditations.  158: 

Chap.  IX.  Demeure  de  M.  Defcartes  au  château  d'Eyndegeefl  prés, 
de  Leyde.  Avantages  &  cornmodite':(^de  ce  Heu.  Defcription  des  trois 
petites  Cours  de  la  Hiaye ,  ff,  du  Prince  d'Orange  y  des  Etats  Généraux» 
&  de  la  Reine  de  Bohème.  Habitudes  de  M.  de  Sorbière  auprès  de 
M.  De  fc  Art  es..  Caraflére  de  rejprit  de  cet  homme.  Il  rend  de  mauvais 
offices  a  M:  Defcartes  auprès  de  M-  Gaffendi.  Vifn es  fréquentes  que 
M.  Régius  rend  à  M.  Defcartes.  Traduction  des  Méditations  par  M, 
le  Duc  de  Luines  y  &  des  ObjeŒons  par  M.  Clerflier.  Excellence  de 
ces  îraduflions  revues  par  M:  Defcartes»  Pourquoy  fes  ouvrages  fran- 
pois  tant  originaux  que  traduits  valent  mieux  que  fes  ouvrages  latins. 
Jugement  dt  M,  Defcartes  fur  le  livre  De  Cive  de  M,  Hob'bes.  Hif~ 
toire  de  cet  ouvrage;,  &  des  bons  offices  que  M,  Je  Sorbière  a  rendus  k 
fon  Auteur.  i  6 '7: 

Chap.  X.  Les  Boots  écrivent  contre  Anfiote.Mo-^t  de  Galilée.  Juge- 
ment que  M.  Defcartes  faifoit  de  luy.    f^oetius  employé  Schooc'y^ius  pour 
écrire  contre  M.  Defcartes.     Quelle  part  Schoockjus  pouvait  avoir  a  ce- 
livre.    M.  Defcartes  le  réfute  a  rnefure    quon  luy  en  envoyé  les  feuilles;. 
Régies  eft  cnvcioppè  dans  la  eaufe  de  M.  Defcartes.    Il  ne  ptut  fe  te- 
nir d'enfeigner  la  Philofophie  Cartèjlenne.  nonobflant  la  définfe  du  Ma- 
eiflrat.     Hiftoire  de  la  Confrairie  de  Notre-  Dame  de  Bojlcduc  commune- 
éu.x  CathoU-jues  &  aux  Proteflans.    F'oetius  écrit  contre  cet  étah\<.ffe}ncnt, 
M.  Defcartes  luy  répond.  Voetius  réplique.  M.  Defcartes  réfute  VoetniS\ 
pour  Defmarets    &   les  Magiflrats  ie  Bojlcduc.    ContinMaticn  du  livre- 
de  l^n  tiusou  Schoockjus  contre  M  „D?fcartes  .fuivie  d  I.2  coiuinnation  de, 
la  Réponfe  He  M.  De  (carte  s,    Connoiffiance  &  amitié  de  M  D  'maréts 
Avec  M.  Dcfcaries.    Voetius  ef}  blâme  parles  Minières  du  Synode  de^ 
la  Haye  ptur  fa  conduite  envers  M^ffieurs  de  Bofleduc.  lyf. 

Chap.  XI    Edition   du  livre    de   Voetius  ou  Schoockius  ctntre    M,, 
Defcartes.  Editioa  de  U  réponfe  de  M.  Defcartes  a  cet  ouvrage  &  4; 

feluy 


DES   CHAPITRES. 

<fehy  de  Voetîhs  contre  la  Confrairie  de  N  D.  de  Bo fie  duc,   Trocèdurei 
.contre  M-  Defcartes  a  Vtrecht.  Il  répond  à  la  première  publication  des 
Jl^aç'ifirats  ,  ^nl  par  Hne  injnftice  fans  exemple  travaillent  à  lay  faire 
fonprocez.  fécrétement  i  fans  le  faire  avertir,  ejH  après  ^h  il  n'était  plus 
teins.    Autres  inJHJUces  des  'inhnss  Magiflrah  Avençlel^  ou   pof[édc7de 
l'efprit  de  V'oetipu.    M.  Defcartes  s'addrejje  à  iArnhaffadeitr  de  France, 
ani  par  l'autorité  du  Prince   d'Orange  fait  arrêter  ces  procédures  ,   lors 
an  elles  étoient  fur  le  point  de  leur  confommation.  Ai.  Defcartes  en  exa- 
mine fin  juflice  ,  &  il  fe  juji- fis ,  après  avoir  découvert   Us  principaux 
points  de  la  calomnie  de  fes  ennemis.  Il  cite  Schooc'J.us  devant  les  juges 
de  Groningne  ,  oh  il  efpére  7neillcure  jnftice  ijiia  XJtrecht.  187 

Chap.  XII,  UAbbé  Picot  qmte  M,  Defcartes  pour  retourner  en 
"France  ,  &  fait  un  voyage  en  Touraine  pour  acheter  une  terre.  Avis 
aue  M'  Defcartes  luy  donn'.  la-deffpts.  M.  de  Vdle-Breffieux  demande 
A  retourner  auprès  de  M.  Defcartes.  Rciifons  de  le  détourner  devenues 
mutiles.  Il  demeure  avec  luy  juftjuau  voyage  de  France.  AI.  Defcartes 
fait  un  Ecrit  touchant  les  jets  et  eau.  Il  reçoit  des  deffeins  de  jardins. 
Invention  du  P.  Grand- Amy,  pour  faire  une  aiguille  cjhï  ne  décline  point. 
JSIouveau  fujet  d'efiirne  de  AI.  Defcartes  pour  AI.  de  Roberval.  AI. 
Defcartes  reçoit  ^uelejues  livres  nouveaux  ,  &  quelques  expériences  , 
dont  il  dit  fon  fentiment.  i  c,  S 

ChAp   XIII.  Libelle  diffamatoire  contre  la  perfonne    &  tes  Aledi- 
tations  de  Ad.  Defcartes  y  forti  de  la  boutique  de   f^oetius.   Injlances  ou 
Réplique  de  AI.  Gaffendi  a  la  Réponfe  que  M.  Defcartes  avait  faite  k 
fes  objeFlions  fur  les  Aléditations.  Intrigues  de  A4.de  Sorbiére  pouy  fervir 
Ad.  Gajfendi  contre  Ad.  Defcartes  ,  &  pour  imprimer  en   Hollande  ce 
eju'il  avoit  écrit  contre  luy.   Douceur  de  AI.  Gajfendi  préjudiciable  a  la 
bonne  caufe  de  Ad.  Defcartes,    Objections  de  AI.  Caramuél  contre  les 
Adèditations  de  Ad.  Defcartes ,  &  fon  commerce  avec  AI.  Gaffendi.  Sor^ 
hiére  &  Bornins  décrient  les  Aléditations  de  Ad  Defcartes  ,  &  ils  élè- 
vent M.  Gaffendi  au  deffus  de  luy.  Préparatifs  du  voyage  de  Ad.  Def- 
cartes en  France.     Dirpute  furie  Vuide.  204 
Chap.  XIV.  TraduEllon  latine  des  Effais  de  la   Philo fophie  de  Ad. 
I)efcartes  ,  ce(i-a-dire ,  du  Difcours  de  la  Méthode  ,  de  la  Dioptriqne, 
Û"  des  AlétèoreSyfatTe  par  Ad.  de  Courcelles  l'ancien.    Qui  et  oit  Ad.  de 
Courcelles  ?  Ses  ménagemens  entre  M.  Defcartes ,  &  AI.  Gaffendi.   Ad. 
Defcartes  revoit  cette  traduSlion  ,  &  en  approuve  l'impreffion.  Inquiétudes 
4^  trifleffe  des  amis  de  AI.  Defcartes  en  Hollande  au  fujet  de  fon  voyage 
en  France.    Il  arrive  a  Paris ,  ou  il  voit  peu  de  monde.   Il  va  en  Bre- 
tagne par  Bloi  s  &  par  Tours  ,  ou  il  voidfes  amis.   Il  règle  fes   araires 
domejîiques  avec  fes  frères ,  dont  rainé  ne  luy  efi  point  affez.  favorable. 
Il  revient  a  Paris.                                                                  .213 


Livre  VII. 


TABLE 


LIVRE    S  E  P  T  I  E"  M  E. 

Contenant  ce  qui  s'eft  pafTé  depuis  l'édition  des  Principes 
de  fa  Philofbphie  jufqu'à  fa  m{)rt. 

ChAP.  r.  pDITION  des  Prîncijfes  de  la  Philo fofhie  de  M.  DefcarteC 
Différence  de  cet  ouvrage  d' avec  [on  Cours  philo [o^hiqtu^^ 
mis  en  théfes ,  &  [on  traité  du  Monde.  Divifion  du  traité  des  /  rincipes^ 
ce  ûjuil  contient.  Conformité  de  ces  principes  avec  ceux  d'^riflote  expil- 
^Hez,  d'une  manière  particulière.  En  qitoy  conjîfie  la  nouveauté  de  fes 
opinions.  A4.  Defcartes  a  épargné  les  Scholafiicjues  en  confidération  des 
'je fuites  fes  amk.  Différence  de  fa  Fhilofovhie  d'avec  celle  de  Dém9- 
crite.  Qu^elle  certitude  peuvent  avoir  les  explications  quU  a  données  aux 
chofes  naturelles.  H  a  foumis  fes  Ecrits  a  l'autorité  de  l'Eglife  cath^~ 
lique.  Comi;-ient  fa  Phyfî^ue  efl  achevée.  Ce  ejui  y  manque  encore  pour 
la  rendre  complète^   &  dont  il  nom  e  fi  refîé  des  fragmens.  izi 

Chap.  II.  M.  Defcartes  dédie  fes  Principes  a  la  P  rince ffe  Palatine 
Eïiz^abeth  de  Bohème  fa  difciple.  abrégé  de  l'hifioire  de  cette  Princeffe  avec 
celle  de  fes  frères  &  de  fes  fœurs  depuis  la  mort  de  leur  père  Frédéric  V, 
\Application  particulière  de  la  Princeffe  Elix^aheth  aux  fciences  les  plus, 
profondes  ,  aux  Mathématiques:,  &  a  la  Philo fophie  ^  fom  les  infiru^ioMS 
(tr  la  conduite  de  A4.  Defcartes.  De  quelle  manière  cette  Princeffe  pou- 
'voit  être  la  feule  qui  put  avoir  une  intelligence  parfaite  des  écrits  de  Af^ 
Defcartes.  Ecole  Cartèfîenne  établie  a  Hervorden  par  cette  Princeffe^. 
.AffiiBion  OH  elle  tombe  par  la  converfion  du  Prince  Edouard,  Ai.  Def- 
cartes la  confole  par  des  raifonnemens  humains  tirez,  feulement  de  la, 
Nature  y  &  de  la  prudence  du  fîécle.  ijo 

Chap.  III.  Retour  de  M.  Defcartes  a  Paris  ,  ou  il  void  les  Je  fuites^ 
renouvelle  fis  arnitie'^  avec  eux  ,  &  particulièrement  avec  le  P.  Bourdin 
fon  ancien  adver faire.  Il  rentre  dans  de  nouveaux  cha  crins  contre  quel- 
ques autres  Pères  de  la  Compagnie ,  qui  parloient  mal  de  fes  Ecrits. 
Entrevues  &  amitiez,  avec  A4.  Clerjelier  &  M.  Chanut ,  qui  le  mène 
chez,  A4,  le  Chancelier ,  &  travaille  inutilement  pour  liiy  procurer  une. 
penjîon  du  Roy.  Il  void  le  Chevalier  d'Igby  fon  ancien  amy  ,  avec  le- 
quel il  a  des  conférences.  Jugement  de  Thomas  Anglm.  Ai.  Defcartes. 
void  A4,  de  Roberval,  CaraUére  de  lefprit  &  des  amitiez.  de  cet  hom^ 
?»?.  Le  P,  Merfenne  va  en  Italie  y  &  A4.  Defcartes  retourne  en  Hol- 
lande.   Il  efî  arrêté  a  Calais  y  ou  il  lit  la  verfîon  de  fes  Principes.    Z59. 

Chap.  IV.  Arrivée  de  M.  Defcartes  en  Hollande.  Aiort  de  M\ 
Bannipu  Prêtre  HolUndois  fon  amy.  Réjoùiffances  de  fes  amis  dZJtrecht 
pour  fon  retour.  Il  fonge  a  pourfuivre  fon  procez.  de  Groningne  contre 
Schçockita.  Ipi'é de  celuy  d'Vtrecht  contre  Foetins,  Procédures  de  celuy 


DES     CHAPITRES. 

de  Groningue  devant  le  Sénat  Acadimlque  ,  c'efl -a-dire ,  les  ProfeffeHrs 
de  fVniverJtté.  Sentence  rendue  contre  Schoockjia  en  favenr  de  M. 
Defcartes.  148 

Chap.  V.  Surprife  de  M.  Defcartes  de  fe  voir  jugé  en  [on  cthfence, 
^  avant  /<t  produQion  de  fes  pièces  :  ce  ftiil  prit  pour  un  ejflt  de  l'évi- 
dence de  la  bonté  de  fa  canfe.  Il  envoyé  les  a^es  du  jugement  de  Groni»' 
gue  aux  Magijlrats  d'Vtrecht  ,  t^ui  fe  contentent  de  défendre  V imprcjfioK 
(*r  le  dchit  de  tout  ce  cfui  était  pour  ou  contre  Defcartes.  Contraven^ 
lion  des  deux  Voetius  a  cette  défence.  Examen  du  Tribunal  iniquum^ 
ou  du  libelle  diffamatoire  fait  par  le  jeune  Voetim  contre  la  Sentence  de 
Groningue,  Voetim  le  père  s'élève  contre  les  Chanoines  reformel(^d"V - 
trecht.  Il  intente  un  procez.  contre  fon  difciple  Schoockim  ,  pour  avoir 
déclaré  la  vérité  en  JujUce.  Defcartes  e(l  difpofé  à  fe  réconcilier  avec 
Schoockiui  &  Voetitu,  Il  fait  un  Manifejle  hijiorique  &  apologétique 
de  toute  fon  affaire  aux  Magijirats  d'Vtrecht.  1 5  S 

Chap.  VI.  Rivet  quoique  Carte fien  ^  n  entend  pas  les  livres  de  Àt* 
Defcartes.  Il  excite  M.  Gaffendi  a  écrire  contre  fes  Principes.  M. 
Gajfendi  s  en  excufe  ^  &  fe  contente  de  dire  quelques  injures  k  M.  Defcar- 
tes.  Lés  Jéfuites  témoignent  vouloir  fe  ranger  du  parti  de  AI.  Defcar- 
tes. Différence  de  la  conduite  du  P.  Bourdin  d^avec  ee^e  de  M.  Gaf- 
fendi a  l'égard  de  M.  Defcartes.  Le  P.  Me f  and  va  aux  Miffions  de 
C Amérique.  Sentimens  de  M.  Defcartes  fur  cette  refolmion.  Théfesr 
Cartépennes  foutenués  a  Leyde,  De  ceux  qui  paffent  pour  tes  premiers 
Poètes  Cartffïens.  Héereboord  profeffe  la  Philo fophie  Carte fienne  k  Ley- 
de.  M.  Régim  commence  a  s' écarter  de  la  doflrine  de  fon  Maître ,  & 
veut  devenir  Auteur  d'aune  Philofophie  particulière.  M.  Defcartes  luy- 
fait  de  vaines  remontrances  fur  fes  erreurs.  Régitis  fe  révolte ,  forme 
fon  fchifme  contre  fon  Maître ,  &  luy  fait  in  fuite  dans  une  lettre.  In-' 
gratitude  &  infolence  avec  laquelle  il  traite  M.  Defcartes^  dont  il  fe  ft 
plagiaire  après  fa  mort.  16  z 

Chap.  VII.  Traité  de  M.  Defcartes  fur  la  nature  des  Animaux. 
Il  s""  applique  de  nouveau  aux  opérations  an  atomique  s .  Quelle  étoit  la  bi" 
hliothéque  &  l'étude  de  M.  Defcartes.  H  s'élève  une  dijpute  fameufc 
fur  la  quadrature  du  cercle  entre  les  Mathématiciens  du  fiécle.  M.  Def-. 
cartes  eft  engagé  dy  prendre  part.  Il  effime  la  quadrature  du  cercle  im^ 
poffiblc.  Jugement  qu'il  fait  du  livre  de  Grégoire  de  faim  Vincent.  M. 
Chanut  va  en  Suède  en  qualité  de  Réfident.  M.  Defcartes  le  voiden- 
paffant.  Amitié  de  M.  Porlter  avec  M.  Defcartes.  Preuves  de  la  reli'* 
gion  &  de  la  probité  de  M.  Defcartes.  Il  répond  aux  infiances  de  M. 
Gaffendi  ^  &  fait  fon  traité  des  Paffions.  Deffeins  &  projets  de  la  Phi- 
lofophie morale  de  M.  Defcartes.  Il  fe  dégoûte  du  travail  :  il  faitrèfolu- 
tionde  ne  pi  PU  rien  imprimer  ^  &  de  ne  plus  étudier  que  pour  luy .  lyi 

Chap.  VIII.  Lesjèfu'tes,  quoique  Péripatéticiens  &  attache'^a  la 
Scholafiique  yfont  compliment  a  M.  Defcartes  fur  fa  Philofophie.  Vai- 
ne appréhenfion  de  M.  Defcartes  fur  leurfujet  ^  a  l'occafiondu  P.  Kir- 

b   *  cher^. 


TA  BL  E 

chc-r,  (^m  devint  enfuite  fort  ami.  j^m'iùé  avec  le  P.  N'o'èl  Jcfulte.  Son 
fentiment  touchant  le  livre  de  VVendélinus  fur  la  plnie  rouge.  Dif~ 
Pttte  fur  les  F'ibrations  avec  214.  Candifche  Anglais  &  M.  de  Roberval, 
.M.  Defcartes  en  belle  humeur  contre  ce  dernier  ^  entreprend  de  cenfurer 
[on  Ariflarcjue.  Exercice  entre  Ai.  Defcartes  &  la  Prince fe  Elisabeth 
aux  eaux  de  S  va  fur  la  vrayc  félicité  de  ce  monde  ,  fur  le  livre  d.e  Se- 
né^ue  de  Vitâ  bcatâ  ,  d"  fur  divers  points  de  Amorale.  Edition  du  livre  de 
RégipM  intitulé  Fondemens  de  Phyfique.  Sujets  de  inécontentement  quen 
a  M.  Defcartes.  Jldaiivaife  conduite  d.e  Régi^u  ,  fur  tout  après  la  mort 
de  M.  Defcartes  dans  la  féconde  édition  de  fon  livre,  285 

Chap.  IX.  Amitié  particulière  de  M.  Defcartes  avec  M.  de 
Hooghelande  Gentil-homme  catholique  Hollandais.  Eloge  de  ce  Gentil- 
homme. Sa  charité  pour  les  pauvres  &  pour  les  maUdes.  Ses  études. 
Il  dédie  un  livre  a  Ai.  Defcartes  ,  dont  il  avait  embrajfé  tom  les  fenti- 
mens.  On  confond  M.  de  Hooghelande  avec  M.  Defcartes  a  Rome.  Etat 
des  amis  de  M .  Defcartes  a  la  Haye  après  la  retraite  de  la  Princejfe  Eli- 
sabeth fa  dlfclple.  De  Ai.  de  Béklin.  De  Ad.  Braffet.  De  M.  le  Comte 
de  Dhona.  De  Ai.  P allât.  EreUion  de  l'Vnlverfîté,  ou  plutôt  Ecole  illuflre 
de  Breda  par  le  Prince  d'Or&nge.  On  y  établit  le  Cartefanifme.  Eloge  de 
Ai.  Huyghens  fils  de  Ai.  de  Zuytlichem.  Philo fophle  du  P.  Fabrijéjkltc. 
Aiart  du  P.  Niceron  Ailnhne.  Amitié  de  M.  Defcartes  avec  Ai  le 
Comte  y  qui  luy  fait  des  objeHions  fur  fes  Principes,  Ai.  Picot  y  répond, 
&  enfuit  e  Ai.  Defcartes.  iP4» 

Chap.  X.  Ai.  Chanut  fait  nahre  dans  Pefprit  de  la  Reine  de 
Suéde  des  ftijets  de  faire  des  que  fiions  a  Ai.  Defcartes.  Eloge  que  Ai. 
de  laThuiïlerie  Ambajfadeur  de  Suéde  fait  de  cette  Princejfe  a  Ai.  Def- 
cartes. Defcriptian  naturelle  que  Ai.  Chanut  fit  a  Ai.  de  Brlenne  Sé^ 
erétaire  d  Etat  des  qualltel^  corporelles  &'  fpirituelles  de  la  même  Prin- 
ceffe.  Relation  d^un  entretien  qu'il  eut  avec  elle  fur  les  déréglemens  de 
V amour  &  de  la  haine.  Ai.  Defcartes  eji  confultè  fur  ce  fujet.  Il  en 
fait  une  dljfertatlon  qui  eft  trouvée  excellente.  .  La  Reine  luy  fait  une 
shje^ion  fur  ce  qu'il  ne  croyait  pas  que  le  Ai  an  de  fut  fini,  JH.  Chanut 
luy  fait  en  même  têms  une  quefiion  touchant  le  partage  de  nos  inclina'. 
fions ,  &  la  préférence  dans  nos  aînitlel^  Il  répond  à  l'une  &  a  l'au- 
tre. 502; 

Chap.  XI.  Nouvelle  bro'ùlllerle  de  Ai ,  Defcartes  avec  les  Théolo- 
giens de  Hollande ,  qui  entreprennent  de  le  faire  condamner  comme  «» 
blafphèmateur  &  un  Pélagie».  Ses  calomniateurs  Rèvlus  &  Trlglan- 
dlus.  Ai.  Defcartes  écrit  aux  Curateurs  de  l'Vniverfité  &  aux  Con- 
fuls  de  la  ville  de  Leyde  pour  leur  demander  fatlsfaElion.  Mauvais 
biais  que  prend  fon  affaire.  Il  explique  de  nouveau  fts  intentions  aux 
Curateurs  dans  la  ré ponf»^  qu'il  fait  à  la  lettre  qu'ils  luy  avaient  écrite 
tnfnlte  de  leur  décret.  Il  écrit  au  Plénipotentiaire  Ai.  Servien^  pour 
empêcher  par  l'autorité  du  Prince  d'Orange  que  les  Théologiens  Pro- 
ie fians  ne  fe  rendent  fies  jugfs  dans  leurs  Conjiflolres  ou  leurs  Synodes. 

On 


DES     CHAPITRES. 

Cn  arrête  les  entreprifes  de  fes  ennemis  ,  dont  la  fureur  fe  décharge  fur 
fes  feElatenrs,  Perfections  ^uils  fufcitent  a  Heereboord  &  à  Heydanns 
leurs  collègues,  pour  le  Cartéjîanifme,  ^  i  ^ 

Chap,  XII.  Second  voyage  de  M.  Defcartes  en  France.  Edition  des 
'Méditations  &  des  Principes  en  François,  Il  va  en  Bretagne  ,  en  Poi- 
tou i  &  en  Touraine  avec  l'Abhè  Picot.  Maladie  du  P.  Mcrfenne. 
Mort  de  M-  Mydorge  :  fes  dêpenfes  &  fa  paffion  pour  les  Mathé- 
matiques ,  qu'il  a  tâché  en  vain  d'infpirer  a  M.  de  Lamoignon.  Mort 
de  TorricelU  &  de  Cavaliéri.  M.  Defcartes  reçoit  une  pcnfion  du  Roy 
de  3000  livres.  Il  void  M.  Pafcal  le  jeune ,  qui  l'entretient  de  fes  ex- 
périences fur  le  Vuide.  Il  luy  donne  avis  d'en  faire  fur  la  pcfanteur  de 
l'air^  Il  retourne  en  Hollande  avec  V Abbé  Picot.  Son  fentiment  touchant 
le  fouverain  Bien  fur  la  demande  de  la  Reine  de  Suéde ,  qui  luy  récrit  de 
fa  main  pour  l'en  remercier.  223 

Chap.  XIII.  Libelle  de  Révius  contre  M.  Defcartes.  Placart  de 
Régius  contenant  diverfes  erreurs  touchant  l'état  de  l'Ame  humaine  ré- 
futé par  M.  Defcartes.  Protefiation  de  M.  Defcartes  contre  Régius , 
qu'il  defavouè  pour  fon  difciple.  Deux  autres  libelles  de  néant  contre 
M.  Defcartes.  Il  renonce  a  fon  traité  de  l' Erudition  pour  travailler  à 
ecbiy  des  fonctions  de  l'Animal.  Il  efl  rappelle  en  France  par  ordre  de 
la  Cour  pour  recevoir  une  penfion  &  un  employ  honorable.  Mauvais 
fuccés  de  fon  voyage.  Il  paffe  trois  mois  à  Paris  au  milieu  de  fes  a7nis. 
Sa  réconciliation  avec  M.  Gajfendi  faite  par  le  moyen  de  M.  l'Abbé 
d'E/lrées  aujourd'huy  Cardinal.  F^jijfaé  injîgne  de  Sorhlére  touchant 
la  perfévérance  de  M-  Defcartes  en  cette  amitié-  334 

Chap.   XIV.  ^.  de Robcrval  veut  démontrer  l'impoffibilité  du-ntOH- 
vernent  dans  le  plein  a  M.  Defcartes ,  qui  fe  trouve  préfent  aplufteurs 
expériences  du  Vuide  ,  fans  fe  perfuader  quelles  fujfe  m  contraires  a  fes 
principes.    M.  de  Roberval  perfécute    M.  Defcartes  dans  tout  le  têms 
de  fon  féjour  à  Paris.  M.  Defcartes  fait  difficulté  de  luy  répondre  de 
vive  voix.    Pourquoy  il  veut  r obliger  de  mettre  fes  raifons  par  écrit ,  Û" 
pourquoy  M    de  Robcrval  a  toujours  rcfufé  cette  condition ,  7néme  après 
la  mort  de  M.  Defcartes.    Incartades   de  M.  de  Roberval.  M.   Def- 
cartes fatisf  ait  aux  dijfcHltez.  d' un  S  çavant  inconnu,  qu'il  fouhaite  en  vain 
de  connoitre.    Maladie  du  P.  Merfenne.    Aiort  de  l'oncle  maternel  de  M. 
Defcartes.    Hijioire  de  la  fucceffion  qui    luy    en  revint.    Retour  de  A4. 
Defcartes  en  Hollande.    M.  CUuberg  devient  Cartéfîen.    Son  éloge  & 
celuy  de  M.  de  Raey.    M.  Defcartes  confie  la  Princtffc  EU'<^beih  dans 
fes  adverfitez,,  544 

Chap.  XV.  Mort  dn  P.  Merfenne  le  plm  ancien  des  amis  &  des 
feSlateun  de  M.  Defcartes.  CaraSlére  de  l'efprit  de  ce  Père.  Son  éloge. 
Ses  grands  fervices  rendus  au  Public  y  Son  attachement  particulier  &  fa 
fidélité  inviolable  pour  M.  Defcartes.  Mauvais  fort  des  lettres  &  de 
/quelques  traitez,  ^que  M.  Defcartes  avait  envoyez^  a  ce  Père  ,  caufé  par 
l'artifice  de  M.  de  Roberval.   DureteiL  de  cet  homme  a  l'égard  de  M. 

b  ij  *      Clerfelier 


TABLE 

Clerfelier  pour  ce  fujct.  La  Reine  de  Suède  fait  rèfolution  d étudier  tout 
âe  bon  la  Philofophie  de  M-  Defcartes.  Elle  donne  commijfion  à  [on 
Bihliothccaire  de  C  étudier  ^ar  avance  y  four  luy  en  faciliter  l' intelligence. 
Eloge  de  Ad.  Freinshémins.  Commerce  de  M.  Defcartes  avec  un  Philo- 
fophe  Anglais  nommé  le  Jîeur  Henry  Mo9re,  <jui  luy  propofe  fes  difficul' 
tez.  Grands  fcntimens  de  A4.  Aioore  four  la  Phiiofophie  de  Ai.  Def- 
cartes. Amitié  de  Ad.  Defcates  avec  le  Duc  de  Nevvcafile  Seigneur 
Anglais.  5  5  i 

Chap.  XVI.  Ai,  Defcartes  ferdquelcjues-vns  de  fa  amis  de  France, 
Ad.  de  Touchelaye  ,  Ad.  Hardy  (^c.  Il  donne  des  avis  à  la  Prince fft 
EliTaheth  fur  fa  maladie  ,  fur  la  mort  du  Roy  d^ Angleterre  fon  oncle  , 
f^  fur  l'article  delà  pai.*:  de  Aiunfter  cjui  regardait  C  Eleveur  Palatin 
Confrère.  EJfais  de  la  Politique  de  Ad.  Defcartes.  Ses  incertitudes  fur 
le  Heu  ou  il  doit  établir  fa  demeure  le  refle  de  fes  jours.  Propofîtions  & 
inftances  efuon  luy  fait  de  la  part  de  la  Reine  de  Suède, pour  aller  la  voir  & 
luy  apprendre  fa  Philofophie  de  vive  voix.  Difficultej^de  ce  voyage  levées 
far  Ad.  Chanut,qui  eft  nommé  Ambaffadeur  ordinaire  en  Suéde  par  le  Roy. 
Il  void  M.  Defcartes  en  Hollande  y  &  il  achève  de  le  déterminer  a  Jbn 
voyage.    Eloges  de  Ad.  Chanut ,  (jui  efl  renvoyé  en  Suéde.  ^  6^ 

Chat.  XVII.  Edition  latine  de  la  Géométrie  de  Ad.  Defcartes  avec 
les  notes  de  Ad.  de  Be^une  c^ui  mourut  cfuelc^ues  mois  après  ,  &  les  com- 
mentaires  de  Ad.  Schooten  Auteur  de  la  traduQion.    Obligations  partie. 
cuUéres  de  Ad.  Defcartes  a  f  égard  de  Ad.  Schooten.    Cette  traduSiion 
moins  eftimable  que  celles  des  autre:  ouvrages  de  Ai.  Defcartes  ,    parce 
quelle  ri  a  point   été  revue  par  luy.     Ad.     Carcavi  devient   le  carref" 
pondant  de  M.  Defcartes  a  la  place  du  P.  Aderfenne.    Il  luy  fait  le  ré- 
cit de  t expérience  du  vif  argent  faite   au  Puy  de  Domme  par  Ai.  Pèrier 
&  Ai.  Pafcal.  Le  Père  Adaignan  Minime  français  demeurant  a  Rorne 
promet  des  ob jetions  a  Ai.  Defcartes  contre  quelques  uns  de  fcs  principes ^ 
comme  Ai.  Pafcal  luy  en  avait  promis  contre  fa  matière  fubtile.     Aidais 
Vun  &  l'autre  devinrent  derni-Cartéfiens  dans  la  fuite.    Ad.  de  Roberval 
veut  profiter  de  la  facilité  de  Ai.  Carcavi  pour  chicaner  Ad.   Dejcartes  y 
qui  Je  délivre  de  fes  import  unit  ez^  par  le  flence.  374 

Chap.   XVIII.  Ai.  Defcartes  fe  prépare  au  voyage   de  Suède. 
Il  prend  des  précautions  contre  les   envieux  qui  pourroient   prévenir  les 
efprits  a  la  Cour  de  Suéde.   Le  prejfcntitnent  de  la  mort  luy  fait   mettre 
ordre  a  fes  affaires.    Sa  raifon  four  ne  point  faire  de  tefl.nnent.     Il  ar- 
rive à  Stockholm  ,  &  loge  chez.  l'Arnbafadeur  de  France.    Eloge  de   la 
famille  de  Ai.  Chamtt.   Accueil  favorable  que  Ad.   Defcartes  reçoit  de 
la  Reine,  qui  fon ge  a  le  retenir  auprès  d'elle  pour  le  rejîe  de  fa  vie  ,  (JT 
4f  luy  faire  un  bon  ètablijfcment.    Elle  difpcnfe  Ai.  Defcartes  de  tous 
les  affujettiffemens  des  Courtifans.     Elle  luy  donne  heure  pour  aller  fen- 
tretenir  les  înatins  dans  fa  bibliothèque.    Ad.  Defcartes  veut  profiter  de 
fa  faveur  pour  fervir  la  Prince ffc   Elisabeth    auprès  d' Elle.    Ce  qu'il 
fenfe  de  la  faffion  de  la  Reine  pour  les  Hnmanitez.    Il  fait  connoif- 

fance 


DES    CHAPITRES. 

fance  Avec  U  Comte  de  Brégy  venu  de  Pologne  en  Suéde.  }g> 

Ch  A  p.  XIX.  Edition  du  traité  de  Ai.  Defcartes  touchant  les  PaC- 
Jlons  de  l'Ame.  Hifîoire  de  cet  ouvrage  ,  &  ce  cjuil  contient.  Aï.  Defcar- 
tes efl  convié  de  faire  des  vers  franc  où  fur  la  Paix  de  Afun/Ier  pour  un  bal 
4jHe  donne  la  Rdne  de  Suéde.  Jaloufie  des  Grammairiens  de  U  Reine  con~ 
tre  M.  Defcartes.  Ce  qn^il  fenfe  de  C application  d'une  Reine  pour  les  bel- 
les Lettres  ,  &  fur  tout  pour  le  Grec.  La  Reine  V engage  a  mettre  tou4  fes 
écrits  en  ordre ,  &  a  fonger  aux  moyens  défaire  un  corps  complet  de  toute 
fa  Philo fophle.  Inventaire  des  ouvrages  imparfaits  qui  fe  trouvèrent  dans 
fon  cojf'-e ,  &  premièrement  de  ceux  qui  furent  imprimez,  après  ftt  mort. 
Son  traité  de  l'Homme  ,  &  ce  quil  contient.  Son  traité  de  la  Formation 
du  FœtHS ,  &  ce  quil  contient.  Eloges  de  M.  de  la  Porge  &  de  Ai» 
Gutfchowen.  Autres  traitez,  de  Ai.  Defcartes  imparfaits.  Recueil  de  fes 
Lettres.  Excellence  de  ce  recueil.  Des  peines  quil  a,  données  a  A4.  Cler- 
felier,  ^  jp  j 

C  H  A  P.  XX.  Ecrits  de  Ad.  Defcartes  qui  n  ont  pas  encore  été  im- 
primel(^  Son  traité  des  Régies  pour  conduire  l'efprit  dans  la  recherche  de 
la  Vérité  î  ce  quil  contient  \  en  quoy  il  efi  imparfait.  Son  traité  intî^ 
tulé  Scudium  bon.-c  mentis.  Son  Dialogue  fur  la  Recherche  de  la  Vérité 
par  la  feule  lumière  naturelle.  Son  traité  de  l' Art  d' Eferirne.  Son  traité 
du  Génie  de  Socrate.  Inflances  de  la  Reine  de  Suéde  pour  retenir  Ai. 
Defcartes  auprès  d'elle  le  rejlc  de  fes  jours-  Elle  luy  offre  une  grojfe 
Seigneurie  en  Allemagne.  Aialadie  de  l' Ambaffadeur  Chanut.  Incommo- 
dfte'i^que  Ai.  Defcarta  fouffre  du  climat  de  Stoct^holm,(^  de  la  rigueur  ex- 
traordinaire de  lafaifon.  La  Reine  veut  établir  che^^clle  une  Académie 
pour  les  fcienccs  ,  dont  elle  veut  donner  la  direSlion  à  Ai.  Defcartes. 
Elle  rengage  à  en  drejfer  les  jlatuts.  Il  luy  en  porte  le  projet ,  par  le- 
quel il  en  excUid  les  Etrangers  :  &  pourquoy  ?  405 

C  H  A  P.  XXI.  Aialadie  de  Ai.  Defcartes.  Ses  exercices  de  piété. 
Eloge  du  Père  Viogué  Jon  Confeffeur.  EiU^ions  calomnieufes  de  diverfes 
perfonnes  touchant  l'origine  &  le  fujet  de  fa  maladie.  Caufe  véritable 
de  fa  maladie.  Dieu  permet  que  l'en  confe  fa  famé  à  un  Aiédecin  qui 
était  fon  ennemi  déclaré.  Soins  &  inquiétudes  de  Ai.  &  de  Aiadame 
Chanut  y  &  de  la  Reine  de  Suéde.  Obflination  de  Ai.  Defcartes  a  refu- 
fer  la  faignée  pendant  fon  tran/port  au  cerveau.  Hijloire  des  fept  pre- 
miers jours  de  fa  maladie.  Il  commence  a  connottre  fon  mal  le  hui- 
tième jour ,  &  Ce  fait  faigner  :  mais  trop  tard.  Il  fe  prépare  a  la  mort 
en  philofophe  chrétien.  Tranquillité  des  deux  derniers  jours  de  fa  vie. 
Ses  dernières  heures.     Sa  mort.  a\a 

C  H  A  P.  XXII.  Douleur  de  la  Reine  de  Suéde  à  la  mort  de  Ai. 
Defcartes.  Elle  veut  le  faire  enterrer  auprès  des  Rois  de  Suéde  avec  une 
pompe  convenable  ,  &  lity  dreffer  un  Aianfolèe  de  marbre.  Ai.  Chanut 
obtient  quil  fait  enterré  avec  pli44  de  fîmplicité  ,  dans  un  cimetière  fé- 
lon l^ufage  des  Catholiques.  Funérailles  de  Ai.  Defcartes,  Qjtalitez.  des 
ferfonnes  qui  portèrent  fon  corps.    Inventaire  de  ce  qu'il  aviit  porté  eu 

É    iij  Suéde. 


TABLE 

Suède.  Sort  des  écrits  de  M.  Defcartes.  Inventaire  de  ce  qu^îl  avoît 
Uijfé  en  Hollande.  M.  Chanutfait  drejfer  fur  fon  tombeau  un  Monument 
en  forme  de  Pyramide  quarrée.  Infcriptions  de  cette  Pyramide  faites  par 

M.  Chanut.  ^  4^4 

Chap.  XXIII.  Converfton  de  la  Reine  de  Suide ,  <jul  en  attribué 
la  gloire  après  Dieu  k  M.  Defcartes,  On  fait  la  tranjlation  de  fes  os 
en  France  feiz.e  ou  dix-fept  ans  après  fa  mort  par  les  foins  de  Ai.  d' A- 
libert.  On  les  dèpofe  dans  VEglife  de  Sainte  Geneviève  du  Mont  à  Parisy 
ûH  on  luy  fait  un  fervice  folemnel  avec  une  magnificence  excejfive.  On 
luy  drejfe  un  monument  de  marbre  très-fîmple  &  trés-modejîe  ,  mais 
orné  d'une  Epitaphe  glorieufe  a  fa  mémoire.  431 


Lir  KE      HVITIE  M  E. 

Contenant  Tes  qualicez  corporelles  Scfpirituelles.  Sa  maniè- 
re de  vivre  chez  luy  ,  &:  avec  les  autres.  Ses  mœurs.  Ses 
fentimens.  Sa  Religion.  Ce  qu'on  a  trouvé  à  redire  à  fa 
perfbnne  &:  à  fes  écrits  j  &  généralement ,  tOLit  ce  qui  n'a 
pu  entrer  dans  la  fuite  des  années  de  i'hiftoire  de  fa  vie. 

Chap.  I.    T)'^  corps  de  M.  Defcartes.  S  a  taille.  Son  teint.  Sa  voix. 
Son  poil.  Vtilitè  de  laperru<jue  pour  la  famé ,  &  Cufage 
^u^en  faifoit  M.  Defcartes.     Comment  il  s' accommodait  aux  modes.  Ses 
habits.    Son  régime  de  vivre.  Sa  fobriétè.  Sa  diète.  Son  difcerne7nent fur 
les  nourritures.    Frugalité  de  fa  table,    Pourquoy  il  pré  ferait  les  racines 
&  les  herbes  a  la  chair  des  animaux  ?  Ejfa  de  la  joye  &  de  la  trijiejfe 
fur  le  manger  &  le  dormir.  Du  repos  &  du  travail  de  M.  Defcartes. 
Ses  exercices.  Safantè.  Son  tempéra?nent.  Ses  infirmitez.  corporelles.  Sa 
manière  de  rétablir  &  de  conferver  la  fxntè.  Son  averfîon  pour  les  Char- 
latans &  Médecins  ignorans.  Etude  de  la  Médecine.  Pouvoir  des  paf- 
Jïons  de  l'Ame  fur  la  fanté  du  corps.  44S 

Chap.  II.  Du  ménage  de  M.  Defcartes.  Son  domefiicfue  fort  choi- 
si (^  fon  propre^  Sa  maifon  efl  une  école  de  fcience  (tr  de  vertu  pour 
fes  ferviteurs.  Affe^ion  réciproque  entre  le  Maître  &  eux.  Hifloire  des 
;plHt  illuftres  d'entre  fes  domejiiques  ,  de  M.  de  faille  Brejfieux  ^  de  Gé- 
rard de  Gutfchovven  y  du  jeune  Gillot ,  du  Limoufin  ,  Cr  de  Henry  Schlu- 
ter  qui  eut  fa  dépouille.  De  la  nourrijfe  de  M.  Defcartes.  De  quelle 
manière  il  traitait  la  Fortune ,  &  comment  il  en  fut  traité.  Etat  de  fon 
hien  &  de  fes  revenus.  Son  indijférence  pour  les  richejfes.  Sa  génércfîté 
four  donner ,  &  pour  refufer  toutes  fortes  de  gratifications  de  la  part 
des  Particuliers.  Ses  foins  pour  ne  pat  lai  fer  périr  fon  patrimoine.  455 
Chap.  III.    yie  retirée  de  M.  Defcartes,  Son  amour  pour  la  fo^ 

lithdc 


DES     C  H  APITRES. 

lltude.  Sa  double  dev'tfe.  Scnmrprù  pour  la  gloire.  Son 'md'jfcrcrjcc  pour 
la  réputation.  Son  humeur  particulière.  Sa  taeiturnité.  Sa  manière  de 
converfer.  Sa  lenteur  a  parler.  Sa  parcjfe  a  écrire,  Cara^ére  de  [on 
écriture.  Il  Itfoit  peitÊkll  avait  peu  de  livres.  Son  juge?ncnt  fur  les 
grandes  le^lures.  Comment  on  peut  dire  qu^il  avoit  lu  infinimc;Tt.  Son- 
aff::[}ation  a  diffimuler  fes  levures  &  fes  études.  Son  flile.  Excellence 
de  ce  flile.  Sa  latinité.  Sa  conformité  fur  fufage  de  la  lannie  fran- 
çoife.  Son  fentiment  fur  C  orthographe  j  &  la  prononciation.  Sarnétho- 
de  particulière  de  compofer.  %a  clarté.  Son  obfcuritè  ûjfèllèe.  Sa  ma- 
nière de  philofophcr  agréable  a  fes  Ad,verfaires  même.  Il  commençait 
à  goûter  le  genre  d'écrire  prr  dialogues  pour  expliquer  la  Philofo- 
phie  ,  dans  les  dernières  années  de  fa  vie.  4^3  - 

C  H  A  P.  IV.  De  l'efprit  de  Ai.  Defcartes.  Son  étendue  ^  fa  force^ 
fa  pénétration ,  fi  ji^fl<^Jf^.  De  fa  mémoire ,  en  cjuoy  elle  ctoit  inférieure 
a,  fon  efprit.  Son  jugement  folide  ,  finefe  de  fon  goût ,  fon  difcernement. 
Son  amour  pour  la  Vérité  >  fa  franchife ,  fa  droiture.  Il  veut  tout  fa- 
crifier  a  la  Vérité.  Il  la  cherche  par  tout  y  mais  principalement  dans  les 
fciences.  Etendue  &  cjualité  de  fon  fç avoir.  Définition  CT  divifon  de 
la  fcience.  Son  jugement  fur  la  Théologie ,  fur  l'Aflronomie ,  fur  les  Ala- 
thématii^ues  ,  fur  la  A4édecine ,  fur  la  Philofephie  fcholafiit^ue ,  fur  les 
Humanité?  ou  belles  Lettres.  Ce  quil  fçavoit  &'  ce  quil  ignorait  dans 
toutes  ces  cannai jfance s.  Idée  d'une  langue  univerfelle ,  ou  a  une  Gram- 
maire générale  &  raifonnée ,  quil  propofe  au  P.  Aderfenne.  47^ 

C  H  A  P.  V.  Conduite  &  difcernement  de  Aï.  Defcartes  pour  la  diffé- 
rence des  études  qiti  regardent  l'entendement  ,  l'imagination  ^  &  les  fens. 
Sa  docilité  a  l'égard,  de  toutes  fortes  de  perfonnes.  Il  aime  à  reconnaî- 
tre dr  a  corriger  fes  fautes.  Le  peu  d^ attache  qu'il  a  pour  fes  opinions. 
Comment  il  s'ed  rendu  fufpeEl  de  vanité  auprès  de  fes  envieux  •■,  fondement 
ou  prétexte  de  cefoupfon.  Sa  modeflie.  Son  peu  d'efiifne  pour  foy -même. 
Son  averfion  pour  les  loUanges  &  les  titres  d'honneur.  Son  honnêteté.  Sa 
douceur.  Sa  modération.  Sa  générofîté  pour  méprifer  la  calomnie  ^  ^  pour 
oublier  les  injures.  Ses  foins  pour  éviter  de  choquer  ceux  qui  l'avaient  mal- 
traité. Sa  répugnance  pour  remarquer  ^  ou  pour  relever  les  fautes  d'au- 
truy.   S^n  amour  pour  la  paix.  Son  averfion  pour  la  diffute,  48  ^ 

Chat.  VI.  Âmitieu^  de  M.  Defcartes.  Du  nombre  &  de  la  qualité 

de  fes  amis ,  Ja  tendre jfe  &  fa  fidélité  pour  eux.    Sa  confiance  &  fon 

bon  cœur.  Son  humeur  officieufe  &  prévenante.  Ses  ennemis  ^  c'eft-k-dirCs 

fes  envieux  &  fes  adverfaires.  CaraSlére  des  uns  &  des  autres.  Comment 

le  nombre  de  fes  adverfaires  diminué  de  jour  en  jour  •■,  comment  celuy  de 

fes  feBateurs  augmente  &  fe  fortifie.  Différence  entre  fes  amitiez  deraifon 

&  fes  amitiez.  d'inclination.  Pourquoy  il  aimait  les  perfonnes  louches.  En 

quel  cas  on  peut  fuivre  fes  inclinations  dans  l'amour.  Comment  il  aimait 

la  conver fat  ion  des  femmes.    Vertus  de  fon  ame.  j^^C 

C  H  A  p.   VII.  De  la  Religion  de  M.  Defcartes.    Son  reff>eB pour  la 

Divinité.  Sa  retenue  &  fa  circonffe^ion  ponr  parler  de  ce  qui  regarde 

là' 


TABLE 

ia  natitye  divine.  Il  évite  d'entrer  dans  les  cjue fiions  de  Théologie,  ris'ab" 
flient  de  varier  de  la  puijjance  de  Dien  ,  avec  la  hardiejfe  dont  la  plupart 
des  Philofophes  &  Mathématiciens  prétendent  décider  ce  cjuil  peut ,  Ô' 
ce  (jHil  ne  peut  poi.  Sa  mode  flic  mal  reconnue  fi^We  point.  Sa  manière 
d'écrire  contre  les  Athées.  Injufltce  de  ceux  ejui  prétendaient  l'accufer 
d'Atheifme  ,  de  Sceptlcifme  ,  &   d'ir^piéié.  505 

Cmap.  VIII.  'Vpigf  ^«^  M.  De  [carte  s  faifoit  de  fa  Raifon  dans 
les  chofes  <jui  regardent  la  Religion.  Sa  Philofophie  s'accorde  mieux  avec 
la  Théologie  &  la  Religion,  que  la  Phlloffjphle  de  l'Ecole.  Ses  Principes 
conformes  k  la  defcription  ^ue  Aioyfe  a  faite  de  la  création  dans  la  de- 
néfe.  Il  efi  accufé  de  Pélagianifme  par  les  Protefians.  Injuflice  de  ces 
reproches.  Ses  fentimens  fur  la  providence  ,  la  prédeflination ,  la  liberté ^ 
la  dépendance  &  l'indifférence  du  libre  arbitre ,  autant  que  ces  chofes  peu-' 
vent  être  du  reffort  de  la  Raifon  humaine.  Pourcjuoy  il  n'a  jamais  voulw 
rien  écrire  de  la  Grâce  ,  non  pltu  fue  des  ?nyfiéres  de  la  Trinité  &  de 
V^  Incarnation-  509 

C  H  A  P.  TX.  Sentlmens  de  Monfieur  Defcartes  fur  l*Eucharlfile.  Il 
explicjue  la  Tranffubfîantiation  félon  fes  Principes.  Nouvelle  explication 
ejuil  en  a  donnée  au  P.  Mefand,  fans  prétendre  quelle  devint  jamais 
■publique.  Les  Cartéjiens  la  font  valoir  après  fa  mort.  Les  Calvinlfîes 
redoutent  M.  Defcartes  &  le  rejettent  comme  contraire  a  leurs  dogmes. 
U  ne  laiffe  pas  d^être  accufé  de  Calvinifme  par  quelques  Catholiques  mal 
informel  ^  ou  mal  intentionné'^  Réfutation  de  cette  calormile.  Son  averjion 
extraordinaire  pour  le  Calvinifme.  Son  defir  pour  le  retour  des  Protefians 
a  l'EffUfe.  Ses  exercices  de  Chrétien.  Son  opinion  ftr  les  vœux  Afonafli^ 
ques.  Safoumlffon  à  l'Egllfe.  Sa  déférence  pour  la  Sorbonne.  Ses  livres 
mis  a   /'Index.  5 1 8- 

Ch  A  p.  X.    Du  caraElére  de  Nouveauté  qui  fe  trouve  dans  les  opi- 
nions de  Ai.    Defcartes ,  &  fon  fentlment  ftr  r'AntlqHué'.    Différence 
qu'on  doit  mettre  entre  la  Nouveauté  &  la  Fauffeté  ,  entre  l'Antiquité  & 
la  Vérité.  M.  Defcartes  ascufé  de  Nouveauté  ,  &  d'avoir  pourtant  pris 
fes  dogmes  des  Anciens ,  de  Platon  &  des  Académiciens  ;  de  Dimocrite  ;, 
d'Ariflote  \  d'Eplcure  j  de  Zenon  &  des  Stoïciens  yd'Anaxagore  ;  de  Leu- 
cipe  j  de  Lucrèce  ;  de  Clcéron  *,  de  Sénéqu:  ;  de  Plutarque  -,  de  S.  Au- 
guflln  y  de  S.  Ahfelme  :  &  même  parmi  les  Modernes  ,  de  Roger  Bacon  -^ 
du  Fioravanti  j  de  Pérelra  \  de  TeléJÏPU  i  de  Tyco  Brahé  \  de  Jordanns 
Brunm  ;  de  Vléte  -,  de  Snellius  ;  du  Chancelier  Bacon  ;  de  De  Dominis  i 
de  Ferrari  ;  de  Sovéro  ;  de  Charron  \  de  Harrlot  i  de  Kepler  \  de  Gali- 
lée \  de  Gilbert  \  de  Harvèe  \  de  Hobbes  ;  de  M.  Arnaud  \  &  de  Moyfe. 
M..  Defcartes  nefl plagiaire  de  perfonne.    Une  même   chofe  peut  avoir 
plufieurs  inventeurs.   Indifférence  de  AI.  Defcartes  pour  fes  propres  inven- 
tions. Sa  générofité  envers  fes  pUglalres.  354 

F  I  n: 


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1 


LITRE       C  I  N  êU^  l  E  M  E. 

Contenant  ce  qui  s*eft  pafTé  à  Ton  fujet,  depuis  le  temps  de 
la  connoilFance  qu'il  fit  avec  les  Profelîcurs  d'Utrecht, 
jufqu  a  la  publication  de  fès  Méditations  Metaphyfîques. 


CHAPITRE      PREMIER. 

M.  de  Roy,  ou  Regms  apprend  la  Méthode  &  les  Principes  de  la  Philofo- 
phie  de  M.  Defcartes  par  la  bouche  de  M.  Renery^  &  par  la  levure  des 
Ejfais  de  cette ^  Philofophie.  Il  les  enfeigne  a  [es  Ecoliers  ,  &  il  parvient 
par  ce  moyen  a  une  Chaire  de  Profejfeur  en  Médecine  dans  l'Vniverfiîé 
d'Vtrecht.  Obflacles  furvenus  durant  la  brigue  de  cette  Chaire.  M.Re- 
gins  regarde  M.  Defcartes  comme  Tu^uteur  de  fa  fortune  &  de  fes  con- 
noijfances.  Il  fe  déclare  fon  Difciple  ,  &  fe  dévoue  a  luy  d'une  manière 
particulière.  Confufion  dans  les  Lettres  imprimées  de  M.  Defcartes. 


End  A  NT  qu'on  fatiguoit  M,  Defcartes  en 
France  par  des  Objecliions  &  des  Problcnics, 
on  ne  fongeoit  prefquc  en  Hollande  qu'à  fe 
dëpoiiiller   de    la   vieille    Philofbplîie   pour 
_     prendre  la  fienne.  Plus  k  jaloufie\s'eiîbrçoit 
— ^  de  publier  qu'il  étoit  tombé  dans  des  erreurs 
ordinaires  à  l'homme  ,   plus  il  femble  que  k%  nouveaux 

A  *  S  éclateurs 


Mm'trawfM'imnii'm'i'Hfl 


I  ^3  81 


2  La    Vie    de    M.      Descartes. 

^^3^'      Sectateurs  s'étudioient  à  l'élever  au-defîus  de  la  condition 
humaine.  L'Univeriîté    d'Utrecht  qui  fèmbloit  eftre  née 
Cartefîcnne  après  qu'on  eut  fait  venir  Monfîeur  Renery 
pour  prévenir  même  for  éredion ,  Ce  rempliilbit  infenfible- 
mentdefes  Difciples  fousladifcipline  de  cet  habile  ProfeC 
feur.    Celuy  qui  fe  diftingua  le  plus  fut  un  jeune  Médecin 
nommé  Mcnry  de  Roy  ,  dit  ,  Regius ,  natif  de  la  Ville  mê- 
nic.  Après  avoir  été  en  divers  endroits  de  la  Frile  Occi- 
dentale ,  &  de  la  Province  particulière  de  Hollande  ,  tant 
pour  y   apprendre  que   pour  y  enfèigner   pendant  quel- 
lettr  MfT.      ^^^^   années  ,  il  étoit  revenu  dans  le  lieu   de  fa  nail  lan- 
de Regius.       ce  vers  le  temps    auquel  M,  Renery  avoit  été  appelle  de 
^,'*^"1 '"?,'■"'"•  Deventer  pour  y  profefTer  la  Philofbphie.il  s'y  étoit  pro- 
je«a.  c'-^re    même  une  efpece  d  etabliliement  par  un  mariage, 

qui  ne  l'empêcha  pas  de  hanter  M.  Renery  avec  l'affiduité 
d'un  Ecolier,  depuis qu'ill'eiit goûté ,  &  qu'il  eût  reconnu 
fbn  mérite.  L'amitié  étroite  qu'ils  lièrent  enfemble  fut  fui- 
vie  d'une  confiance  entière  que  M.  de  Roy  eût  en  M.Re- 
neri.  Celuy-ci  s'en  fervit  avantageufement  pour  le  dégager 
infènfîblement  de  fès  Préjugez,  Se  il  luy  communiqua  cette 
Méthode  excellente  qu'il  avoit  reçeuë  deM.  Defcartes  pour 
conduire  fà  railbn  dans  la  recherche  de  toutes  fortes  de  ve- 
ritez.  M.  de  Roy,  que  nous  appellerons  dorefnâvaAit Re^îus 
dans  la  fliite  de  cette  Hiftoire ,  pour  nous  rendre  confor- 
mes au  langage  le  plus  ordinaire,  ne  borna  point  fà  re- 
connoiflance  à  M.  Reneri  •  mais  il  la  fît  remonter  jufqu'à 
M.  Defcartes  ,  pour  lequel  il  conçeut  dés  lors  une  ha  ite 
eftime ,  accompagnée  d'une  vénération  profonde.  Ce  n'é- 
toient  encore  jufques-là  que  les  fruits  de  leurs  converfâ- 
tions.  Le  Livre  de  M.  Defcartes  vint  enfuite  à  paroître. 
M.  Regius  fut  des  plus  ardens  à  le  lire,  &  l'eftime  qu'il 
avoit  conçeuë  pour  M.  Defcartes  fe  tourna  incontinent  en 
une  vraye  paiîîon.  Elle  luy  fît  oublier  peu  à  peu  les  conlîde-\ 
rations  qui  Tavoient  empêché  jufqu'à  lors  de  rechercher  fa 
connoifïance  par  luy-même  ,  èc  de  luy  prefenter  Cqs  refpecls 
immédiatement.  Il  demeura  encore  prés  d'un  an  dans  cette 
refèrve  ,  croyant  devoir  s'étudier  à  mériter  l'amitié  de  ce 
grand  homme ,  avant  que  de  la  luy  demander.  Non  con- 
tent de  s'être  imprimé  dans  l'efprit  les  principes  de  fà  nou- 
velle Philofbphie,  dont  il  avoit  trouve  ks  Eflàis  dans  fbn 

livre 


Livre     V.     Chapitre!.  3 

livre  conformes  à  ce  que  Monfîeur  Reneri  luy  en  avoit  ap-      ^  "3  "• 
pris  auparavant   ,  de  de  les  avoir  adoptez  à   la  place  de 
ceux  qu'on  luy  avoir  autrefois  enfèignez  dans  les  Ecoles  , 
il  fe  mit  endevoir  de  les  digérer   encore  pour  l'ufage   des 
autres.   Il  enfèignoit  aduellement  la   Philofbphie ,  &   la 
Médecine  à  àcs  particuliers  dans  la  Ville;  &  pour  ne  point 
faire  diverfîon  à  Têtu  ie  particulière  qu'il  faifoit  de  la  Phi-  Tom.  3.  Jcs 
lofophie  de  A/Tonfieur  Defcartes ,  il  s'avifa  de  la  mettre  par  ^efc^a'^^ 
cahiers,  6c  de  la  débiter  à  fes  Ecoliers  fous  le  nom  de  Phy-  4  6.'  ^*^' 
fiologie ,  à  mefure  qu'il  la  comprenoit.  La  fimplicité  de  l'hy-  Epiii.  ad  p. 
pothefè ,  le  bel  enchainement  des  Principes  &:  des  raifbn-  Dinetum 
nemens ,  la  netteté  &:  la  facilité  avec  laquelle  il  leur  en  fai-  "'^^'  *^* 
fbit  déduire  les  veritez  ,  les  ravit  de  telle  forte ,  que  fans  en 
demeurer  aux  termes  d'une  reconnoiflance  ordinaire  pour  le 
Maître  à  qui  ils  étoient  fî  redevables  ,  ils  firent  une  efpece 
de  ligue  pour  coopérer  à  fbn  avancement ,  &;  pour  s'em- 
ployer à  le  faire  mettre  en  place ,  ibit  dans  le  Confeil  de 
Ville  ,  foit  dans  l'Univerfité.    Dieu  fît  naître  en  peu  de 
temps  une  occafîon  femblable  à  celle  qu'ils  cherclioient  pour 
exécuter  leur  bonne  volonté. 

Il  n'y  avoit  dans  la  nouvelle  Univerfîté  qu'un  Profefleur 
pour  toutes  les  parties  de  la  Médecine.  Ce  Profefîèur  étoit 
te  Sieur  Guillaume  de  Straaten  ^  ou  Stratenus .  qui  s'étoitre-  Narrât,  hift.. 
tranché  à  n'enfèigner  que  TAnatomie  6c  la  Médecine  Pra-  P^^*  ^' 
tique.  Le  nombre  des  Etudians  qui  fè  rendoient  de  divers 
endroits  à  fbn  Ecole  augmentant  de  jour  en  jour  fit  bien-tôc 
comprendre  à  Meilleurs  de  l'Univerfité  l'obligation  qu'il  y 
avoit  de  pourvoir  au  fbulagement  du  Sieur  Stratenus. Ils  s'afl 
fèmblerent  pour  en  délibérer  ,  6c  ils  jugèrent  que  pour  l'a- 
vantage de  l'Univerfité  ,  il  feroit  befoin  d'un  fécond  Pro- 
fefleur en  Médecine  pour  enfeigner  la  Botanique  6c  la  Mé- 
decine Theoretique.  M.  Reneri  dont  l'autorité  étoit  fort 
confiderable  parmi  Çqs  Collègues ,  avoit  beaucoup  de  part  à 
la  délibération,  ^  fè  fervant  de  fon  crédit  pour  faire  connoître 
le  mente  de  M.  Regius,  il  fit  que  quelques  uns  jetterentles 
yeux  fi-ir  luy, pour  remplir  la  Chaire  qu'on  devoir  drelîer. 
M.  Regius  afiifté  d'une  fî  puiflante  recommandation  alla  voir 
le  Redeur  derUniverfîté,qui  étoit  pour  lors  le  fieur  Bernard 
Zcootanus^  Profefîèur  en  Droit  6c  en  Mathématiques  dans  la. 
même  Univerfîté  ,  6c  q^u'il  avoit  connu  afTjz  particuliere- 

A  *  ij  raenf 


4  ^  ^-     Vie    De     M.    Descartes. 

1658.      ment  dans  l'Univerfîté  de  FrancKCr  ,  durant  Ton  fejour  en 

Frilè.  Il  fit  aiiiîl  là  cour  au  ficur  Jufte  de  Lire,  ou  Zir^us,  Pro- 

felFcur  en  Hiftoire  ôc  en  Humaniccz  ,  &  il  le  pria  de  vou- 
loir fc  joindre  au  fîeur  Schotanus  pour  fbliciter  auprès  du  Sé- 
nat, ou  Confeil  de  la  Ville,  l'érection  d'une  féconde  Chaire  en 
Médecine.  La  conlideration  de  M.  Reneri  qui  s'interciToic 
dans  cette  affaire  fît  agir  ces  deux  M effieurs  avec  aflez  d'ar- 
deur &  de  bonne  foy  ;  ôc  non  contens  d'cxpoler  au  Sénat  la 
necelîîtc  d'une  leconde  Chaire  de  Médecine  ,  ils  luy  pro- 
pofcrent  encore  M.  R.egius  comme  le  fujet  le  plus  capable 
qu'ils  connuflcnt  pour  la  remplir.  Le  Sénat  dont  les  membres 
particuliers  n'avoient  pas  encore  oiiy  parler  de  M.  Regius 
écouta  la  première  propofition  aflcz  volontiers  ,  fur  tout 
après  avoir  eu  le  confèntement  du  Sieur  Stratenus,  à  qui  il 
s'agiffoit  de  donner  un  Collègue,  fans  préjudice  de  fon  hon- 
neur &  de  fcs  intérêts.  A  cette  nouvelle ,  le  nombre  des  con- 
currents à  la  Chaire  future  ,  Ce  multiplia  en  peu  de  temps. 
Les  autres  Profeflèurs ,  &  quelques  perlbnnes  qualifiées  de 
Ja  Ville,  dont  M.  Regius  n'étoit  pas  connu  ,  preiènterent 
leurs  amis ,  ou  leurs  créatures  à  l'envy  pour  la  remplir.  On 
en  produifit  deux  entre  les  autres  qui  étoient  fbûtenus  d'un 
grand  mérite  perfonnel ,  &  de  trés-puiflantes  recommanda- 
tions •  l'un  excelloit  dans  la  Botanique  ^  l'autre  avoit  une 
grande  connoiiîance  de  la  Médecine  en  gênerai ,  de  la  Phi- 
lofophie ,  des  Mathématiques ,  des  Langues  Orientales ,  & 
particulièrement  de  l'Arabe. 

L'éclat  que  fit  cette  affaire  ne  manqua  point  d'animer  les 
efprits  des  Difciplesde  M.  Regius.   Ils  étoient  en  petit  nom- 
bre ,  mais  pour  la  plupart  jeunes  Gens  de  famille  très-bien 
élevez ,  &  prefque  tous  déjà  en  état  d'entrer  en  charge.  Ils 
crurent  que  l'occafion  qu'ils  cherchoient  de  le  fèrvir  étoit 
venue,  èc  n'épargnèrent  ni  leurs  parens  ni  leurs  amis  pour 
obtenir  les  fuffrages  du  Sénat  en  fi  faveur.  Quoique  M.  Re- 
gius fut  Docleur  en  Médecine,  &  qu'il  ne  luy  manquât  rien 
de  ce  qui  pouvoit  le  faire  afpirer  légitimement  à  cette  chai- 
re, il  étoit  néanmoins  en  danger  de  le  voir  exclus  par  la 
Epift.  ad  P.      brigue  des  deux  autres.  Mais  l'aprobation  qu'avoit  Ion  écrie 
Dinet.art.iî.  ^^q  Phy{]ologie  jointe  à  la  différence  que  l'on  remarquoic 
Hlftor.Acad.  ^^1"»^  la  manière  de  railbnner  qui  diftinguoit  lès  Difciples  d'a- 
vec ceux  des  Ecoles  publiques  ôc  vulgaires  ,  fit  juger  qu'il 

avoic 


Livre     V.    Chap.     î.  5 

Avoit  une  Philofbphie  toute  particulière ,  &:  qu'il  dcvoit  être      1638. 

un  excellent  Maître  dans  l'art  ou  la  méthode  d'erjfei^ner.      ^ 

C'eft  ce  qui  porta  Meilleurs  du  Sénat  à  le  préférer  aux  au- 
tres dans  le  choix  qu'ils  dévoient  faire.  Cette  difpofition  fa- 
vorable des  efprits  lèrvit  beaucoup  à  faire  éclater  la  jalouiie 
des  autres ,  &  à  fiire  faire  diverfes  informations  de  la  vie  6c 
des  fentimens  de  M.  Regius,  pour  chercher  quelque  prétexte 
.aux  obftacles  qu'on  fbuhaitoit  de  former  à  fà  promotion. On 
fè  mit  d'abord  à  ièmer  des  bruits  désavantageux  à  fa  répu- 
tation, &  on  s'efForça  de  prévenir  le  lîeur  Stratenus  Profelîèur 
ordinaire  en  Médecine ,  fans  le  confentement  duquel  on  ne 
pouvoit  rien  faire.  Mais  comme  fes  mœurs  avoient  toujours 
paru  ailez  irréprochables  aux  yeux  des  hommes ,  l'Envie  le 
vid  obligée  de  fè  retrancher  fur  les  fentimens.  Elle  les  atta- 
qua tant  du  côté  de  la  Philofbphie  que  de  celuy  de  la  Théo- 
logie. On  accufà  d'abord  fon  efprit  d'être  trop  fuigulier, 
&  d'avoir  trop  de  penchant  pour  les  Paradoxes.  Mais  il  luy 
fut  aifé  d'étoufFer  cette  calomnie  ,  par  le  fècours  de  M.Re- 
neri  &  par  fes  manières  de  raifbnner  qui  efloient  toutes  Car- 
tefîennes  ,  c'eft  à  dire,  très  conformes  au  bons  fèns.Non  con- 
tent de  s'être  juftifié  devant  leRedeur  Schotanus  &  le  fieur 
de  Lire,  il  voulut  bien  leur  promettre  qu'il  n'avanceroit  ja- 
mais rien  dans  fès  leçons  ou  les  difputes  touchant  la  Méde- 
cine ,  qui  fût  contraire  aux  opinions  communément  reçeuës 
dans  l'Univerfité  &  dans  les  autres  Ecoles  établies  par  autori- 
té publique  ^  &  qu'il  auroit  toujours  pour  le  fîeur  Stratenus  le 
refpect  &  la  déférence  qui  luy  fercit  duë.Cette  batterie  n'aiant 
pas  reiiiîî,  on  en  drefîa  une  autre  pour  attaquer  fa  Religion, 
&  l'on  tacha  de  le  rendre  fufped  d' Arminianifîiie ,  quiétoit 
alors  une  raifbn  d'exclufion  pour  les  emplois  de  la  robe  en 
Hollande  depuis  le  Concile  de  Dordrecht.  On  en  forgea  le 
prétexte  flir  ce  que  quelques  années  auparavant  demeurant 
dans  la  ville  deNaerden  cù  il  faifoit  la  Médecine,  &  gou- 
vernoit  le  Collège  en  qualité  de  Principal ,  il  étoit  arrivé 
quelques  troubles  à  fbn  fujet  parmi  les  vaiflèaux  de  la  flote 
Hollandoile.  Cette  nouvelle  accufàtion  fit  plus  d'imprcffion 
furl'efpritdu  fîeur  Schotanus  &:du  fîeur  de  Lire  que  celle  qui 
ne  regardoit  que  la  P  hilolbphie.  Le  fcrupule  les  porta  à  venir 
décharger  leur  confcience  ,  premièrement  devant  M.  Regius 
à  qui  ils  dévoient  un  avis  de  charité  fur  ce  point ,  puis  devant 

A  *  il]  le 


4  La    Vie   de    M.   Descartes. 

^  ^3^-  le  fîeur  Gisbert  Voet^  ou  Vont,  dit  Voetiu^  Profefleiir  en  Théo- 
logie zelë  Gomarifte,  qu'ils  precendoienc  confulter  dans  cet- 
te affaire  comme  leur  (Cafuîrè-i^. 

Voetius  ne  connoiflbit  point  encore  Regius ,  6c  à  peine 
avoit-il  oiii  parler  de  luy  jufques-là.  Il  en  fut  d'autant  plus 
hardi  à  fè  charger  de  la  connoiilance  de  ià  caufe,  qu'il  n'é- 
toit  encore  prévenu  de  rien  à  fbn  égard.  Il  voulut  même 
pour  l'amour  de  la  juftice  pouiTer  la  generofité  &  le  def-in- 
terellement  jufqu'à  n'avoir  point  d'égard  aux  fbllidtations 
qu'on  luy  avoit  faites  en  faveur  des  autres  Compétiteurs 
qui  concouroient  avec  M.  Regius  pour  la  brigue  de  la 
chaire.  Il  fè  fit  donc  accompagner  du  Sieur  de  Lire  ,  &  ie 
traniporta  chez  M.  Regius  pour  tirer  de  luy  les  éclaircifïè- 
mens  neceflaires  touchant  ces  bruits  def^avantageux.  M.  Re- 
gius ne  iè  contenta  pas  de  luy  faire  une  expofition  de  fa 
créance,&  de  luy  montrer  qu'elle  étoit  parfaitement  con- 
forme à  celle  de  la  Seigneurie  &  de  i'Univerfîté  :  il  voulut 
encore  luy  découvrir  la  Iburce  de  la  calomnie  dont  Ç^s  en- 
vieux tachoient  de  le  noircir.  Il  luy  produiiit  enfui  te  un  cer- 
tificat en  bonne  forme  qu'il  avoit  reçeu  de  l'Eglifè  ou  Con- 
fîftoire  de  Naerden  en  quittant  cette  ville ,  pour  pouvoir 
être  admis  à  la  Communion  de  l'Eglife  d'Utrecht  &:  des  au- 
tres lieux  des  Provinces  unies.  M.  Voetius  en  fut  fi  fàtisfait 
qu'il  l'embrafïa,  luy  demanda  ïo'^.  amitié  ,  &  luy  promit  fà 
voix  ,  en  l'alTurant  de  la  j  oie  qu'il  auroit  de  le  voir  au  nom- 
bre de  fès  Confrères. 

Sur  le  raport  de  ces  deux  Meffieurs,  le  Reéteur  fit  aiïem- 
bler  l'Univerfité.  M.  Regius  y  fut  propofé  6c  agréé,  mais  il 
fdt  réglé  qu'on  ne  le  confidéreroit  que  comme  Profeiîeur 
extraordinaire. Le  fieurStratenus  Profeiîeur  ordinaire  enMe- 
decine  aiant  enfùite  donne  fbn  conientement  en  pleine  afl 
femblée,  on  députa  M.  Reneri  6c  M.  Voetius  vers  le  Sénat, 
pour  luy  demander  au  nom  de  l'Univerfité  plufieurs  Profefl 
fèurs  extraordinaires,pour  la  Morale  Pratique ,  pour  la  Me- 
taphyfique ,  pour  la  Philologie,  6cpour  la  Médecine  Botani- 
que. M.  Voetius  fè  chargea  de  parler  pour  la  dernière  Pro- 
fefiîon  en  faveur  de  M.  Regius,  dont  il  fit  les  éloges  aux 
Magiftrats.  Ce  qui  fit  d'autant  plus  de  plaifir  à  M.  Reneri, 
qu'il  avoit  plus  d'intérêt  de  cacher  fes  inclinations  ^  d'oter 
tout  lieu  de  croire  q^u'on  eut  eu  égard  à  autre  chofe  qu'au 

mérite 


Livre    V.     Chapitre    I.  7 

mérite  du  Poftuknt.  Ainfi  M.  Regius fut  receu  d'une  voix     1^58. 
commune  avec  l'approbation  générale  de  la  Ville  6c  de  l'U-  ' 

niverfité.  Il  fçcut  fi  bien  gagner  les  cœurs  de  tous  fes  Col- 
lègues, qu'après  avoir  porté  pendant  quelques  mois  la  quali- 
té de  Profelîeur  extraordinaire,  il  fut  mis  dés  la  même  an- 
née au  nombre  des  Ordinaires. 

Il  crut  avoir  toute  l'obligation  du  fuccés  de  Cette  affaire 
à  M.  Defcartes ,  dont  la  Philo/bphie  avoit  formé  en   luy 
ce  mérite  qui  l'avoit  fait  préférer  aux  autres  Concurrens. 
La  place  qu'il  occupoit  luy  donnant  un  degré  de  hardiefle 
plus  qu'il  n'avoit  auparavant ,  il  fe  défît  du  fcrupule  qui  l'a- 
voit empêché  jufqucs-là  de  luy  écrire  en  droiture  pour  luy 
prefènter  fes  refJDeds.  Afin  de  ne  pas  rendre  fà  modeflie  ou 
là  timidité  fufpede  d'ingratitude,il  prit  la  liberté  de  luy  écri-  Rcaïus  Ms. 
re  le  xviii.  d'Aoufl  pour  le  remercier  d'un  fèrvice  qu'il  luy 
avoit  rendu  fans  le  fçavoir.  Il  luy  demanda  la  grâce  d'être 
reçeu  au  nombre  de  îès  ferviteurs,  avantage  qu'il  avoit  re- 
cherché &  qu'il  croioit  avoir  mérité  depuis  qu'il  s'étoit  ren- 
du fbn  difciple.Etpour  ne  luy  point  faire  un  myftere  d'une 
chofe  qu'il  ne  pouvoir  rçavoir,c'efl  à  dire  de  la  manière  dont  il 
prétendoit  que  M.  Defcartes  l'avoit  fait  ProfefTeur  dans  l'U- 
niverfîté,il  luy  fit  un  détail  de  la  connoifïànce  qu'il  avoit  ac- 
quife  de  fa  Méthode  6c  de  fà  Philofbphie,  premièrement  par 
,   la  bouche  de  M.Reneri,  qui  l'avoit  amplement  informé  des 
qualitez  heroiques  de  fbn   efprit  ,  6c  enfliite   par  la  lec- 
ture des  EfTais  qu'il  avoit  publiez  l'année  précédente.  Il 
luy  marqua  enfliite  comment  il  s'étoit  heureufèment  fèrvi 
de  cette  Méthode  pour  enfeigner  fà  Philofophie  à  quelques 
Particuliers  fuivant  fès  principes  :  de  il  luy  apprit  que  le 
grand  fuccés  de  cette  entreprife  avoit  porté  les  Magiflrats 
de  la  Ville,  &  les  ProfefTeurs  de  l'Univerfité  à  lechoifîr  pour 
remplir  la  chaire  de  nouvelle  eredion.  Il  le  conjura  de  ne 
point  abandonner  fon  fropre  ouvrage  ,  6c  de  ne  point   luy 
refufèr  les  alTiftances  necefTIiires  pour  icutenir  cette  premiè- 
re réputation.  Il  luy  protefla  que  de  (on  côté  il  feroit  tout    . 
ce  qui  dependroit  de  luy  pour  ne  rien  faire  qui  fut  indigne 
de  la  qualité  de  fbn  difciple  qu'il  preferoit  à  tous  les  autres 
avantages  de  fa  vie  :  &  qu'il  fuivroit  les  pas  de  M.  Reneri  le 
plus  prés  qu'il  luy  fèroit  pofTible. 

Pour  fe  mettre  d'abord  en  poUèiTion  des  droits  attachez 


a 


s  La    Vie     De     M.     Descartes. 

I  ^3  S.  à  cette  qualité,  il  prit  la  liberté  de  luy  envoyer  fcs  ^EJÏais  de 
Médecine ,  qui  n'étoient  autre  cliofè  que  des  Notes  aflez 
courtes  fur  Trincavel ,  &  le  pria  de  \qs  examiner  avec  tou- 
te la  feventé  d'un  Maître.  Il  palTa  même,  appuie  fur  Tex- 
perience  que  M.  Reneri  luy  avoit  donnée  de  fes  bontez , 
jufqu'à  luy  demander  les  objections  qui  luy  avoient  été  flû- 
tes depuis  peu  contre /^z  Circulation  au  fan^^  avec  les  Répon- 
{qs  qu'il  y  avoit  données.  Et  pour  luy  foire  voir  jufqu'où; 
pourroit  aller  la  confiance  avec  laquelle  il  vouloit  luy  aban- 
donner ion  efprit  comme  fbn  cœur  ,  il  luy  dit  nettement 
qu'il  ne  luy  viendroit  aucune  difficulté  qu'il  ne  luy  propo- 
sât, &:  dont  il  n^efperât  de  luy  les  folutions,  comme  d'un 
homme  à  qui  il  pretendoit  tout  devoir  ,  &  qu'il  regardoit 
comme  extraordinairement  fufcité  pour  conduire  la  raifbiî 
des  autres  hommes ,  oc  \qs  tirer  de  leurs  anciennes  erreurs. 
M.  Defcartes  reçeut  dés  le  xx.  du  mois  la  lettre  de  cet 
inconnu  dans  le  pacquet  de  M.  Reneri, qui  luy  fèrvoit  d'iii- 
trodudeur  pour  cette  première  entrée.  Le  plailîr  que  luy 
donnèrent  ces  beaux  effets  de  Ça  Philofbphie  ne  luy  permit 
pas  de  différer  de  répondre  à  {qs  civilitez ,  &  de  luy  accorder 
îbn  amitié  avec  tous  \qs  fruits  qu'elle  pourroit  produire.  lî 
récrivit  en  même  temps  à  M.  Reneri  pour  fe  rejouir  avec 
luy  du  fùccés  avec  lequel  il  introduifoit  fi  Philofbphie  dans 
rUniverfîté,  &pour  luy  permettre  d'amener  M.  Regiusavec 
luy,  lorfqu'il  luy  feroit  l'honneur  de  le  venir  voir.  C'étoic 
répondre  à  la  demande  que  M.  Regius  luy  avoit  fait  faire 
par  M.  Reneri.  Mais  les  occupations  de  fbn  nouvel  employ 
ik  les  incommoditez  de  M.  Reneri  le  privèrent  de  cette  fà- 
tisfadion  pendant  plus  de  fîx  ou  fept  mois ,  au  bout  defquels 
il  pritfujet  de  remercier  M.  Defcartes  de  toutes  fès  bontez 
pour  luy  demander  permifTion  de  l'aller  voir  feul.  Sa  lettre 
eft  dattée  du  ix.  de  Mars  1639.  &:  ne  pouvant  y  renvoyer  le 
Ledeur, parce  qu'elle  n'efl: pas  encore  publique,  il  elt  à  pro- 
pos de  luy  en  reprefènter  le  fens  en  abrégé  pour  des  raifons 
dont  on  luy  laifTera  enfuite  l'examen.  Je  n'ay  point  de  ter- 
^  mes,  (  dit  M.  Regius  à  M.  Defcartes  )  pour  exprimer  la  joie 
»  que  m'a  donnée  la  lettre  admirable  que  vous  me  fîtes  l'hon- 
»,  neui*  de  mécnre  au  mois  d'Août  dernier.  Elle  a  tellement 
^  augmenté  le  peu  de  réputation  dont  j'étois  redevable  d^ail- 
^  leurs  ôc  cà  vous  ôcà  M.  Reneri ,  qu'elle  a  attire  à  mon  école 


non 


Livre  V.  CnAprrp.E    I.  9 

non  feulement  pluficurs  écudians  en  Mi  lecine  :  mais  même  «    .z^,» 
des  Philofophes,  desjarifconfiiltes,  des  Théologiens  &.  d'au-  u  '^ 

tre  Auditeurs  étrangers,  pour  écouter  les  léchons  publiques  §c  es 
particulières  que  je  fais  delà  Médecine  liiivant  les  pruicipes  « 
de  vôtre  Philofophic^que  j'ay  puifez  dans  vos  excellens ouvra-  « 
î^es ,  ou  appris  de  la  bouche  de  M.  Reneri....  Celapoiivoit  « 
fuffire  ce  fembie  pour  me  réhaulTjr  le  courage  ,  &  pour  me  et 
facihter  de  plus  en  plus  \qs  voyes  de  la  Nature.  Cependant  ce 
vôtre  bonté  vous  fait  faire  encore  bien  d'autres  démarches  a 
en  ma  faveur,  &  au  lieu  que  vous  m'aviez  accordé  la  grâce  « 
de  vouloir  bien  mefouffrir  à  la  compagnie  de  M.  Reneri  ton-  et 
tes  les  fois  qu'il  vous  rendroit  vilitc,  vous  me  permettez  main-  et 
tenant  de  vous  aller  voir  feula  cauie  de  les  fréquentes  indif.  c< 
pofitions  J'efpére  profiter  de  ma  permi/fion  dans  cette  fé-  et 
maine  qui  finira  no5  vacances:  &  fî  je  ne  vous  fuis  point  à  char-  ce 
ge,  je  paiîèray  deux  ou  trois  jours  prés  de  vous,afin  de  pouvoir  ce 
vous  confulter  fur  divers  delTèins  que  je  me  fuis  propofèz,  &:c.    ce 

Vers  le  commencement  du  mois  d'Août  de  l'an  1638,  M. 
Reneri  avoit  fiit  le  voyage  d'Egmond ,  &:  avoit  rendu  à  M. 
Defcartesuneafîez  longue  viiite  qu:  fut  la  dernière  qu'il  pût   "^""i-  *  <îes 
lui  rendre  de  fi  vie.   Il  luy  avoit  apporté  la  hauteur  de  la  tour    ^"'"  ^'  ^°^' 
d'Utrecht ,  (  qui  étoit  de  350  pieds  de  Roy  * ,  )  très  exactement   j^^  ^"  contant 
méfurée  dans  la  réfolution  de  l'envoyer  enfiiite  au  Père  Mer-  la  gux)ucue. 
fèn;ie ,  à  qui  toutes  ces  curiolitez  étoient  bonnes.  Mais  le   laquelle  avec 
fujet  principal  de  fa  vifiteètoit  l'affaire  de  l'Univerfité  d'U-  iaTuSf 
trecht,  dont  il  avoit  été  bien  aifè  de  l'informer  de  vive  voix,   etoit  haute  de 
Ce  fat  en  cett  ?  occafion  que  M.  D  jfcartes  entendit  parler  de   '^  P'^^"  ^  ?'. 
M.  Regius  pour  la  première  fois -oc  après  tout  le  bien  que  M. 
Reneri  luy  en  dit,  il  ne  pur  pas  ne  fe  laifTer  pas  prévenir  en 
ià  faveur.  M.  Deicartes  ne  crût  point  pouvoir  mieux  payer  la 
peinedeM.  Reneri,  qu'en  luy  faifànt  part  des  queftionsdans 
Texamen  defquelles  celuv-cyl'avoit  trouvé  occupé  lorsqu'il 
J'étoit  venu  vifiter.  Il  luy  fit  voir  la  derniéreexpUcation  qu'il     v.  le  livre 
venoit  de  donner  pour  la  dèmonftration  de  la  Roulette  au  fû-   prt'cédcnt. 
jet  de  M.  deRoberval-  &la  rèponfe  qu'il  avoit  faite  peu  de 
jours  auparavant  aux  objedions  de  M.  Morin  fur  la  lumière.  Il   j^*^^^'  ^-  ^^^ 
luy  montra  auffi  l'examen  qu'il  venoit  de  faire  de  la  Géoftati-       ^ragioi, 
que  de  M. de  Beaugrand,  pour  fçivoir  fi  un  corps  pèfe  plus  ou   ibid.  p.  ji^ 
moins  étant  proche  du  centre  dç  la  terre ,  que  lors  qu'il  en  eft 
//,  Part,  B  *    éloigné. 


i6  La   Vie  d  e  M.  Descaktes. 

1  (^^^.      éloigné.  M.  Reneri  qui  ne  quittoit  jamais  M.  Defcartes  fans 

Tom.  5.  Let-  ^^^^^  ^'^^^  cVampIcs  provifions ,  s'en  retourna  comblé  de  toutes 

tr.  Lxiii.  &  fortes  de  fàtisfactions  ,  &  ravi  iur  tout  d'avoir  vu  les  elo- 

ixiv.  rieux  témoignages  de  l'amitié  de  M.  de  Fermât  ,  èc  de  plu- 

iîeurs  Sçavansillaftres  de  France. 

A  ion  retour  il  alîIiraM.  Regius,  qu'il  feroit  le  trés-bien 
venu  chez  M.  Defcartes ,  &  qu'il  le  trouveroit  préparé  à  touc 
*  Aux  mois  ce  qu'on  pou  voit  attendre  de  fa  bonté.  M.  Régius  qui  n'avoic 
de  Mars  &     poiiit d'autre  têmsp:^ur voyager,  que  celuy  des  vacances  de 
^  Aou  .  rUniverfîté  qui  fe  donnoientdeux  fois  l'an  ^  à  l'occadon  des 

'.  ^tom!''^des  <^^^^  foires  de  la  ville,  voyant  expirer  celles  du  mois  d'Août^- 
lettr.  ne  pût  faire  autre  chofe  que  d'écrire  à  M.  Defcartes  la  let- 

JPag.4o^ibi-  tre  du  XVIII  de  ce  mois  dontnous  avons  parlé.  M.  Defcartes 
<lc"i-  ayant  répondu  civilementà  cette  lettre,  récrivit  au  P.  Mer- 

^iis'entrou'  fennc  le XXIII  du  même  mois  pour  luy  envoyer  la  méfure  la 
'flïs  Teux"èu  Tour  d'Ucrecht  que  M.  Reneri  luy  avoit  lailîee.  Cette  lettre 
trois  coufues  imprimée  par  M.  Clerfélier,  marque  d'une  manière  un  peu 
fidul'n-e»/^.  ^^^P  décifive,que  cétoitM.Ie  Roy  ^  ou  Régius  qui  la  luy  avoic 
foient  qu'une,  portée,  &  que  ce  n'étoit  pas  même  la  première  vifîte  qu'il 
qucyqueU  fin  J^y  ^yoit  rcnduë  à  Edmond.  -  Mais  il  y  a  de  quoy  s'étonner 
antérieure  au  q^ic  là  luite  de  là  lottrc  n  ait  pu  détromper  M.  Clerielier, 
commencement  y ay  récù  ccttc  fémaine ,  dit  M.  Defcartes  au  P.  Merfenne ,  3  des 

tour  le  têms  j    '/  ,1^       '  »         r^^7  •       ,         •  » 

quelques  fois  lettre  S  d  îŒ  Docteur  que  je  n  ay  jarn,tts  vu  ,  m  connu  ^  qui  me  re- 
un  morceau  mercie  de  ce  que  je  fay  fait  Profcjfèur  en  Médecine  dans  une 
pti   dai  eurs  rjj^i^^yC^^  ^^  ilv^cut  lamais  o[é  prétendre  fans  moy.    Ce  qui  luy 

ou    même  «we  J  ^  ^    J  /.,  ■      i-  •      -^     i         ^t    r    i 

lettre  sntiére  cjt  amve^  farce  qu  ayant  enjeigne  en  particulier  quelque  cbojc  de 
de  fuj/ei   tout  ^^  philofophie  à  des  Etudians  de  ce  lieu-là ,  ils  y  ont  pris  un  tel 

dînèrent    Je  ,  ,.',•'  •  /    /      ,  ^       • /7  ;     /  ;  -^     r  rr         /^ 

trouve  inférée  gout  qu  US  ont  prie  Le  Mdfiijtrat  de  leur  donner  ce  Profejjeur.  Ce 
dans  le  milieu  Dodcur  inconnu  n'eft  autre  que  M.  Régius  3  &  Terreur 
treTZement  S^i  ^  fait  glilFcr  fon  nom  à.  la  place  de  celuy  de  M.  Reneri, 
y  tnuve  1-on  ne  peut  être  venue  que  de  la  liberté  que  M.  Clerfélier  a 
les  dettes  ;  é-  ^^-^{q  d'achcvcr  le  mot  que  M,  Defcartes  n'avoit  exprimé 

les  noms    pro-    ',  ^         ■  i  in»  'v      i  • 

près  des  Per-  dans  u  miiuîte  que  par  la  capitale  K.,  n  ayant  pu  obtenir 
fonnes  &  des  ^q  M.  dc  Roberval  l'original  de  la  lettre  tombé -entre  fes 
ven't  ^ ^preppie  Hiains  aprés  la  mort  du  p.  Merfenne.  4-  L'inflexibilité  de  M, 
fupprimez  par  de  Robcrval  à  donné  liju  encore  à  quelques  défbrdres  '.^ans 
'"■"^'..f !/ r!'  l'édition  de  ces  lettres  :  mais  le  Public  aura  bien-tôt  la  fi- 

n  a  pas  donne  _  _ 

peu  d'exercice  tisfadion  d'y  voir  toutes  chofes  redinees  dans  un  nouvelle 
àihfjiontn  de  ^(^^^^  qu'on  luy  cn  prépare. 

ClIAF, 


Livre    V.    Chapitre.   IL  ii 


ai- 


1^3?. 


CHAPITRE     II. 

2^.  I^efcartes  fait  un  ahe^é  de  Médecine ,  ^  s' apercevant  qu'il 
vieillijjoit  il  fon^e  aux  moyens  de  confcrver  fa  famé.  Succès  de 
jVf".  René  ri  dans  la  frofeljîon  de  la  philofophie.  Prudence  avec 
laquelle  il  enfcigne  la  Méthode  de  M.  De  [cartes.  Il  cfl  foulage 
dans  fes  exercices ^  Remploie  le  temps  de  fon  repos  à.  méditer  fur 
la  Géométrie  de  M.  Tiefcartes  &  fur  fa  Phyfîque  .DuLivre  de  la 
Vérité,  traduit  en  Fram^ois.  Jugement  qu'en  fait  M. Defcartes. 
Amitié  étroite  de  M.  Bannius  ^  de  M.  Bloemaert  Prêtres 
Catholiques  de  Hollande  avec  M.  De  fartes.  Leur  éloge  ^  leur 
défenfe.  Ju^ment  de  la  Mufque  de  M.  Banniits. 

MR  Defcârtes  n*eut  aucune  violence  à  fe  faire  pour 
donner  à  M.  Regius  la  fatisfadion  qu'il  fouhaicoic  de 
luy/ur  tout  en  ce  qui  concernoic  la  Médecine.  Outre  qu'il 
comprit  l'importance  qu'il  y  avoit  de  ménager  fagement  le 
zélé  d'un  nouveau  Dilciple  fî  bien  intentionné ,  il  fe  trou- 
voit  adueliement  appliqué  à  des  études  de  Médecine  lorf- 
qu'il  reçeut  fa  première  lettre.  C'eft  ce  que  nous  pouvons 
juger  par  la  manière  dont  il  en  écrivit  à  Monfî-eur  de  Zuyt- 
lichem  qui  avoit  eu  la  curiofité  de  fçavoir  ce  qu'il  faifbit 
pour  lors.  i»Je  veus  fàtisfaire,  luy  dit-il,  au  dernier  point  de 
vôtre  lettre,  en  vous  difant  à  quoi  je  m'occupe.  Je  n'ay  ja-  "  desLctt.  p 
mais  eu  tant  de  foin  de  me  confèrver  que  mainte aant  :  &  au   "374. 

I-  .  r  ■  c  ■  I  AA«  Voyez  aul- 

lieu  que  je  peniois  autrsrois  que   la  mort  ne  me  put  ater      niapag. 
c]ue  trente  ou  quarante  ans  tout  au  plus,  elle  ne  fçauroitdé-      '-^9-  du  t: 
formais  me  furprendre  qu'elle  ne  m'ôte  l'efperance  de  plus      Jérnoi^nc' 
d'un  fîecle.  Car  il  me  femble  voir  tres-évidemment  que  fi  "  erpcrc^dc 
nous  nous  gardions  feulement  de  certaines  fautes  que  nous 
avons  coutume  de   commettre  au  régime  de  nôtre  vie  , 
nous    pourrions  fans  autre  invention  parvenir  à  une  vieil- 
lefle  beaucoup  plus  longue  &  plus  heureufe  que  nous  ne 
faifbns.  Mais  parce  que  j'ay  befoinde  beaucoup  de  temps  & 
d'expériences  pour  examiner  tout  ce  qui  fert  à  ce  fujet ,  je 
travaille  maintenant  à  compolér  un  Abrégé  de  Médecine  que 
je  cire  en  partie  des  livres ,   ôc  en  partie  de  mes  raifonne- 

B  *  ij  mens. 


i^  Tom.  t." 


vivre  cnco- 
«  rc    plus  dî 
.  trente  ans. 


3> 
M 


Pag.  5  ^7. 


>» 


î» 


Son  Traité  » 
de  Phyli-     „ 


li  La  Vie  de   M.    Descartes. 

^3  ^«  "   mens.  J'efpere  pouvoir  me  fervir  par  provifîoii  de  ce  travail 
"        '"  pour  obtenir  quelque  delay  delà  Nature  ,  &  par  ce  moien 
pouriùivre  mieux  mon  delFein  dans  la  fuite  dés  temps.  Il 
fèmble  qu'il  en  avoir  fait  le  fiijet  principal  de  les  Méditations 
depuis  qu'il  s'étoit  vu  débaraiîe  de  la  diilribution  de  Ion 
Livre,&  qu'il  s'étoit  retiré  à  Egmond.  La  néceffité  facheuie 
où  il  s'étoit  trouvé  depuis,  de  répondre  à  une  lé:;ende  acca- 
blante d'Objeâiions  &  de  Problèmes  luy  avoir  encore  mieux 
lu^i.^tom.   "  ^^^^  fentir  Futilité  de  ce  travail. Les  poils  blancs  qui  commen- 
'des  Lcta.    "   cent  à  me  venir ,  dit-il  dans  une  lettre  de  la  même  année  au 
nfême  M.  de  Zuytlichern  ^  nf  avertiflent  que  je  ne  dois  plus 
étudiQT  en  Phyllqueàautre  choie  qu'aux  moyens  de  les  re- 
tarder. C'eil  maintenant  a  quoi  je  m'occupe,  &  je  tâche  de 
fiTppléer  par  indiiftrie  au  défaut  djs  expériences  qui  me  man- 
quent. En  quoi  j'ay  tellement  beftiin  de  tout  mon  temps,que 
"  j'ay  pris  refblution  de  l'y  employer  tout  entier  ,  &  que  j'ay 
"  même  relégué  mon  Monde  bien  loin  d'icy  ,  afin  de  n'être 
''  point  tenté  d^y  mettre  la  dernière  main. 

Depuis  Péredion  du  Collège  d'Utrecht  en  Univerfîté,  M. 
Reneri  s'étoit  trouvé  comme  accablé  ibas  le  poids  de  la 
ProfelTion,  tant  à  caufè  de  la  multitude  de  fes  EcoHers,  que 
de  la  îon2;ueur  de  lès  exercices. Les  Magiftrats  voyoientavec 
.  plaifir  les  granc^s  iliccés  de  là  manière  d'enieigner,  qui  iVé- 
ri  au  p.  Mer-   toit  autrc  quc  la  Méthode  de  M.  Delcartes,  mais  débitée 
încdesVc/tn   ^^^^  "^^  difcrétion  merveilleule.   Rien  n'étoit  plus  propre 
adieilaccP.   pour  acqucrir  la  réputation  qui  étoit  ncceflaire  à  une  Uni- 
verfîté nailîante  :  de  Von  peut  dire  qu'elle  commenc^oit  déjà 
à  efFacer  la  gloire  des  autres  Umveriîtez  des  Provinces, 
Onics  par  cette  noble  liberté  de  philafopher,  &  de  rejetter 
les  erreurs  de  la  Philoibphie  vulgaire  ,  pour  faire  place  à 
quelque  chofe  de  plus  folide.     Mais  ils  jugèrent  fagemenc 
qu'il  étoit  de  Fintcrêt  de  l'UniverlIté   de  conlèrver  long- 
temps cet  incomparable  ProfelTeur ,  dont  la  lanté  ne  Ce  trou- 
îbidcm.  voit  déjà  que  trop  altérée  par  les  fatigues  d'un  employ  fî 

onéreux.  Car  il  faifoit  fix  leçons  publiques  par  femaine ,  ôc 
douze  particulières  dans  la  chambre  devant  &  après  là  clalîe  : 
de  forte  qu'il  ne  luy  reftoit  pour  fes  études  que  le  temps  qu'il 
dev.'^it  à  fon  repos.  C'eft  ce  qui  l'avoir  porté  à  renoncer  au 
commerce  des  lettres  5c  des  nouyellcs  ^  êc  à  prendre  congé  de 


Icttr.    Lat 
MS.  fie  René 


Livre    V.  Chapitre  II.  13 

la  plupart  de  les  amis  ,  s'étant  réduit  à  l'unique  M.  Defcar-      i  <>  3  ^• 

tes  qu'il  ne  croioit  pas  moins  neceflàirc  à  fon  ame,  que  Ton   ~" 

ame  i'ctoit  à  ihn  corps.  LcsMagi/lrats  /c  crurent  donc  obli- 
gez de  le  ibulager,  ôcils  re.iuifîrent  fès  obligations  à  quatre 
U^çons  par  ièmames,  en  le  conjurant  de  ménager  fès  forces 
avec  plus  d'indulgence  qu'auparavant,^  &:  de  retrancher  au- 
tant qu'il  pourroit  de  léchons  particulières  de  û  chambre. 

La  mauvaifè  fànte  de  M.  Renerine  lay  permit  pas  dere- 
fufer  ces  agréracns  j  &  dés  que  la  bonté  des  Magiftrats  l'eut 
rnis  en  état  de  refpirer  plus  à  ion  aijfè,  il  fèfervit  de  cet  avan- 
tage pour  renouer  Ces  anciennes  habitudes  avec  les  S(^avans 
de  fa  forte.  Il  écrivit  au  P.  Merfenne  pour  le  prier  de  le  fé- 
conder en  commençant  par  luy  même  &  par  M.GafTendi, 
dont  il  efpéroitque  ramitié  ne  fèroit  point  rompuë,quoique 
leur  commerce  eut  foufFert  une  longue  interruption.  Il  fê 
contenta  néanmoins  pour  cette  fois  d'avertir  ces  deux  an^ 
.ciens  amis   qu'il  étoit  encore  au  monde,  àc  il  leur  demanda 
quartier  pour  tiois  mois  avant  que  de  reprendre  fà  coutume 
de  leur  écrire  &  de  leur  répondre,  parce  qu'il  étoit  aélueL 
jement  fur  la  Géométrie  de  M.  Delcartes,à  Tétude  de  la- 
,quelle  il  ficrifîoit  ces  trois  mois.  Il  ne  laiflà  pas  d'informer 
par  avance  le  P.  Merfenne  de  ce  qui  faifbit  alors  la  matière 
de   fes  occupations  particulières  après  celles   de   fa  clafîe. 
Les  momens   que  la  Géométrie  de  M.  Defcartes  luy  laifToit 
jde  relie  étoient  emploiez  à  l'Optique  de  à  diverfès  obferva- 
tions  qu'il  failbitfur  les  plantes  &  les  animaux  ,  au  fujet  defl 
quels  il  examinoit  ce  qu'on  avoit  ignore  avant  luy,  &  ce  que 
les  Anciens  n'avoient  pu  découvrir  faute  de  Microfcope.Mais 
le  principal  objet  de  fès  Méditations ,  fi  nous  l'en  croions 
étoit  Tefprit  de  M.  Defcartes  qu'il  obfèrvoit  jour  &  nuit  en 
fon  abfence,  en  fa  prefence ,  dans  fès  livres,  dans  fès  conver- 
fations,qui  étoient  devenues  moins  fréquentes  depuis  que  l'un 
étoit  à  Utrecht,  ôcTautre  à  Egmond.  Il  y  avoit  prés  de  dix 
ans  qu'il  l'avoit  clioifi  pour  ion  Guide  dans  la  Recherche  de  '^  '^  ""'*  ^"^' 
la  Vérité  i  &  il  ne  reconnoifToit  point  d'autre  Etoile  qui  pût  7eZfh,}em- 
luy  faire  découvrir  la  vraye  fcience.  En  un  mot  deDifciple  /"!"  De»s,èic, 
fîdelle  &  affidu,  il  étoit  devenu  fon  Adorateur  2c  fon  Secla-  ^^^'^' 
Xexxr  perpétuel. 

iyi.  de  Zuyclichçm  qui  faifoitprofeirion  d'aimer  les  amis 

B  *  lij  dg. 


Tcttr.  cTe  M. 
Rcneri  au   ?. 
McU", 


1639. 

Ibid.  tom,  j. 
<Ies   Lettres  à 
Jylcxfcnn. 


Tom.  1.  des 
Lettr,  de  Dcf. 


M.  Rencfi  ^ 
étoit    mort 
durant  le      * 
Carême  de  » 
ccttcannce. 


Pag.  17  g. 
tom.  z. 


t» 


t> 


M 


Son  abrégé  „ 
<lc  Médeci- 
ne  pour  le-  ** 
«quel  il  a-       » 
■voit  eu  be- 
foin  de  Li- 
vres ctolt     •* 
achevé  dés 
l'année 
précédente .  »» 


14  La   Vie   de    M.  DEscARtEs. 

de  M.  De/car  tes,  &:  qui  eftimoit  M.  Reneri  très  particulière.^ 
ment,fe  trouvant  à.  Utrechtpour  les  afïaires  du  ^Prince  d'O:- 
range  &  du  Brabant  HollanJois  luy  avoit  appris  que  ce  Pè- 
re venoit  d'imprimer  un  excellent  Livre  fous  le  titre  de  la 
Vérité.  Je  ne  içai  s'il  avoit  voulu  luy  donner  à  entendre  fon 
Livre  de  la  T^eritè  des  Sciences^oii  ce  Père  tâchoit  de  réfuter 
les  opmions  des  Sceptiques  ou  Pyrrhoniens,  Quoi  qu'il  eil 
ibit,il  prit  la  mêmeoccafîon  en  luy  recommandant  un  de  Ces 
Ecoliers  qui  alloit  à  Paris, pour  le  prier  de  faire envoier  des 
exemplaires  de  ion  Livre  de  la  T^erité ,  aux  Libraires  de  Hol- 
lande, afin  qu'il  piit  s'en  pourvoir  &  qu'il  eût  la  fatisfaclion 
'  de  le  lire.  Dans  le  même  temps  le  P.  Merfenne  envoia  à  M. 
Defcartes  un  Livre  écrit  en  François  portant  le  même  titre 
de  la  Vérité ^  fans  que  nous  puiflions  juger  fi  c'étoit  le  livre 
que  M.  de  Zuytîichem  avoit  indiqué  à  M.  Reneri.  Ce  qui 
nous  détourne  de  le  croire  effc  la  réponfè  que  fît  M.  Defcar- 
tes au  P.  Merfenne  avant  que  de  l'avoir  reçeu  ,  en  luy  mar- 
quant qu'il  avoit  lu  ce  Livre  en  Latin  il  y  avoit  plus  d'un  an,^ 
qu*  il  en  avoit  écrit  fon  jugement  pour  lors  à  JW.HeJdin{onE{'dmg) 
qui  le  luy  avoit  envoyé.  Ces  termes  ne  font  pas  propres  à  nous 
faire  comprendre  que  ce  Livre  fût  de  la  conîpofîtion  du  P, 
Merfenne.  Il  nous  éloigne  encore  d'avantage  de  cette  pen- 
fée  par  la  manière  dont  il   répondit  au  même  Père  l'année 
fuivante  après  l'avoir  reçeu.  »J'ay  enfin  reçeu,dit-il,  les  deux 
exemplaires  du  Livre  de  p^eritate  que  vous  m' SLvez  fait  la  fa- 
veur de  m'envoier.  J'en  donnerai  un  à  M.  Bannius  en  vôtre 
nom  à  la  première  commodité ,  parce  que  c'a  été  ce  mefèm^ 
ble  vôtre  intention.  Je  n'ay  maintenant  aucun  loiiîr  de  le 
lire.  C'efl  pourquoi  je  ne  puis  vous  en  dire  autre  chofe  fînon 
que  lorfque  je  l'ay  vu  cy-devant  en  Latin  ,  je  trouvay  au 
commencement  plulîeurs  chofes  que  je  jugeois  fort  bonnes, 
&  où  l'Auteur  témoigne  fçavoir'plus  de  Métaphyfique  que 
le  commun.  Mais  parce  qu'il  me  fèmbloit  enfuite  qu'il  mc- 
loit  la  Religion  avec  la  Philofophie  ,  ce  qui  eft  entièrement 
contre  mon  fens ,  je  ne  le  lus  pas  jufqu'à  la  fin  :  &  ce  fut  tout 
ce  que  j'en  écrivis  à  M.  Ef:liag  qui  me  l'avoit  envoie,  J'ay 
dellèin  de  le  relire  dés  que  j'auray  le  loifir  de  voir  quelques 
Livres ,  je  liray  auiTi  le  Pnilolaiis  (  touchant  le  mouvement  de 
la  Terre)  de  M.  Bouillaud  en  ce  tcmps-là:  mais  maintenant 
j'étudie  fans  aucun  Livre.  On 


Livre  V.    Chapitre  IL  15 

On  pourroit  conjecflurcr  qu'il  n'auroit  été  queflion  que  d'u-  ^  ^  3  ^• 
ne  Traduction  Françoifè  du  Livre  Latin  de  la  Vérité  compofé  ^"3  9- 
par  le  Baron  Herbert  de  Cherbury ,  qui  faifbit  alors  du  bruit  ~" 

parmi  le  Monde  fçavant.  Le  jugement  que  M.  Defcartes  en 
avoit  fait  d'abord  s'étoit  trouvé  adez  conforme  avec  celuy 
à.Qs  habiles  Gens  de  Paris,quoiqu'il  iè  fût  donné  moins  de  li- 
berté qu'eux  pour  le  déclarer.  Sur  ce  que  le  P.  Merfènne  lui 
récrivit  quelque  temps  après, il  luy  répondit  qu'il  avoit  bien 
remarqué  que  M.  Herbert  prenoit  beaucoup  de  chofèspour  **  ^^g-'^^-  ^^^ 
éQs  Notions  communes  qui  ne  1  etoient  point  :  étant  certain      Letc. 
qu'on  ne  devoit  recevoir  pour  N  otion,que  jce  qui  ne  peut  être  ** 
nié  de  perfbnne.  " 

Quoiqu'il  en  fbit,  ilparoit  que  le  Père  Merfènne  fè  mêloit 
de  la  diftnbution  de  ce  Livre  tra  luit  en  François ,  comme  un 
homme  qui  auroïc  eu  part  du  moins  àfbnédition  •  &M.Def. 
cartes  ne  manqua  point  de  s'acquiter  de  la  commiflion  que 
ce  Père  luy  avoit  connée  d'en  faire  tenir  un  exemplaire  à  M. 
Bannius  leur  amy  commun.  C'étoit  le  CiQwr:  Jean  Albert  Ban- 
tiiris  Prêtre  de  l'Eglife  Cathohque  en  Hollande ,  demeurant  à, 
Harlem,  oùM.Defc.  avait  encore  un  autre  ami  intime  nômc 
Augujiin  Alfienitis  Bloemaert  ou.  Bloumart^  qui  étoit  auilî  Ca- 
tholique &  Prêtre  de  la  même  Egliiè  ,tres  riche  de  fon  patri-   ^°îous  dlV* 
moine,&  de  plus  fbn  correfpondant  pour  les  lettres  oc  les  pac-    i  cttr.  de  m. 
quets  qu'on  luy  adrelToitJls  étoient  tous  deux  Mathemati-   ^^^'^' 
ciens,  amateurs  de  la  paix  &  des  fciences ,  vertueux  Se  menant   ^^g-  381-  <Ju 
une  vie  frugale  &  exemplaire  au  milieudes  Proteftans ,  dont    y.  micLmr 
ils  s'étoient  prefque  généralement  acquis  l'eftime  &  TafFe-   Mff.  de  Ban-* 
dion.  M.  Defcartes  quittoit  de  temps  entemps  la  iblitude   "ïusàBofwei 
d'Egmond  pour  les  aller  voir  :  &:  comme  ils  n'étoient  guéres   Mcrfenncau 
plusgrands  beuveurs  ni  plusgrandsjoueursquelui,lac[ébau-   3   tom.  des 
che  ordinaire  qu'ils  faifoient  enfemble  étoit  quelque  concert  ]^^"r\^^^'  ^ 
de  Mulîque  dont  M.  Bannius  avoit  coutume  de  les  régaler. 
Je  ne  puis  faire  une  peinture  plus  (impie  ôc  plus  fidelle  de 
ces  deux  excellents  honmes  qu'en  rapportant  une)  lettre  de 
recommandation  que  M.  Defcartes  écrivit,  quelque-temps 
après  en  leur  faveur  à  M.deZ-uytlichem  Confeiller  ôc  Secre-    7°"^'  '*  ^" 
rtaire  du  Prince  d  Orange.  isi  &  Cuw 


Si  vous  n'aviez  jamais  dit  aucun  bien  de  moy,  je  n'aurois  «,  *ii  entend 

peut-être  jamais  eu  de  familiarité  avec  aucun  Prêtre  de  ces  ^'"^'Jifci- 

f-                            ''                                                                                    '                                                 .  "  non  de  f 

«quartiers 


"  tiou  de  ziu 


lé  La    Vie     de    M.     Descarte  ^. 

1638.  quartiers.  Car  je  n'en  ay  qu'avec  deux,  donc  l'un  cftM.Ban- 
^"39-  niiis,  de  qui  j'ay  acquis  la  connoiiTance  par  l'eilime  qu'il  vous 
tains  Mif.  avoit  oui  Elire  du  petit  Traité  de  Murique  qui  eft  autrefois 
fioiinaires  "  échappé  de  mes  mains.  L'autre  ed  fou  intime  amy  M.  Bloe- 
ctourdis  n  macrt  que  j'ay  auffi  connu  par  la  même  occafion.  Ce  que  je 
îcsaifaiics  *  n  ecHs  pas  adelieinde  vois  en  faire  des  reproches.  Au  con-- 
dc3  Citho-  »  traire  je  les  ay  trouvé  il  braves-gens ,  il  vertueux ,  &  (1  exemts 
Hoibnde  "  ^^^  qualitez  pour  lefquclles  j'ay  coutume  d'éviter  en  ce  pais 
par  leur  **  la  fréquentation  de  ceux  de  leur  robe,  ^  que  je  conte  leur 
Ignorance ,  »  connoifîlmce  entre  les  obhî^ations  que  je  vous  ay. Mais  je  fuis 
doicnt  !e  **  bien  aiie  a  avoir  ce  prétexte  pour  excuier  un  peu  i  importu-- 
Pape  o-  «•  nitéde  la  prière  que  j'ay  à  vous  faire  en  leur  faveur.  Ils  defi- 
kur  mau-  "  ^^^'^^  ^^^^  2;race  de  fon  Altefle ,  &  ils  croient  la  pouvoir  ob- 
vaife  cou-  «  tenir  de  fa  clémence  par  vôtre  interceiîîon.  Je  ne  fçay  point 
^"'n!.  **  le  particulier  de  leur  afEiire:  mais  fi  vous  permettez  à  M. 
d'Orange  '*  Bloemaert  de  vous  en  entretenir,je  m  allure  qu  il  vous  1  expo- 
êtoit  traite'  f»  f^ra  dc  telle  ibrte  que  vous  ne  trouverez  rien  d'incivil  dans 
Je  ,^J5  pçy  »  fà  Requête,  &  que  vous  ne  remarquerez  pas  moins  de  pru- 
par  le  moié  »'  dciicc  &  dc  railou  dans  fès  difcours ,  qu'il  y  a  d'art  ôc  de  beau- 
^V^'^^"^"    **  té  dans  les  airs  que  compofefon  Amy. 

baliadcur  t        i-  ri  •  •  •      l  ■        rr        r    ' 

de  France,  "        Jc'  Qiray  ieulement  icy,  que  je  crois  les  avoir  allez  rre- 

Hcrc.  Ba-  »  quentez,pour  connoître  qu'ils  ne  font  pas  de  ces  personnes 

cLrnafle,  **  fimplcs  qui  fe  perfliadent  qu'on  ne  peut  être  bon  Catholi- 

P^     »»  que ,  qu'en  favorifant  le  party  du  Roy,  qu'on  nomme  Catho- 

gnoisenne-"  Hque  3  ny  de  ces  feditieux  qui  le  perfuadent  aux  fimples. 

mis  des     M  Ils  font  troD  dans  le  bon  fens  ,  &  dans  les  maximes  de  la 

^Qis^"^'     "  bonne  Morale,  pour  tomber  dans  des  excès  de  cette  nature, 

"  A  quoy  j'ajoute,  qu'ils  font  icy  trop  accommodez  ,  &  trop 

»  à  leur  aile  dans  la  médiocrité  de  leur  condition  Ecclefiafti- 

>»  que,  &  qu'ils  chériflent  trop  leur  liberté  pour  n'être  pas 

"  bien  affectionnez  à  l'état  dans  lequel  ils  vivent.  Si  l'on  pré- 

»>  tendoit  leur  faire  un  crime  d'être  Papilles,  je  veux  dire  de 

«  recevoir  leur  Million  du  Pape  ,  &  de  le  reconnoîtrc  de  la 

»»  même  manière  que  font  les  Catholiques  de  France ,v&  de 

«  tous  les  autres  Pais  où  il  y  en  a,  fjns  que  cela  donne  de  la 

"  jaloufie  a,ux  Souverains  q.ù  y  commandent:  c'eft  un  crime  fi. 

»  commun  ,  &  fi  efîentiel  à  ceux  de  leur  Profedîon  ,  que  je 

»  ne  me  icaurois  perfuader  qu'on  voulût  le  punir  à  la  rigueur 

w  dans  cous  ceux  q^ui  en  font  coupables.    Et  fi  quel'ques-un5; 

peuvent 


^7 


ce 


« 


Livre    V.    Chapitre    ÎI, 

peuvent  en  être  exceptez,  je  fuis  perfiiadé  qu'il  n'y  en  a   "    ^  ^3  <^- 
point  qui  le  méritent  mieux  que  ces  deux  MelTieurs,  ny  pour   "    i  ^ 3  9- 

qui  vous  pjiiîicz  vous  employer  plus  utilement  auprès  de   ;; 

(on  AltciTe.  J'ofe  dire  môme  ,  que  ce  feroit  un  grand  bien 
pour  le  Pais ,  que  tous  ceux  de  leur  profe/Iîon  leur  relFem- 
blaflent.     Vous  trouverez   peut-être  étrancrc  que  je  vous 
écrive  en  ces  termes  de  cette  affaire,  principalement  il  vous 
içavez  que  je  le  fais  de  mon  mouvement,  flms  qu'ils  m'en 
ayent  requis.  Je  ne  doute  point  d'ailleurs  qu'ils  n'ayent  plu- 
sieurs autres  Amis,  dont  ils  pourroient  cr£>ire  que  les  prières 
auroient  plus  de  force  envers  vous  que  les  miennes  :  &  je 
fçay  que  l'un  d'eux  vous  efl  très  connu  par  luy-inême.  Mais 
pour  ne  vous  rien  diliîmuler  ,  je  vous  avoucray  ,  qu'outre 
l'eftime  tres-particuliere  que  je  fais  d'eux  ,  &  le  defîr  que 
j'ay  de  les  fèrvir ,  je  conlîdcre  aufîî  mon  propre  inte'rêt  en 
cette  occafion.   Car  il  y  a  en  France,  entre  mes  Faifeurs 
d'Objedions,  des  gens  qui  me  reprochent  la  demeure  de  ce 
Pais,  à  cauiè  que  Téxercice  de  ma  Religion  n'y  eft  pas  li- 
bre. Ils  prétendent  même  que  je  ne  fuis  point  (î  excufibîe 
que  ceux  qui  portent  les  armes  pour  la  défenlè  de  cet  Etat, 
parce  que  les  intérêts  en  font  joints  à  ceux  de  la  France,  $c 
.que  je  pourrois  fiire  par  tout  ailleurs  la  même  cliofe  que  je 
fais  icy.    A  quov  je  n'ay  rien  de  meilleur  cà  répondre  ,  fînon 
qu^ayant  icy  la  libre  fréquentation  &  l'anlitié  de    quelques 
Eccléfiafliques  ,  je  ne  fèns  point  que  ma  confcience  y  fbit 
contrainte.     Mais  fi  ces  Ecclélîafliques  étoient  eflimez  cou- 
pables, je  n'efpére  pas  en  trouver  d'autres  plus  iiinocens  en 
ce  Païs,  ny  dont  la  fréquentation  foit  plus  permife  à  un 
homme  qui  aime  fî  pafîionnément  le  repos  ,  qu'il  veut  éviter 
même  les  ombres  de  tout  ce  qui  pourroit  le  troubler.  « 

M.  Bannius  excelloit  dans  la  pratique  de  la  Mufique,  où   Tom.j.cîcs' 
il  étoit  fort  fcavant  au  iusrement  de  M.  Defairtes.  Pour  la   ^^"'^"- 
Théorie,  peut-être  fè  laifîoit-il  égaler  ou   vaincre  même      ^' 
par  le  Père  Meriènne  ,  avec  lequel  il  entretenoit  une  étroite 
amitié,  que  M.  Dcfcartes  &  M.  de  Zuytlichem  avoientliée. 
Ils  s'entre-communiquoient  leurs  lumiéres,&:  ils  s'envoyoient      ^^'f«  jubente 
leurs  écrits  fur  la  parole  de  M.  Defcaftes,qui  étoit  la  eau-  c/^ZT."    ^'~ 
tion  mutuelle  de  l'un  à  l'autre  ,  &  qui  étoit  ordinairement  J.Aib.  Bann. 
chargé  de  revoir  ieujrs  pièces.  11  leur  donnoit  tantôt  des  no-   ^  "^ch:^- 

C  *•  tes    Apnl. 


M 


Ci 


i8  La    Vie    de    M.    Descailtes. 

^  "  3  ^-  tes  ou  des  corredions ,  &  tantôt  de  nouveaux  defleins.  Mais 
I  "  3  9-  cela  regardoit  plus  particulièrement  M.  Bannius,  à  caufe  de 
I  ~    la  commodité  du  voifînaee  qui  leur  procuroit  de  fréquentes 

Sur  tout  de-  -,  (P  1  o  1 ,        ••  / 

puis  Janvier     confcrenccs.  Mais  au  reite  toutes  les  vertus  ce  toute  1  amitie 

jufqu'cn  De    Je  M.  Bannius  n'étoient  pas  capables  d'aveugler  M.  Defl 

ccm  rc  i6iS.   ^^j.j.ç^  ^  julqu'au  point  de  luy  ôter  le  jugement  lorfqu'il  s'a- 

giiîbit  de  mefurer  l'eftime  qu'il  falloit  faire  de  fbn  habileté 

dans  cette  /cience.  C'eft  ce  qui  paroît  par  la  manière  dont 

Pag.  171.       il  en  écrivit  plus  d'un  an  après  au  P.  Merfcmie  qui  luy  en 

X.  desTct-      avoit  demandé  fbn  fentiment.  »»  Pour  la  Mufique  de  M.  Ban- 

trcs.  "   nius,  dit-il,  je  crois  qu'elle  diffère  de  l'air  de  Boflet,  comme 

"   la  Chric  d'un  Ecolier  qui  a  voulu  pratiquer  toutes  les  règles 

■  de  /à  Rhétorique  diffère  d'une  Oraiibn  de  Ciceron  où  il  efl 

"   malaife  de  les  reconnoître.  Je  luy  en  ay  dit  la  même  chofe, 

^'  Se  je  fuis  perfuadé  qu'il  le  reconnoît  maintenant.  Mais  cela 

"   n'empêche  pas  qu'il  ne  ibit  trés-bon  Muficien ,   &  d'ailleurs 

*'   fort  honnête  homme  ,  &  mon  bon  Amy  -,  ny  auiîî  que  les 

•   Règles  ne  fbient  bonnes  aulîi-bien  en  Mufique  qu'en  Rhé- 

**  torique.  Ce  n'étoit  pas  l'ignorance  de  cette  fcience ,  mais  la 

contrainte ,  &;  la  trop  grande  attache  à  fes  Régies  qu'il  re- 

marquoit  dans  les  comportions  de  M.  Bannius. 


CHAPITRE      III. 

Mort  de  M.  Reneri  Profeffeur  à  'Vlrecht  le  frèhnicr  des  Se&a^ 
ieurs  de  M.  Defcartes  ,  qui  ait  cnfeigné  fes  Principes  publique- 
ment.  Panégyrique  de  M.  Defcartes  fait  par  ordre  des  Ma- 
Qiprats  dans  l' Oraifon  funèbre  que  M.  EmilitM  prononça  à  l'hon- 
neur de  M.  Reneri.  M.  Rcgius  devient  le  premier  des  Difci- 
pies  de  M.  Defcartes.  Amitié  de  M.  Emilius  avec  M.  Def- 
cartes. Modcflie  de  M.  Defcartes  quand  il  s'agu  de  fouffrir  ou 
de  rejetter  les  louanges.  On  augmente  les  appointemens  de  M". 
Régi  us  ,  qui  efi  fait  Prof ejfcitr  extraordinaire  des  Problèmes ^  ^ 
des  nouveautex^  de  Phyjique ,  d^c. 

IL  ne  plût  point  à  Dieu  de  laiffer  lo«g-tems  à  M.  Def- 
cartes le  double  plaifir  de  voir  enfeigner  pubhquemenc 
ies  Principes  dans  les  Ecoles  de  Philofbphie  ôcde  Médecine 


L I  V.     V.     Chapitre     III.  19 

^  Ucrecht,  par  les  deux  plus  habiles  Profeifeurs  de  l'Uaiver-      1639. 

iîté.  Il  femble  que  la  Providence  n'avoit  attendu  qu'après   — 

rafFermifTement  qui  ëtoit  nécelîaire  au  nouvel  ëtabliirement 
&c  à  la  réputation  de  M.  Regius ,  pour  ôter  M.  Reneri  du 
pofte  qu'elle  luy  avoit  fait  occuper.  A  peine  M.  Regius  pou- 
voit-il  fe  vanter  de  n'avoir  plus  befbin  de  luy,  qu'Ellele  re- 
tira de  ce  monde  d'une  manière  à  nous  faire  comprendre 
que  les  jugemens  de  Dieu  ne  nous  font  pas  moins  impéné- 
ti-ables  que  fcs  defleins. 

M.  Reneri  avoit  beaucoup  dimmué ,  pour  ne  pas  dire 
entièrement  ruiné  ià  fanté  par  fes  longues  veilles  en  un 
temps  où  l'âge  d'homme  a  coutume  de  fè  montrer  dans  là 
plus  grande  vigueur.  Il  n'avoit  guéres  plus  de  quarante- 
cinq  ans  lors  qu'il  tomba  dans  des  infirmitez  qui  le  condui- 
firent  à  la  mort  par  une  longue  Se  cruelle  maladie.  Tant 
qu'il  avoit  pu  jouir  d'une  iànté  parfaite  ,  il  étoit  demeu- 
ré renfermé  dans  l'état  du  célibat  ,  pour  être  plus  li- 
bre dans  fes  études  :  &  l'amour  de  la  Philofophie  avoit  tenu 
en  luy  les  autres  paiTions  alToûpies  &  mortifiées.  Mviis  ennuyé  Ant.  ^Emiiii 
des  longueurs  d'une  fièvre  maligne  qui  le  tint  pendant  l'eC  Orat.;. 
pace  de  plus  de  fix  mois,  il  s'étoit  laifTé  aller  aux  perfuaiions 
de  ceux  qui  luy  firent  accroire  qu'un  mariage  pourroit  non 
ieulement  le  rétablir  dans  la  première  fànté  ;  mais  encore  le 
décharger  des  foins  particuliers  de  fa,  perfonne,  dont  une 
compagne  fidelle  fe  chargeroit  avec  affedion.  Il  avoit  diC 
pofé  fes  affaires  pour  être  terminées  durant  les  vacances  de 
Mars  de  l'an  1639.  &  le  jour  de  la  célébration  de  fes  no- 
ces qui  fut  le  15.  ou  16.  de  ce  mois  s'étantmis  à  table  avec 
les  conviez,il  fut  furpris  de  fon  mal  ordinaire  avec  une  ohftruc- 
tion  d'hypocondres ,  qui  l'obligea  de  fe  faire  porter  fur  le  lie,  Ant.  iEmy. 
où  il  mourut  quelques  heures  après  entre  les  bras  du  fieur  °"'"  ^"  . 
Bernard  Bulfcbovius  fon  amy  ,  qui  l'adifta  &  l'entretint  de    Epi^°'  ^^^- 

ij  1  r      -^   ,     ^  f^,    n  >  /-  \     fend.  tom.  VX* 

1  autre  Vie  dans  cette  extrémité.     C  elt  ce  qu  on  a  fçeu  a   «^a.  ji. 
Paris  de  la  bouche  du  fîeur  Bornius  qui  venoit  d'achever 
fon  cours  de  Philofophie  fous  luy ,  quoyque  nous  ne  trou- 
vions rien  de  cette  funefte  circonilance  dans  les  relations 
des  autres. 

Cet  accident  fit  perdre  à  la  Sede  des  Cartéfiens  fon  pre- 
mier Dodeur,  &  à  rUniveriîtè  d'Utrecht  le  premier  de  fès 

C  ij         Profefleurs. 


20  La    Vie   de    M.    Descartes. 

,/■    ,       ProfjiTeurs  depuis  fon  éreclion.    Ceile-cy  l'avoic  confidëré 
•  comme  ion  principal  aopuy ,  &:  Ion  plus   bel  ornement  :  & 

elle  fit  voir  combien  ià  perte  luy  ctoit  fenfibie  ,  &  combien 
elle  croyoit  luy  être  redevable  par  la  magnificence  &Pëclat 
des  derniers  devoirs  qu'elle  luy  rendit.  On  luy  fît  dans  la 
grande  Egliie  de  la  Ville  deiplendides  fanéraiiles^aufquelles 
le  Sénat  ouïes  MagiflratsalFiiliérent en  corps  avec  TUniver- 
Le  18.  joui  lîté  environnée  d'une  grande  multitude  de  peuple.  Le  lende- 
dsMars.  niaui  Ton  fè  rafîembla  pour  entendre  l'Oraifbn  funèbre  du 
défunt.  Elle  fut  prononcée  au  nom  de  l'Univerfîté  par  le 
ileiir  Antoine  Emilius ,  ProfciEcur  en  éloquence  &  en  hi£ 
roire.  Oa  admira  la  beauté  du  dilcours  ^  ôc  on  fjt  touché 
des  réflexions  de  TOrateur.  Mais  on  s'apper(^eut  bien-tôt 
que  ce  n'étoit  pas  moins  le  Panégyrique  de  M.  Dcfcartes 
vivant,  que  l'Oraifbn  funèbre  de  feu  M.  Reneri.  La  principa- 
le loiiange  que  M.  Emilias  avoltà  donner  à  l'iUuftre  défunt, 
étoitd'avoir  eu  aflez  de  courage  pour  fe  défaire  de  l'autorité 
des  Anciens  6c  des  Modernes  qui  i'avoient  précédé  ,  afin  de 
rentrer  dans  la  liberté  que  Dieu  a  donnée  à  nôtre  raifbn  pour 
fe  conduire  dans  la  recherche  de  la  Vérité  ,  qui  eft  la  feule 
MaîtrefTe  dont  nous  foyons  obligez  de  nous  rendre  Secta- 
teurs. C'étoit  une  réfolution  véritablement  héroïque  qn 
ne  pouvoir  convenir  qu'à  des  efprits  du  premier  ordre.  Mais 
il  falioic  que  M.  Defcartes  qui  la  luy  avoit  infpirée  comme 
à  quelques  autres  perfonnes  qui  s'étoient  attachées  à  luy  des 
le  commencement  de  fa  retraite  en  Hollande,  fut  le  Direc^ 
.ç.îo;.  114.  &  teur  de  cette  entreprife.  M.  Emilius  fît  valoir  avec  beau- 
à'E.mil°  coup  d'éloquence  les  grands  progrés  que  M.  Reneri  avoir 
faits  dans  la  connoiïlance  de  la  Nature  fous  un  Chef  de  cette 
qualité.  Il  rehauiîci  de  couleurs  fort  vives  l'honneur  àc  l'a- 
vantage que  la  Ville  &  l'Univerfîté  avoient  reçue  de  la  difZ 
pofition  011  s'étoit  trouvé  M.  Reneri  de  pouvoir  y  enfèigner 
lesprincipes  delà  véritable  Philofophie,  qu'il  prétendoit  être 
demeurée  inconnue  au  genre  humain  jufqu'à  M.  Defcartes, 
L'Auditoire  en  parut  perfuadé,  6c  les  Ma2;iflrats  après  avoir 
deRco.usà  honore  ce  dilcours  de  leur  approbation,  ordonnèrent  qu  il 
Defcartes.  feroit  imprimé  6c  publiquement  diilribué  fous  leur  autorité, 
tant  pour  honorer  b  mémoire  de  leur  ProfefTeur ,  que  pour 
donner  des  marques  éclatantes  de  la  reconnoiflance  qu'ils 

avoient 


Livre     V.     Chapitre    IIÏ. 


IT 


a-voient  du  fervice  important  que  leur  avoit  rendu  M.  DcC       i  ^3  9> 

cartes  en  formant  un  tel  Difciple.  — 

Tout  cela  fe  palFa  fans  la  participation  de  M.  Defcartes, 
qui  n'apprit  la  mort  de  M.  Renen  que  par  une  lettre  que 
M.Rcgiusluy  en  écrivit  le  lendemain.  Il  parut  même  qu'il 
n'en  re<^ût  la  nouvelle  que  plufieurs  jours  après,  lorfque  M. 
Retins  s'étant  douté  que  la  lettre  c.'avis  avoit  été  perdue,  luy 
.récrivit  le  xvii.  de  May  1(139.  Il  luy  manda  de  nouveau  une    Lettr.  3.  Mf. 
partie   de   ce  qui  le  regardoit  dans  Poraifbn  de  Monfîeur   rfcRegiusà 
Bmilius.   Il  luy  demanda  en  même  tems  lapermiiTion  de  l'ai-    ^^^"^^^''' 
1er  voir  à  Egmond  aux  Fêtes  de  la  Pentecôte  pour  l'informer 
ide  ce  qui  s'étoit  pallé ,  èc  pour  le  faire  inflruire  de  diverfes  '- 

i:hofes  dont  il  avoit  belbin.  Enfin  il  le  conjura  de  vouloir  luy 
donner  auprès  de  luy  la  place  de  feu  M.  Reneri ,  ajoutant  que 
^'il  la  luy  accordoit,  ils'efiimeroit  aufjîhcumix  que  s'il  éioic  élevé 
jufquau  troiféme  Ciel. 

Il  eft  certain  qu'après  M.  Reneri ,  pcrfbnne  ne  pouvoit 
^lors  fe  vanter  de  mériter  mieux  que  M.  Regius  la  qualité 
(de  premier  Difciple  de  M.  Defcartes.  Il  avoit  du  côté  de  TeC 
|)rit  les  talens  les  plus  propres  à  ioutenir  ce  rang  avec  la  di- 
gnité &  la  fuffifance  nécefîaireXa  profeffion  qu'il  faifoit  de  la 
Médecine  avec  la  Phyfique  luy  donnoit  encore  une  commo- 
dité pour  cela,&:  un  avantage  quen'avoient  pas  les  autres  Car- 
téfiens  de  Hollande  &;  de  France  qui  n'en/èignoient  pas  pu- 
bliquement,  &  qui  n'étoient  Philolbphes  que  pour  eux-mê- 
mes. Mais  il  auroit  été  à  foiihaiter  pour  fà  réputation  parti- 
culière que  M.  Reneri  en  luy  apprenant  la  Méthode  &;  les 
Principes  de  M.  Defcartes  ent  {ç^m  luy  mipirer  en  même 
tems  là  modeftie  &:  fa  prudence  :  ou  qu'il  luy  eût  au  moins 
donné  quelque  remède  pour  le  guérir  de  la  préfomption  qui 
penfa  le  perdre  dans  la  mite,  lorsqu'il  voulut  eflaïer  de  mar- 
cher feul  ,  &  quitter  fon  Maître  de  vue. 

Il  y  avoit  iong-tems  que  M.  Emilius  cherchoit  à  s'intro- 
duire dans  la  connoiflànce  &  la  familiarité  de  M.  Defcartes. 
Les  habitudes  qu'il  avoit  eues  autrefois  avec  M.  BeecKman   Lettr.  Mf. 
Principal  du  Collège  de  Dort  lui  avoient   découvert  une   ^'Emii.  à 
partie  de  fon  mérite  ,  &   cet  homme  lui  avoit  infpiré  une   fx^"parmy 
vénération  profonde  pour  lui.  Depuis  la  mort  de  M.BeecK-   «ii«  de 
pan  ^  s'étant  hé  très  étroitement  avec  M.  Reneri  qu'il  confi-  ^'S'"'' 

dérojc 


22  La   Vie    d  e   M.    D  e  s  c  A  r  f  E  s. 

1  639.      dcroit  non  feulement  comme  fon  Collègue ,  mais  encore  com- 
"  me  fon  Compatriote  à  caufè  du  païsde  Liège  qui  leur  avoit 

donné  la  nailîance ,  il  fèntit  augmenter  extraordinairement 
la  palfion  qu'il   avoit  conçue  à  Dort  pour  fon  efprit.    La 
ieuJe  conver/àtion  de  M.  Reneri  l'avoit  rendu  fèdateur  de 
fès  opmions  &  fèrviteur  de  fa  perfbnne ,  jufqu'à  ce  que  fa 
lecture  des  ouvra-r^es  même  de  M.  Defcartes  acheva  de  faire 
cette  conquête  pour  la  feélc  de  la  nouvelle  Philofophie.  A 
la  mort  de  cet  intime  ami ,  il  s'étoit  trouvé  d'autant  plus  lio- 
V.  les  Lettr.     noré  de  la  commiiîîon  qu'il  avoit  reçue  d'en  faire  l'oraifon 
d-^Em^u  t      f^^nébre  qu'on  avoit  mieux  fécondé  fon  inclination  fans  qu'il 
Defcart.         €Ût  été  obligé  de  la  faire  paroître ,  &  fans  fè  rendre  par  con- 
féquent  fufped  de  flaterie.  Mais  il  benit  fur  tout  la  Provi- 
dence, lors  que  le  premier  Magiftrat  de  la  Ville  luy  envoya 
Les  termes  de  ordre  cxprés  de  faire  les  éloges  de  M.  Tkfcartes^  delà  nouvelle 
i'»mue  Ar-^    phtlofophie  d^ns  l'Oraifon  funèbre  de  M.  Reneri.  Ce  qu'il 
tre  fiécit ,  de  confidcra  comme  une  raveur  du  Ciel  ,  qu  11  n  auroit  jamais 
V unique  Atlas  ofë  cfpérer  quand  il  auroiteu  la  penlée  de  la  fblliciter.    Il 
tlnfident'dé la  n'abufà  point  d'une  occafion  fi  favorable  que  Dieu  luy  pré- 
Nature ,  de     fentoit  pout  fè  produire  à  M.  Defcartes ,  dont  on  peut  dire 
luif'T'vIi'irê    ^^^'^^  mérita  Tamitiè  en  s'acquittant  fimplement  d'une  obli- 
(^  de  Dédale',    gation  qui  luy  étoit  devenue  indïfpenfable  par  la  nèceffitè 
&  piuficurs      d'obéir  à  fes  Maîtres  légitimes.  Auffi  n'eût-il  pas  plutôt 
fionTfigu-^  "  prononcé  TOraifon  funèbre  que  non  content  de  luy  en  faire 
técs .  dont  il  donner  avis  par  M.  Regius ,  il  luy  en  envoya  une  copie ma- 
dans  fon  k      nufcrite  ,  avcc  des  lettres  pleines  de  refpect  &  d'eftime , 
tin,  ne  luy      fous  prétexte  que  ce  difcours   le  regardant   perfbnnelle- 
font  venues    ment ,  &  qu'âyant  reçu  ordre  du  Magiftrat  de  le  donner 
de  «  qu'ir"^  à  l'Imprimeur  de  l'Uni verfî té  pour   le  rendre  public  ,  il 
Touloif  duc.    étoit  à  propos  qu'il  vît  ce  qu'il  y  avoit  à  changer  avant  l'im- 
preffion.    La  modeftie  de  M.  Defcartes  eût  quelque  chofè  à 
foufïl-ir  à  la  ledure  de  tant  d'éloges.  Mais  ne  luy  apparte- 
nant pas  de  trouver  à  redire  au  jugement,  &  à  la  conduite 
du  premier  Magiftrat  de  la  Seigneurie  d'Utrecht,  qui  l'a- 
voit ainfî  ordonné,  il  ne  crût  pas  devoir  y  toucher.    Il  fè 
contenta  de  remercier  fon  Auteur ,  &  de  le  recevoir  au  nom- 
bre de  fès  amis. 

Mais  il  fit  connoître  peu  de  jours  après  qull  n'avoit  fbuf- 
fert  tous  ces  éloges  que  parce  qu'il  n'avoit  pas  été  en  fon 

pouvoir 


Livre     V.     ChapitreIII.  23 

pouvoir  de  les  fiipprimer.  Car  M.Emilius  luy  ayant  envové      i  Cy  9. 

avec  un  peu  trop  de  confiance  des  vers  qu'il  avoir  laits  fur     • 

le  mcme  iujct  pour  les  voir  ,  ôc  les  luy  ayant  enfuite  re.îc- 

mandez  parce  qu'il  n'en  avoir  point  retenu  de  copie,  £c  qu'il 

defiroit  de  les  faire  imprimer,  M.  Defcartes  chercha  un  cx- 

cufe  pour  ne  les  luy  pas  renvoyer:  6c  il  vengea  le  mieux  qu'il 

pût  par  cette  luppreffion  fà  pudeur  &;  fà  modeftie  oiFenfée 

dans  l'Oraifon  funèbre  de  M.  Reneri.    Ce  n'étoit  pas  dit  «Tom.j.dcc 

M.  Defcartes  aux  Magiftrats  d'Utrecht,   que  les  louanges  ««  ^""  P^S- 

qui  venoKnt  a'une  perlonne  du  mérite  de  M.  Emihus  duiîent  « 

luy  déplaire.    Mais  fçachant  qu'il  feroit  impo(îîble  d'être  » 

loué  un  peu  extraordinairement  par  ceux  qui  font  très  loua-   „ 

blés  eux-mêmes ,  que  ceux  qui  prétendroient  l'être ,  6c  ne  •» 

le  feroient  pas,  ne  s'en  offençaiîent  :  il  luy  luffifbit  de  fça-  „ 

voir  la  bonne  opinion  que  M.  Emiliusavoitdeluy ,  fans  de-  « 

firer  qu'il  la  publiât.  « 

La  perte  que  M.  Regius  avoit  faite  en  particulier  d'un  fî 
excellent  diredeur  de  fès  études  dans  la  mort  de  M.  Rene- 
ri ,  ne  luy  fit  pourtant  pas  perdre  entièrement  le  courage. 
Après  s'être  afTûrè  des  bontez  de  M.  Defcartes,  il  conti- 
nua le  deiTein  qu'il  avoit  entrepris  de  renfermer  dans  des 
proportions  courtes  tout  ce  qu'il  croyoit  fçavoir  touchant 
laPlivrioloeie.  Il  ètoitprefque  fur  la  fin  de  cétouvrac^e  lors  ,       ,j 
qu  il  en  écrivit  a  M.  Deicartes  pour  luy  communiquer  les  1^3^. 
diiîîcultcz  qu'il  y  trouvoit  :  ayant  pris  un  chemin  qui  luy 
paroifîbit  nouveau ,  6c  qui  pouvoit  être  dangereux  à  un  hom- 
me qui  n'étoit  pas  encore  allez  expérimenté  dans  les  voves 
de  la  Nature.  Il  le  pria  par  avance  de  prendre  la  peine  de  Lcttr.  5.  de 
le  revoir  quand  il  l'auroic  achevé  ,  &  d'ufer  de  fon  droit  en  ^"S-  ^DcLc. 
y  réformant  tout  ce  qu'il  jugeroit  avoir  befbin  de  réforme. 

Nous  avons  remarqué  que  dés  la  première  année  de  fà 
Profelîion  pubhque  il  avoit  été  reçu  au  rang  des  Profefl 
feurs  ordinaires.  Il  n'y  eut  pas  un  de  fi^s  Collègues  qui  ne 
témoignât  en  être  fàtisfait ,  6c  qui  ne  reconnût  même  que 
c'étoit  une  juflice  que  l'on  rendoit  à  fbn  mérite.  Plulîeurs 
pouffèrent  la  bien-veillance  6c  l'honnêteté  jufqu'à  dire  pu- 
bliquement qu'il  ne  fufîîfoit  pas  d'augmenter  les  honneurs 
de  fà  charge  :  mais  qu'il  en  falloit  augmenter  aufîîles  appoint 
temens.  M.  Reneri  vint  à  mourir  fur  ces  entre£iites,  M.  Re- 

eius 


24  La     Vie    de  m.     Descar.tes. 

16^9.      S^'-^^  ^  voyant  privé  d'un  excellent  foîlicireLir  en  ù,  perfonne'^ 

crut  pouvoir  fans  honte  fè  charger  d'un  foin  de  fes  propres 

intérêts ,  &  pourfuivre  cette  aftaire ,  pour  ne  pas  rendre  inu-. 
tile  toute  la  bonne  volonté  que  fès  Collègues  luy  témoi- 
Narrat  Hift.    gnoient.  Ils  allemblérent  leur  Univerfité  .-  &  fiir  la  propo- 
^it'^^J^^'      Rcion  favorable  du  Rec1:eur  Schotanus  il  futréfolu  qu'on  eri 
°'     '         feroit  la  demande  aux  Magiftrats.    Le  Redeur  luy-même 
fut  député  au  Sénat  pour  cet  effet,  avec  le  fieur  Arnold 
Senguerdius  Profefleur  en  Philofophie.  Les  Magift'-ats  n'eu- 
rent aucune  peine  à  l'accorder,  tant  à  caufe  de  la  fàtisfac- 
tion  que  M.  Regius  avoit  donnée  à  tout  le  monde  jufques- 
là,  que  parce  que  le  fleur  Stratenus  fon  Ancien ,  qui  avoit  le 
plus  d'intérêt  de  s'y  oppofer  ,  &  de  demander  cqs  augmen- 
Letrr.  xr.  Mf.    tations  de  gages  pour  luy ,  étoit  des  premiers  de  des  phis  ar- 
deReg.àûefc,    dcns  à  foUiciter  pour  fbn  nouveau  Collègue,    Amfi  les  ap- 
pointemens  de  M.  Regius  quin'avoientété  quede  4:001.  Flo- 
rins jufqu'à  lors ,  furent  rehaitfTez  de  la  moitié  :  mais  il  ne' 
commença  que  Tannée  lliivante  à  toucher  les  600.  Florins. 
Encore  y  attacha  t'on  un  nouvel  employ  qui  confiftoit  à  ex- 
pliquer les  Problêmes  dePhyfique,  lors  qu'il  ne  fèroit  pas 
occupé  de  fa  Botanique  ,  c'eîl-à-dire,  de  l'explication  des 
Plantes  6c  des  Simples.  Il  fît  part  à  M.  Defcartes  de  la  joye 
qu'il  avoit  reçue  de  cette  commifîion,  parce  qu'elle  luy  pré- 
fentoit  de  nouvelles  occafions  d'enfeigner  ,  de  d'étendre  fà' 
nouvelle  Philofophie.    Il  ne  fiut  pas  di/îîmuler  qu'il  avoiC 
adroitement  brigué  cet  employ  qui  étoit  de  furérogation  dans- 
TUniverfité ,  &  qu'il  avoit  été  fervi  dans  fa  pourfuite  par 
Voetius  Profclîeur  en  Théologie,  qui  étoit  encore  alors  dans 
ies  intérêts.  Mais  ce  qu'il  avoit  envi(àgé  comme  un  avan- 
tage confidérable  pour  fiire  valoir  fès  talens ,  &  pour  dé- 
biter avec  éclat  toutes  les  opinions  nouvelles  de  Phyfique  Se 
de  Médecine ,  que  les  vieux  Péripaticiens  &  Galéniftes  ne* 
fouffroient  pas  volontiers  qu'on  enfeignât  dans  les  Ecoles 
où  ils  régnoient,  fut  un  prétexte  enfuite  au  même  Voetius 
pour  luy  fufciter  des  affaires.  Son  peu  de  conduite  fut  caufe' 
que  l'embarras  retomba  fur  M.  Defcartes ,  &  que  l'affaire 
dégénéra  enfuite  en  un  long  6c  fci:cheux  procez ,  qu'il  fut 
obligé  de  fbûtenir  au  préjudice  de  fa  fblitude  ,  6c  de  la  tran- 
quillité de  fa  YiÇr 

Chap, 


Livre     V.      Chapitre     IV,  25 


1^39, 


CHAPITRE       IV. 

'Mort  âîi  Mathématicien  Hortenfus  y  avec  une  remarque  de  M. 
Defcartes  fur  [on  Horofcope.  Mort  <£ Elichynan^^  du  Philo- 
fophe  Campaneik.  Jugement  que  M.  Defcartes  f ai  fait  des  écrits 
^  de  l'cfprit  de  ce  dernier.  Origine  des  troubles  excitez^  dans 
l^jy^niverfité  d'Vîrecht ,  au  fujet  de  la  Philo fophie  de  M.  Def- 
cartes j  par  Gisbert  Voctius.  Hifioirede  cet  homme  ,  fon  portrait, 
Jugemens  des  S^avans  fur  fon  efprit ,  ^  [es  écrits.  Moyens 
dont  ilfé'fert  pour  attaquer  la  Philofophie  de  M.  Defcartes.  Ses 
Théfes  touchant  l'Athéïfme, 

MR  Reneri  ne  fut  pas  le  fèiil  ^q^  Philosophes  &  des 
Mathématiciens  de  la  connoiflance  de  M.  Defcartes 
que  la  République  des  Lettres  perdit  la  même  année.  S^ 
mort  fut  fuivie  de  celle  de  Hortenfius&d'Elichman  enHoL 
lande  j  &  de  Campanelle  en  France  ;  fans  parler  de  celle  dc- 
Meurlîus  Hollandois  en  DanemarCK  ,  grand  Humanifte,  &: 
Hiftorien,  qui  n'avoit  pomt  de  relation  d'études  ny  aucunes 
habitudes  avec  M.  Defcartes.  Les  deux  premiers  en  étoient 
connus  allez  particuhérement,  mais  il  n'avoit  jamais  entre- 
tenu grand  commerce  avec  eux.  Auffi  ne  voyons-nous  pas 
que  hors  l'occafion  qu'il  eut  de  mander  leur  mort  au  P .  Mer-  l^'J^^'*'^^  ^^ 
fenne  ,  qui  fembloit  avoir  plus  de  liaifbn  avec  eux  ,  il  fè  ,78.  "  ^^^* 
fut  avifé  de  faire  mention  d'eux  dans  fes  Lettres  ,  bien  loin 
de  leur  en  écrire,  ou  à^zw  recevoir  d'eux. 

Il  nous  parok  qu'il  en  étoit  ainfî  d'EIichman  au  pied  de  la 
Lettre.  Il  eft  vray  que  M.  Defcartes  a  parlé  une  fois  de  Hor-  xom.  3.  des 
tenfius  dans  les  trois  volumes  de  les  Lettres,  (  outre  les  deux  Lettt.  pag. 
rencontres  où  il  s'étoit  Ibuvenu  de  fa  mort  )  :  mais  c'étoit  ^^^' 
pour  dire  au  P.  Merienne  qu'il  ne  Icavoit  pas  alTez  de  Ma- 
thématiques pour  entendre  la  Géométrie,  Il  s'appelloit  Mar- 
tin ,  étoit  natif  de  la  Ville  de  Delft  en  Hollande  ,  &  étoit 
Profefleur  des  Mathématiques  à  Amflerdam.  Comme  il  fs 
mêloit  plus  particulièrement d' A ftronomie,  cette  inclination 
l'avoit  uni  plus  étroitement  à  M.  GalTendi  avec  qui  il  faifoit 
commerce  de  lettres  ^d'obfervations.  Il  mourut  dans  la  plus 

D  *  grande' 


î63  9- 


pag.  io8.   du 
ï.  tom.  «des 
Lcttr.  „ 

M 
t» 
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»i 
«( 
M 

Fils  de  Da-  ^ 
niel ,  fieie 
ieNicolas.  '* 

121 


îpift.   Lat. 
Schuim. 
|>ag.  i^'i. 


\_ 


On  ne  fçavoit 
fj  M.  Dcfcar- 
tcs  étoit  alors 
à  Egmond,ou 
à  Hardcr- 
vviCK. 


16  L  A     V  I  ï     D  E     M.     D  E  S  C  A  R  T  E  S. 

ojrande  vigueur  de  fbii  âge ,  n'ayant  pu  rcTifler  i  l'apprélien- 
ïion  de  mourir  au  têms  que  ion  imagination  luy  avoit  mar- 
qué enfuite  d'une  opération  d'AftroIogie  ,  par  laquelle  il 
avoit  aufTi  prédit  la  mort  à  deux  autres  personnes  pour  la 
même  année.  C'eft  ce  que  M.  Defcartes  fît  fçavoir  quelques 
mois  après  au  P.  Merfenne  en  ces  termes.  Hortenfius  étant 
en  Italie  il  y  a  quelques  années,  fè  voulut  mêler  de  faire  ion 
Horofcope  ,  6c  dit  à  deux  jeunes  hommes  de  ce  Païs  (  de 
'Hollande  )  qui  étoient  avec  luy ,  qu'il  mourroit  en  l'an  1630)  : 
&;  que  pour  eux  ils  ne  vivroient  pas  long-tems  après.  Etant 
mort  en  efFet  cet  Eté ,  comme  vous  le  içavez,  ces  deux  jeu- 
nes hommes  en  ont  eu  une  telle  appréhenfion,  que  l'un  d'eux 
eil  déjà  mort  j  6c  l'autre,  qui  eft  le  fils  de  Heiniîus,eft  iî 
languiiTant  &  fi  trifte ,  qu'il  femble  faire  tout  fon  poiîîble 
afin  que  l'Aflrologie  n'ait  pas  menti.  Voilà  une  belle  fcien- 
ce ,  qui  fert  à  faire  mourir  des  perfonnes  qui  n'eufTent  peut- 
être  pas  été  malades  iàns  elle. 

Quant  à  ce  qui  regarde  Jean  Elichman  que  M.  Defcar- 
tes  appelle  Heylichman ,  c'étoit  un  Sçavant  venu  du  fonds  de 
la  Siléfie  pour  s'habituer  en  Hollande,  où  on  l'avoit  étably 
dans  une  chaire  de  Profciïeur  pour  luy  donner  de  l'emploi. 
Il  avoit  l'eiprit  d'un  caradére  aiïez  iemblable  à  celuy  de 
Golius.  Il  n'étoit  pas  ignorant  dans  les  Mathématiques^  mais 
il  éxcelloit  plus  particulièrement  dans  la  connoiilànce  des 
langues  Orientales ,  &:  fur  tout  de  l'Arabe. 

Pour  Campanelle  ,  nous  ne  trouvons  rien  qui  nous  per- 
fuade  qu'il  ait  été  connu  de  M.  Defcartes ,  autrement  que 
par  la  leélure  de  quelques  uns  de  fes  livres.  11  eft  vray  qu'il 
avoit  fait  un  voyage  l'année  précédente  en  Hollande  dans 
le  deiTein  d'y  viiiter  les  Sçavans  ^  &  que  M.  Defcartes  étoit 
celuy  qu'il  y  devoit  chercher  le  premier,  autant  qu'on  en 
peut  juger  par  \q^  inclinations  de  ion  génie,  ôc  par  la  pro- 
feiTion  qu'il  faifoit  de  travailler  à  une  Philofophie  nouvelle. 
Mais  il  faut  que  M.  Defcartes  ait  été  trop  bien  caché  pour 
Campanelle  ,  ou  qu'il  ne  nous  fbit  point  refté  de  preu- 
ves de  leur  entre-vûë.  Monfieur  Defcartes  ne  portoit  au- 
cune envie  à  la  réputation  de  Campanelle,  ni  aux  décou- 
vertes qu'il  croyoit  avoir  faites  dans  la  Nature.  Sur  ce  que 
Je  Père  Merfenne  avoit  voulu  luy  envoyer  un  à^^  ouvrages 

de 


Livre  V.  Chapitre   IV.  27 

de  ce  Dominicain  en  1638,  il  l'avoit  remercié  de  fa  bonne      1^39. 
volonté  :  5^  luy  avoit  marqué  ,   qu'il  n'avoir  aucune  envie 


de  le  voir  ,  ajoutant,  que  ce  qu'il  avoit  vu  autrefois  de   Pag.  41s.  41$. 
Campanelle  ne  kiy  permcttoit  pas  de  rien  efpérer  de  bon  de  lTicV  '^"' 
ion  livre.  Le  P.  Merfènne  n'ctoit  plus  en  état  de  rappeller 
Je  livre  qui  étoit  parti  peu  de  jours  après  fa  lettre  d'avis» 
De  forte  que  M.  Dcicartes  pour  ne  pas  rendre  fà  peine  inu- 
tile ic  mit  en  devoir  de  le  lire,jufqu'à  ce  que  le  mauvais- 
flilc  de  l'Auteur  l'^iyant  dégoûte ,  il  le  contenta  de  parcourir 
le  rell:e ,  ne  s'attachant  qu'à  voir  s'il  y  avoit  quelque  opi- 
nion nouvelle ,  3c  différente  de  celles  qu'il  avoit  autrefois  re- 
marquées dans  les  autres  ouvrages  de  ce  Philofophe.  Il  le 
renvoya  au/Tï-tot  à  ce  Père,  6c  il  luy  manda  ce  qu'il  penfbic 
du  livre  &  de  fon  Auteur  en  ces  termes.  Vôtre  Campanelle  •«  Tom;  if 
m'ayant  trouvé  occupé  à  répondre  à  quelques  Objedions  «  ^^^"!5* 
qui  m'étoient  venues  de  divers  endroits  ,  j'avoue  que  fon  « 
langage  &:  celuy  de  l'Allemand  quia  fait  fa  longue  Préface,  a 
ont  fait  que  je  n'ay  ofé  converler  avec  eux ,  avant  que  j'eufle  <c 
achevé  les  dépêches  que  j'avois  à  faire,  crainte  de  prendre  m 
quelque  cho/è  de  leur  ftile.  Pour  la  Dodrine,  il  y  a  quinze 
ans  que  j'ay  lu.  le  livre  De  Senfu  Rerum  du  même  Auteur,  avec 
quelques  autres  Traitez ,  &  peut-être  que  celuy-cy  en  étoit 
du  nombre.  Mais  j'avois  trouvé  dés-lors  iî  peu  de  fblidité  <« 
dans  fes  écrits,  que  je  n'en  avois  rien  gardé  dans  ma  mémoire.   « 
Je  ne  fçaurois  maintenant  en  dire  autre  choie ,  iînon  que  ceux   « 
qui  s'égarent  en  afFedant  de  fuivre  des  chemins  extraordi-   « 
naires ,  me  paroiflent  beaucoup  moins  excuiables  que  ceux  » 
qui  ne  s'égarent  qu'en  compagnie  &  en  iuivant  les  traces  de  « 
beaucoup  d'autres.  » 

Les  affaires  de  M.  Defcartes  nous  rappellent  à  Utrecht, 
où  nous  avons  lailTé  les  Magiftrats  fort  iàtisfaits  de  lajuftice 
qu'ils  avoient  fait  rendre  publiquement  à  fon  mérite  par  M. 
Emilius.  L'uniformité  n'étoit  pas  iî  grande  parmy  les  Profef- 
ièurs  de  l'Univerfité.  Tous  gardoient,  à  la  vérité,  un  exté- 
rieur égal  dans  les  applaudilîemens  qu'ils  donnaient  à  l'O- 
raifon  funèbre  de  leur  Collègue.  Tous  rendoient  même  a 
M.  Defcartes  des  louanges  femblables  d  celles  qu^ils  avoient 
entendues  dans  ce  difcours.  Mais  tous  n'étoient  pas  fîncéres  : 
&  nous  venons  dans  peu  de  tems  que  ceux  qui  fjlon  leur 

D  ij  *  rang 


a 


ti 


iS  La     Vie    de    M.     D  e  s  c  a  r  t  e  s. 

[y^,  rang  &  leur  miniftcre  fèmbloient  devoir  donner  aux  autres 
des  exemples  d'équité,  ié  font  trouvez  les  plus  foi'oles  contre 
les  follicitations  de  l'envie.  Peribnne  n'étoit  plus  élevé  ny 
plus  conlidéré  dans  l'Univeriité  que  le  (leur  Gilbert  Voetius, 
Il  étoit  le  principal Miniflre  du  Temple  ,  &  le  premier  des 
ProferTcurs  en  Théologie.  Il  portoit  paj  tout  cet  air  triom^ 
pliant  qu'il  avoit  rapporté  du  Synode  de  Dort  où  il  s'étoïc 
trouvé  du  côté  des  vidorieux,  c'eft  à  dire  de  ceux,  qui  aflifl 
tez  de  répée  de  du  crédit  du  Prince  d'Orange,  étoient  venus 
à  bout  de  condamner  le  parti  des  Remontrans  :  de  il  s'étoic 
acquis  par  la  Ville  une  efpécQ  d'autorité  fur  les  eiprits  par 
je  ne  Icay  quelle  réputation  de  gravité  &  de  fliffiHuTLce.  Tou- 
tes fès  qualitcz  étoient  Ibûtenues  par  un  peu  d'amour  pro- 
pre pour  fâ  peribnne  ,  accompagné  d'un  mépris  intérieur 
pour  toutes  celles  qu'il  n'avoitpas.  De  forte  ques'étantac- 
coiitumé  de  longue  habitude  à  ne  pas  eftimer  ce  qu'il  igno- 
roit,  &  ignorant  en  Philofophie  tout  ce  qui  n'étoit  pas  ren- 
fermé dans  les  bornes  de  ia  Scholallique  triviale  ,  on  auroit 
pu  iuy  pardonner  le  peu  de  goût  &l  Téloignement  qu'il  avoit  eu 
d*abord  par  les  ouvrages  de  M.  Defcartes ,  s'il  n'en  avoit  pri$ 
l'alarme  comme  d*une  nouveauté  pernicieufe  qu'il  eût  fallu 
exterminer. 

La  confidéri^tion  qui  étoit  due  au  mérite  de  M.  Reneri 
Tavoit  retenu  dans  le  filencejuiqu'àfàmort.  Mais  étant  allé 
à  Ion  Oraifon  funèbre  avecfà  prévention ,  les  éloges  inelpé- 
rez  qu'il  y  entendit  de  M.  Delcartcs  Iuy  donnèrent  tant  de 
jiiloufie ,  qu'il  en  fbrtit  avec  la  réfblution  de  mettre  en  œu-. 
vre  tout  ce  que  ibn  induftrie  pourroit  Iuy  fournir  pour  dé- 
truire cette  nouveauté.  Mais  l'approbation  que  le  MagiC 
trat  avoit  donné  à  ces  éloa;es  l'oblis^ea  d^iller  bride  en  main, 
pour  ne  pas  ie  commettre  mal  à  propos  avec  les  Supérieurs. 
C'e([  pourquoy  abandonnant  ce  q^ui  étoit  du  refibrt  de  la 
Philofophie  ,  contre  quoy  il  ne  Iuy  étoit  ny  leur  ny  honnête 
de  s'élever  ,  il  fe  réduiiît  à  ramailèr  ce  qui  pourroitfe  rap, 
porter  à  la  Théologie  dans  le  difcours  de  la  Méthode  de 
M.  Defcartes,  pour  en  faire  la  matière  de  fes  cenflires  :  6c 
faire  bannir  de  l'Univeriité  par  ce  moyen  faPhilofbphie,com- 
me  pernicieufe  à  la  Religion  Proteftante,  èc  au  repos  des 
Etacs  des  Provinces  Unies,    Si  Voetius  n'cntreprenoïc  rien 

au 


Livre   V.    Chapitre.  IV.  i^ 

au  dcfllis  de  les  forces  en  Te  chargeant  d'une  éxecution  (l      i6xq 

difficile,  il  devoit  certainement  être  un  homme  d'une  capa- -, 

cité  plus  qu'ordinaire.  Il  fera  aifc  d'en  juger  par  la  connoi- 
{àncc  que  les  perlbnnes  de  Ton  teins  èc  de  fa  Religion  nous 
ont  donnée  de  luy  ,  en  nous  dépeignant  les  qualitez  de  (on. 
ame ,  &  les  caractères  de  ion  elprit. 

Il  étoit  né  dans  la  petite  ville  de  Heufcicn  ,  fiir  les  con-   o'autres  ont 
fins  de  la  Hollande  &  du  Brabant,  fîx  ou  ièpt  ans  avant  ?iutKeht^°" 
M.  Dcfcartes  :  ôcil  fut  honoré  d'une  longue  vie ,  s'il  e(t  vray   lïvême, 
(Qu'elle  fut  de  S'y.  ans,  pnifqu'ilne  mourut  qu'en  1676. 

Il  avoit  été  Miniftre  dans  un  village  voiiin  de  Bofle- 
due  pendant  hx  ans  ,  puis  dans  fa  ville  de   Heufden  pen- 
dant dix-fept  avant  ion  établiiîement  à  Utrechf ,  où  il  étoit 
Profe/Teur  en  Théologie  èc  Pailcur  du  Peuple.    L'inclina- 
tion qu'il  avoit  naturellement  pour  la  conteilation  le  rendit 
plus  habile  dans  la  Ti  éologie  contentieufe  que  dans  les  au- 
tres connoiiîances  :  &  l'on  peut  dire  qu'il  n'auroit  point  mal 
fervi  fon  parti,  fî  Dieu  n' avoit  eu  la  bonté  de  luy  oppofer 
Janfenius,  puis  Fromond,  Dodeurs  de  Louvain  pour  la  def- 
fenfè  de  TEglife  Catholique.  Si  le  témoignage  de  M.  Def-  Epi^.  ad  celc 
cartes  eft  recevable,  lors  qu'il  s'eft  mis  en  devoir  de  rendre  berr.  voet. 
bénédiction  pour  malédiction   à  fon  ennemy ,  Voetius  fai-  P^"'  ^- ^^-^ 
foit  honneur  à  fon  miniftére  dans  le  Temple,  &;  à  fà  pro-  114. 
ieiîîon  dans  l'Ecole  par  fon  afîîduité  &  fon  zele  5  préchoit 
plus  fouvent  que  fes  Collègues  ^  dilputoit  en  toute  ren- 
contre -,  aiFedoit  une  gravité  continuelle  ^  faifoit  le  dévôc 
dans  Ion  gcfte,  dans  le  mouvement  de  fes  yeux ,  dans  le  ton 
de  fà  voix  j  débitoit  la  Morale  iévére  aux  autres  •  gourman- 
doit  hautement  le  vice  j  &c  pour  faire  voir  qu'il  ne  faïibit  point 
acceptation  des  perfonnes  ,  il  attaquoit  plus  volontiers  les 
grands  que  les  petits ,  &  reprenoit  même  en  eux  des  chofes 
aiTez  indifférentes,  de  peur  de  fe  rendre  fufpect  de  lâcheté. 
Enfin  fon  extérieur  étoit  toujours  fort  ccmpofé.   C'étoit  un 
bel  homme  de  dehors.  La  leàiire  des  compilateurs  de  Lieux   Pjg.  51.  part, 
communs ,  des  Commentateurs ,  &:  des  Didionnaires  5  faifoit  '^'  ^P'^-  ^'^ 
prefque  toute  fon  érudition.  Ses  écrits  ont  fait  juger  que  fa  Bofius  N^[it. 
dodrine  étoit  toute  locale  ,  &  que  rarement  fo'donnoit-il  Ecci.fcnpt. 
la  peine  d'aller  puifer  aux  fources.  Si  l'on  en  croid  le  fieur  safjen^'.jenj, 
jBofius  Proteftant ,  ils  font  remplis  de  fautes  honteufes  é^  grof  p.  '31// 

D  *  lij  Jïêre$. 


30  La    Vie   de    M.    Descartes. 

1639.  (iéres.  II  citoit  prefque  toujours  les  Auteurs  fans  les  avoir 
-^___-.  liis ,  ou  fans  \qs  avoir  compris.  Il  s'étoit  gâté  Pefprit  dans  les 
livres  des  Controverliftes ,  à^s  Athées,  Aq^  Impies  ,  ôc  des 
Bjouffons  qu'il  avoit  lus  dan^  le  delTein  de  les  combattre.  II 
n'avoit  aucune  élévation ,  &  la  baffelTe  de  Tes  penfées  étoic 
la  marque  de  la  médiocrité  de  ion  génie.  Il  avoit  peu  de  dif^ 
cernement ,  &:  il  étoit  fort  rare  de  trouver  de  la  liaifon  dans 
i^s  raifonnemens. 

Toutes  ces  qualitez  étoient  plus  que  TufElantes  pour  for*' 
mer  un  Ennemy  dangereux  à  M.  Defcartes,  fi  cet  ennemy 
avoit  été  allez  heureux  pour  faire  entrer  le  Jugement  &;  la 
Raifon  dans  fon  parti.  Mais  on  peut  dire  de  la  bonne  for- 
tune de  M.  Defcartes  qu'elle  ne  luy  a  fait  rencontrer  dans 
Voetius  qu'un  homme  de  petit  jugement  &  de  peu  de  raifon, 
i^7v°^a^^''   ^'^^^^^  '-^^^  efprit  bouru  &  volage  félon  M.  de  Sorbiére,  qui 
6%-j.        '      étoit  de  fa  communion  lors  qu'il  le  reconnut  tel  ^  fî  étour- 
.     ,         dy  &:  fî  indifcret,  qu'il  ne  fiifoit  point  difEculté  de  médire 
M?'i9Î"ad     ^  ^^  calomnier  grolîîérement  dans  fes  Sermons.  Ce  qui  obli- 
Cart.  gea  un  jour  le  Miniflre  M.  Heydanus  de  le  faire  defcendre 

Poiy-iiiftor.  de  chaire,  &  de  l'interdire  pour  cette  raifon.  Il  étoit  vain  ôc 
Tom.  z.àtl  ambitieux  ^  outre  cela,  grand  ignorant  félon  M.  Morhofius  y 
Ltt.  dcDefc.  Se  par  une  conféquence  de  fon  humeur  ,  hardy,  téméraire, 
f-^^^-  ^  déciûf  -  faiiànt  le  Prélat  &:  le  petit  Tyran  dans  Utrechf 

t%jo'%\^^'   ^^vant  les  peuples ,  au  rapport  de  Loiiis  du  Moulin,  &;  le 
ex  Mol.     "     Pédant  devant  les  perfonnes  d'efprit  Se  les  gens  de  lettres,. 
EccUjîamm  Mds  fiir  tout  ïl  fe  faifoit  confidérer  comme  la  doire  é^  Por^ 
dectis  é'or-      ncment  des  EgUJes  Bclpques,  ccnon  content  de  prendre  ce  ti- 
nttmmam.       tre magnifique  dans  fès  écrits,  il  fe  le  faifoit  encore  donner 
par  les  autres.   Ses  Idolâtres  le  regardoient  comme  le  Jean 
Baptifle  de  la  nouvelle  Réforme  des  Proteftans  à  caufe  de  la 
3.^Vol^  d/"     liberté  qu'il  prenoit  d'attaquer  les  perfonnes  qualifiées ,  &  de 
Lectr.,  traiter  ceux  qui  ne  luy  plaifbient  pas  de  Juifs  Se  d' engeance  ds 

vipères. 

Voilà  l'ébauche  du  tableau  qu'on  peut  faire  de  l'efpritdc 
Tom.  î.dc5     ce   Monfîeur  Voetius  ^  &  pour  le  rendre  fîny,  il  fufîîroif 
a6o.'^^^       d'ajouter  les  traits  qui  fè  trouvent  dans  un  livre  latin  fait: 
SaîTiuëidcs   contre  luy,  par  un  célèbre  Se  fçavant  Miniftre  de  la  vil- 
^^^^^*  le  de  Groningue  en  Frifè,  fous  le  titre  d^Vltima  fatientia. 

Mais  nous  nous  contenterons  d'an  trait  de  fon  liiftoire,  qu^ 

nou 


LrvnE   V.  Chapitre  IV.  3r 

ttous  paroît  nécelTaire  pour  donner  des  éclairdflèm:?ns  à  ce 
que  nous  ferons  obligez  de  rapporter  dans  la  fuite  touchant 
Jes  afFan-es  qu'il  aiufcitées  à  M.  Defcartcs.  C'eft  ce  que  nous 
ferons  dans  les  termes  aufquels  M.  de  Sorbiére  nous  a  dé- 
crit une  vifite  qu'il  luy  avoit  rendue.  Nous  ne  voulûmes  point 
partir  d'Utrecht  fans  y  voir  ce  Gifbert  Voetius  Miniftre  &c 
Profefleur  en  Théologie,  qui  a  tant  fait  parler  de  luy  dans 
ces  Provinces  par  ion  efprit  de  contradiction .  Il  a  toujours 
cté  le  contre-tenant  de  quelqu'un  de  fès  Collègues  ,  ou  de 
quelque  autre  f(^avant  liommcJeTay  vu  acharné,  tantôt  con- 
tre Vedelius,  6c  Definarêts^  tantôt  contre  Regius,  6c De/car- 
tes j  puis  contreBorel,  Courcelles,  6c  une  infinité  d'autres  avec 
qui  il  a  pris  plaifîr  d'entrer  en  querelle.  Il  s'étoit  mis  en  tête 
de  faire  donner  à  fbn  Confifloire  l'adminiftration  de  tous  les 
anciens  revenus  Eccléfîaftiques  d'Utrecht  ,  pour  être  em- 
ployez en  partie  à  des  œuvres  de  charité  ,  &  en  partie  au 
Î)ayement  de  fes  gages.  Lors  qu'on  changea  la  Rehgion  dans 
a  Ville  ,  il  y  avoit  cinq  Collèges,  ou  Chapitres  de  Chanoi- 
nes ,  dont  les  Prébendes  furent  confèrvées  à  ceux  qui  les  te- 
noient.  Mais  le  Service  eilant  ruïné  on  ne  fubftitua  point  d'au- 
tres Eccléfiafliques  à  leur  place  :  on  y  mit  des  Laïcs  de  la  nou- 
velle Réforme,  qui  furent  regardez  comme  des  Bénéficiers 
de  l'Eftat.  Voetius  voyant  ainfi  le  bien  de  l'Eglife  entre  les 
mains  de  gens  qu'il  eftimoit  profuies,  déclama  contre  le  mau- 
vais .ufàge  qu'on  en  faifoit  :  6c  comme  il  étoit  fort  écouté  du 
Peuple,  il  ie  hazarda  de  prêcher  contre  le  Magiftrat ,  de  de 
faire  des  alïcmblées  pour  avilér  aux  moyens  de  mettre  tout 
le  revenu  des  Prébendes  entre  les  mains  de  fon  Confiftoire. 
Le  Magiftrat  qui  avoit  coutume  d'en.di{pofer  en  faveur  des 
familles  qu'il  vouloit  gratifier,  en  prit  l'alarme,  6c  fit  afiem- 
bler  leConfèildelaVille,  d'où  on  envoya  fignifier  à  Voetius 
ôc  à  fon  Confiftoire,  que  dorénavant  deux  Députez  du  Ma- 
giftrat  affifteroient  à  toutes  leurs  afTemblées  :  6c  qu'on  eût  à 
leur  préparer  deux  chaifès  au  haut  bout.  Les  CommifTaires 
fè  mirent  en  devoir  d'y  venir  depuis  ces  délibérations  :  mais 
à  mefure  qu'ils  y  entroient  par  une  porte ,  les  Miniftres  6c  les 
Anciens  fe  retiroient  par  une  autre  ,  6c  demeurèrent  ainfi 
quelques  mois  fans  faire  aucune  aflemblée  publique.  Le  Con- 
feil  jugea  à  propos  d'ufer  de  toute  fon  autorité  pour  les  obli- 


«1639. 

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'*  crivit  &  fît 

c4  imprimer 
contre  ces 
Chanoines. 

«  &c.  tom. }. 

„  des  Lett.de 
Defc.  pag. 

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32  La   Vie  de   M.  Descartes. 

I  6  3  9.  »   gerde  s'afTcmbler.  Mais  il  n'en  eue  point  aifez  pour  changer 
-  »   refpricde  Voetius  ,  qui  s'étoic  cndurcy  le  cœur  contre  tout 

*»  refj3câ:  humain  depuis  pkifîeurs  années.  Comme  ce  Gladia- 
»>  tcur  s'étoit  exercé  toute  fa  vie  ,  continue  M.  de  Sorbiére, 
M  a  battre  ie  fer,  nous  remarquions  qu'il  fè  tenoit  toujours  fur 
a»  fes  gardes  en  pofture  de  parer  ou  de  porter  quelque  coup. 
Un  ennemy  de  ce  caractère  n'étoitguéres  en  étit  de  nuire 
â  la  réputation  de  M.  D:fcart:s,  mais  il  pouvoit  contribuer 
à  rehaulîèr  Téclat  de  fa  Philofophie,  &  à  préparer  ion  Au-- 
teur  à  fbutenir  les  attaques  de  quelques  Adveriaires  plus 
formidables.  Il  commençi  fès  hoftilitez  par  des  Théfes  qu'il 
iit  au  mois  de  Juin  de  l'an  1^39.  touchant  l'Athéïfoe  3  8C 
Tom.  j.  des    ^o\u  garder  quelque  ordre  dans  les  produdions  de  fa  mau- 
Letcr.  pag.3.     vaiiè  voloncé ,  il  s'abflint  d'y  nommer  d'abord  celui  à  qui  il 
en  vouloir,  &  fe  contenta  d'y  jetter  les  fondemens  de  la  ca- 
lomnie dont  il  croyoit  devoir  le  charger  pour  venir  à  bout 
de  le  ruiner.  Cette  calomnie,  dans  laquelle  il  a  toujours  per- 
fîfté  depuis ,  confiftoit  à  faire  pafTer  M.  Defcartes  pour  un 
Athée  :  êc  afin  qu'on  ne  pût  s'y  tromper ,  en  prenant  quel- 
que autre  pour  lui,  il  mêla  dans  fès  Théfes  parmi  les  mar- 
ques de  l'Athéïfme ,  toutes  les  chofes  qu'il  fçavoit  être  attri- 
buées à  M.  Defcartes  par  le  bruit  commun,  quoi  qu'il  n'y 
en  eût  aucune  cjui  ne  lût  bonne. 


CHAP. 


Livre  V.   Chapitre  V.  33 


T(?3  9. 


CHAPITRE      V. 

JVf.  Rcgius  prend  des  précautions  contre  Ut  mauvaife  humeur  de 
Voetius  qiiil  avait  k  ménager.  Préjudice  qu  il  fait  à  fa  perfon- 
ne  ^^  h  la  Philo fophie  Carte  penne  dans  fes  Lci^ons  problémati- 
ques de  Phyfique.  Son  indifcrétion  à  une  Théfe  des  Péripatéti^^ 
ciens.  Amis  que  M.  De  [carte  s  avoit  a  'Vtrecht.  Il  inftruit  Re* 
gius  fur  divers  points  de  Phyfque.  Son  fentimcnt  fur  la  circula- 
tion du  fang.  Ingratitude  (jr  malhonnêteté  de  Plempius  h  l'égard 
de  M.  jbefcartes ,  qui  la  fouffre  plus  patiemment  que  Kcgiti^.  Il 
tache  de  fe  retrancher  touchant  le  commerce  des  lettre  s  ^  pour  fe  pro- 
curer plus  de  retraite  ^  de  repos  3  mais  ce  fut  en  Vi  lin.  Le  P.Mer- 
fennc  lui  envoyé  le  Traité  des  Coniques  de  M.  Pafcal  le  jeune. 
Jugement  quil  en  fit. 

MR  Regius  etoit  du  nombre  de  ceux  qui  connoifîbient 
un  peu  le  foible  de  Voecius,  &:  qui  lui  témoignoicnt 
par  conféquent  Je  plus  de  foumiflion  pour  fes  volontez  ,  & 
le  plus  de  confiance  en  fa  conduite.  Ayant  fcii  l'art  de  le  ga- 
2;ner&;  de  l'engager  dans  fès  intérêts,  lors  qu'il  étoit  queftion 
d'obtenir  une  chaire  de  Profefîcur  ,  il  comprit  la  peine  qu'il 
auroit  à  fe  confèrver  auprès  de  lui^s'il  n'uloit  de  quelque  diC 
fimulation.  Il  s'étoit  apperçûque  le  zcle  qu'il  avoit  fliit  pa- 
roître  pour  la  Philofophie  de  M.  Deicartes,au  delà  même 
de  ce  qu'avoit  fait  M.  Reneri ,  ne  lui  avoit  point  plu  :  bc 
que  le  grand  fuccés  de  ies  Leçons  lui  avoit  fliit  peine,  C'eft 
ce  qui  lui  avoit  donné  la  penfée^de  fè  précautionner  davan- 
tage dans  fa  chaire  de  Médecine:  &  de  réfèrver  le  principal 
de  la  nouvelle  Philofophie  pour  les  Problêmes  qu'il  enfei- 
gnoit  certains  jours  de  la  femaine  hors  des  heures  des  Le- 
çons publiques.  En  quoi  il  lémbloit  fe  repofer  fur  le  con- 
f entement  des  ProfcfTeurs^fins  en  excepter  Voctius,  qui  l'avoic 
même  fervi  une  féconde  fois  dans  la  demande  de  cette  nou- 
velle commifîion.  Mais  quelque  liberté  qu'il  laifsat  à  fes  Au- 
diteurs pour  la  créance  des  Problêmes ,  il  ne  rejettoit  pa^ 
les  occafions  de  faire  voir  le  ridicule  ou  le  foibîe  des  ancicii- 
;ies  opinions.  E,t  l'on  peut  dire  que  cccte  manière  artiticieu-. 

E    *         fc 


34  La   Vie   de    M.    Descautes. 

i^-,  (.       ie  de  détruire  infenribleincnt  les  principes  de  la  Philofophie 
.  vulgaire  quieft  receuë  dans  les  Ecoles ,  étoit  encore  plus  dan- 

eereufe  pour  elle  que  fa  manière  ouverte  &  fîncëre  d'enfei» 
gner  les  principes  de  M.  Defcartes  dans  Tes  Léchons  de  Me., 
decine.    C'eft  ce  qui  fit  peine  à  ceux  de  fes  Collègues  qui 
confèrvoient  quelque  eftime  pour  la  Philofophie  qu'on  leur 
avoir  appnfe,  ài  qui  croy oient  avoir  beaucoup  accordé  à  M. 
Regius  en  luy  permettant  d'cnfeigner  les  nouvelles  opinions 
avec  les  anciennes.  M.  Regius  ne  s'afTujettifïïint  pas  afTez 
(  hors  de  fes  Ecrits  &  de  fès  Le<^ons  )  à  prendre  Fefprit  de  M, 
Defcartes,  qui  étoit  un  efprit  de  douceur &; de  modération, 
donna  encore  à  fès  Collègues  un  nouveau  fujet  de  mécon-, 
tentement  par  un  trait  de  légèreté  qu'il  fît  paroître  à  une 
Thèfè  de  Philofophie  foûtenuë  le  neuvième  de  Juillet  1639 
par  le  fîeur  Florent  Schuyl,fbas  le  Profefîeur  Senguerdius, 
L'Aggrefleur  qui  difputoir,  avoit  compofè  fès  argumens  félon 
les  opinions  de  la  Philofophie  nouvelle:  de  avoit  choifî  lana^ 
tare  &  les  propriètez  de  l'aiman  pour  en  faire  le  flijet.  Le 
Répondant,  quoi  que  fort  bien  exercé  fur  les  cahiers  de  fbn 
Maître ,  parut  un  peu  embarafTé  :  mais  le  ProfefFeur  ayant 
ft!fric^  Acad.    P^^^  ^^  parole  pour  le  dégager,  M.  Regius  fe  leva,  &:  fans  ref- 
uit1-.pag.14.    pecler  ni  rAlfemblèe  m  la  ProfefTion  l'interrompit,  luy  in- 
uilta  mal-à-propos,  6c  voulut  ajuger  cà  l' AggrefFeur  une  vic- 
toire que  l'honnçteté  6c  la  coutume  l'obligeoient  de  laifîèr 
au  Répondant.  Cette  action  que  nous  n'avons  apprifè  que 
par  le  canal  de  Voetius  choqua  généralement  tous  les  Pro- 
Felfeurs  de  FUniverfitè,  ôc  les  diipofà  la. plupart  à  écouter 
ce  que  Voetius  vouloir  leur  infînuer  contre  les  nouveautez. 
Les  exercices  finirent  peu  de  jours  après  cette  Théfè:  6c  M, 
Regius  écrivant  à  M.  Defcartes  le  quatorzième  de  Juillet 
Lettre  4.  Mf.  <]ui  comincncoit  les  vacances ,  fè  garda  bien  de  luy  mander 
dcKcr.iDek.  ^q  ^y'^}  ^yoit  tait  à  ïaThèfe.  Il  fè  contenta  de  luy  fiire  fca, 
voir  qu'il  avoit  achevé  fon  Cours  public  de  Médecine  cette 
année  ^  qu'il  étoit  toujours  demeuré  fortement  attaché  à  fes 
»    principes  oc  à  fa  métode  ^  ôc  qu'il  fbuhaitoit  avec  pafîîon  de 
t»   conférer  avec  luy  fur  la  meilleure  manière  de  faire  un  nou- 
M   veau  Cours  l'année  fliivante  ,  qui  commençoit  après  la  foi- 
re du  mois  d' Aouft ,  félon  le  règlement  de  l'Univerfitè. 
M.  Defcartes  lui  avoit  fait  efpèrer  de  l'aller  voir  en  un 

voyage 


L  I  V  R  E     V.     C  H  A  P  I  T  R  E     V.  35 

voyage  qu'il  fcmbloic  avoir  promis  de  faire  à  Ucrccht  au       i  635). 

temps  de  la  foire.  Il  avoit  plufieurs  amis  tant  à  h  Ville  que 

dans  le  voifînage,  aufquels  il  n'avoit  point  rendu  vifite  de- 
puis fâ  retraite  c-'ans  la  folitude  d'Egmond.  Les  principaux, 
outre  Meilleurs  W'alîènaer ,  Parmentier ,  Van-Dam  ,  Van- 
Leevv  ,  Van-SurecK  dont  nous  parlerons  ailleurs ,  étoient  le 
fienr  Godcfroy  de  Haefirccht  Gentilhomme  du  pays  de  Liéi^e, 
qui  étoit  venu  s'habituera  Utrecht,  &  qui  dcmeuroit  ac^ 
tuellement  au  château  deRenoude,  village  à  la diftance  d'u- 
ne demi-lieuë  de  la  ville,  où  il  cultivoit  la  Philofbphie  de 
M.  Defcartes  au  milieu  du  repos  &  des  commoditez  de  la 
vie.  Le  Çi-^ivir ^can  Alfbonfe  Omcier  dans  les  armées, qui de- 
meuroit  à  Utrecht  dans  les  intervalles  du  fèrvice ,  &;  qui  fè 
faifoit  un  plaifir  de  joindre  les  exercices  de  la  Philofophie 
avec  ceux  de  la  Guerre.  Monfîeur  Vander-Hookk  l'un  àç,s  Lettr.  3.  MT, 
principaux  Magiftrats  de  la  ville  ,  avec  qui  M.  Delcartes  de  Rcgius  à 
avoit  de  grandes  habitudes,  &  qui  protégéoit  M.  Regius  ^^^*^'  . 
pour  l'amour  de  lui  dans  les  relations  que  rUniverfité  pou- 
voit  avoir  avec  le  Sénat  ou  le  Confeil  de  la  Ville, 

M.  Regius  vid  paiîèr  la  foire,  &  finir  le  tems  de  ies  va- 
ca'Tces  làns  avoir  eu  l'avantage  qu'il  avoit  efpéré.  Il  fallut 
reprendre  les  Leçons  publiques  avant  que  de  pouvoir  répa- 
rer la  chofe  par  un  voyage  qu'il  auroit  fbuhaicé  de  faire  à 
Egmond.  Et  comme  il  lui  falloit  au  moins  deux  jours  hbres 
pour  cette  courie,il  ne  les  pût  trouver  que  vers  le  milieu  de  Lcttr.î.Mr.f^p 
Septembre,  auquel  fa  femme  ne  permit  point  qu'il  s'éloi-  Rcg. àDcfc* 
gnât  d'elle  à  caufe  d'une  grolTeiîè  de  huit  mois  &  demi  où 
^ViQ.  avoit  befoin  de  lui. 

Le  tems  de  M.  Defcartes  n'en  fut  pas  plus  épargné.  Il  ne 
fut  prefque  occupé  que  eie  fes  réponfes  aux  confultations  de 
M.  Regius  pendant  les  mois  de  Septembre  ôc  d^'Odobre. 
Quelques  longues,  quelques  fréquentes  que  fufîent  les  let- 
tres d'un  diiciple  fi  zélé,  il  ne  plaignoit  point  pour  Pinflrui- 
re  un  tems  qu'il  ne  croyoit  pas  devoir  jamais  regretter.  L'im- 
portance des  quedions  &  des  dillicultez  qu'il  lui  propofoit, 
Tempêchoit  de  nen  négliger  pour  le  mettre  en  état  d'établir 
fès  principes.  Elles  rouloien:  la  plupart  fur  la  nature  à^^^ 
Anges ,  fur  celle  de  l'Ame  de  l'homme ,  fur  fon  union  avec  le 
corps  j  fur  l'ame  des  bêtes  Se  à^^  plantes,  fur  la  vie ^ fur  le 

E  ij  '^^        niouveraent 


3(j  La  Vie  DE   M.  D  ESCARTES. 

mouvement  da  cœur,  de  fur  la  circulation  du  fang. 

^  ^  ^'  L'opinion  de  M.  Defcartes  iLir  cette  dernière  queftion, 

l'avoit  mifè  en  grand  crédit  parmi  les  Scavans:  &  elle  avoïc 

mcrvcilleufèment  contribué  à  rétablir  fur  ce  fujet  la  répu^ 

tation  de  Guillaume  Harvée,  qui  s'éroit  trouvé  ïp al- traitée 

par  les  fatyres  &  le  décri  de  divers  Médecins  des  Pays-Bas, 

la  plupart  ignorans  ou  entêtez  des  ancieniics  maximes  de 

leurs  Facultez.  C'eil:  ce  qui  fit  que  le  Public  reçûcaiiez  mal  ce 

Lcttr.  6.  Mf.   qi-icdeux  Médecins  nommez  Pariiànus  &c  Priiî^erofius  firent 

dcReg.àDeic.   imprimer  i  Leyde  chez  le  Maire  vers  le  mois  de  Septembre 

de  cette  année  touchant  la  circulation  du  ûng,  contre  le 

ièntiment  de  Harvée.  Ce  n'eft  pas  qu'on  ne  put  former  des 

objedions  plaufiblcs  contre  ce  ièntiment  •  &c  M.  Defcartes 

dés  le  commencement  de    l'an  1638   avoit  mis  celles  que 

M.  Plempius  Médecin  de  Louvain  ion  ami  luy  avoit  faites, 

au    nombre   des  meilleures  diScultez  que  Ton  pût  fufci- 

ter  à  cezte  opinion.  Il  y  avoit  répondu  avec  toute  l'éxacli- 

Eude  que  méritoit  l'importance  du  fùjet,  &  la  eonfidération 

Ces  objcc-      de  la  perfonne.  M,  Plempius  n'ayant  pas  été  plénement  fa^ 

lions  dePiem-   tisfiit  d'une  première  réponfè,  tant  iiir  ce  qui  regardoit  le 

P'^^  ^^rJ^L    mouvement  du  cœur,  touchant  lequel  M.  Defcartes  n'étoic 

Dcicartes  fe    o'accord  ni  avec  Harvée  ni  avec  Ariltote,  que  fur  ce  qui 

tiouvcntau  i.    coiicemoit  la  circulation  du  fang ,  luy  avoit  fait  de  iècon-. 

At  Dde.  de-*  des  objeélions,  aufquelles  il  avoit  répondu  de  nouveau.  Mais 

puis  la  page     quoiqu'il  eût  paru  content  dans  le  tems,  il  fit  enfuite  une 

5j8.;ufqu'a li   chofè  tout-a-fiit  indi2;ne  de  leur  amitié,  &  même  de  l'hon- 

3*3f  r.  r  ■    r  •  J'  Tl-  ^ 

netete  qui  le  pratique  entre  des  étrangers.  Il  jugea  a  propos 
pour  augmenter  l'éclat  de  fà  propre  réputation,  de  parler  dans 
un  livre  qu'il  devoir  bien-tôt  rendre  public,  de  ce  qui  s'étoit 
palTé  entre  M.  Defcartes  êcluy,  touchant  les  deux  queflions 
du  mouvement  du  cœur  &  de  la  circulation  du  fmg.   Il 
donna  pour  cet  éfet  tout  le  luftre  néceflaire  aux  Objedions 
qu'il  luy  avoit  faites.    Mais  lorsqu'il  fut  question  des  Répon- 
fes  qu'il  en  avoit  reçues,  loin  de  traiter  M.  Defcartes  com~ 
me  un  ami  qui  méritoit  d'être  confidéré ,  il  n'eut  pas  même 
pour  iès  Réponfes  la  fidélité  qui  s'exige  entre  des  Adver- 
ïâires  qui  fe  réfutent  &  qui  le  regardent  comme  ennemis, 
M.  Re^ius  fut  outré  d'une  conduite  fi  malhonnête ,  & 
^c  RcgL°s^'''  ayant  confronté  fon  livre  avec  Içs  Rçponfes  que  M.  Defcar- 
tes 


L  I   V  R  E     V.     C  H  A  P  T  T  R  E    V.  37 

tes  avoit  faites  prés  de  deux  ans  auparavant  à  fes  Objeclions,      i  ^3  ^. 
iJ  ne  pût  retenir  l'indignation  qui  Juy  fit  prendre  la  pkime      j  6  ^  o. 
pour  en  marquer  ihs  reiîentimens  à  M.  Defcartcs.   Les  cou-  ; 

leurs  qu'il  donne  dans  là  lettre  à  l'ingratitude  &  à  la  mau- 
vailc  foy  de  M.  Plempius  ibnt  Ci  vives ,  qu'on  ne  peut  les  ex- 
primer de  fa  langue  en  la  nôtre  fans  entrer  dans  de  fcmbla- 
bles  tranfports  de  colère  contre  une  conduite  fi  Liche.  Il  dit 
qu'à  l'égard  des  endroits  où  M.  Defcartes  dccouvroit  les  fe- 
crets  Iqs  plus  cachez  de  la  Nature  ,  &  où  confifloit  la  prin- 
cipale force  de  fes  Réponfes ,  Plempius  a  eu  la  malice  de 
faire  le  muet  ,  ou  d'en  omettre  au  moins  la  plus  grande 
partie.  Et  que  pour  ceux  qu'il  rapporte ,  il  les  eftropie  &  les 
mutile  de  telle  manière  qu'il  en  corromp  entièrement  le  fcns. 
Qu'à  ren;!roit  où  il  traite  de  la  circulation  du  fàng ,  il  fe 
contente  de  rapporter  fîmplement  les  difîîcultez ,  comme  fl 
on  n'y  avoit  pas  encore  £iit  de  réponfes ,  quoique  celles  que 
M.  Defcartes  y  avoit  données  fufîent  trés-convaincantes. 
Qu'à  l'endroit  où  M.  Defcartes  rapporte  plufieurs  caufes  qui 
jointes  enfèmble  produifént  le  battement  du  cœur,  Plempius 
n'en  rapporte  qu'une  qui  eft  la  chaleur.  Si  M.  Defcartes 
après  avoir  allégué  les  raifbns  nèceflaires  pour  la  convidioii 
d'une  chofe  ,  y  en  ajoute  quelque  autre  moins  nècefîaire 
fervant  feulement  à  un  plus  grand  èclaircifïèment  de  la  cho.- 
fè  :  Plempius  eftafTez  de  mauvaife  foy  pour  ne  s'attacher  qu'à 
cette  dernière  raifbn  ,  comme  fî  elle  avoit  été  donnée  pour 
fondamentale  ou  efTentielle  :  èc  laifîant  à  fuppofèr  que  ce 
icroit  l'unique  qui  auroit  été  alléguée  par  M.  Defcartes,  U 
s'étudie  à  la  rendre  ridicule  :  ce  qu'il  fait  ordinairement  dans 
les  endroits  qu'il  ne  comprend  pas. 

Plempius  ne  fe  fbuvenoit  point  dansce  livre,  d'avoir  écrit 
autrefois     qu'il  ne   eroyoit   pas  que  l'on   pût  convaincre 
Monfîeur  Defcartes    d'avoir  jamais  avancé  une  fattjfcté ,  ou    v.  la  Préface 
-même  une  baq-atelie.  Eton  l'a  fbupçonné  de  ne  s'être  jette  dans    1"  livre  de 

j  r        ^^      r  r      ^  1  1  Plempius  ats 

des  excès  oppolez,  que  pour  fe  raccommoder  avec  quelques-    rréfidcnt  de 
uns  de  fès  Collègues,  qui fèmbloient  vouloir  Taccufèr  d'hé-    la  Refc. 
réfîe  fur  d'autres  points  traitez  dans  quelques-uns  de  (es  ou- 
vrages précèdens,  où  il  avoit  afTez  mal  réûfîî, 

plempius  pouvoit  avoir  des  prétextes  que  nous  ne  fçavons 
pas  pour  révoguer  les  éloges  qu'il  avoit  donnez ,  ou  lesfèn- 

E    iij        *       tinien§ 


3§-  La     Vie    de   M.     Des  cartes. 

1639.  timens  d'eftime  qu'il  avoic  eus  autrefois  pour  M.  Defcartcs. 

1640.  Mais  c'efb  une  pitoyable  rétraclation  que  d'éfacer  des  louaii- 
p— ges  avec  des  injures,  comme  a  fait  Plempius ,  qui  a  eu  la  for . 

ce  d'ctoufFer  dans  fbn  cœur  les  mouvemens  de  reconnoiil 
jfance,  qu'il  avoit  témoignée  auparavant  pour  les  bien-faits  de 
M.Defcartes,  par  une  in2;ratitude  que  M.  Regius  traite  de 
perfidie  atroce  de  punifllibie. 

M.  Defcartes  ne  parut  pas  fort  émii  d^une  conduite  fî  ex- 
traordinaire ^  &:  il  auroit  été  d'avis  de  n'y  oppofer  que  le  fî- 
Let.î7-Mr.ac   lence.  M.  Reeius  n'en  iu2:ea  pas  de  même.    Il  vene-ea  fbn 
1  ni  Maître  d  une  manière  qui  ht  apparemment  ouvrir  [qs  yeux  x 

Plempius  :,  puifqu'il  changea  fbn  ientiment  fur  la  circulation 
du  fàng  pour  embrailer  celuy  de  M.  Defcartes.  Mais  fi  fon 
cœur  en  fut  changé  à  l'égard  de  M.  Defcartes ,  il  paroît  qu'il 
eft  demeuré  toujours  dans  un  grand  endurcifîement  pour 
M.  Re^nus. 

M.  Defcartes  s^étoit  renfermé  plus  étroitement  qu'^a  fort 
ordinaire  fur  la  fia  de  cette  année  pour  mettre  fes  Médita- 
tions Métaphyfiques  en  état  de  voir  le  jour  l'année  fuivante» 
Vie  du  Pérc     L'abfènce  du  P.  Merf.  hors  de  Paris  luy  avoit  paru,  favora- 
Meri.pag.i8.    j^j^  ^^^  fîlence  qu'il  vouloit  garder  pour  quelque  tems  avec 
les  perfbnnes  avec  qui  il  étoit  en  commerce  de  lettres.  Mais 
cette  réfblution  fît  gronder  plufîcurs  de  fès  amis  de  Pans  :  6c 
le  P.  Merfènne  qui  s'é toit  chargé  de  leurs  plaintes  au  retour 
des  voyages  qu'il  avoit  faits  durant  i'IBré  &  l'Automne  en 
Tom.  1.  des    diverfès  Provinces  du  Royaume ,  luy  récrivit  pour  luy  faire 
lettr.  pag.       conuoitre  Tinquiétude  qu'il  caufoit  à  des  perfonnes  de  trés- 
^3^  ^  443.     grand  mérite  êc  à  fes  amis ,  lors  qu'on  etoit  plus  de  quinze 
jours  fans  recevoir  de  les  lettres.  Il  ajouta ,  que  Fintérêt  que 
^        ces  Mefîîeurs  prenoient  à  fafànté  leur  feroit  croire  qu'il  fè- 
roit  malade  lorfquïl  pafTeroit  ce  terme ,  èc  qu'il  devoit  leur 
épargner  ce  chagrin.. 

M.  Defcartes  pour  correfpondre  à  la  bonté  &  aux  foins 
de  [qs  amis,manda  au  P, Merfènne  qu'il  veiiïeroit  à  fa  propre 
confervation  :  mais  après  leur  en  avoir  témoigné  fà  recon- 
noifTance  ,  &  avoir  donné  à  ce  Père  l'exphcation  qu'il 
fouhaitoit  aux  difhcultez  qu'il  luy  avoit  envoyées ,  il  finit  par 
une  prière  réitérée  qu'on  le  laifsât  en  repos  ,  c'eft-à-dire , 
qu'on  n'exigeât  point  de  réponfes  de  luy   »Je  me  fuis  pro- 

poféy 


3^ 

'yvcr 
vous 

r  ^3  9- 

'I  640. 

Livre  V.    Chapitre.   V. 

pofë,  dit-il  au  Père ,  une  étude  pour  le  rcfle  de  cet  Hy^ 
qui  ne  fbuftre  aucune  diRraction.  C'cft  pourquoy  je  vc 
fupplie  trës-humblemcnt  de  me  permettre  de  ne  vous  plus  •• 
écrire  jufques  à  Pdques,  s'il  ne  fur  vient  quelque  choie  de  •« 
prefle.  Vous  ne  lailîercz  pas  cependant  de  m'envoyer  les  let-  « 
très  qui  me  feront  adreilccs  :  &  celles  qu'il  vous  plaira  de  •« 
m'ccnre  feront  toujours  les  trës-bien  venues.  Pour  vous  mon-  » 
trer  le  cas  que  je  fais  de  la  chanté  que  vous  me  témoignez  « 
en  craignant  que  je  ne  fois  malade  lorfque  vous  êtes  long-  « 
tems  fins  recevoir  de  mes  lettres ,  je  vous  promets  que  s'il  « 
m'arrive  en  cela  quelque  chofe  à'humain  ,  j'auray  foin  que  « 
vous  en  Ibyez  averty  incontinent.  Et  ainfi  tandis  que  vous  " 
n'aurez  point  de  mes  nouvelles,  vous  croirez  toujours,  s'il  « 
vous  plaît,  que  je  vis ,  que  je  fins  fam ,  &  que  je  philofbphe.      «« 

Le  Père  Mcrfenne  ne  s'épouvanta  point  de  ccttQ  réfb- 
Jution,  6c  continuant  fon  commerce  ordinaire,  il  luy  étoit 
facile  de  fiire  naître  àcs  fùjets  aufquels  M.  Defcartes  ne 
pourroit  fe  défendre  de  répondre.  Un  de  ces  fujets  \qs  plus 
propres  à  le  faire  parler  fut  le  prodige  qui  parut  vers  le  mê- 
me tems  parmy  les  Mathématiciens  de  Paris,  &  dont  il  luy 
donna  avis  par  une  lettre  dattée  du  xii.  de  Novembre  1(539.  Le 
prodige  étoit  qu'un  jeune  gar(^onde  feize  ans  avoit  compofe 
un  Traité  des  Coniques ,  qui  faifbit  le fujet  de  l'étonnemenc 
de  tous  les  vieux  MathéiPiaticiens  à  qui  on  l'avoit  fait  voir. 
Ce  jeune  Auteur  étoit  le  fils  de  M.  Pafcal  ,  que  le  Roy 
Loiiis  XI  IL  avoit  fait  depuis  peu  Intendant  de  Juflice  à  BlaifePafcai 
Roiien  :  &  l'on  ne  croyoit  point  le  fîater  en  publiant  qu'il  «é  en  1613. 
avoit  pafTé  fur  le  ventre  à  tous  ceux  qui  avoient  traité  ce 
fùjet  avant  luy,  pour  aller  joindre  Apollonius,  qui  fèmbloit 
même  avoir  été  moins  heureux  que  luy  en  quelques  points. 
M.  Defcartes  qui  n'admiroit prefque  rien,  dilîîmula  comme  il 
put  la  Ihrpnfè  que  luy  caufà  cette  merveille.  Il  répondit 
affez  froidement  au  P.Merfènne,  qu'il  ne  luy  paroilloit  pas  «<  Tom.t.des 
étrange  qu'il  fc  trouvât  des  gens  qui  puilent  démontrer  \qs  c<  Lettr.  pag. 
Coniques  plus  aifément  qu'Apollonius,  parceque  cet  An-  ce '" 
cien  efl:  extrêmement  long  &:  embarralTé ,  &  que  tout  ce  qu'il  ce 
a  démontré  efl  de  fby  alFcz  facile.  Mais  qu'on  pouvoit  bien  et 
propofer  d'autres  choies  touchant  les  Coniques  quun  enfant  et 
de  [ciz^  ans  auroïc  de  la  peine  à  démêler,  et 

C'efl 


194. 


40  La  Vie  DE  M.    Descartes. 

ï  "3  9-  C'cfl  ainfi  qu'il fe  préparoità  croire  ce  fait,  au  cas  qu'il  Ce 

1640.      trouvât  véritable.  Mais  il  voulut  s'en  rapporter  au  tëmoigna- 
*""     ^     ge  de  les  yeux:  &  il  fallut  que  le  P.  Merfenne  fit  tirer  une 
ZI4.  ^^^'       copie  du  Traité ,  &  qu'il  le  iuy  envoyât.  M.  Defcarres  ne  le  re- 
çût qu^au  mois  de  Février  de  l'année  fiuvante.    Mais  avant 
que  d'en  avoir  lii  la  moitié  il  jugea  que  fon  jeune  Auteur  a;- 
voit  appris  de  Monfieur  des  Argues.  Il  le  manda  ainfîauPé- 
»   re  Merîènne ,  ajoutant,  qu'/7  avoit  été  confirmé  incontinent  après 
Pag.  117. ,,   ^^^^j-  ççfff,  pcnféc  par  la  confcfjion  que  l'Auteur  même  en  avoit  faite. 
defesLettr.      M.  dcRoberval,  M.  lePaiIleur,  &  les  autres  amis  de  Mef- 
iieurs  Pafcal  fe  récrièrent  contre  une  opinion  qui  ne  leur  pa- 
roilîbit  pas  afTez  obligeante  pour  un  enfant  d'un  fi  rare  mé- 
rite :  En  quoy  ils  furent  fuivis  de  Meilleurs  de  Port-Royal,  qui 
firent  donner  fiir  ce  point  un  avis  à  M.  Clercelier ,  après  qu'il 
eût  rendu  public  ce  témoignage  de  M.  Defcartes  par  la  pre- 
mière édition  de  iés  lettres.  M.  Defcartes  dont  toutes  les  vues, 
toutes  \qs  penfées ,  ôc  toutes  les  études  ne  tendoientqu'à  la  re- 
cherche de  la  vérité  ,  6c  qui  aimoit  mieux  s'interdire  la  parole 
que  d'y  employer  la  difiimulation  ou  la  faulTe  complaiiànce,  a- 
voit  mandé  fans  artifice  la  chofè  comme  il  la  croyoit.  Il  étoit 
fort  glorieuxpour  cet  Enfant,  que  M.  Defcartes  n'ayant  rien 
à  contefter  fur  l'excellence  de  cet  ouvrage ,  eiit  mieux  aimé 
luychercher  un  Auteur  parmi  les  plus  confommez  d'entre  les 
Mathématiciens,quede  s'expofer  à  perdre  pour  d'autres  occa- 
fions  la  créance  qu'il  avoit  acquife  fiir  les  efprits  qui  le  con- 
noifîbient  fincére,  par  la  facilité  qu'il  auroit  eue  à  croire  une 
chofe  qu'il  n'auroit  pas  été  en  état  de  fiiire  croire  aux  au- 
tres fur  fà  fimple  parole,    C'eft  pourquov  lorfqu'enfuite  de 
quelques  éclairciiîèmens  il  vid  qu'il  étoit  hors  d'apparence 
de  rien  attribuer  de  cet  ouvra2;e  à  fon  amy  M.  des  Àr^ucî- 
rEqmil     "  ^^  ^^'^'^^  mieux  croire  que  M.  Pafcal  le  Père  en  étoit  le  véri- 
aes  H-       »*  table  Auteur^  que  àQ^Q  perfaader  qu'un  Enfant  de  cet  âge 
queuK.      w  £:^j.  capable  d'un  ouvrage  de  cette  force.  Son  exemple  peut 
lèrvir  à  nous  faire  voir  que  hors  àt^  matières  de  révélation 
êc  de  foy  ,  il  ne  fuffit  pas  qu'un  fait  foit  véritable  pour  ctrie 
crû,  mais  qu'il  doit  être  encore  vray-fembkible.    C'ctoit  fe 
retrancher  dans  les  termes  du  Vray-femblablc,  de  croire  que 
l'Intendant  Pafcal  auroit  voulu  par  une  tendrelîe  de  Père 
fe  dépouiller  de  la  gloire  d'avoir  f yc  ce  Traite  pour  en  re- 
~  '  '  vécir 


Ll  V  RE    V.     Ch  API  T  RE     V  I.  41 

vécir  un  fils  qu'il  etoit  queftion  de  mettre  dans  une  réputa- 
tion où  il  fc  voyoit  déjà  lùffifamment  établi  luy  même. 


1(^39. 


CHAPITRE     VI. 

Traité  de  M.  des  Argues  touchant  les  Se  Fiions  Coniques.  Avis  que 
luy  donne  M.  Defcartcs  touchant  fon  dcjjein.  Différence  de  la 
manière  d'écrire  -pour  les  Curieux  d'avec  celle  d'écrire  pour  les 
Scavans ,  ou  pour  les  gens  de  la  Profe.fjîon.  Ouvrage  de  M. 
jifydorge  fur  les  Seclions  Coniques.  Continuation  de  cet  ouvrage. 
Oofervations  de  JS/[.  de  Be aune  fur  les  lignes  courbes  :,  ^  autres 
que  fiions  qu'il  propofe  à  M.  Defcartcs.  Infiances  qu'il  luy  fait  y 
mais  en  vain  3  pour  publier  fon  J\4onde.  Sauvai fe  fanté  de 
J\-/.  de  Beaune.  il  travaille  aux  Lunettes  fur  les  infiru fiions 
de  M.  Defcartcs  ?  qui  efp ère  plus  de  luy  que  de  M.  du  Maurier, 

C'Efl:  auffî  le  Vray-fêmblable  qui  avoitpû  engager  Mon- 
fieur  Defcartes  dans  cette  erreur  de  fait,  lorfque  fè  fou- 
venant  de  la  liaifbn  de  M.  des  Argues  avec  Meffieurs  Pafcal,  6c 
voyant  dans  le  Traité  du  jeune  Auteur  de  feize  ans  des  choies 
qu'il  croyoit  avoir  vues  peu  de  têms  auparavant  dans  l'écrit 
de  M.  des  Argues  ,  il  jugea  que  celuy-cy  pouvoit  avoir  eu 
part  à  ce  Traité,  d'autant  plus  volontiers  que  le  jeune  PaC 
cal  y  alléguoit  M.  des  Argues.  Il  efl:  certain  que  M,  àQs  Tom.  a.  de» 
Argues  écrivit  vers  le  même  têms  quelque  chofe  fur  les  ÇqC'^  Lcttr.  pag.. 
tions  Coniques.  Mais  avant  qu'on  parlât  encore  du  Traité 
Aq]  m.  Pafcal,  il  avoit  drefle  un  projet  de  Ion  defTein  qu'il 
avoit  fait  envoyer  à  M.  Defcartespar  le  Père  Merfenne,  afin 
d'avoir  fon  fèntiment  fur  la  manière  de  traiter  cette  matière 
qu'il  jugeroit  la  plus  convenable,  11  faut  avouer  que  M.  des 
Argues  écrivoit  le  mieux  en  nôtre  langue  de  tous  les  Mathé- 
maticiens François  après  M.  Defcartes ,  &  qu'il  avoit  un  ta- 
lent merveilleux  pour  exprimer  agréablement  &  au  goût  mê- 
me des  plus  délicats  les  chofès  les  plus  flérilcs  6c  les  plus  ab- 
flraites.  M.  Defcartes  ne  voulant  point  fàtisfàire  à  demi  un 
homme  à  qui  il  fe  croyoit  redevable  de  beaucoup  de  fervices,. 
luy  récrivit  en  ces  termes.  >»  Sur  ce  quej'ay  pûconjeéturer  du  ç^Tom.i.de» 
Traité  des  SeUions  Coniques ,  dont  le  Père  Merfenne  m'a  en-   «^  i^^.'i/o.. 

F    "*:  voyé 


M 

$» 


41  La   ViedeM.    Descartes. 

639.  »  voyé  le  projet,  j'ay  jugé  que  vous  pouviez  avoir  deux  deC 
feins  qui  feroient  fort  bons  êc  fort  loiiablcs  •  mais  qui  ne  de- 
manderoient  pas  tous  deux  la  même  manière  d'y  procéder. 

L'un  feroit  d'écrire  pou.' les  Dodes,  &  de  leur  enfeigner 

quelques  nouvelles  propriétez  de  ces  fedions  qui  ne  leur 

fuient  pas  connues.   L'autre  ieroit  d'écrire  pour  les  Curieux 

^   qui  ne  font  pas  doétes ,  ôc  de  faire  que  cette  matière  qui  n'a 

„   pu  être  entendue  jufqu'icy  que  de  fort  peu  de  perfbnnes,  ^ 

„   qui  eft  néanmoins  fort  utile  pour  la  Perfpective ,  la  Peinture, 

„  l'Architeclure  ,  &c.  devienne  vulgaire  èc  facile  à  tous  ceux 

„   qui  la  voudront  étudier  dans  vôtre  livre. 

^        Si  vous  êtes  dans  le  premier  defïein  ,  il  ne  me  paroît  pas 

„   nécefîaire  d'y  employer  aucuns  nouveaux  Termes.  Car  les 

„   Dodes  étant  déjà  accoutumez  à  ceux  d'Apollonius  ne  hs 

„   changeront  pas  aifément  pour  d'autres  quoique  meilleurs  : 

»   èc  ainli  les  vôtres  ne  ferviroient  qu'à  leur  rendre  vos  démonf- 

c'efraufTi  »   ti'ations  plus  difficiles,  6c  à  les  détourner  de  les  lire.  Si  vous 

ce  que  M.  „   prcHCZ  le  fccond  ,  il  eft  certain  que  vos  Termes  qui  font 

de  Fermât  ^^   Fran<^ois,  &  dans  l'iiivention  dcfquels  on  remarque  de  l'ef- 

connu  dans  m   prit  éc  de  la  gracc ,  feront  bien  mieux  reçus  par  des  perfon- 

kriiedc    „   nés  non  préoccupées,  que  ceux  des  Anciens  •  &;  même  ils 

M    desAr-  ^ r       ■      i>  •      ^       i    r  1  r  •       i- 

pourront  lervir  d  attrait  a  plulieurs  pour  leur  raire  lire  vos 

écrits ,  comme  ils  lifènt  ceux  qui  traitent  des  Armoiries,  de 

la  Chailè,  de  l'Architedure,  &c.  fans  vouloir  être  ny  Hé- 

raults,  ny  ChalTeurs,  ny  Architedes,  mais  feulement  pour 

en  fcavoir  parler  en  mots  propres.    Mais  fi  vous  avez  cette 

intention  ,  il  faut  vous  réfoudre  à  compofor  un  gros  livre ,  àc 

à  y  expliquer  toutes  chofès  fi  amplement ,  fi  clairement ,  & 

fi  diftindement,  que  ces  Meffieurs  qui  n'étudient  qu'en  baail- 

lant,  &  qui  ne  peuvent  fe  peiner  l'imagination  pour  entendre 

une  propofition  de  Géométrie,  ny  tourner  les  feuillets  pour 

0  regarder  les  Lettres  d'une  Figure ,  ne  trouvent  rien  dans  vô- 

»,    tre  difoours  qui  foit  plus  mal-aifé  à  comprendre,  que  la  def- 

„   cription  d'un  Palais  enchanté  dans  un  Roman.   Pour  cet  éfet^ 

„   il  me  fèmble  qu'afin  de  rendre  vos  Démonfirations  plus  tri- 

«   viales ,  il  ne  feroit  pas  hors  de  propos  d'ufer  des  termes  &  du 

„   calcul  de  l'Arithmétique,  comme  j^ay  fait  dans  ma  Géomé- 

„  rrie.    Car  il  y  a  bien  plus  de  gens  qui  fçavent  ce  que  c'efl 

«   que  Maltiplicationy  qu'il  n'y  en  a  qui  fçaventce  que  c'efi;  que 

«   Comjjojttion  de  Raifons ,  é^c.  Au 


gués.  »• 


A  Paris  eu 
1619. 


Livre   V.    Chapitre  V  L  45 

Au  refte  ce  fut  une  chofêaflez  digne  de  la  remarque  des     i  ^  }  9. 
Curieux  de   voir   la  fécondité  de  cette  année  en  produc- 
tions d'efprit  fur  un  môme  fujet,  &  dans  une. même  ville. 
Outre  ce  que  nous  avons  rapporté  de  M.   Pafcal  &  de  M. 
des  Argues  ,  Ton  vid  paroi tre  les  quatre  livres  Latins  des 
Sciions  Coniques  de  Mon  (leur  Mydorge  ,  le  plus  prudent 
des  Amis  de  M.  Defcartes.  La  compofltion  en  étoit  achevée 
avant  que  ny  M.  Pafcal,  ny  M.  des  Argues,  euiTentcommen- 
<^é  leurs  Traitez.  Le  Père  Merfènne  eftimoit  l'ouvrage  de  M.   voff.aefdcnt. 
Mydorge  préférable  à  celuy  d'Apollonius  :  &  il  nous  a  don-   Mathcm. 
né  l'un  &:  l'autre  avec  les  meilleurs  Traitez  de  Mathémati- 
ques qui  ayent  jamais  été  faits  par  \cs  Anciens  &  les  Moder- 
nes dans  fbn  gros  recueil  qui  a  pour  titre,  abrégé  de  la  Géo- 
métrie univerfeile ,   d^  des  Mathématiques  Mixtes.  Mon  fleur 
Mydorge  avoit  déjà  écrit  des  Coniques   plufîeurs  années   Lcttr.deDefc. 
auparavant,  &  M.  Defcartes  en  avoit  fait  mention  dés  l'an   p^g-  345- 
1633  au  fujet  de  la Propofition  de  Pappus,pour  détromper 
ceux  qui  s'étoient  perfiiadé  que  M.  Mydorge l'avoit  mife  dans 
ks  Coniques.  Le  fujet  ne  luy  parut  pas  encore  épuifé  par  le 
grand  volume  in  folio  qu'il  en  publia  cette  année.  Il  y  tra- 
vailla depuis ,  &:  il  en  compoia  quatre  autres  livres  pour  fer- 
vir  de  continuation  aux  precédens.  Mais  il  les  garda  dans  fbn      Rdat.  de 
cabinet  jufqu'à  fa  mort,  &:  ils  font  demeurez  manufcritsjuf^  j^^'^^r^'^^r 

, ,  /^     1  '  ■'  dorgc  lonhls. 

qu  a  prefent. 

M.  de  Beaune  qui  s'étoit  acquis  fur  l'efprit  de  M.  Defl  ^ 

cartes  le  même  crédit  que  M.  des  Argues,  avoit  paru  fi  fà-    v.cy-dclTus 
tisfait  des  folutions  qu'il  avoit  données   à  fès  Difficultez  '[l]  **'  ^  ^^' 
concernant  les  lignes  courbeS:,  que  fous  prétexte  de  l'en  remer- 
cier il  prit  la  liberté  pendant  tout  le  cours  de  cette  année  de 
luy  en  propofer  encore  d'autres  ,  ou  de  l'entretenir  de  fès  def^ 
feins,  en  luy  demandant  la  communication  desfîens.  M.  Defl 
cartes  ayant  remarqué  d'abord  une  différence  <:onfidérable 
entre  les  obfervations  qu'il  luy  envoyoit ,  &  ce  qui  luy  venoit 
de  la  part  de  plufîeurs  autres ,  y  trouva  d'autant  plus  de  plai- 
fir,  qu'il  y  avoit  plus  d'utilité  à  retirer  pour  luy  que  dans  les 
écrits  des  autres.   Il  étoit  de  fbn  aveu  trés-folide  dans  les     Tom.  i.  des 
Queflions  qu'il  formoit-  trés-ineénieux,  &  trés-méthodique  '-""•  T^'  • 
dans  la  manière  de  ics  propofer-  &  fes  folutions  etoient  tou- ' 
jours  véritables ,  ou  les  plus  vray-femblables.  Dans  une  des 

F  ij     *  Réponfes 


ï 


44        La    Vie   de   M.    Descar^tes. 

659.      Rëponfès  qu'il  luy  fît  fur  quelques  queflions  de  MéchânL 
1640.       que  ,  il  luy  écoit  échappé  de  dire  que  toute  fa  Phyfque  n'é^ 
-  toit  autre  chpfe  que  Méchanime ,  èc  qu'il  luy  avoit  déclaré  com- 
me à  un  confident  des  chofes  qu'il  ri  avoit  point  voulu  Aire 
ailleurs ,  a,  caufe  que  la  'preuve  en  dèpendoit  de  fon  Monde.  M.  de 
Beaune  ne  laifla  point  périr  cet  avertilTement.    A  la  pre- 
mière occafion  qu'il  eut  de  luy  écrire,  il  luy  fît  des  inftances 
trés-fortes  pour  le  porter  à  la  publication  de  c-e  Traité  de  fbn 
Monde,  que  la  peur  des  Inquifiteurs  &  des  Zélez  luy  avoic 
fait  refïerrer  lorfqu'il  apprit  la  condamnation  de  Galilée.  Ce 
-fut  la  première  fois  qu'il  reçût  un  refus  de  M.  Defcartes,  qui 
tâcha  de  le  colorer  par  ces  termes  aufquels  il  luy  récrivit  fur 
"  la  fin  de  l'an  1639.  Vous  avez,  dit41 ,  un  extrême  pouvoir 
•»  fur  moy ,  &  j'ay  grande  honte  de  ne  pas  faire  ce  que  vous  té- 
«  moignez  deiirer.  Mais  il  faut,  s'il  vous  plaît,  que  vous  excu- 
*   fiez  ma  des-obéïfîance  ,  puifque  c'eft  l'eflime  que  je  fais  de 
»   vous  qui  la  caufe.  Il  faut  aufîî  que  vous  me  permettiez  de 
»•  vous  dire,  qu'encore  que  les  raifbns  pour  lefquelles  vous  me 
w   mandez  que  je  dois  publier  mes  Rêveries  fbient  trés-fortes, 
»*   pour  l'intérêt  de  mes  Rêveries  mêmes ,  c'eft-à-dire ,  pour 
w   faire  que  mes  Rêveries  fbient  plus  aifement  reçiës  &  mieux 
«  entendues,  je  n'examineray  point  celles  que  vous  apportez. 
»   Car  vôtre  autorité  eft  fufiîfante  pour  me  faire  croire  qu'elles 
»   font  trés-fortes.  Mais  je  diray  feulement  que  les  raifbns  qui 
»   m'ont  cy-devant  empêché  de  faire  ce  que  vous  voulez  me 
»»   perfuader  maintenant,  n'étant  point  changées,  je  ne  puis  auiîî 
^    »»   changer  de  réfblution  fans  témoigner  une  inconftance  qui 
»>   ne  doit  pas  entrer  dans  l'ame  d'un  Philofbphe.  Cependant 
».  je  n'ay  pas  juré  de  ne  permettre  point  que  mon  Monde  voye 
»   le  jour  pendant  ma  vie  ^  comme  je  n'ay  pas  juré  aufîî  de 
»   faire  en  fbrte  qu'il  le  voye  après  ma  mort.    Mais  j'ay  à^Ç- 
»  fcin  tant  en  cela  qu'en  toute  autre  chofe ,  de  me  régler  le- 
»>  Ion  les  occurrences ,  &:  de  fiiivre  autant  que  je  pourrrai  les 

j»   confeils  les  plus  feurs  &;  les  plus  tranquilles Comme 

»»  on  laifîe  les  fruits  fur  les  arbres  aufîî  long-tems  qu'ils  y  peu- 
M  vent  devenir  meilleurs,  quoiqu'on  n'ignore  pas  que  les  vents, 
»  la  grêle,  6c  plufîeurs  autres  hazards  peuvent  les  perdre  à  cha- 
w  que  moment:  ainfl  je  croy  que  mon  Monde  efl  de  ces  fruits 

»  qu*on 


Livre  V.  Chapitre  VI.  45 

•qu^oii  doit  lailTer  meurir  fur  l'arbre ,  6c  qui  ne  peuv.^nt  trop  «  r  ^3  9. 
tard  être  cueillis.  «1640. 

Voilà  ce  que  M.  Defcartes  jugea  à  propos  de  répondre 


en  droiture  à  M.  de  Beaune  :  &:  lorfqu'il  alTûra  le  Père  Mer-  xom.  t.  des 
fenne  qu'il  rî avait  rien  à  repondre  a  Âf.  de  Beaune  touchant  la   Lettres. 
•publication  de  [on  Monde-,  il  prétendoit  faire  voir  la  diftinclion  ^^^'  '^'° 
qu'il  faifoit  de  cet  ami  d'avec  plufieurs  autres ,  en  marquant 
que  tout  ce  qu'il  pourroit  luy  répondre  fins  luy  donner  fà- 
tisfadion  ,ne  méntoit  point  le  nom  deRéponfè. 

On  fçûtàParis  ce  que  M.  Defcartes  avoit  envoyé  à  M. 
de  Beaune  touchant  les  lignes  courbes  :  &;  CQttQ  nouvelle 
excita  la  curiofîté  des  Mathématiciens,  qui  témoignèrent  à  M. 
de  Beaune  le  dcfir  de  le  voir.  Mais  il  ne  crut  pas  devoir  pro- 
diguer un  bien  qui  n'étoit  que  pour  luy  ,  6c  il  fê  contenta 
de  s'en  expliquer  au  P.  Merfènne ,  pour  faire  trouver  bon  à 
lA.  Defcartes  qu'il  en  eîit  uféainfi ,  fur  tout  à  l'égard  de  cer- 
taines gens  qui  ne  cherchoient  qu'à  profiter  àQs  lumières  d'au- 
truy ,  fans  fe  mettre  en  peine  de  \qs  reconnoître.  M.  Defcar- 
tes manda  au  P.  Merfènne  ,  qu'il  étoit  fort  aife  que  M.  de  Tom.  1.  des 
Beaune  eût  refufé  de  faire  voir  à  M.  de  Roberval  ^  aux  au-  '*^"'^'  ^^'' 
très  ,  ce  qu'il  luy  auoit  envoyé  touchant  la  Ligne  courbe, 
croyant  qu'il  fèroit  allez   têms  de  le  leur  montrer ,  lorfl 
qu'ils  avoûeroient  qu'ils  ne  la  pouvoient  trouver.  Il  le  pria 
en  même  têms  de  ne  luy  pas  envoyer  ce  que  M.Petitavoit 
£iit  fur  fa  Dioptrique,  fans  que  M.  de  Beaune  l'eût  vu  ,  au 
cas  qu'il  luy  plût  en  prendre  la  peine,  de  fans  qu'il  iu^eât 
qu  elle  méritât  de  luy  être  envoyée,    hn  un  mot  il  ne  man- 
quoit  rien  à  l'eftime  qu'il  faifbit  de  l'habileté  de  M.  de  Beau- 
ne,  ni  à  la  confiance  qu'il  ^voit  en  fbn  amitié,  -tj  J'ay,  dit-il  au 
P.  Merfènne,  un  puifîant  défenfèur  en  M.  de  Beaune.    Sa  "  ^^'<^-  P-'^g- 
voix  eftplus  croyable  que  celles  de  mille  de  mes  Adverfàires.   «  ^'^^'  '''"' 
Car  il  ne  juge  que  de  ce  qu'il  entend  fort  bien  ^  de  eux  de  ce  " 
qu'ils  n'entendent  point.  Un  homme  de  ce  mérite  auroit  fiit  «^ 
fans  doute  un  uflige  excellent  de  la  fànté.    Mais  il  ne  plut 
point  à  Dieu  de  luy  en  donner  une  qui  fût  parfaite.  Il  per- 
mit que  fà  patience  fût  exercée  par  diverfès  efpéces  de  maux, 
dont  il  fut  tourmenté  iufqu'à  la  fin  de  fes  jours.  On  peut  dire 
qu'il  n'étoit  encore  alors  que  dans  les  préludes  de  Ces  fbuf- 
/rances.  Il  étoit  principalement  fujet  a  la  goutte ,  mais  il 

F  iij    *  avoit 


1639. 

1640. 

Pag.  166.  du 
1.  Tom. 
Item.  pag. 
&04. 

^6  LaVie  DE  M.  Descartes. 

avoic  fait  avec  elle  des  compoficions  qui  ne  prëjudicioient 
point  à  fes  opérations  de  Mathématiques.  M.  Defcartes  le 
ilippofoit  ainfi,  lorfqu'il  luy  manda  qu'il  auroit  appréfiendé 
que  fon  indifpofition  ne  k  détournât  du  travail  des  Lunet- 
tes ,  lî  elle  étoit  autre  que  la  goutte  :  mais  que  ce  mal  ne 
pouvoit  à  fon  avis  être  mieux  lurmonté  que  par  exercice. 

Le  fuccés  des  lunettes  6c  de  la  taille  des  verres  luy  tenoit 
toujours  fort  à  cœur.  Il  en  avoit  écrit  quelque  têms  aupa- 
ravant à  fon  ancienne  créature  le  lîeur  Ferrier  ,  quoiqull 
eut  beaucoup  perdu  de  fes  premières  efpérances.  Il  en  entre- 
tenoit  encore  de  têms  en  têms  M.  Pollot  &;  M.  de  Zuytli- 
chem,  qui  y  occupoient  les  meilleurs  ouvriers  d' Amfterdam 
fur  fès  inftrudions.  Il  avoit  pratiqué  depuis  peu  une  corref- 
pondance  avec  M.  du  Maurier  dans  les  mêmes  vues  :  non 
pas  qu'il  le  crût  plus  capable  de  réiiffir  que  les  autres ,  mais 
parcequ'ilfe  croy oit  obligé  d'encourager  ceux  qui  fepréfèn- 

Pag.  \i6.  ,>    toient  d'eux-mêmes  à  faire  des  dépenfes  pour  ce  travail.  Je 

°  '  "    fuis  bien  aife ,  dit-il,  de  ce  que  M.  du  Maurier  travaille  aux 

"    lunettes.  Car  foit qu'il  y  réuffî lie,  foit qu'il  n'y  réûffifle pas, 

'>    cela  me  vangera  du  mauvais  écrit  de  fon  impertinent  Parent. 

Pag.  ip8.  da  j|  témoigna  au  P.  Merfenne  peu  de  jours  après ,  c'eft-à-dire, 
à  la  veille  du  départ  de  ce  Père  pour  fon  voyage  d'Italie,  qu'il 
étoit  ravi  que  M.  du  Maurier  eût  bonne  e^érance  de  fon 

Pag.  104.  du    travail  à^î,  lunettes,  quoique  dans  le  fonds  il  n'en  attendît 

pa^^iTs.^  point  de  grands  éfets ,  6c  qu'il  n'eût  d'efpèrance  pour  ce 
point  qu'au  fèul  M.  de  Beaune.  Sa  défiance  fè  trouva  confir- 
mée par  une  Lettre  que  luy  écrivit  M.  du  Maurier  ,  où  il 
promettoit  trop  pour  pouvoir  exécuter.  C'efl:  ce  qui  aug- 
menta f^s  efpérances  du  côté  de  M.  de  Beaune. 


«•sa* 


Chap, 


Livre   V.  Chapitre  VI-I.  47 


1639. 
1640. 


CHAPITRE     VII.  

M.  Defcartes  fe  rapproche  de  fes  amis  d'Vtrecht  3  ^  vient  demeu» 
rerprés  de  cette  ville  ^  puis  à  Lcyde.  Efiime  qu*onfaifoit  de  liiy 
dans  l'V^niver(îté  de  Zeydc.  Son  amitié  avec  Heydamis  ^  Ri- 
•  vet.  £loge  du  premier  qui  prêche  à  la  Cartéfienne.  CaraHére  de 
Vefprit  du  fécond.  Imprcfjîon  d'un  Livre  anonyme  contre  Jlf, 
Defcartes  faite  fans  fuccés.  Accidens  arrivez^  en  TîoJlande  au 
Commen(^ement  de  l^ année  x6^o.  Mi/Joire  dune  fameufe  gageure 
de  Mathématique  entre  Stampion  ^^^affenaer^  oh  J^.  Def- 
cartes fe  trouve  mêlé.  CaraBére  de  i^efprit  de  Stampion  qui  perd 
la  gageure.   Deffein  dun  voyage  en  France  différé  .^  puis  rompu, 

MR  Defcartes  avoit  quitté  le  fëjour  d'E gmond  depuis 
quelque  tems ,  &:  il  s'étoit  retiré  à  HardervvicK,  peut- 
être  dans  Je  deflein  de  fè  dérober  à  ceux  qui  s'accoutumoient 
à  l'importuner.  M.  Regius  fê  trouvant  encore  trop  éloigné 
de  luy ,  crut  qu'étant  une  fois  hors  de  fà  chère  fblitude  de 
Nort-Hollande,  toute  autre  demeure  luy  fèroit  aflez  indiffé- 
rente. C'cfbce  qui  le  porta  à  luy  en  écrire  au  commence-  ^^^^'  *^^^ 
ment  du  mois  de  Décembre,  pour  le  conjurer  de  vouloir  fe 
rapprocher  d'Utrecht,  tant  pour  Ton  intérêt  particulier  qui 
luy  faifbit  confidérer  la  commodité  qu'il  auroit  de  conférer 
avec  luy  plus  fbuvent,  que  pour  la  fatisfaélion  de  quantité 
d'amisqu'il  avoit  dans  la  ville,  &  fiirtout  de  M.  le  Colonel 
Alphorfc,  quil'avoit  chargé  de  luy  marquer  fà  pafîion  là-def^ 
fus.  Il  prit  cette  occafion  pour  luy  faire  le  récit  de  ce  qui  • 
s'étoit  paile  à  fbn  fiijet  en  une  célèbre  compagnie  ,  où'  il  s'é- 
toit trouvé  dans  la  ville  de  Leyde.  Il  y  étoit  allé  au  mois  de 
Novembre,  après  que  fà  femme  fut  relevée  de  fès  couches  qui 
luy  avoient  produit  un  fils  qui  ne  vécut  que  trois  jours,  pour 
être  préfènt  à  la  réception  d'un  de  fes  parens  au  ran^  des 
Dodeurs  en  Droit.  Durant  le  Feftin  que  le  nouveau  Dodeur 
donna  aux  Profefïeurs  ôcà  plufîeurs  autres  perfbnnes,  la  plufl 

Eart  gens  de  lettres  ,   le  difcours  ne  manqua  pas  de  tom- 
erfur  M.  Defcartes,  dont  plufîeurs  des  conviez  fèdifoient 
amis.  Il  en  fut  parlé  comme  du  plus  rare  génie  du  fiécle,  ci 

comme 


1640. 


Lettr.  & 
Rcl.    in 
VIII.  pag. 
137. 


La   Vie   de   M.    Descartes, 

comme  d'un  homme  cxtraoroinairement  rufcicé  pour  nouç 
ouvrir  les  voyes  delà  véritable  Philofbphie.  Les  plus  ardc.as 
à  publier  fbn  mérite  furent  M.  Golns  Profelîeur  des  Mathé- 
matiques &  des  langues  Orientales,  &  le  fîeur  Abraham 
Mcida?2us  Miniftre  ,  &  célèbre  Prédicateur  de  la  ville.  Ce. 
dernier  dont  nous  n'avons  pas  encore  eu  occaiion  de  parler 
étoit  en  très-grande  conii dération  dans  le  pais.  Si  nous  en 
croyons  M.  de  Sorbiére,  il  avoit  Içû  joindre  à  la  gravité  de 
fà  Profe/Iion  une  douceur  qui  rendoit  aimables  en  luy  tou- 
tes \qs  belles  qualitez  de  l'elprit  qu'on  fè  contente  d'eitmier 
ou  d'admirer  dans  les  autres  :  &  l'Ecole  Cartéfienne  qui  ne 
faifoit  encore  que  de  naître  le  révéroit  déjà  comme  fbn  prin- 
cipal Protecteur.  Ces  deux  Meffieurs  ne  fè  laiîbient  pas  de 
faire  admirer  à  la  Compagnie  la  grandeur  de  TefpritdeM. 
Delcartes  ôcla  beauté  de  iès  découvertes.  Mais  fiir  ce  que 
M.  Regius  les  interrompit^pour  dire  qu'il  n'y  avoit  point  eu 
de  Philofbphes  dans  toute  l'Antiquité ,  ny  dans  les  têms  poL 
térieurs,  que  M.  Defcartes  ne  furpalTat  infiniment ,  M.  Hei-" 
danus  kiy  demanda  ce  qu'il  penfbit  des  Pythagoriciens  &  de 
leur  Philofbphie.  A  quoy  M.  Regius  répondit  que  le  fort  de  la 
Philofbphie  Pythagoricienne  condftoit  principalement  dans 
la  fcience  des  Nombres,  mais  que  (1  le  plus  habile  d'entre, 
eux  pouvoit  revenir  dans  le  monde ,^  il  ne  paroîtroit  rien  au-; 
prés  de  M.  Defcartes. 

Il  falloit  au  refte  que  M.  Heidanus  n'eût  guéres  des  dé- 
fauts ordinaires  aux  Miniftres  Proteftans ,  pour  avoir  pu  ac- 
quérir l'amitié  de  M.  Defcartes  avec  fon  eftime.   Ow  peut 
dire  auiTi  qu'il  étoit  le  fèul  de  cette  Profcifion,  fur  tout  par- 
Outre  îc  /îeiv  Hii  \qs  Calviniftes^qui  put  fè  vanter  d'être  de  fès  amis, fi  on  en 
Dcfmarêts,      cxcepte  le  ficur  André  Rivet ,  natif  de  Saint  Maixant  en  Poi- 
parié  dans  la    ^^u  ,  qui  par  la  confidératioiiduPaïs ,  6c  par  quelque  aver- 
fuire.  /ion  qu'il  avoit  pour  le  Miniftre  Voetius,  avoit  recherché  l'a- 

mitié de  M.  Defcartes,  &  tâchoit  de  l'entretenir  par  le  moyen 
de  M.  de  Zuytlichem  qu'il  voyoitfouvent  à  la  Cour  du  Prin- 
ce d'Orange.  Mais  quelque  confidération  que  M.  Defcartes 
eût  pour  le  fîeur  Rivet ,  il  ne  fut  jamais  trompé  dans  le  ju- 
gement qu'il  fît  de  fon  amitié.  Rivet  étoit  aiTez  habile  Théo- 
logien dans  fa  Sede,  mais  fort  chétif  Philofbphe,  &  il  fut 
cbligé  d'avouer  quelques  années  après ,  qu'il  n'a  voit  pas  afîèz 

de 


j^ 


Livre  V.  Chapitre    VIL  49 

de  génie  pour  comprendre  les  ccrits  de  M.  De/carces.  Mais 
il  afïècloit  de  fe  dire  l'ami  de  M.  Defcartcs,  parccqiic  l'en- 
vie de  devenir  célèbre  luy  failbit  rechercher  l'amitié  des 
hommes  célèbres.  Par  cette  confîdération  il  s'étoitaulh  ren- 
du ami  de  M.  GalTcndi,  &  du  P.  Merfènne  ,  quoique  l'un 
fut  Prêtre  ,  &  l'autre  Religieux  :  mais  il  n'avoit  pas  toujours 
la  difcrétion  nécelîàire  à  ceux  qui  entreprennent  de  dire  ce 
qu'ils  penfent  quand  ils  écrivent  à  des  amis  communs.  Dans 
une  lettre  qu'il  avoit  écrite  au  P.  Merfènne  le  29  d'A- 
vril de  l'an  kjjS,  il  luy  avoit  parlé  de  M.Defcartesen  ces  ter- 
mes, ctjen'ay  pas  vu  M.  Deicartes  depuis  la  publication  de 
jfbn  livre,  dont  l'attente  a  fait  fhis  d'éclat  que  la  publication. 
J'entens  que  Fromond  de  Louvain  luy  a  envoyé  fès  objec- 
tions aufquelles  il  a  répondu.  Mais  jufqu'à  ce  qu'il  donne 
la  clef  de  fes  fècrets ,  ils  feront  lettres  cioiès  à  plufîeurs.  M. 
Rivet  ne  croyoit  point  parler  à  M.  Defcartes  en  écrivant  de 
la  forte  au  P.  Merfènne,  parce  qu'il  ignoroit  peut  être  leurs 
conventions.  Ilparoîtque  ce  fut  fur  l'avis  que  ce  Père  luy  en 
donna ,  ou  à  quelque  autre  de  même  nature  qu'il  luy  avoit 
donné  au  mois  de  Février  précédent,  qu'il  luy  répondit  en 
ces  termes.  Je  vous  remercie  de  l'avis  que  vous  me  donnez  du 
fîeur  Rivet.  Je  connois  ion  cœur  il  y  a  longtêms,  &  celuy 
de  tous  les  Miniftres  de  ce  Païs-cy ,  dont  pas  un  ne  m'efi  ami. 
Mais  neantmoins  ils  fè  taifent,  Se  font  muets  comme  des  poifl 
{o':\s.  Ces  dernières  paroles  fervent  d'explication  à  ce  qu'a . 
voit  dit  M.  Rivet,  que  l'attente  de  fon  livre  avoit  fait  plus  d'é- 
clat que  fa  publication.  En  èfet  cette  attente  avoit  fait  crier  les 
Miniftres ,  &;  la  pubhcation  les  fît  taire.  Ce  qui  leur  fît  appli- 
quer lepremier  vers  du  fécond  de  l'Enéide  par  M.  Reneri 
ProfefFeur  d'Utrecht  dans  une  de  fès  lettres  au  P.  Merfènne, 
&  par  M.  Defcartes  même.  M.  Rivet  n'a  pas  laifTé  de  fentir 
toujours  depuis  une  demangeaifon  merveilleufè  de  s'entrete- 
nir de  M.  Defcartes  dans  fès  lettres  au  Père  Merfènne.  Les 
moindres  bagatelles  étoient  des  fiijets  fuffifàns  de  luy  écrire, 
pourvu  qu'il  pût  y  faire  entrer  M.  Defcartes. 

Ce  n'étoit  point  le  caradére  de  M.  Heidanus  qui  ne  fut 
point  long  têms  fans  mériter  d'être  excepté  par  M.  Defcartes 
mcme,  du  nombre  des  Miniflres  dont  il  n'étoit  pas  ami.  Il 
fe  mit  il  bien  à  l'étude  du  livre  de  M.  Defcartes,  qu'il  le  com- 

G     *  prie 


1639. 
1640. 

Rivet  écrivoit 
àM.GaflenrJi 
&  au  P.  Mer- 
fcnne,  mais 
non  à   M. 
Defcartes. 


Lettr.MfT.à 
MeiTena. 

tom.  5.  p. 

ISS. 


et  Pag.191.du 
3.  vol.  des 
Lettr.de 

ce  Dcfcart. 


C( 


Conticuen 
omnes,  &c. 


Tom.  1    des 
Lettr.  p. 
loo. 


50  LaViedeM.    Descartes. 

I  (?  4  o.      pfic ,  le  goûta  ,  &;en  adopta  les  fèntimens  jufqu'àfè  déclarer 
,   hautement  Sectateur  de  cette  nouvelle  Philofbphie.  Mais  au 
lieu  défaire  parade  de  Tamitié  qu'il  con<^iit  pour  M.  De/car- 
tes ,  ou  de  la  rendre  flérile  comme  M.  Rivet ,  il  s'étudia  â 
s'en  rendre  de  plus  en  plus  digne  ,  en  faifant  ufage  de  cette 
nouvelle  Philolbphie  par  tout ,  même  dans  fes  Prédications 
morales.  C'cft  ce  que  nous  apprenons  de  M.Defcartes,  qui  fè 
fervit  de  ion  exemple  pour  l'oppofèr  aux  Prédicateurs  Ca- 
tholiques qui  fè  plaignoient  que  fa  Philofbphie  leur  faifbit 
Tom.j.  des      perdre  leurs  belles  comparaifons  touchant  la  lumière.  »  11  y  a ,  dit-il, 
^^cttr.  pag.  ^^   ^^  jviiniftre  à  Leyde  qui  eft  eflimé  le  plus  éloquent  de  ce 
"   Pais ,  6c  qui  eft  le  plus  honnête  homme  de  fà  Profeiîîon  que 
"  je  connoiiîè.  Il  fe  nomme  Heide  (ou  Heidanus.)  Il  fe  fert 
"   de  ma  Philofophie  en  chaire  ^  &  il  en  tire  des  comparaifbns 
"  Se  des  exphcations  qui  font  fort  bien  recrues.   Mais  c'eft  parce 
"  qu'il  l'a  bien  étudiée  :  ce  que  n'ont  peut-être  pas  fait  ceux 
"  qui  fe  plaignent  qu'elle  leur  ôte  leurs  vieilles  comparaifbns, 
"  au  lieu  qu'ils  dévoient  fe  réjouir  de  ce  qu'elle  leur  en  four- 
"  nira  de  nouvelles. 

Cependant  on  imprimoit  ?.  la  Haye  un  Livre  contre  M. 
Defcartes.  C'étoit  le  premier  des  ouvrages  qu'on  devoir  pu- 
blier pour  combattre  &:  ruiner  fà  Philofophie:  ôcil  étoit  de 
la  dernière  conféquence  que  l'Auteur  yréiifîît,  afin  que  les 
autres  Adverfaires  qui  viendroient  après  puflent  en  tirer 
d'heureux  augures.  L'Auteur  rifquoit  beaucoup  en  fè  pré- 
fèntant  le  premier  dans  le  combat,  mais  il  eut  la  difcrétioii 
de  fupprimerfon  nom,  pour  ne  pas  l'expofer  à  la  flétrifTiire, 
Epift.  Lat.  en  cas  de  mauvais  fuccés.  L'événement  juftifia  fa  prudence. 
Voef  p^t^%  ^^  ^^^^^  parut  pour  les  Etreines  de  l'an  1640.  Le  grand  nom 
de  celuy  qu'il  attaquoit  excita  la  curiofîté  de  le  voir ,  &  en 
peu  de  têms  ilfe  trouva  entre  les  mains  des  Curieux  de  Fran- 
ce ôc  d'Angleterre.  La  chofè  tourna  toute  à  la  gloire  de  M. 
Defcartes.  On  difpenfà  l'Auteur  defè  nommer,  &  l'on  fut 
indigné  feulement  de  voir  que  l'Anonyme  eut  'abufé  defl'at- 
tente  de  ceux  qui  .demandoient  autre  chofc  que  des  fbttifès, 
contre  les  Principes  d'une  Philofophie  qu'il  étoit  queftionde 
réfuter  férieufèment.  M.  Defcartes  n'en  parut  ny  plus  hu- 
mihé  ny  plus  élevé,  Se  il  laifla  ce  petit  nuage  fè  difîîper  de 
Tom^i.dcs    iuy-même.  Il  écrivit  quelques  jours  après  au  P.  Merfènne 

Leur.  pour 


LivreV.  ChapitreVII.  ^ 

pour  luy  mander  que  la  nuit  d'après  le  jour  des  Ro^s ,  il  s'é-      i  (^4  o. 
toit  levé  dans  le  Païs  où  il  étoit  un  vent  fi  étrange ,  qu'il  a-    ■ 
voit  arraché  plufieurs  arbres,  quoiqu'ils  n'euilent  alors  au- 
cunes feuilles.    C'auroit  été  toute  autre  chofê  fi  l'accident 
fut  arrivé  en  Eté ,  où  les  arbres  font  couverts  de  feiuUes. 

M.  Defcartes  avoit  quitté  le  fëjour  de  HarderwicK  pour 
fè  loger  dans  une  maifbn  de  campagne  prés  de  la  ville  d'U- 
trecht,  par  complaifànce  pour  M.  Regius  ôc  les  autres  amis 
qu'il  avoir  en  cette  ville.    Mais  foit  que  l'Hyver  luy  parût 
trop  violent  dans  cette  contrée ,  fbit  qu'il  ne  voulût  pas  être 
fi  prés  de  Voetius  qui  auroit  pu  luy  caufèr  quelque  chagrin 
par  Tes  pratiques,  foit  enfin  que  l'afFaire  de  \i^aefi!enaer  *  con-     ^       ,  . 
tre  Stampioen  requît  fa  préfence  au  lieu  où  elle  fè  devoit  ju-  waejpnTer  sc 
ger,  il  quitta  le  voifinage  d'Utrecht,  &  s'^en  alla  demeurer  sum^ieen, 
à  Ley^de.  M.  de  Zuytlichem  quitta  la  Cour  pour  l'y  venir  ^^onl^wInT 
viCiter  en  ce  commencement  d^année.    Il  luy  apprit  qu'il  ne  n^r  &  stam^ 
s'étoit  élevé  aucun  orage  fiir  la  Mer  dans  le  têms  que  la  Terre  P'"^"  °^ 
avoir  été  battue  de  fi  grands  vents.  Il  luy  rapporta  encore     ^"'"P'^"- 
une  autre  nouvelle,  dont  il  crut  devoir  faire  part  au  Père  Mer- 
fenne.  La  ville  de  Terveer  en  Zélande  avoir  fbufFert  ]iiC-  Pag.  20g. 
qu'à  lors  beaucoup  d'incommoditez  de  la  Mer ,  qui  en  avoir  ibidem, 
emporté   ou  fait  abyfiiier  plufieurs  maifbns  en  diveriès  ren- 
contres.   La  caufe  de  ce  défàfiire  étoit  un  Banc  de  làble  qui 
étoit  au-devant,  &  qui  fâifbit  que  l'eaudelaMerprenoit  Ton 
cours  vers  la  ville.  Mais  depuis  quelques  jours  ,  ce  Banc  a- 
voit  difparu  fubitement  :  de  forte  que  la  Mer  fe  trouvoit 
très-profonde  à  l'endroit  où  il  avoir  été ,  6c  la  ville  délivrée 
de  fçs  fréquentes  infultes. 

Ce  n'efi:  pas  encore  tout  ce  que  M.  Defcartes  mandoit  au 
P.  Merfènne.  Le  Minillre  Rivet  qui  ne  pouvoit  s'abftenir  de      Tom.i,  des 
parler  de  M.  Defcartes  dans  les  lettres  qu'il  écrivoit  à  ce  ,^J^''^P;  ^°'^- 
Père,  luy  avoir  mandé  une  choie  dont  M.  Defcartes  n'a  voit  ùcm.ioi, 
pas  jugé  à  propos  de  l'informer  ,  ne  la  regardant  que  com- 
me une  bagatelle.  Le  P.  Mérfenne  conçut  par  les  expreC 
fions  de  M.  Rivet,  que  la  chofè  mèritoit  d'autant  plus  d'être 
fçûë,  qu'elle  regardoit  M.  Defcartes  trés-particuliérement, 
6c il  luy  en  avoit  écrit  pour  la  féconde  fois  le  dernier  jour  de 
Décembrei639,  pour  apprendre  de  fâ  propre  bouche  ce  qui 
^ïx étoit.   Il  s'agillbit  d'une  gageure  fameufè  de  Mathéma-^ 

G  ij  *  tique 


/ 


52  La    Vie   de  m.     Descartes. 

^"40.     tique  entre  deux  Hollandois ,  dont  l'un  étoit  Jean  Stampioen, 
■  èc  l'autre  ,  Jacques  \(^ aejfenaer  \q  ]Q\jinQ  ^  dont  le  Përe  ëtoit 

Profefleur  des  Mathématiques  à  Utrecht,  &  ami  intime  de 
M.  Defcartes.  Stampioen  qui  étoic  auffi  fils  d'uu  Mathëmati- 
Re"  Mf.  *  ^^^^"^  à  Amfterdam  ,  avoit  publié  àés  l'an  1(359  ^^^'^  ^flez  gros 
livre  d'Algèbre  en  langue  vulgaire  du  Païs, après  avoir  fa- 
tigué le  public  pendant  pluiîeurs  années  par  de  magnifiques 
promeiîes,  ôc  par  des  fanfaronnades  qui  n'avoient  produit 
jufques-là  que  des  Affiches,  des  Programmes,  &  des  Pla- 
cards pleins  de  vanitez  extravagantes,pour  préparer  le  monde 
à  recevoir  fon  grand  ouvrage  d'Algèbre  avec  le  refpect  6c 
l'eftime  qu'il  en  attendoit.  Avant  que  de  donner  le  livre 
même,  il  en  avoit  fait  imprimer  le  titre  avec  ion  portrait 
qu'il  avoit  fait  diftribuer.  Tous  ces  préparatifs  formèrent  un 
préjugé  légitime  contre  fon  livre.  On  le  fit  voir  à  M.  Def- 
cartes, &:on  luy  apprit  en  même  têms  que  le  jeune  'W^aefTe- 
naer  fbngeoit  à  le  réfuter.  C'étoit  une  chofe  allez  facile, 
mais  afin  qu'il  pût  s'en  acquiter  au  gré  des  S^avans ,  Mon- 
fîeur  Defcartes  luy  donna  les  avis  qui  lui  étoientnèceflaires, 
tant  pour  la  méthode  qu'il  de  voit  garder  dans  fa  Réfutation, 
que  pour  le  choix  des  remarques  qu'il  luy  envoya  pour  ren- 
dre fon  livre  folide. 

Le  jeune  Waeflènaer  publia  fon  livre  peu  de  têms  après, 
oc  il  rendit  celui  de  Stampioen  méprifàble  par  la  multitude 
àQs  fautes  qu'il  y  remarqua.  Stampioen  qui  n'avoit  pas  d'au- 
tres moyens  d'oppofition  contre  ceux  qui  le  contredifoient, 
que  de  vouloir  gager  contr'eux ,  6c  qui  rèuiîifToit  fouvent  à 
Rélat.  hift.  de  les  épouvanter  par  fa  hardielle ,  ne  répondit  point  à  Waefle- 
la  Gageure  de  naer  autrement  qu'en  luy  propofant  une  gageure  j  6c  il  luy 
Vv^ffenacr     ciivoya  le  Cartel  du  défi,  par  divers  billets  imprimez  qu'il 
Mf.  luy  fit  déhvrer  par  les  Sergens  ou  Huiffiers  ,  6c  qu'il  fît  diilri- 

buer  en  même  têms  à  la  plupart  des  Sc^avans  6c  autres  curieux 
du  Pais.  Waeflenaer  étoit  fbmmé  par  ces  billets  de  maintenir 
Rcg.utfupr.     5^  démontrer  ce  qu'il  avoit  écrit  contre  Stampioen  :  mais  il 
Liftorp.  dé      ^'^^  ^1*"^  P^s  devoir  s'engager  à  rien  avant  que  de  confulter 
cemtud.Phii.    M.  Defcartes  ,  dont  ilfuivoit  la  Méthode  6c  l'AnalyfeGéo- 
Cart.p.  II.  &  lyie'trique,  comme  nous  l'apprenons  de  Regius   6c  de  Lip- 
ftorpius.  Mais  il  efl  plus  à  propos  d'entendre  faire  le  récit 
de  cette  hiftoire  à  M.  Defcartes,  qui  la  décrivit  en  ces  termes 
au  P.  Merfènne  qui  la  luy  avoit  demandée.  Il 


n 


\ 


L  I  V  R  E    V.     C  H  A  P  I  T  R  E.   V  I  I.,  53 

Il  faut ,  dit-il ,  que  je  commence  ma  lettre  par  la  badine-  "       "^^^ 

rie  que  le  fieur  Rivet  vous  avoit  écrite ,  puifque  c'efl  par  elle  "  'lo.n.i.dcs 

que  vous  avez  commence  la  votre  du  dernier  Décembre  1639  j  "  zolio^. 

éc  que  je  vous  dife  qu'il  s'eft  trouvé  un  homme  de  ce  Pais  «*JJScam- 

*  fi  habile  dans  l'Art  des  Charlatans ,  que  fans  rien  fcavoir  "  ^^°^"' 

en  Mathématiques ,  il  n'a  pas  lailTé  de  faire  profcffion  de  les  " 

enfeigner ,  6c  de  palier  pour  le  pkis  Sçavant  de  tous  ceux  qui  " 

s'en  mêlent.  Il  n'avoit  point  d'autres  quahtez  pour  cela  que  " 

la  hardielîe  de  le  vanter  qu'il  fçavoit  tout  ce  qu'il  avoit  oiiy  « 

dire  être  ignoré  par  les  autres  3  de  faire  des  livres  qui  pro_  " 

mettoient  des  merveilles  dans  le  titre ,  mais  qui  ne  conte-  " 

noient  au  dedans  que  des  fautes ,  ou  des  pièces  dérobées  j  " 

de  réphquer  fans  raifon  tout  ce  qui  luy  venoit  en  penfée  â  " 

ceux  qui  le  contredifbient  j  6c  de  les  provoquer  par  gageures.  " 

De  forte  qu'il  ne  fc  rencontroit  perfonne  qui  ofât  luy  redfter,  " 

jufqu'à  ce  qu'enfin  ayant  fait  imprimer  un  allez  gros  livre  " 

qu'il  avoit  continuellement  promis  depuis  fix  ou  feptans,  un  " 

jeune  homme  d'Utrecht  en  a  fiit  un  autre,  où  il  a  remarqué  "  ^^^f% 

r      r  n      ^  '  r       r       m         t>.  \  "^^r  le  fils. 

toutes  les  mutes  ,  &  découvert  toutes  les  nnefies.  Pour  luy  " 
ôter  fi  vieille  pratique  de  vouloir  gager  ,  il  luy  a  donné  avis  " 
de  ne  point  parler  de  gager,  qu'il  ne  dépofàt  auparavant  l'ar-  " 
gent  entre  les  mains  de  quelque  ProfelTeur  en  Mathémati-  " 
que  3  ôc  qu'il  ne  confentît  que  l'argent  fcroit  pour  les  Pau-  " 
vres  au  cas  qu'il  perdît  :  autrement ,  qu'on  fe  mocqueroit  de  " 
{qs  bravades,  &  qu'v>n  verroit  par  là  qu'il  ne  vouloit  o-ao-er  " 
que  de  paroles.  Nonobftant  cela  ce  MaLavifé  n'ayant  point 
d'autres  armes  pour  fe  défendre,  n'a  pas  faille  de  provoquer 
celuy  d'Utrecht  cà  gager,  par  un  Écrit  imprimé.  A  quoy  l'au- 
tre répondit^  qu'il  devoit  donc  dépofer  fon  argent,  &  dire  " 
touchant  quoy  il  vouloit  gager,  &  à  quels  Juges  il  vouloit  " 
s'en  rapporter.  Car  le  Charlatan  n'avoit  rien  déterminé  de  '^ 
tout  cela.  Après  ce  fécond  avertilTement  il  fut  afïèz  impru-  " 
dent  pour  mettre /a:  cens  livres  entre  les  mains  du  Redeur  " 
de  l'Ùniverfité  de  Leyde  j  ôc  de  faire  un  fécond  défi ,  fans  dire  " 
encore  fur  quoy  il  vouloit  gager,  ny  quels  Juges  il  vouloit  " 
choifir.  L'autre  dépofa  auifi  fon  argent ,  &  il  le  fit  fômmer  " 
par  un  Notaire  de  fpécifier  f  ir  quoy  il  vouloit  gager  ,  &  quels  " 
Juges  il  vouloit  croire.  A  quoy  le  Charlatan  ne  voulut  rien  ré-  " 
pondre  fur  le  champ.   Mais  à  cinq  ou  fix  jours  de  là,  il  fit  " 

G  iij    *         «imprimer 


ce 

C( 

ce 


54  La   Vie    de   M.  D  e  s  c  a  r  t  e  s. 

^^4-^'  ^^  imprimer  un  troifiéme  défi ,  où  il  Ipécifîa  une  chofè  pour  k- 
«  quelle  il  vouloir  gager,  fans  nommer  encore  les  Juges,  Et 
53  parce  qu'il  avoir  appris  que  celuy  d'Utrecht  s'étoïc  fervi  de 
55  mon  confeil  en  tout  ce  qu'il  avoit  fait ,  il  me  nomma  dans  ce 
>3  troifîéme  défi.  C'efl:  ce  qui  a  donné  fujet  à  M.  Rivet  de  vous 
>5  faire  fon  conte  à  mon  fujet.  Depuis  ce  têms-là,  on  a  fait  tout 
"  ce  qu'on  a  pu  pour  faire  qull  fè  fbûmît  à  quelques  Juges, 
M  &;  on  Ta  tellement  engagé  peu  à  peu  qu'il  ne  peut  éviter  d'ê- 
Liftorp. ut  "  tre condamné,  (  depuis  qu'il  a  enfin  nommé  les  Profefîeurs 
fup.&Rci.  u  en  Mathématique  de  TUniverfité  deLeyde  pour  juger  l'af- 
^^'  »  Élire.  )  Comme  on  avoit  vu.  clairement  par  {es  fubterfuges 
ï>  qu'il  ne  vouloit  gager  que  de  paroles ,  les  Curateurs  des  Pau- 
>5  vres  ont  fait  arrêter  fon  argent,  parceque  c'étoit  pour  eux 
«  qu'il  étoit  configné.  Mais  parce  qu'on  luy  a  donné  un  mois 
»  pour  écrire  {es  défeniès,  &  un  mois  aux  Arbitres  pour  don- 
>5  ner  leur  Sentence,  il  ne  peut  être  tout-a-fait  condamné  que 
"   vers  la  fin  du  mois  de  Mars. 

M.Defcartes  ne  trouvoit  rien  à  redire  à  l'Ecrit  du  fîeur 
Tom.  j.  des  Waeflenaer,  fînoii  qu'il  avoit  été  trop  indulgent  à  l'égard 
Dcfc"'^^  du  fîeur  Stampioen,  parceque  fans  s'arrêter  uniquement  à 
41?. 410. 4x1.  reprendre  fès  fautes ,  il  avoit  bien  voulu  recevoir  pour  bon 
411. 415.  tout  ce  qull  avoit  dit,  &  s'étoit  contenté  d'ajouter  ce  qu'il 
Géométrie  de  avoit  omis.  C'cfl  de  quoy  il  s'étoit  fort  bien  acquité  ,  en  fui- 
M.  i^c^^^it-  vant  exactement  les  régies  de  la  Géométrie  de  M.  Defcartes, 
jSi.  ^  *  '  ''  &c  en  {e  fervant  même  de  fès  Notes.  Auffi  ne  fit-il  point  diffi- 
culté de  fè  rendre  refponfàble  de  cet  Ecrit. 

Cependant  il  étoit  arrivé  un  fâcheux  contre-têms  au  fîeur 
Waeflenaer  lorfqu'il  fut  queflion  de  fè  rendre  à  Leyde  ,  où 
Lettre  g.  de  l'on  avoit  tranfporté  le  bureau  de  cette  affaire.  Il  étoit  tom- 
».eg.MC  jj^  dangereufèment  malade  flir  la  fin  d'Ocbobre  d'une  faufTe 
pleuréfîe,  accompagnée  d'une  très-grande  difficulté  de  refl 
pirer.  Le  mal  le  réduifît  fort  bas ,  de  le  conduifit  fort  avant 
dans  le  mois  de  Novembre.  De  forte  que  M.  Regius  qui 
étoit  fon  Médecin  fè  crut  obhgé  d'en  écrire  à  M.  Defcartes,. 
&  d'en  informer  même  Meilleurs  de  Leyde ,  afin  qu'on  ne 
crût  pas  qu'il  eût  pris  ce  prétexte  pour  ne  pas  fe  trouver  à 
l'afîîgnation  donnée  de  fa  part  au  fîeur  Stampioen ,  6c  qu'il  fè 
fût  défié  de  la  bonté  de  fa  caufe.  Il  ne  luy  fut  pas  auffi  aifé 
de  confoler  fou  Malade  que  ce  contre-têms  chagrinoit  pins 

cj,ue 


Livre  V.  Chapitre   VII.  55 

que  la  douleur  du  mal.  Il  n'en  put  venir  à  bout  qu'en  lui  re-      16  4.0 
préfentant  que  M.WaefTenaer  Ton  Père  pourroit  aller  à  Léy-  '^ 

de  s'il  en  étoit  befbin  pour  la  confignation  de  fbn  argent, 
^pour  y  tenir  toutes  chofèsen  bon  état  devant  les  Juges  àc 
la  Partie  jufqu'à  ce  qu'il  fût  rétabli. 

L'affaire  fut  prolongée  jufqu'au  mois  de  May,  parce  que 
les  Juges  voyant  la  caufe  de  Stampioen  défèfpérée  crurent  de-  ,j.^^   ^  ^^^ 
voir  lui  accorder  le  délay  néceflaire  pour  faire  imprimer  fès   icttr.  p.  zi4, 
Défenfès,qui  ne  fervirent  qu'à  les  convaincre  encore  d'avan-  ^  ^^î- 
tagede  fonignorance.Ils  jugèrent  en  faveur  de  W^aeflenaer, 
&  adjugèrent  les  fix  cens  livres  de  Stampioenau  pauvres.  M. 
Defcartes  envoia  auffi  tôt  une  copie  de  la  Sentence  à  M.  Rè- 
gius  en  lui  marquant  l'indulgence  des  Juges ,  mais  qui  no-  Tom.  i.  des 
nobftant  la  douceur  des  termes  qu'ils  y  avoient  emploiez ,  ^""-  P-  38*- 
n*avoient  pas  laiiTé  de  faire  connoitre  qu'il  approuvoient  tout  t"^"^"»."*  *^* 
dans  W^aefTenaer ,  6c  condamnoient  tout  dans  Stampioen.         ^^' 

Cependant  on  eut  avis  que  ce  Stampioen  par  une  fuper- 
clierie  digne  de  Ion  génie  ,vouloit  envoyer  un  écrit  en  Fran- 
ce pour  en  demander  le  iuo-ement  aux  Mathématiciens  du  „  ,    ,,    . 

T»     *  /^  •       •  »  1         1  A  r»   '      RcIat.Ms.de 

Royaume.  On  craignit  qu  il  ne  leur  envoyât  une  autre  Re-  ]a  gacrcurc. 
gle,  afin  que  s'ils  jugeoient  qu'elle  fût  bonne,il  pût  emploier  pag.  j. 
leur  témoignage  contre  le  jugement  de  ceux  de  Leyde,  pour 
faire  croire  que  ceux  de  France  auroient  approuvé  la  Règle 
que  l'on  condamnoit  à  Leyde.  On  jugea  donc  à  propos  de 
les  prévenir  fur  ce  fujet,  afin  qu'ils  ne  s'y  laiflalîent  point  fur- 
prendre  j  de  on  leur  envoya  une  Règle  fervant  au  même  fu- 
jet que  la  précédente,  laquelle  avoit  été  trouvée  par  le  jeu' 
ne  'W'aeflrenaer  dés  le  commencement  de  la  gageure ,  &  corn*- 
muniquée dés  lors  aux  Mathématiciens,  tant  de  Léyde  que   racine  cTbJ* 
d'Utrecht  de  d'Amfterdam.  Ainiî  Stampioen fè  trouva  aban-  <i^sBinoni^ 
donné  de  tout  le  monde.  ^^' 

Le  P.  Merfènne  étoit  parti  de  France  pour  fon  voyage 
d.'ltalie  dans  l'impatience  de  fçavoir  lefuccez  de  cette  afFai-  j^®"'*  *•  ^" 
re.  Il  avoit  fubftitué  le  frère  Valentin  à  fa  place ,  pour  rece-  &  n^*  ^^  ' 
voir  en  fbn  abfence  toutes  les  lettres  de  M.  Defcartes ,  ôc 
lui  faire  tenir  de  France  tout  ce  qu'on  auroit  à  lui  envoier. 
M.  Defcartes  agréa  le  frère  Valentin  pour  les  lettres  feule- 
ment qu'il  devoit  écrire  au  P.  Merfènne  ,  &:  le  déchargea 
du  foin  de  toutes  les  autres ,  dont  il  donna  la  commiiTion  à 

Monfieur 


5(5  LaViede  M.  Descartes. 

.  Monfieur  de  Maniyny  l'un  de  Tes  amis ,  &  de  ceux  de  l'Abbé 

^         Picot,  jufqu'au  retour  du  Pvîre  en  France.  Ce  fut  donc  par 
le  frère  Valentin  qu'il  informa  ce  Pire  de  toute  la  procé- 
Pag.  II y.  ini-  ^"^^  ^^^^^  entre  WaejGTenaLr  &  Stampioen  :  mais  il  ne  put  lui 
tio.  tom.  X.     envoler  un  exemplaire  de  la  gageure,  qu'on  fit  imprimer  de- 
puis, parce  que  cePëre  n'entendoit  point  le  Flamand. 

Ce  n'étoit  pas  afîez  que  M.  Dcicartes  eût  conduit  le  fîeur 

WaeiTenaer  dans  toute  Ton  affaire  ,  on  l'engagea  encore  à  fè 

charger  de  l'impreifion  qu'il  fallut  faire  de  l'bifloire  de  cette 

De   Leydc     g^gcure.  Ce  fut  ce  qui  retarda  ou  qui  lit  rompre  même  un 

kttr.  Ms.  de  voyagc  qu'il  méditoit  de  faire  cette  année  en  France  pour 

Peïe^'du  fg"    ^^^  affaires  de  famille  ,  &  pour  aller  confoler  M.  fon  Père 

oaob.  1640.   dans  /on  grand  âge  ôc  les  infirinitez.    >5  Mes  affaires  dome- 

Tom.î.dcs"  ftiques  m'appellent  en  France,  dit-il ,  à  M.  de  Zuytlichem, 

Jc:rr.p.;6}.î3  ôc  îî  je  puis  trouver  commodité  pour  y  aller  dans  cinq  ou 

«  fix  femaines ,  je  me  propofe  a'en  faire  le  voyage.  Mais  W^aef- 

>3  iènaer  ne  délire  pas  que  je  parte  avant  rimprelTion  de  ce  que 

53  l'opiniâtreté  de  ion  adverfàire  l'a  contraint  d'écrire.  Quoi- 

5î   que  ce  foit  une  drogue  dont  je  fuis  fort  las ,  l'honneur  tou-« 

55  tesfois  ne  me  permet  pas  de  in'éxempter  d'en  voir  la  fin  ,  ni 

î5  le  fervice  que  je  dois  à  ce  pays,  d'en  diffimuler  la  vérité.  Vous 

55  la  trouverez  dans  fa  préface,  dont  je  lui  feray  encore  diffé- 

55  rer  l'impreffion  quinze  jours  ou  plus  s'il  eft  befoin,  afin  d'en 

53  attendre  vôtre  jugement ,  fî  vous  me  faites  la  faveur  de  me 

33  l'écrire,  ^'A  nous  fèrvira  de  loi  inviolable.  Cependant  fon 

53  adverfàire  a  fort  bien  fçeu  que  tout  fon  livre  ne  valoit  rien, 

53  avant  même  que  de  le  publier  ,  comme  les  fubterfuges  de 

33  fa  gageure  l'ont  afïez  montré  ,  &  qu'il  a  eu  la  fcience  de 

33  Socrate  ,  en  ce  qu'il  a  fçii  qu'il  ne  fçavoit  rien.    Mais  avec 

33  cela  il  a  une  impudence  incroyable  à  calomnier ,  6c  à  fe  van- 

35  ter  de  f^avoir  des  chofês  impoffibles  &  extravagantes  3  ce 

53  qui  efl  à  mon  jugement  la  qualité  la  plus  dangereufe  ôc  la 

33  plus  nuifible  qu'un  homme  de  fa  condition  puifïe  avoir. 


Chap. 


Livre  V.  Chapitre  VIII.  57 


r  <3  4  o. 


CHAPITRE      VIII. 

'X'eJ}>nt  de  Voctiris  s' aigris  contre  M.  Dcfcarîes  ^  M.  RcgiuSi 
au  fujet  des  Théfes  de  ce  dernier  touchant  le  mouvement  du  cœur 
^  la  circulation  du  fang.  M.  Defcartes  corrige  ces  Théfes ,  c!j^ 
veut  bien  y  alji(ler ,  pourvu  que  ce  foit  dans  l' Ecoute  de  JX/fade^ 
moifelle  de  Schurmans.  Eloge  de  cette  Demoifeile  ^  dont  le  cœur 
€  fi  gâté  far  Ldbadie  ,  ^  l' e  [prit  far  Koetiîis  j  par  le  fré'mcr, 
fous  prétexte  d'une  plus  grande  réforïïiation  j  par  le  fécond  ^  fous 
f  rétexte  de  s'enfoncer  dans  les  controverfes  de  It  Théologie.  Pri~ 
merofe  ^  Silvius  réfutent  les  Théfes  de  M.  Regius ,  qui  fe  dé- 
fend. Ordonnance  des  Curateurs  de  l'^niverfté  d'iJtrecht  a  la- 
quelle M.  Defcartes  fait  une  explication  en  forme  de  Réponfe, 

PEndant  que  plufieurs  de  Meflieurs  de  la  Ville  6c  de  TU- 
niverfité    d'Utrecht   faifoieiit  paroître  leur  emprelFe- 
ment  pour  pofleder  Monfieur  Defcartes  dans  leur  voifînage, 
le  Miniftre  Voetius  prenoit  iks  mefures  pour  rëiiiîir  dans  le 
defTcin  de  le  perdre  de  réputation,  &:  de  le  faire  déclarer 
ennemi  de  la  Religion  en  général,  &  ^Qs  EgUlès  Proteftan- 
tes  en  particulier  j  par  ceux  même  qui  l'honoroient  le  plus 
de  leur  eftime  &  de  leur  bien-veillance.  Il  avoit  fait  foute- 
nir  de  iècondes  &  de  troifiémes Théfes,  où  il  avoit  renou- 
velle la  calomnie  de  l'Athéïime  contre  luy  ,  afin  de  préparer  Lettr.&Difc^ 
peu  à  peu  l'efprit  du  Peuple,  &:  de  faire  changer  enfuite  çJeSoibiére 
les  bonnes  difpofîtions  des  Magiftrats.  L'impreffion  de  TO-  '"7  *^^^ 
raiibn  funèbre  de  Monfieur  Reneri  faire  pour  le  commence- 
ment de  l'année  i64o,par  l'ordre  dQs  mêmes  Magiftrats,  avoit 
encore  aigri  {on  efprit  de  nouveau ,  mais  elle  ne  l'avoit  pas 
découragé.   Il  avoit  crû  au  contraire ,  que  fous  les  acclama- 
tions pubhques  que  Tondonnoit  à  M.  Defcartes,  il  pourroit 
agir  plus  fburdement,  &  avec  moins  de  fbupçons  contre  Lcttr.Mlf  de 
luy.    Mais  pour  venir  à  bout  de  cette  entreprife,  il  falloir  R-<^g-s  &  10. 
ruiner  M.  Reo-ms.  C'eft  à  quoy  il  travailla  de  toutes  fes   J'^l/l?'^' 
rorces ,  s  étudiant  a  rechercher  dans  les  levons  &;  les  écrits 
de  quoy  lui  fufciter  un  procès. 

Il  commeni^a  par  l'examen  àQs  opinions  nouvelles  que 

H*        Monfii^ur 


BM— MM       »  ■   ^1    ■    IP.     .1  III 

Lettr.  de  Rc- 


Ecrnatdus 
Scîiotanus 
Profeff.  en 
Droit  &  en 
Mathémac. 

Narrât,   hift, 
AcaJ.Ulu-j. 


^8  L  ^      y  ï  E     p  H     M,     D  E  s  C  A  R  T  E  s. 

M.  Regius  debitoit  dans  la  chaire  de  Médecine ,  &  il  îuy 
fit  un  crime  devant  les  collègues  de  tout  ce  qui  ne  s'y  trou^ 
voit  pas  confornie  aux  maximes  (\qs  anciens  Médecins  & 
Philofbphes,  établies  de  reçues  dans  les  Univerfitez  de  Hol- 
lande. Ses  plaintes  n'étoient  que  leçrétes  durant  les  premier^ 
mois.  Mais  las  de  ie  plaindre  en  particulier,  il  les  fit  éclater 
au  fjjct  d'une  Théfe  ou  Diipute  publique,  que  M.  Regius 
devait  faire  le  dixième  jour  de  Juin  1640  ,  touchant  la  Cir^ 
culution  du  Sanf^  qu'il  enfcignoit  comme  M.  Defcartes  6c 
Harvée ,  mais  qui  paflbic  encore  pour  une  héréfie  parmi  les 
ignorans  H-  les  entêtez.  Voetius  parvint  par  iès  intrigues 
a  faire  révolter  la  plupart  des  ProfciTeurs  de  l'Univerfite 
contre  ce  ièntiment.  De  forte  que  le  Recl:eur  de  TUniver- 
iîcé,  qui  dvjlleurs  étoit  des  amis  de  M.  Defcartes  ,  &  qui 
favoriibit  même  M.  Regius,  ne  put  réfifter  aux  inftances que 
Iuy  firent  les  autres  Profeileurs  de  Médecine  &  de  Philofb-r 
phie,  pour  empécherMp  Regius  d'enfeigner  de  pareilles  nou- 
veautez.  Il  1  ly  propofa  la  chofe  de  telle  manière  qvi'ilfemr 
bloit  vouloir  l'èxliorter  à  prendre  à^%  mefiires  pour  préve-c 
nir  \qs  murmures  de  fes  collègues,  ^  ne  pas  tiroubler  la 
paix  de  l'Univerfité.  Monileur  Regius  Iuy  ayant  repré- 
ienté  i'importance  qu'il  y  a  de  ne  pas  rejetter  ou  trahir 
une  vérité  fous  le  prétexte  feul  qu'elle  auroit  le  caractère 
de  la  nouveauté  ,  6^  de  ne  pas  adopter  \^s  erreurs  fous  le 
^oiie  d^ine  vénérable  antiquité  :  il  fallut  affembler  l'Univer- 
iité ,  pour  délibérer  fur  le  refus  qu'il  fembloit  faire  d'ac- 
quiefcer  au  deflr  de  fes  confrères,  il  y  fut  réfblu  que  M,  Re- 
gius prendroic  quelque  autre  fujet  qui  feroit  moins  éloigné 
des  opinions  reçues  dans  la  Médecine  vulgaire  ,:  ou  que  s'il 
étoit  ièrme  à  vouloir  retenir  çeluy  de  la  Circulation',  du  Sang 
au  fens  de  Harvée,  il  le  feroit  au  moins  par  manière  de  Co- 
vûUaire  ou  d'addition  à  {&^  Thefès,  avec  le  formule  ordinaire 
Bxcrcitii  cdufa  défende  mm.  Voetius  dans  le  manifefte  qu'il  en. 
fit  imprimer  au  nom  de  l'Univerfité  prétend  que  Regius  pro- 
mit d'acquiefcer  à  cet  expédient  qui  Iuy  avoit  été  propofe  ^ 
&  qu'il  n'en  fit  rien.  Il  ajoute,  que  fins  attendre  une  féconde 
délibération  de  l'Univerfité  il  fit  imprimer  fes  Thé^s ,  s'étant 
(Contenté  de  changer  quelques  mots  dans  la  première,  qui 
m  fervoit  que  4*entré^>a,uA  ^iicrcsi    Çet|ç  lilpertg^faj:  prife 


T  6^0. 


Livre    V.    Chapitre    VÎII.  59 

pour  un  attentat  contre  l'honneur  &  l'autorité  de  TUni- 
verfité ,  à  qui  il  appartenoit  de  droit  d'ordonner  l'impreffion 
ou  la  fîipprefîîon  des  Théfes.  On  députa  vers  le  Magiftrat 
pour  s'en  plaindre  :  &  il  fut  répondu ,  qu'on  pafTeroit  les 
Théfes  à  M.  Rcgius ,  puifqu'elles  étoient  imprimées  ^  mais 
qu'à  l'avenir  il  ne  s'en  imprimeroitplus  lans  Tordre  du  Rec- 
teur de  TUniverlîté,  ^ 

M.  Regius  avoir  eu  jfbin  auparavant  de  prendre  avec  M.  En  May  1^40. 
Defcartes  des  meflires  nécefîaires  pour  mettre  ies  Théfjs 
hors  d'atteinte,  &  il  luy  avoit  fait  croire  en  luy  propofàntla 
ehofê,  qu'il  n'avoit  dans  ces  Théfes  point  d'autre  deflein  que 
d'étendre  fà  Philofbphie,  &  de  luy  donner  de  l'éclat.    Ses   ,  , 

Ecoliers  le  preflbient^  dit-il,  inceflamment  de  faire  imprimer  Regms,  MC 
ià  Phyfique ,  afin  d'expofèr  aux  yeux  de  tout  l'Univers  une 
Philofbphie  qui  ne  fiifoit  encore  bruit  que  dans  quelques 
Provinces,  Il  y  fit  réflexion,  &  ayant  crû  qu'il  fèroit  à  pra- 
pos  de  fonder  les  efprits  par  quelque  efîày  ^  il  avoit  eu.  la 
penfée  de  la  réduire  auparavant  en  queflions,  &dc  la  pro- 
pofer  dans  des  difputes  pubhques.  Mais  quelques-uns  de  fes 
Collègues  appréhendant  que  les  nouvelles  opinions  dont  elle 
ëtoit  remplie  ne  fiffent  quelque  tort  à  leur  Univerfité,  à  caufè 
que  fbn  établillement  étoit  encore  afïez  récent ,  crurent 
qu'il  valoit  mieux  la  faire  imprimer  comme  l'Ecrit  d'unfîm^ 
pie  Particulier,  M.  Regius  eflima néanmoins  qullferoit  bon 
de  la  faire  précéder  d'une  difpute  publique  pour  en  être 
le  prélude  ,  &  il  choifit  fes  opinions  concernant  le  mouve- 
ment du  Cœur,  des  Artères,  &  du  Sang ,  pour  en  former  fes 
Théfes,  qu^ilenvoyaenfuiteàM  Defcartes  pour  les  corrio-er, 

M.  Defcartes  étoit  encore  à  Leyde  où  il  fbngeoit  à  met- 
tre fes  Méditations  en  ordre  pour  les  envoyer  a  Paris.  Mais 
il  quitta  toute  autre  chofe  pour  fervir  fon  ami ,  &  ayant  re- 
vu èc  corrigé  fes  Théfes  il  les  luy  renvoya  accompagnées  de     ^'^^  I* 
fes  corredions,  avec  une  dihgence  qui  furprit  &:  qui  ravit  duT'vl?d*l<^ 
M.  Regius.  Il  réforma  fes  Théiès  fur  tes  remarques  qu'il  luy  n'cftpoint    ' 
avoir  envoyées,  &  n'oublia  pas  fur  tout  d'ôter  le  nom  foro-é  '"^"''<=- 
de  CancpîM  ^  pour  y  remettre  celuy  de  Defcartes  ^  comme  il  PageiSzdB 
Tavoit  fouhaité.  Il  luy  récrivit  le  xx.  c'eità-,dire ,  le  xxx.  *'  ^'°^' 
de  May  pour  l'en  remercier,  ^  le  prier  inflam'mcnt de  vou- 
loir honorer  ks  Théfes  de  fapréfence.  Ce  qu'il  croyoïtluy 

H  ij    *  devoiir 


I<3  4^- 


Pag.  38P  ini- 
tio  ibid. 

*  Anne  Marie 

Lcttr.  II.  de 
Reg.  Mf. 


EHe  étoit  née 
sa  16  ij., 


Salmarf.  in 
Pi.rfat.  ad 
Mifc.  Defin. 

Le  Laboureur 
voyage  de  la 
Reine  de  Po- 
Icigne. 

Gafleiid.    E- 
pift.  p.  198, 
&  ii6. 


Rivet.  &  alii 
paflim. 


éb  La    Vie    de   M.    Descartes. 

devoir  être  d'autant  moins  onéreux,  qu'il  le  voyoit  fur  le 
point  de  quitter  le  iëjour  de  Leyde  pour  aller  demeurer  à 
Amcrsfort  à  trois  petites  lieues.  d'Utrecht.  M.  Defcartes  s'é- 
toit  offert  le  premier  à  ce  voyage  d'Utrecht,  pour  l'aiîîfterde 
plus  prés ,  s'il  en  étoit  beibin  •  Ôcpour  entendre  même  la  diC 
pute  de  fes  Théfes ,  pourvu  que  l'on  n'en  fi^ût  rien ,  &  qu'il 
put  demeurer  caché  dans  l'Ecoute  ou  la  Tribune  de  Ma^ 
demoifelle  àc*  Schurmans.  M.  Kegius  luy  promit  d'accomplir 
exactement  ces  conditions  ,  6c  le  fupplia  de  vouloir  être  [on 
hôte  pendant  le  féjour  qu*il  feroit  dans  la.  ville ,  ajoutant  que 
les  Fêtes  de  la  Pentecôte  avoient  fait  diflFérer  le  jour  des 
Théfes  jufqu'au  ^-^  de  Juin  ^  mais  que  la  chofe  n'étant  pas 
encore  déterminée,  il  auroit  foin  de  luy  donner  avis  du  jour 
fixé  pour  cela,  dés  qu'il  l'auroit  fait  afficher, 

Nous  pouvons  juger  par  la  propofition  que  M,  Defcar, 
tes  fît  à  M.  Regius  de  fe  fêrvir  de  l'Ecoute  de  Mademoifèlle 
deSchurmans,  que  cette  merveilleufe  fille  ne  luy  étoit  pas  in- 
connue.Elle  n'étoit  encore  âgée  pour  lors  que  dexxviii  ans, 
mais  elle  avoit  devancé  la  plupart  des  vieillards  dans  lacon, 
noifTance  des  arts  êc  des  fciences.  Elle  polTcdoit  un  très- 
i2;rand  nombre  de  Langues  qu'elle  fçavoit  parler  &  écrire 
également,  Elle  n'en  ignoroit  aucune  de  celles  qui  font  yi-. 
vantes. ou  vulgaires  en  Europe,  fans  en  excepter  le  Turc, 
Parmi  celles  de  l'Orient  elle  s'étoit  appliquée  particulière- 
ment à  l'Ebreu  ,  au  Syriaque  ,  au  Chaldéen  ,  ôc  à  l'Arabe, 
Elle  pojOTédoit  toutes  les  finefles  de  la  Langue  Grecque.  Elle 
çcrivoit  en  Latin  avec  plus  de  politefîe  que  les  Sçavans  qui 
n'avoient  fait  autre  chofe  pendant  toute  leur  vie  ^  6c  en 
François  prefque  auili  délicatement  que  Balzac,  au  fènti- 
ment  de  M.  de  Saumaife.  Elle  n'avoit  pas  feulement  la  théo- 
rie de  tous  les  beaux  arts ,  elle  s'étoit  encore  perfectionnée 
dans  leur  pratique ,  6c  y  avoit  acquis  une  déhcatefTe  exquifè. 
De  forte  qu'on  alloit  voir  avec  admiration  les  merveilleux  ou- 
vrages de  fes  mains  ,  tant  de  Peinture,  de  Miniature,  d'En- 
luminure ,  6c  de  Scuplture,  que  de  Gravure,  au  burin  6c  au 
diamant, fur  le  cuivre,  fur  le  verre,  fur  la  cire  ,  fur  le  bois, 
6c  fur  la  pierre.  Elle  étoit  fort  exercée  dans  les  autres  arts, 
comme  de  la  Poéfie,  de  l'Eloquence,  6c  de  la  Dialectique. 
£lle  ne  s'étoit  pas  moins  enfoncée  dans  les  fciences ,  dans 

celles 


Livre    V.     ChapitreVÎIÎ.  6i 

celles  mêmes  qui  paroiflenc  les  plus  abftraites  &  les   plus      1^40. 
épineufes.  Outre  les  Matliématiques ,  elle  fçavoic  la  Philo^       ■■ 
ibphie  Scholaftique  èc  la  Soplnftiquc.    Elle  difputoit  &  ré^ 
pondoit  mieux  que  les  vieux  Profefleurs  des  Univerfitez,  6c 
que  les  Hibernois.  Enfin  ,  elle  avoit  étudié  la  Théologie  des 
Ecoles  à  fonds,  ScpolTédoit  parfaitement  l'Ecriture  Sainte,  &c 
S.  Thomas,  fans  parler  de  plulîeurs  Pérès  Grecs  èc  Latins. 
Tant  d'excellentes  connoiflances  étoient  foutenuës  par  une 
modeftie  incomparable,  &  par  un  amour  extraordinaire  pour 
la  retraite,  l'étude,,  &  la  pnére.  Elle  ne  s'étoit  point  bornée 
aux  feuls  commandemens  de  l'Evangile,  elle  en  avoit  en- 
core embrafle  les  confeils  les  plus  févéres.   Elle  s'étoit  re  • 
tranchée  les  plaiilrs  les  plus  innocens ,  elle  pratiquoit  une 
abftinence  extraordinaire,  ayant  pris  pour  fa  devife  le  beau 
mot  du  Martyr  S.  Ignace  Amor  vdeus crucifîxus  efl  j  Elle  avoit   ,  »'  «ê"^  *^^ 
même  voiié  fa  virginité  à  Jefiis-Chrift ,  &:  elle  luy  garda  en  ^'^'^s»"»' 
ce  point  une  fidélité  inviolable  jufqu'à  la  fin.   En  un  mot,  il  rag.  x<î4. 
ne  luy  manquoit  que  l'avantage  d'être  née,  ou  d'avoir  été  ^P^*^*  ^'^^"^" 
élevée  dans  Je  fem  de   TEglife  catholique.     N'ayant  pas 
trouvé  les  Miniflres  d'Utrecht  afïèz  réformez  ny  afTez  Spi- 
rituels, elle  s'étoit  mifé  fous  la  direction  de  Rivet  :  jufqu'à 
ce  que  le  fîeur  J.  Labadie  étant  venu  prêcher  une  nouvelle 
Réformation  parmi  les  Proteftans ,  elle  fè  rangea  fous  fa  difl 
cipline  dans  la  viië  d'une  plus  grande  perfection,  &  perdit 
dans  l'efprit  des  Calvinifles,qui  prirent  Labadie  pour  un 

r  \    r        -^  r  I    '^        1        r     •         1         ^  r         Un  nouveaq 

ichilmatique  ou  un  taux  prophète  ,  les  fruits  de  toutes  fcs     Donauftc 
bonnes  œuvres. 

M.  Defcartes  fans  être  prophète  avoit  eu  quelque  préC 
fentiment  de  ce  qui  devoit  arriver  à  cette  pauvre  fille.  Il 
jugeoit  que  la  curiofité  demefurée  de  trop  fçavoir  ,  6c  de 
pénétrer  dans  les  myftéres  les  plus  inaccefTibles  de  la  Théo- 
logie pour  les  perfonnes  de  fbn  fexe  ,  pourroit  bien  l'entraî- 
ner trop  loin ,  &  dégénérer  en  une  préfbmption  qui  luy  atti- 
r^roit  le  fort  des  vierges  folles  &  imprudentes  de  rEvan2;ile. 
On  en  voyoit  déjà  de  grandes  difpofitions  en  elle,  depuis 
que  le  fieur  Voetius,  à  qui  d'ailleurs  elle  n'avoit  point  confié 
ion  cœur,  s'étoit  mis  en  devoir  de  luy  donner  des  leçons  de 
Théologie,  ac  de  l'exercer  dans  les controverfes  de  Religion, 
C'cfl  ce  que  M.  Defcartes  manda  la  même  ajinée  au  Père 

H  iij    !  Mcrfenne 


1640. 

Tom.  a.. 

des  Lettr. 


53 
Î3 


Narrât.  Hift» 
Acad.  Ultraj. 
Item,  lettr. 


lettr.  5TT  r. 
de  Regius. 


Page.  389. 
îom.  î.  des 
tettr. 


6z         La   Vie    De    M.    Descartes. 

Mer/enne  au  recour  de  fbn  voyage  d'Italie. >»  Voetiir^,  âk-il^^ 
gâté  laDemoifelledeSchurmans.  Car  au  lieu  qu'elle  avoïc 
l'efprit  excellent  pour  laPoéfie  ,  la  Peinture,,  êc  les  autres 
gentillelîes  de  cette  nature,  il  y  a  déjà  cinq  ou  fîxans  qu'il 
la  pofTéde  tellement, qu'elle  ne  s'occupe  plus  qu'aux  contro- 
verfes  de  la  Théologie.  Ce  qui  luy  fait  perdre  la  converfa- 
tion  de  tous  les  honnêtes  gens. 

Pour  revenir  aux  Théfcs  de  M.  Regius,nous  ne  /çavons" 
m  en  quel  jour  du  mois  de  Juin  précifëment  elles  farent 
foutenuës,  ni  même  fi  M.  Defcartes  y  alîifta.  Mais  nous 
fçavons  que  leur  grand  fiiccés  déplut  beaucoup  à  Voetius, 
&  que  les  Médecins  de  la  vieille  doctrine  en  murmurèrent 
un  peu,  Primerofe  l'un  d'entr'eux  dont  nous  avons  déjà  eu 
occafion  de  parler,  &:  qui  s'étoit  hazardé  quelque  têms  au- 
paravant  à  écrire  contre  Harvée  ,  entreprit  de  réfuter  ces 
Théfes  de  M.  Regius  :  êc  l'on  vid  paroitre  peu  de  têms  après 
ion  écrit  imprimé  à  Leyde  ,  où  il  attaquoit  principalement 
le  dogme  de  la  Circulation  du  Sang.  M.  Regius  en  eût  avis 
dés  la  fin  du  mois  d'Août ,  &  il  prépara  aulfi-tôt  une  Ré- 
ponlè  à  ce  nouvel  adverfaire  ,  qui  non  content  de  l'avoir 
voulu  réfuter  ,  avoit  jugé  à  propos  de  le  charger  encore 
d'injures.  Une  conduite  lî  mal-honnête  luy  avoit  échaufFé' 
la  bile,  êclàns  fonger  qu'un  homme  fage  ne  doit  point  pé- 
cher par  exemple ,  il  avoïc  employé  dans  fa  Réponfe  tan 
tdtraiG;reur,,tantôtlaplaifanterie  y  lorlqu'il  n'étoit  quelti" 
que  d'une  réfutation  férieuie  2c  modérée. 

Il  envoya  cette  Réponfe  à  M.  Defcartes  le  vu  d'Octobre 
fiiivant  pour  la  luy  fiire  corriger  :  &  il  tâcha  de  s'excufcr  au- 
près de  luy  fur  la  dureté  des  expreffions  ,.  fous  prétexte  que 
le  IHle  mordant  de  Primeroie  luy  avoit  donné  trop  d'indi- 
gnation 3  &  de  luy  faire  agréer  qu'il  eût  pris  le  parti  de  la 
raillerie  en  divers  ei"tdroits,pour  répondre  à  quelques  imper-^ 
tinences  de  cet  auteur.  M.  Defcartes  uiâ  de  fon  droit  d'au- 
tant plus  volontiers  que  M.  Regius  l'avertilToit  qu'il  y  alloit 
de  fon  intérêt.  Il  y  corrigea  diverfes  chofcs ,  il  y  en  fit  ajou- 
rer quelques  unes ,  &:  en  fit  retrancher  d'autres .  parmi  lef- 
quelles  étoient  les  termes  d'aigreuiu^u'il  luy  fit  bannir,  en 
luy  faifànt  voir  l'importance  qu'il  y  a  de  traiter  un  adver- 
iâire  avec  beaucoup  de  douceur  &  d'honnêteté.   Monfieur 

Regias 


oir 


trVRE  V.  Chapito    VIIÎ.  (jj 

Re2;ius  voulant  marquer  qu'il  ne  vouloit  auffi  rien  faire  que 
du  confentement  &  de  i'avis  de  (es  Collègues ,  communiqua 
fa  réponlè  à  c;pux  d'entre  eux  qu'il  i^avoit  ilir  tout  n'être 
pas  fi  bien  intentionnés  pour  luy  que  les  autres.  11  la  fît  voir 
à  Voetius ,  à  Lir^us ,  de  à  Charles  de  Maets ,  dit  Dematius^ 
l'un  des  Prcfefleurs  en  Théologie  ^  qui  iè  contentèrent  de 
luy  dire  de  traiter  fîmpL-ment  ion  fujet,  ôc  de  retrancher  ce 
<jui  pourroit  s'y  trouver  de  picquant  &  de  railleur.  Ces  Mefl 
iieurs  appellent  cet  adverfaire  Primerojius^  comme  fait  auffi 
M.  Regius,    Cependant  il  efi:  PiOmmé  Silvius  en  deux  ren- 
contres par  M.  Defcartes,  &  il  fe  trouvoit  efFeélivement un 
jeune  Do<fî:eur  en  Médecine  du  nom  de  Silvius  à  Leyde  dans 
ce  même  têms,  &  dont  M.  Defcartes  avoit  fait  mention  en 
juneautre  occafîon.  Pour  concilier  ces  diverfitez  Fon  pour- 
roit s'imaginer  que  Primerofius  auroit  emprunté  le  nom  de 
Silvius.    Mais  agiiïons  avec  plus  de  fimplicité,  &  convenons 
plutôt  queM.Regius  s'étoit  attiré  deux  adverfàires  en  m-ê- 
me  têms  ^  qu'il  les  a  réfutez  tous  les  deux  féparément  ^  qu'il 
a  communiqué  fà  Réponfe  contre  Primerofius  aux  ProfeC 
fêurs  fes  collègues  que  nous  avons  nommez ,  mais  qu'il  a 
envoyé  à  M.  Defcartes  celle  qu'il  avoit  faite  contre  Silvius  j 
que  comme  les  Profeflèurs  luy  avoient  confèillé  de  traiter 
plus  doucement  primerofius  qui  étoit  dans  leurs  (èntimens 
touchant  la  Circulation  du  Sang^  de  même  M^  Defcartes  l'a- 
voit  averti  d'en  ufèr  avec  plus  d'honnêteté  à  Pégard  de  Sil- 
vius, dont  il  approuvoit  plutôt  le  fentiment  que  celuy  de  M, 
Regius  fur  les  veines  laÙées  :  Enfin ,  que  c'eft  la  Réponfe  à 
Silvius  que  M.  Defcartes  a  corrigée,  &  fiir  laquelle  nous 
avons  encore  deux  lettres  Latines  qu'il  en  écrivit  à  Mon- 
iteur Regius, 

Les  Curateurs  de  PUniverfité  d^Utrecht  follicitez  pqr 
Voetius  ,  Dematius,  &  quelques  autres  ProfefiTeurs ,  de  re- 
médier aux  troubles  qu'ils  feignoientqne  les  Théfès  &  les 
opinions  finguliéres  de  M.  Regius  commençoient  à  exciter 
parmi  eux,  avoient  publié  une  Ordonnance  pour  empêcher 
d'introduire  des  nouveautez  ou  des  maximes  contraires  aux 
ftatuts  de  PUniverfité,  La  chofe  étoit  afiTez  équivoque.  Ceft 
ce  qui  porta  M.  Defcartes  a  la  démêler ,  &  à  faire  une  expli- 
cation de  l-Oxdonna;ncç  des  Curateurs  en  fprmede  Réponic. 

MoDiieur 


1^40. 


Narrât.  M  fî-. 
pig.  If. 
Reg.Epift.i4« 

Caitef.tom.i. 
Epift.  pag. 
589.  &  jî»r. 

Pag.388.torB^' 
I.  ibid. 


Ce  font  la  82. 
&  la  83  du  1 5 
vol. 


Lettr.  ij. 
Regius. 


de 


^4  La   Vie  de  m.  D  es  cartes. 

1640.     Mon/îeur  Vander-HoolcK  l'un  des  Magiftrats  de  la  ville,  qui 
fut  même  Conful  l'amiée  fuivaiite  ,  trouva  cette  Réponfè 


î^Ti'^ck       ^^^^  belle  &c  fort  jadicieufe:  &c  il  goûta  mer^jipilleufèment  le 

Letir.  deilein  qu'avoit  M.  Defcartes  de  laiOer  continuer  M.  Re- 

gius  dans  la  manière  d'enfeigner  la  Philofophie  nouvelle,  en 

Te  contentant  de  modérer  fon  zélé,  &c  de  réformer  ce  qu'il 

y  auroitde  trop  hardi  dans  (es  opinions.  M.  Regias  lui  avoit 

envoyé  divers  petits  Ecrits  flir  diiïérens  fujets  de  Phyfîque, 

LettMjdc     aufquels  il  avoit  fatisfait  trés-ponduellement,  quoiqu'il  fut 

Reg.  MfT.       alors  occupé  de  beaucoup  d'autres  affaires. 


CHAPITRE     IX. 

JW.  Defcartes  déclare  fon  fentiment  touchant  le  fcge  de  V  Ame  dam 
le  cerveau.  T^fage  de  la  petite  Glande  appellée  Conarium.  Ré- 
flexion de  M.  de  Sorbiére  peu  obligeante  pour  M.  Defcartes, 
Sentiment  de  M.  Defcartes  touchant  la  Mémoire ,  quil  divife 
en  trois  efpéces^  j  corporelle ,  locale  ,  ^  intellettuelle.  Projet  de 
faire  pajfcr  M.  Defcartes  ^  M.  Mydorgc  en  Angleterre  pour 
s'y  établir  fous  la  proteHion  ^  par  les  bien-faits  du  Roy  de  la 
Grand' -Bretagne.  Jl  efl  fans  effet.  Eloge  de  M,  Cavendifch  on 
Candifch  ami  de  M.  Defcartes  ^  de  M.  Mydorge.  Deux  ef^ 
péces  de  SeBateurs  de  la  Philofophie  de  M.  Defcartes.  Amitié 
de  M.  de  Saumaife  avec  M.  Defcartes.  Jidauvaife  humeur 
de  M.  de  Saumaife  envers  fes  meilleurs  anus»  M.  Defcartes 
n'en  efi  pas  exempta 


M 


R  Regius  n'étoit  pas  le  ieul  des  I>ifciples  de  la  nou- 

_     velle  Philofophie  que  M.  Defcartes  eût  àinftruire.  Il 

s'en  préfèntoit  tous  les  jours  de  nouveaux  qui  n'étoient  ni 
moins  fîncéres ,  ni  moins  ardens  que  lui  dans  la  recherche 
des  véritez  naturelles  •  mais  qui  nous  font  deineurez  la  plu- 
part inconnus  par  l'indifférence  qu'ils  ont  témoignée  de  fe 
Son  nom     f^ire  connoître  à  d'autres  qu'à  M.  Defcartes,  C'eftà  l'un  de 
commcnçoit     ces  derniers  venus ,  que  nous  fbmmes  redevables  de  Texpli- 
fai  une  M.      cation  de  fon  fentmient  touchant  le  fiége  de  l'Ame  dans  le 
Cerveau.  Cet  inconnu  qui  n'étoit  pas  un  homme  de  petite 
confidération^  luy  avoit  demandé  vers  le  mois  de  Mars  cjuel 

ctoit 


Livre  V.   ChapitreIX.  ^5 

etoit  l'afage  de  la  petite  Glande  que  l'on  nomme  Conarium.       J  ^  4-  o. 
M .  Defcartes  luy  répondit,  que  félon  fôn  opinion ,  cette  Glande     Auci^mcnt 
efi  le  principal  jïêgc  de  r  Ame ,  6c  le  lieu  où  fe  font  toutes  nos  pen-  ^j^^^^''  ^'""^ 
fées.  La  raifon  qui  le  portoit  à  le  croire  ainlî ,  étoit  qu'il  ne 
trouvoit  aucune  partie  dans  tout  le  cerveau ,  excepté  celle-  J"°"^-  *-•  ^^^ 
là  feule  ,  qui  ne  foit  double.  Or  félon  luy  ,  puifque  nous  ne  iis/^^  ^' 
voyons  qu'une  même  cholè  (\qs  deux  yeux  j  que  nous  n'en-  it.-mpag.iji. 
tendons  que  la  même  voix ,  ou  le  même  fbn  des  deux  oreilles  •   Î^^^^'/A^'^  .„ 
6c  enfin ,  que  nous  n  avons  jamais  qu  une  peniee  en  même  x.  tom. 
têms  :  il  faut  de  nccefîité  que  les  efpéces  qui  entrent  par  les 
deux  yeux,  ou  par  les  deux  oreilles,  aillent  s'unir  en  quel- 
que lieu  pour  être  confîdérées  par  l'Ame  ^  ôc  il  efl  impoiîî- 
ble  d'en  trouver  aucun  autre  dans  toute  la  tête  que  cette 
Glande.    Outre  qu'elle  eft  fituée  le  plus  à  propos  du  monde 
pour  ce  fujet,  étant  juftement  au  milieu,  entre  toutes  les 
concavitez  ,  fou  tenue  &;  environnée  des   petites  branches 
des  artères  carotides ,  qui  apportent  les  efprits  dans  le  cer- 
veau-. 

Cette  opinion  appuyée  fur  un  grand  nombre  d'expé- 
riences faites  fur  toutes  fortes  de  cerveaux  depuis  dix  ou 
douze  ans  ,  n'étoit  pas  fans  doute  auffi  ridicule  qu'elle  l'a 
paru  à  M.  de  Sorbiére,  lorfqu'il  la  trouva  plufîeurs  années 
après  dans  le  Traité  des  Pallions  de  M.  Defcartes.  AufTi  ne 
pût-il  venir  à  bout  d'en  faire  rire  M.  Patin,  qui  etoit  d'ail- 
leurs l'un  des  grands  rieurs  de  nôtre  fiécle.  Il  luy  en  écri- 
vit de  Leyde  dans  cette  intention  après  la  mort  deM.Defl 
cartes  en  ces  termes,  et  On  a  icy  de  nouveau  les  Paffîons  de  c<  j^^^^^  ^ 
l'Ame  par  M.  Defcartes  ,  où  vous  aurez  le  plaiflr  de  voir  ce  duc.  de 
l'Ame  raifonnable  perchée  fiir  la  Glandule  Conaire,  pour  y  re-  «^  ly»^^'  ''^ 
Revoir  toutes  les  imprefîîonsqueluy  donnent  les  petites  cor-   «  4j,f. 
des  des  nerfs  tendues  de   la  fliperfîcie  du  corps  jufqua  ce  «t 
fonds  du  cerveau  :  &  pour  ouvrir  enfliite  les  petits  robinets,   « 
qui  diftribuent  les  efprits  animaux  d'où  fe  fait  la  diftention  « 
des  mufclcs.   La  perfonne  à  qui  M.  Defcartes  fè  découvrit  « 
pour  la  première  fois  fur  ce  fentimcnt,  avoit  fbuhaité j«reil- 
lement  f(^avoir  de  lui  ce  qu'il  penfbit  des  Efpéces  qui  fervent  À 
la  Mémoire. 

Ces  Efpéces  ,    félon  la  réponfe  qu'il  luy  fît ,  font  comme       ^^S-  *<'^- 
les  plis  qui  fè  confervent  dans  du  papier,  après  qu'il  a  été  une      ^^^[ 

I  *  fois 


i6  4-0, 

Item.  pag. 


Il  fcmbloit 
douter  que  ^4 
Mémouc  fut 
diftint'uée  de 
l'entende» 
ment  &  de  l'i- 
magination. 
Il  ne  croyoit 
pas  qu'elle 
pût  s'étendre 
ouaugmentcr> 
mais  feule- 
ment plus  ou 
moins  fe  rem- 
plir. 

V.  Stud.  bon. 
mentis. 
Cartcf.  Mf. 


Art.  9, 


66  La   Vie    de    M.  Des  carte  s. 

fois  plié.  Et  ainfîil  croyoit  qu'elles  font  principalement  re- 
mues dans  toute  la  fubftance  du  Cerveau ,  quoiqu'il  ne  vou- 
lût pas  nier  qu'elles  ne  puflent  être  auiîi  en  quelque  façon 
dans  la  Glande,  appellée  Conarium,  fur  tout  en  ceux  qui 
ont  l'efprit  ie  plus  hébété.  Car  pour  les  eiprits  fort  bons 
&  fort  fubtils ,  il  eftimoit  qu'ils  doivent  avoir  cette  Glande 
toute  libre  6^  fort  mobile  :  comme  nous  voyons  aufîî  que 
dans  les  Hommes  elle  eft  plus  petite  que  dans  les  Bêtes,  ce 
qui  eft  tout  le  contraire  des  autres  parties  du  Cerveau.  H 
croyoit  d'ailleurs  que  de  toutes  ces  Efpéces  qui  fervent  à  la 
Mémoire,  quelques-unes  peuvent  être  en  diverfès  autres  par- 
ties du: corps,  comme  l'habitude  d'un  Joueur  de  Luth  n'efl: 
pas  feulement  dans  fà  tête ,  mais  au/îî  en  partie  dans  les  muf. 
clés  de  (es  mains  :  la  facilité  de  pUer  6c  de  difpoler  fes  doits 
en  diverfes  façons  qu'il  a  acquifè  par  habitude  contribuant 
à  le  faire  fouvenir  de  ce  qu'il  doit  faire.  C'eft  ce  qui  paroi- 
tra  moins  difficile  à  croire,  Ci  l'on  confidére  que  ce  qu'on  ap. 
pelle  Mémoire  locale ,  eft  hors  de  nous.  Lors  que  nous  avons 
lu  quelque  Hvre  ,  toutes  les  Efpéces  qui  peuvent  fervir  à 
nous  faire  fouvenir  de  ce  qui  eft  dedans  ne  font  pas  dans 
nôtre  cerveau  :  mais  il  y  en  a  aufîî  plufîeurs  dans  le  papier 
de  l'exemplaire  que  nous  avons  lu.  Il  n'importe  pas  que  ces 
Efpéces  n'ayent  point  de  refTemblance  avec  les  chofes  dont 
elles  nous  font  fouvenir.  Car  fbuvent  celles  qui  font  dans  le 
cerveau  n'en  ont  pas  davantage,  comme  il  l'avoit  déjà  re- 
marqué au  quatrième  Difcours  de  fa  Dioptrique.  Mais  ou- 
tre cette  Mémoire  qui  dépend  du  Corps ,  il  en  reconnoifîbit 
encore  une  autre  tout-a-fait  intellecluelU ,  qui  ne  dépend  que 
de  l'Ame  feule. 

Laperfbnneà  qui  M.  Defcartes  déclaroit  ainfl  fâpenfée 
fur  l'ufage  de  la  petite  Glande  Conaire  ne  crut  pas  Hre  un 
Roman  en  lifànt  fà  lettre  ,  comme  fît  depuis  M.  de  Sorbiére 
en  lifànt  le  Traité  des  Paiîîons.  Elle  luy  en  fît  de  crés-hum- 
bles  remercimens  par  des  lettres  ,  &  par  de  grands  témoi- 
gnais de  fèrvices  dépofez  pour  lui  fir  la  bonne  foy  du  Père 
Mcrfenne ,  à  qui  M.  Defcartes  fît  connoître  aufTi  les  mêmes 
fèntimens  en  répondant  à  une  lettre  que  ce  Père  avoit  re- 
çue d'Angleterre  fur  le  projet  d'un  établifîement  qu'on  y 
méditoit  pour  nôtre  Philofophe. 

Il 


Livre  V.  ChapitreIX.  G-j 

Il  ne  paroiiïbit  pas  fort  éloigné  d'une  fcmblabîe  propofi-      \G±c). 
tion,  quoiqu'il  ne  fçûtrien  alors  de  ce  qu'on  faifoic  pour  lui.   __ 
Je  n'ay  point  oiiy  parler ,  dit-il  à  ce  Pcrc  ,  de  ce  que  vous  me 
mandez  qu'on  vous  a  écrit  d'Angleterre  ,  qu'on  écoit  fur  le 
point  de  m'y  £iire  aller.  Mais  je  vous  diray  entre  nous  que 
c'efl  un  Païs  dont  je  préférerois  la  demeure  à  beaucoup 
d'autres.  Et  pour  la  Religion  ,  on  dit  que  le  Roy  même  eit 
Catholique  de  volonté.    C'eft  pourquoy  je  vous  prie  de  ne 
pomt  détourner  leurs  bonnes  intentions.  Le  promoteur  de 
cette  entreprife  étoit  un  Seigneur  Anglois  nommé  Charles 
Cavendifchi  que  nous  prononcions  C^«^//??^?^Chevalier  de  l'Or-     jj  ^^^^^^ 
dre  de  la  Jarretière ,  grand  Mathématicien  ,  frère  unique  du  deux  ans  a- 
célébreDuc  de  Newcaftl,dontnous  avons  la  vie  écrite  par  la  présM.Defc 
Duchefle  fà  femme.  MilordCandifche  étoit  devenu  éperdû- 
ment  amoureux  de  laPhilofbphiede  M.  De/cartes,  &  il  re- 
gardoit  fà  Méthode  comme  un  excellent  moyen  de  porter 
les  Mathématiques  à  leur  perfection.  Il  avoit  obtenu  du  Père   Tom.  i.  Acs 
Merfenne  qu'il  lui  envoyeroit  des  copies  de  ce  qui  luy  re-   J^^^  ^^^' 
venoit  de  la  main  de  M.  Defcartes ,  à  qui  ce  Père  avoit  de- 
mandé pourtant  la  permilîîon  d'en  ufèr  ainfi,  fans  ôter  au 
Seigneur  Anglois  la  penfëe  que  ce  petit  commerce  fè  feroit 
à  l'infçû  de  M.  Defcartes.  Et  le  Père  en  fut  quitte  pour  s'o- 
bliger à  marquer  au  bas  de  tout  ce  qu'il  feroit  tenir  à  ce 
Seigneur,  que  M.  Defcartes  ne  luy  écrivoit  jamais  que  fort  à 
la  hâte  y  ni  jamais  a  dcjfein  que  cela  fut  vu  de  perfonne  que  du 
Père. 

M.  Candifche  voyant  que  M.  Defcartes  ne  témoignoit 


point  beaucoup  de  répugnance  pour  pajGTer  en  Angleterre, 

voulut  tenter  en  même  têms  fbn  intime  ami  M.  Mydorge  j^^l^bé ''mv^^ 

qu'il eflimoit  aufll  très  particulièrement,  &  qu'ail  fçavoit  a-   dorge,  &c. 


voir  déjà  dépenfé  de  grandes  fommes  pour  les  lunettes  ,  &: 
pour  diverfès  expériences.  M.  Mydorge  ayant  un  ètablifle- 
ment,  6c  une  famille  confîdérable  dans  Paris,  fut  plus  diffi- 
cile à  ébranler  que  M.  Defcartes.  Cet  obftacle  ne  fut  point 
capable  d'^arrêter  le  zèle  de  M.  Candifche.  Il  en  parla  au 
Roy  Charles  I.  qui  aimoit  les  fçences  &;  les  beaux  arts ,  ôc 
qui  avoit  formé  le  cleflèin  de  ralîembler  le  plus  qu'il  pour- 
roit  de  grands  génies  pour  faire  des  expériences  de  Phyfique. 
Ce  Prince  avoit  eu  la  bonté  de  promettre  qu'il  fè  chargeroic 

I  ij     *  volontiers 


6B  LaViede  M.  Descartes. 

1640,  volontiers  de  la  famille  de  M.  Mydorge.  Mais  les  commen- 
'"^"^"'^  cemens  des  troubles  de  la  Grand'-Bretagne  leur  ayant  fait 
appréhender,  à  M.  Defcartes  &  à  luy ,  que  les  grandes  Tom- 
mes que  le  Roy  vouloir  deftiner  aux  expériences  Physiques 
n'allailent  aux  frais  de  la  guerre  ^  qu'ils  ne  fulTent  privez  du 
repos  dont  on  les  flattoit ,  èc  en  même  têms  de  tous  les  eiFets 
de  la  bonté  de  ce  Prince  ,  ils  relièrent ,  l'un  en  Hollande ,  èc 
l'autre  à  Paris,  &;  contmuérent  les  exercices  de  leur  amitié 
avec  M.  Candiiclie  comme  auparavant. 

Ce  n'étoit  pas  une  amitié  llérile.  Elle  n'étoit  pas ,  com- 
me celle  de  plufieurs  autres ,  inutile  à  l'avancement  de  la 
Philofbpliie  de  M.  Defcartes  qui  ne  dillimuloit  point  l'avan- 
tage qu'il  recevoir  ,  non  feulement  dQs  avis  qu'ils  luy  don^ 
noient,  mais  encore  plus  des  difficultez  dont  ils  l'obligeoient 
de  les  débaraller.  Le  erand  nombre  des  Sectateurs  de  ia 
Philoiophie  les  faifbit  déjadiftinguer  en  deux  ClafTes^  dans 
la  première  defquelles  on  rangeoit  ceux  qui  y  contribuoient 
quelque  choie  de  leur  fonds,  foit  en  luy  donnant  de  nou- 
velles lumières  par  leurs  obfervations ,  fbit  en  l'obligeant  de 
-  prendre  garde  à  luy-même  par  leurs  objeèlions.  L'autre 
eipèce  dont  la  multitude  commenc^oit  déjà  à  épouvanter  les 
autres  Sedes ,  étoit  de  ceux  qui  fe  contentoient  d'embrafîer 
fa  Philoiophie  fms  être  en  état  de  l'orner  ou  delà  défendre. 
C'efl  au  nombre  de  ces  derniers  qu'il  faut  ranger  le  célèbre 
JAf.  de  Sanmaifc  ,  dont  les  grands  talens  ètoient  deftinez 
pour  autre  chofe  que  pour  la  Philofophie ,  èc  la  recherche  des 
Spcdm.HiU.  véritez  naturelles  :  s'il  eft  vrayque  ce  grand  homme  ait  fait 
^^'^  ■  profeffion  d'être  Carteiîen ,  comme  nous  l'affurent  Lipftor- 

Hift.  Ph:i.  pius,  Tepeiius,  &  les  autres  Auteurs  qui  ont  parlé  des  pre- 
miers Sectateurs  de  la  nouvelle  Philoiophie.  On  ne  pou- 
voit  être  Cartelien  du  vivant  de  M.  Defcartes  fans  être  foii 
ami ,  fur  tout  fi  l'on  avoit  à  vivre  avec  luy.  M.  de  Saumaile 
fcmbloit  être  porté  par  diverfes  confidérations  à  rechercher 
l'amitié  de  M.  Defcartes  ,  6c  à  luy  faire  part  de  la  fienne.  Il 
étoit  Gentilhomme  François  comme  luy,  retiré  dans  un 
Païs  étranger  avec  luy,  âgé  de  peu  d'années  plus  que  luy  5 
l'un  èc  l'autre  venus  de  parens  qui  faifoient  l'ornement  ^ 
Tappuy  des  Parlemens  de  leurs  Provinces  ,  l'un  &  l'autre 
dans  la  même  fituation  à  l'égard  de  leur  parenté  ,  l'un  èç 

l'autre 


LivkeV.     Chapitre    IX.  ^9 

l'autre  privez  de  leurs  Pérès  en  une  même  année.  L'avan-     ï"4^' 
tacre  que  M.  Defcartes  avoit  fur  luy  touchant  la  Religion  de  ""~~~~" 
leurs  Pérès  ,  n'étoit  pas  plus  un  obftacle  à  leur  amitié  en 
Hollande  parmi  les  Protellians,  qu'il  Tauroit  été  en  France 
parmi  les  Catholiques.    Auflî  ne  peut-on  pas  difconvenir 
qu'ils  ne  fuiïènt  amis ,  &  M.  Defcartes  avoit  rendu  dés  l'an  Tom.  t.  des 
163S  des  témoignages  fiiftifàns  de  cette  amitié  à  M.  deZuyt-  km.ç.n?, 
lichem ,  à  l'occaiion  des  remercimens  qu'il  avoit  à  luy  faire 
pour  des  nouvelles ,  ^  pour  un  livre*  qu'il  luy  avoit  envoyez^   ^  ce  livrée- 
6c  dont  il  croyoit  avoir  toute  l'obligation  à  M.  de  Saumaife.   toit  de  Mon- 
L'amitié  de  IVL  Defcartes  n'auroit  pas  été  allez  glorieufè  à  jieurBoUii- 
M.  de  Sâumaiïè,  fi  elle  n'avoit  été  accompagnée  defon  efli-  tHmi(*Js. 
me ,  étant  aulTi  grand  ennemi  de  la  flaterie  6c  du  menfbnge 
que  nous  l'avons  remarqué  ailleurs.  M.  Defcartes  eftimoit 
donc  M.  de  Saumaife,  6c  pour  me  fervir  de  fès  termes  ,  il  ^  ibid.pag. 
i'eftimoit  à  tel  point,  qu'il  tenoit  à  beaucoup  de  bonheur  u  ''^^' 
d'avoir  quelque  part  en  fes  bonnes  grâces.  Mais  comme  c*é-  «< 
.çoit  une  efpéce  de  fatalité  attachée  à  ceux  d'entre  les  amis 
de  M.  de  Saumaile  qui  avoient  du  mérite  ,  d'éprouver  les 
effets  de  fà  mau  vaife  humeur  :  la  bonne  fortune  de  M.  Defcar- 
tes voulut  qu'il  fe  trouvât  envelopé dans  leur  fort,  crainte 
quela  calomnie  ne  le  contât  un  jour  parmi  certains  amis  de 
Monfieur  de  Saumaife ,  qui  avoient  l'efprit  afTez  bas  6c  le 
cœur  afiez  lâche ,  pour  eflimer  ou  adorer  les  défauts  de  ce 
grand  homme.  Il  efl  vray  qu'il  ne  luy  arriva  qu'une  feule 
occafion  en  fa  vie  d^'efTuyer  fon  chagrin ,  mais  une  occafion 
de  néant  :  6c  il  €n  fut  redevable  à  fa  propre  prudence  qui  le 
tint  prefque  toujours  éloigné  de  fa  converfàtion ,  lors  même 
qu'il  demeuroit  à  Leyde ,  ou  réfidoit  M.  de  Saumaife.  Il 
faut  entendre  fur  ce  fujet  M.  Defcartes  même  qui  fè  trouva 
en  cette  année  *  plaifamment  obligé  de  fe  juflifîer  au  Père     .   '^'^^' 
Merfenne  de  l'amitié  que  M.  de  Saumaife  le  fbup<^onnoit  adMafeL.* 
d'entretenir  avec  itfm^//W ,  c'eft-à-dire,  avec  un  ennemi  qu'il  Mf.  du  19  a- 
haïlloit  d'une  haine  trés-parfiite. 

Le  heur  de  Saumaife ,  dit  M.  Defcartes  au  P.  Merfenne, 
à  grand  tort ,  s'il  me  prend  pour  ami  de  Heinfius,  auquel  je 
n*ay  encore  jamais  parlé ,  6c  que  j'ay  fçi  avoir  averfion  de 
moy ,  il  y  a  longtêms ,  à  caufe  que  j'étois  ami  de  Balzac  (  qui 
A  cenfuré  fa  Tragédie  d'Hcrode,  6c  qu'il  eit  Pédant.  Mais 

I  iij    *  Monfieur 


V! 

il  16 

J8. 

Sorbiéie  kttr.' 

y  aufTile 

tom. 

1. 

part. 

i.des 

Juq. des 
fc.auxCric, 

Giamm» 

•jo  La    Vie    de    M.    Descartes. 

1 6  4  o.  >5   Monfîeiîr  de  Saumailè  efi  ingénieux  k  fe  forger  des  adverfaires. 


>}  Hciniîus  a  fait  imprimer  un  vers  à  la  fin  de  (on  livre  fur  le 
IcTLe^  ■»  Nouveau  Teftamcnt ,  compofé  en  fa  faveur  par  M.  deZuyt- 
dcDefc.  '  >î  lichem.  M.  de  Saumaife  a  déclamé  contre  ce  vers  dans  la 
p.  ^74-  53  Préface  de  ion  fécond  tome  de  Vfuris ,  difànt  que  ceux  qui 
53  flatent  ainfi  les  auteurs  dQs  livres  qu'ils  n'ont  point  vus  utrem 
55  inflare  prgunt ,  ècc.  M.  deZuytlichem  s'en  plaignit  à  Mon- 
55  lieur  Rivet,  auquel  M.  de  Saumaife  écrivit, une  lettre,  non 
n  pas  tant  pour  s'excufèr  que  pour  fe  défendre.  M.  de  Zuyt- 
53  lichem  a  fait  quelques  remarques  fur  cette  lettre,  lefquelles 
,5  il  m'envoya  pour  me  les  faire  voir,  èc  je  luy  en  manday 
55  mon  fèntiment.  De  forte  qu'encore  que  je  ne  mefouvienne 
55  plus  de  ce  qui  étoit  dans  ma  lettre  qui  étoit  fi  peu  étudiée 
53  que  je  n'en  avois  pas  fait  de  broiiillon ,  je  fuis  afluré  de  n'y 
55  avoir  rien  mis  au  defàvantage  de  M.  de  Saumaife ,  finon 
,5  peut-être ,  qu'/7  étoit  un  peu  trop  aifé  k  offenfer.  Car  c'efl 
„  celle  qu'il  dit  avoir  viië  :  &:  à  vous  dire  le  vray  ,  je  n'ay 
„  jamais  eu  grande  familiarité  avec  luy. 


CHAPITRE      X. 

2A.  Defcartes  fe  brouille  avec  les  Je  fuites  contre  fon  attente.  EfH- 
me  &  déférence  qu  il  avoitpour  leur  Compagnie  en  général  ^  ^ 
four  fes  membres  particuliers,  il  efi  attaqué  par  le  P.  Bourdm 
dans  des  Thé  fes  de  Mathématique  ,  ^  par  un  Ecrit  particu- 
lier. M.  Defcartes  écrit  au  P.  Recleur  du  Collège  de  Clermont :, 
pour  faire  changer  cette  manière  de  réfuter  fes  écrits ,  pour  f^a- 
voir  les  fentimens  de  la  Société.^  ^  pour  fe  préparer  à  foutenir 
le  choc  desjéfuites^  au  cas  quils  luy  refufaffent  leur  bienveillan- 
ce ^  la  charité  qu*il  efpéroit  d'eux.  Il  informe  fes  amis  de  ce 
qui  fe  paffe  j  ^  //  répond  d'abord  à  l'Ecrit  du  P.  Bourdin. 

LEs  plus  bsaux  établifîèmens  de  ce  monde  n'ont  jamais 
manqué  de  contradidions.  Ce  font  à^s  épreuves  né- 
cefîàires  à  leur  folidité  :  &  l'on  a  toujours  jugé  de  leur  du- 
rée par  l'inutilité  des  efforts  de  ceux  qui  fe  font  oppofez  à 
leurs  commençemens  ,  ou  qui  ont  tâché  d'ébranler  leurs 
fondemens,  La  Philofophie  de  M.  Defcartes  n'a  voit  pas  en- 
core 


164.0. 


Livre  V.    Chapitre    X.  71 

core  trouvé  d'obftacles  à  ion  avancement  qui  euflent  paru 
jurqu'icy  difficiles  à  {lirmonter.  Tout  fembloit  être  riant  po'jr  ^ 

elle,  lorfque  huit  ou  dix  jours  après  avoir  triomphé  à  U- 
trecht  dans  les  Théfes  publiques  de  M,  Régius ,  elle  fut  at- 
taquée à  Paris  dans  d'autres  Théfès  pubhques  foiitenues  au 
collège  de  Clermont. 

Cette  nouvelle  furp rit  d'autant  plus  M.  Defcartes,  qu'il 
s'étoit  crû  jufques-là  l'ami  6c  le  trés-obéïiîant  fèrviteur  d'une 
Compagnie  à  qui  il  étoit  redevable  defbn  éducation  :  outre 
que  plufîeurs  d'entre  lesjéfuites  de  la  première  diftindion, 
l'honoroient  d'une  affection  trés-fincére  ,  ôc  que  quelques- 
uns  en  particulier  s'étoient  rendus  fedateurs  de  fà  Philofb- 
phic.  Néanmoins  fbn  efprit  rentra  dans  le  calme ,  ayant  con- 
fidéré  que  ce  qui  s'étoit  pafTé  au  collège  des  Jéfuites  de  Pa-  V-  pag.  ut , 
ris  ,  n'ètoit  que  l'accompliilement  des  prières  qu'il  avoir  ^'^  '  ^'^  * 
faites  plus  de  deux  ans  auparavant  aux  Pères  de  ia  connoif-  i.  tome, 
fance,  de  Elire  examiner  particulièrement  fes  ouvrages  par 
les  Philofbphes  &  les  Mathématiciens  de  leur  Compagnie. 
Il  leur  avoir  voulu  perfuader  dés  lors  qu'il  n'ètoit  guères 
moins  de  leur  intérêt  que  du  ilen  ,  qu'ils  voulufTent  bien  a- 
voir  cette  charité  pour  luy.  »  Il  n'y  a  perfbnne,  difbit-il  à  l'un 
d'eux  qui  la  luy  avoit  promifè ,  qui  me  fêmble  avoir  plus 
d'intérêt  à  examiner  mon  livre  que  ceux  de  vôtre  Com- 
pagnie. Car  je  vois  déjà  tant  de  gens  fè  porter  à  croire  ce 
qu'il  contient ,  que  je  ne  f^ay  pas  de  quelle  façon  ils  pour- 
ront dorénavant  enfèigner  ia  Phyfîque,  oc  fur  tout  les  Mé- 
téores, comme  ils  font  tous  les  ans  dans  la  plupart  de  vos 
collèges ,  s'ils  ne  réfutent  ce  que  j'en  ay  écrit,  ou  s'ils  ne  le 
fuivent.  Et  parce  que  je  içay  que  la  principale  raifbn  qui  fait 
que  les  Vôtres  rejettent  fort  loigneufement  toutes  fortes  de 
nouveautez  en  matière  de  Philofophie  ,  eft  la  crainte  qu'el- 
les ne  caufentaufTi  quelque  chano-ement  dans  la  Thèoloeie. 
je  veux  icy  particulièrement  vous  avertir  qu'il  n'y  a  rien  du 
tout  à  craindre  de  ce  côté-là  pour  les  miens.  J'ayfiij et  de 
rendre  grâces  à  Dieu  de  ce  que  les  opinions  q-ù  m'ont  fèm- 
blè  les  plus  vrayes  dans  la  Phyfique  par  la  confidération 
des  caufes  naturelles  ,  ont  toujours  été  celles  qui  s'accor- 
dent le  mieux  de  toutes  avec  les  myftéres  de  la  Religion  , 
comme  j'efpére  le  faire  voir  clairement  aux  occallons. 

Mais 


Tom,  I. 
des   Lettr. 
P   369. 
pag.    5 7 S. 
379.  du  1. 
tom. 


♦♦ 


72  L  A    TiE    DE    M.    D  ESCARTES. 

1640.  Mais  le  grand  nombre  de  ceux  qui  luy  envoyèrent  depury 

_  leurs  objections  ,  luy  ayant  fait  juger  qu'il  pourroit  être 

tombé  dans  quelques  erreurs,  ou  avoir  parlé  en  divers  en- 
droits avec  trop  d'obrcurii;é,il  avoit  témoigné  defirer  «  que 
pag.  378.    „   Iq^  Pérès  Jéfuites  fur  tout  eulFent  voulu  être  du  nombre  de 
if  tôm!     "   ces  oppoiàns  ;  6c  ils  le  luy  avoient  fait  efpérer  par  des  let- 
itcm  pag.  ,5   très  de  la  Flèche,  de  Louvain,  Se  de  Lille.  Mais,  dit-il  à  M. 
g68,  ibid.   ^^   j^  Zuytlichem  ,  j'ay  reçu  depuis  une  lettre  de  l'un  de  ceux 
«    de  la  Flèche,  où  je   trouve   autant  d'approbation  que  j'en 
>5   puilîe  defîrer  de  perfonne.Jufques  là  qu'il  dit  qu'il  nedefi- 
55   re  rien  en  ce  que  j'ay  voulu  expliquer  ,  mais  feulement  en 
>5   cequ?  je  n'ay  pas  voulu  écrire.  D'où  il  prend  occaiîon  de 
j5   me  demander  ma  Phyfique  ëc  ma  Métaphylique  avec  grande 
)5    inftance.  Ef  comme  je  fcay  la  correfpondance  ^  l'union  qtii  cjl 
)>   entre  ceux  de  cet  Ordre  y  le  témoiyiay:  d^ un  (cul  cfi  fujjfifant  ^our 
»   me  faire  efpérer  que  je  les  auray  tous  de  mon  coîé^ 

L'exemple  du  Père  Cierraans  Jéfuite  de  Louvain  luy  avoir 
fait  connoître  de  bonne  heure  qu'il  eipéroit  trop,  &:  que  les 
particuliers  de  la  Compagnie  fe  donnent  quand  il  i^ur  plaît 
la  liberté  de  fe  féparer  de  ièntimens  dans  des  opinions  pro- 
blématiques ,.  fans  blelîer  la  correfpondance  ^  l'union  qui  efl  en- 
tre tous  ceux  de  l* Ordre.  Mais  le  procédé  du  Père  Ciermans 
l'ayant  charmé  :  l'honnêteté  &  la  bonne  foy  avec  laquelle 
il  luy  avoit  propofé  {qs  objedions  en  particulier,  fans  même 
vouloir  être  connu,  luy  avoit  fait  efpérer  que  tous  ceux  de  c^X.- 
te  Compagnie  qui  trouveroient  quelque  chofè  à  redire  dans 
fcs  écrits  pourroient  garder  une  conduite  femblable  dans 
-^  leurs  objeèlions  ou  leurs  réfutations^  à  caufè  de  la  correfpon- 

dance &;  de  l'union  ,  que  forme  l'efprit  de  la  Société  dans  tous 
{(^^  membres.  Dieu  permit  au  Père  pierre  Bourdin  de  le 
tromper.  Ce  Père  qui  étoit  venu  de  la  Flèche  au  Collège 
de  Clermont,  dit  depuis  quelques  années  de  Loiiis  le  Grand, 
Ne  en  i59r.     ç^x.6\t  natif  de  Moulins  en  Bourbonnois ,  &  il  n'étoit  que  d'un 

Bibl.  foc.  J.  .        1.        A      f  x/f    T^    r  Ti     '      • 

parSotvvcL  an  &  quelques  mois  plus  âge  que  M.  Delcartes.  11  etoit  en- 
tré en  iéi2.  dans  la  Compagnie  des  Jéfuites  ,  où  après  avoir 
enfeip-né  la  Rhétorique  pendant  fept  ans ,  il  profelFoit  ac- 
tuellement les  Mathématiques  avec  beaucoup  de  réputation 

:^ûif/3;  depuis  cinq  ans,  &;  il  mourut  d'une  chute  trois  ans  &  demi 

après  M.  Dçfcarces. 

Ayant 


Livre    V.    ChapitkeX.  73 

Ayant  cté  curieux  de  voir  le  difcours  delà  Méthode fuivi         , 
des  trois  Traitez  qui  en  compofent  les  EfTaiSjfur  le  biuit  que         '"^ 
ce  livre  anonyme  raifoit  à  Pans,  il  s'étoit  arrêté  principale- 
ment fur  le  Traité  de  la  Dioptrique ,  où  il  avoit  remarqué 
quelque  choie  qui  ne  luy  paroiiîbit  pas  conforme  à  ce  qu'il 
penfoit  fur  cette  matière.    Mais  ne  longeant  qu'àremphrle 
devoir  d'un  bon  Profefleur,  qui  efl:  de  convertir  toutes  {qs 
lectures  &  lès  réflexions  à  l'uiâgc  de  Tes  Ecohers  ,  il  inféra 
dans  les  Théfes  de  Mathématiques  qu'il  devoit  leur  faire  fou- 
tenir  ce  qu'il  avoit  à  réfuter,  au  lieu  de  prendre  le  parti  d'en- 
voyer fès  objeélions  â  l'auteur  même ,  comme  en  avoient  ufé 
Meilleurs  de  Fermât,  Petit,  Morin  &  les  autres  Mathéma- 
ticiens, Il  avoit  choiii  pour  foutenir  la  principale  de  ces  Thé- 
fes un  jeune  homme  de  beaucoup  d'efprit  &:  de  feu  ,  nom- 
mé Charles  Potier^  fils  du  Lieutenant  Particuher  du  Préfidial 
de  Château-Thierry,  feigneur  de  Berales,  qui  fut  dans  la 
fuite  de  fà  vie  l'un  des  admirateurs  &:  des  fcctateurs  de  M. 
Defcartes ,  malgré  les  imprelîîons  de  fon  Maître.    La  Thélè 
dédiée  à  M.  l'Abbé  Lefcandart  fut  foutenuc  pendant  ;'eux  Claudio  Lef- 
jours  de  fuite,  qui  étoient  le  dernier  de  Juin,  &  le  premier  Jiçv^^ie  se^* 
de  Juillet  1640.  On  en  écrivit  aufîî-tôt  à  M.  Defcartes,  &  aeta. 
on  lui  manda  qu'il  y  avoit  trois  articles  qui  lembloientlere- 
earder.  On  lui  en  envoya  l'extrait ,  &  celuy  qui  prit  ce  foin  ^"5  ^^  la  p. 
etoit  le  Père  Merlenne,  qui  s  etoit  trouve  de  retour  de  fon  je  la  p.  15,  de 
voyage  afiez  à  propos  pour  affifter  à  la  Théfe  ,  &  pour  dé-  laTliéfe. 
fendre  les  opinions  de  fon  ami  dans  la  difpute.  Ce  Père  n'a- 
voit  pas  oublié  de  lui  envoyer  en  même  têms  le  préambule 
de  la  Théfe,  c'eft-à-dire ,  le  difcours  préliminaire  compofe 
par  le  Profefîeur  pour  faire  l'ouverture  de  la  difjpute  ,  par- 
cequ'il  étoit  entièrement  contre  lui  :  en  lui  marquant  que  c'é- 
toit  le  Profefîeur  même  c]uile  lui  envoyoit  par  fon  mtniftére, 
M.  Defcartes  qui  avoit  oublié  la  manière  àowx.  on  fe  com- 
porte dans  les  collèges  j  ayant  vu.  le  difcours  préUminaire,  ôc 
les  articles  de  la  Théfè  ,  s'imagina  qu'on  avoit  eu  intention 
de  lui  faire  ip.fulte  publiquement.  Il  avoit  efpéré  que  lesjé- 
fuites  fiir  tous  les  autres ,  auroient  plutôt  pris  le  parti  de  l'a- 
vertir de  fes  flûtes  en  particulier.  Mais  voyant  qu'ils  n'a- 
voient  pas  même  daigné  fuivre  l'exemple  des  autres  qui  lut 
avoient  envoyé  leurs  objections  pour  luy  donner  lieu  de  ré- 

K  *  pondre. 


74  La    Vie    de  m.     Descartes. 

1640.     pondre  ,  il  crut  qu'au  lieu  de  vouloir  le  corriger,  on  s'ëtoic 
■  ,i         —  étudié  à  le  traduire  en  ridicule  devant  le  plus  beau  monde 
de  Paris  -,  &  qu'on  avoit  profité  de  fbn  abfènce  pour  pouvoir 
le  condamner  fans  l'entendre.  Il  faut  avouer  que  fa  patience 
pour  ce  coup  ne  fat  point  à  l'épreuve  de  cette  tentation.  Il 
perdit  l'indifférence  qu'il  avoit  témoignée  en  tant  de  ren- 
duTvoi  des     contres  pour  ce  qui  fe  padbit  à  fbn  préjudice  ^  &  il  fe  mitfe- 
Lettr.  p.  4.      rieufement  en  colère  lorfqu'il  vid  que  le  ProfefTeur,  fous  pré- 
texte  de  former  un  fujet  de  difpute  à  fes  Ecoliers  ,  lui  a- 
voit  attribué  des  opinions  qu'il  n'avoit  point,  pour  les  réfu- 
Lanes^p.  jo.   ^^^  P^^^  facilement.    Il  eut  tort  fans  doute  de  ne  pas  confi- 
dérer  qu'en  ces  occafions  les  Maîtres  font  fouvent  obligez  de 
forger  des   chimères  à  leurs  difciples  pour  les  accoutumer 
au  combat  ^  que  tout  ce  qui  fe  paife  dans  ces  adions  publi- 
Tom.  i.pag.  ^^,^^  qu'un  ieu  &:  un  divertilTement  d'efprit  :  que  ce  qui 

s  y  dit  n  elt  d  aucune  conlequence  contre  la  vente  des  opi- 
nions d'un  auteur  qu'on  y  attaque  ^  que  félon  l'ufage  des 
Ecoles  il  efl  de  l'honneur  du  Maître  àc  du  Répondant  de  pa- 
roître  au  moins  fortir  vidorieux  de  la  difpute  3  que  ces  pe- 
tits triomphes  n'ont  qu'un  jcur  de  durée,  &c  que  les  applau- 
difTemens  ne  regardent  ni  le  Maître,  ni  les  opinions  du  Maî- 
tre, mais  feulement l'Ecoher  de  qui  on  efl  content,  lorfqu'il 
a  bien  répété  un  argument,  &:  qu'il  a  répondu  (  bien  ou  mal  ) 
conformément  aux  leçons  de  fon  Maître. 

Son  chagrin  augmenta  lorfque  rappellantdans  fbn  efprit 
les  effets  que  pouvoit produire,  félon  luy,  la  correfpondance 
&°n!iv^ans.^''    6c l'union  qui  eft entre  tous  les  membres  de  ce  grand  corps,  il 
Tom.  i.page    crut  devoir  conclure  de  l'exemple  du  P.  Bourdin  qu'il  alloit 
^^'  avoir  tous  les  Jéfuites  fur  les  bras  j  fur  tout ,  depuis  qu'il  eut 

f^ù  que  plufieurs  d'entr'euxne  parloient  pas  bien  defès  écrits. 
Et  parcequ'il  croyoït  qu'il  ne  pouvoit  rien  venir  que  de  bien 
concerté  d'aucun  de  cette  Compagnie ,  il  prit  l'alarme ,  6c  re- 
garda dés  lors  cette  Compagnie  comme  une  armée  formida- 
ble qui  venoit  à  luy.  Il  n'en  fut  point  déconcerté,  mais  raf. 
femblant  tout  fbn  courage ,  il  réfolut  de  marcher  feul  con- 
tre tous,  fans  s'arrêter  à  combattre  ni  le  Père  Bourdin,  ni 
aucun  autre  en  particulier.  Il  ne  perdit  pas  le  jugement  dans 
une  réfblotion  fî  étrange  ,  il  vid  qu'il  falloit  aller  bride  en 
main  pour  éviter  les  fauffes  démarches  3  6c  dans  cette  vue  il 

commença 


Livre   V.    Chatitre    X.  75 

commença  par  s'adrefTcr  au  Pcre  Recteur  du  collège  de  Cler- 
mont,  auquel  il  écrivit  en  Latin  le  xxii  de  Juillet  une  lettre 
également  refj^edue aie  de  vigoureufe,  dans  laquelle  il  niar- 
quoit  fa  dapolition  à  peu  prés  en  ces  termes,  ce  Ayant  recon- 
nu ,  dit-il ,  dans  les  Pérès  de  vôtre  Compagnie  une  bonté 
toute  partiC'iliére  pour  vouloir  enfèigner  les  autres  :  j'ay  cru 
que  vous  ag  écriez  l'occafion  que  je  vous  préfente  aujour- 
d'hui d'éx?rcer  cette  bonté  à  mon  égard.  Il  n'eft  pas  né- 
ceflaire  pour  cela  que  j'aye  l'honneur  d'être  connu  de  vôtre 
Révérence  ^  il  fufîit  que  j'aye  appris  qu'à  l'occafion  de  quel- 
ques Tliélèsibutenuës  depuis  quelques  jours  dans  vôtre  col- 
lège ,  on  ait  fait  connoître  publiquement  qu'il  y  a  des  erreurs 
dans  mes  écrits  qu'il  faut  corriger.  J'ay  crû  qu'il  m'étoit 
afîèz  inutile  de  fçavoir  le  nom  du  Père  qui  leinble  m'avoir 
fait  efperer  ce  bon  office  ,  &  qui  félon  toutes  les  apparen- 
ces n'efl:  autre  que  vôtre  ProfefTeur  en  Mathématiques  : 
parce  qu'étant  avoiié,  fans  doute ,  de  fa  Compagnie,  ce  n'eft 
point  tant  à  luy  qu'à  la  Compagnie  que  j'ay  dii  m'adrefTer 
pour  obtenir  cette  charité.  Comme  je  fqai  que  tous  ceux 
qui  compofent  vôtre  Corps  font  tellement  unis  enfemble, 
qu'aucun  d'eux  ne  fait  jamais  rien  qui  ne  fbit  approuvé  de 
toute  la  Compagnie ,  ce  qui  fait  que  ce  qui  vient  de  quel- 
qu'un des  vôtres  doit  avoir  beaucoup  plus  d'autorité  que  ce 
qui  vient  des  autres  particuliers  :  ce  n'eft  pas  fans  fondement 
que  j-e  fouhaite  &  que  je  me  promets  d'obtenir  de  vôtre  Ré- 
vérence,ou  plutôt  de  toute  vôtre  Compagnie,une  faveur  qui  a 
été  promife  publiquement  par  un  des  Pérès  de  la  même  Com- 
pagnie. Vous  conviendrez  que  je  ne  fuis  pas  tout-a-fait  indi- 
gne de  cette  faveur,  fi  je  vous  dis  que  je  ne  fins  pas  de  ces 
efprits  opiniâtres  qui  ne  veulent  rien  rabattre  de  leurs  pre- 
miers fèntimens  ^  &  que  je  n'ai  pas  moins  de  docilité  pour 
apprendre,  que  vos  Pérès  pourroient  avoir  de  facilité  pour 
enfèigner.  C'eft  ce  que  je  croyois  avoir  fuffifamment  dé- 
claré dans  le  difcours  de  la  Méthode  ,  qui  fert  de  préface 
à  mes  Efîais,  où  j'avois  prié  en  termes  exprés  tous  ceux  qui 
auroient  quelques  objections  à  faire  contre  ce  que  j'ai  écrit, 
de  prendre  la  peine  de  me  les  envoyer.  On  a  jugé  à  propos 
d'en  ufer  autrement  chez  vous ,  mais  puifqu'on  n'y  a  point 
trouvé  mes  opinions  iadignes  d'être  réfutées  pubhquement,. 

K  ij     ^  il 


j6 


40. 


Tom.j  des 
Lcttr.  pag. 


Omnttt 
membre 
vejlri  C0rpe~ 
ris  tam  arc- 
u  te  inter  fe 
ejfe  conjun' 
hx,utnihil 
^^  unquam  nh 
^^  une  fiât 
quoi  non. 
ab  omnibus 
approbetur^ 
Tâg.  Î3t 


Part.  i. 
art.  7, 


7^  La   Vie  de  M.  Descartes. 

1640.  "   il  ^^  i'^^^  4^^  P^î*  ^i"C  ^^^it^  <^^  1^  même  chariré  vous  m'ap- 

,5  preniez  ce  qui  s'y  eft  dit  pour  les  réfuter,  &  que  de  vôtre 

,5  côté  vous  ayez  le  plaifir  de  me  voir  rentrer  fous  vôtre  diC 
,î  cipline.  Pour  vous  faire  mieux  fentir  la  nécefîité  qui  doit 
,î  vous  pre/T^r  de  faire  examiner  tous  mes  ouvrages ,  je  vous 
donne  avis  d'un  grand  nombre  de  perfonnes  qui  font  en  ré- 
putation d'avoir  del'efprit,  &  quiiè  trouvent  portez  à  fui- 
vre  mes  opinions.  De  forte  qu'il  eft  trés-important  de  les 
>î  réfuter  de  bonne  heure,  fi  elles  fe  trouvent  fauftes ,  pour  en 
55  prévenir  les  fuites.  C'eft  au  refte  ce  que  perfonne  ne  fçau- 
55  roit  faire  plus  commodément  que  vos  Pérès.  Car  vous  avez 
rj  parmi  vous  un  fi  grand  nombre  de  fc^avansPhilofopheSj  que 
>j  fî  chacun  d'eux  vouloit  fe  donner  la  peine  de  me  faire  feu- 
lement une  objeétion  ,  je  fuis  perfuadé  qu'elles  compren- 
droient  enfemble  tout  ce  que  les  autres  me  pourroient  ob- 
jeder.  Vous  me  permettrez  donc  d'attendre  cela  de  vous, 
non  feulement  parce  que  c^'a  été  mon  intention  dés  que  j'ay 
lailTé  fortir  mes  écrits  de  la  prefle ,  6c  que  la  choie  m'avoic 
déjà  été  promife  depuis  deux  ou  trois  ans  par  quelques-uns 
de  vos  Pérès,  mais  encore  parce  qu'il  m'eft  refté  une  efpéce 
de  droit  flir  vôtre  charité  ,  acquis  par  une  éducation 
de  prçs  de  neuf  ans  dans  l'un  de  vos  collèges.  Mais  indépen- 
demment  de  cela ,  l'eftime  que  je  fais  de  vôtre  doctrine,  &; 
le  reipecl  que  j'ay  pour  vôtre  vertu  ne  me  permettront  pas 
î3   de  préférer  les  corrections  des  autres  aux  vôtres. 

M.Defcartes  crut  devoir  confier  cette  honnête  déclara- 
tion de  guerre  à  une  perfonne  {âge  &  difcrete  :  &  par  cette 
confîdcration  il  en  chargea  fon  ami  M.  Mydorge ,  pour  la 
rendre  au  P.  Redeur  ,  &  luy  faire  comprendre  en  même 
têms  qu'il  n'y  avoit  aucune  témérité  d^  s'être  adreffé  en 
droiture  à  fa  Révérence  ,  après  que  le  Père  Bourdin  avoit 
commencé  la  guerre  dans  les  formes ,  non  point  par  fà 
Thélé,  dont  il  ne  fcroit  plus  queftion  ,  mais  par  une  P^éli- 
tation  ou  efcarmouche  qu'il  luy  avoit  envoyée.  Il  écrivit  le 
xxn.  Juillet.  îji^Q-te  jour  au  Père  Merfènne  pour  le  remercier  de  l'afFec- 
Pag.^o.  du  tion  avec  laquelle  il  l' avoit  défendu  à  la  Théfe  des  Jéfuites, 
&;  pour  luy  envoyer  des  Thèfes  tcnites  Cartéiiennes  de  l'U- 
mverfîté  d*Utrecht ,  foutenacs  fur  la  fin  de  Juin  dans  les 
Ecoles  de  Médeciae.  Il  lui  fit  fçavoir  ce  cju'il  mandoit  au 

Père 


J3 
55 
53 


>3 
33 
93 
33 
35 
33 
»3 
»3 
53 
*3 


;.  Coro, 


LivueV.  Chapitre  X.  77 

Père  Recleur  du  collège  de  Clermont,  pour  prier  tous  les  Je-     1^40. 
fuites  en  s^énéral  de  s'adreiïer  à  luy,  s'ils  avoient  des  objcc-         ■  . 
tions  à  luy  faire ,  de  pour  l'avertir  qu'il  ne  vouloit  avoir  af- 
faire à  aucun  particulier  de  la  Compagnie,  à  moins  qu'il  ne 
fût  avoué  de  tout  l'Ordre.  Comme  il  mettoit  cet  incident 
au  nombre  des  événemens  les  plus  coiifidérables  de  fà  viej 
il  en  voulut  i'iformer  aullî  les  autres  amis  à  qui  il  en  parla 
comme  d'un  mal  néce{raire,que  Dieu  permettoit  pour  luy 
procurer  un  plus  grand  bien.  Il  en  écrivit  à  M.  de  Zuyt- 
lichem  Secrétaire  eu  Prince  d'Orange  en  ces  termes.      Te  «t  ^^g-  !9V' 
crois  que  je  vais  entrer  en  guerre  avec  les  Jeluitcs,  car  leur  «      ' 
Mathématicien  de  Paris  a  refuté  publiquement  ma  Diop-   « 
trique  dans  les  Thélès.  Sur  quoy  j'ay  écrit  à  fon  Supérieur,   et 
afin  d'engager  tout  leur  Corps  dans  cette  querelle.  Car  encore   « 
que  je  (oisaiTezperfuadé  depuis  longtêms,  qu'il  ne  fait  pas   «t 
bon  s'attirer  des  adverfaires  :  j'eftime  pourtant  que  puilfqu'ils   et 
s'irritent  d'eux-mêmes,  &  que  je  ne  les  puis  éviter,  il  vaut  « 
mieux  une  bonne  fois  que  je  les  rencontre  tous  eniemble,   «< 
que  de  les  attendre  l'un  après  l'autre,  en  quoy  je  n'aurois   et 
jamais  de  fin.  ce 

En  attendant  ce  qu'il plairoit  au  P.  Redeur  de  répondre 
à  fà  lettre,  il  fe  mit  à  lire  la  Vélitationà\x  P.  Bourdin ,  à  qui  il  Tom,  1.  pag7 
fit  une  réponiè  par  la  feule  appréhenfion  que  ce  Père  qui   ij=>.  zj3.i34. 
n'en  fouliaitoit  pas  ne  tirât  avantage  de  fbn  filence  devant  jom.  i.page 
fcs  Ecoliers.  En  quoy  il  voulut  faire  voir  qu'il  confidéroit  7^. 
pkitôt  fâ  perfonne  êc  fa  profefiion  que  fbn  écrit.    Il  trouva   Lettr  au  p- 
qu'on  ne  luy  imputoit  dans  cet  écrit  que  des  cliofès  qu'il  au-   Dinet.p.5(îOî 
roit  ctè  au  defefpoir  d'avoir  écrites  ou  penfees,  de  forte  qu'il 
fallut  s'en  prendre  moins  à  fbn  habileté ,  qu'à  fa  fîncérité.  11 
addrefîa  cette  réponfe  au  P.  Merfènne  le  xxx  de  Juillet  pour  Ceft  la  r.  let. 
la  faire  voir  au  Père  Bourdin ,  feignant  d'ignorer  que  ce  Père  ^^  î-  ^°^- 
fut  auteur  des  Théfes  du  collège  de  Clermont ,  où  Y  on  avoit 
attaqué  ce  qu'il  avoit  écrit  de  la  réflexion  ,  &;  de  \x  réfrac- 
tion. AufTi  témoigne-t-il  que  la  lettre  qu'il  avoit  écrite  huit   Lexxn.  juil, 
jours  auparavant  au  Père  Recteur  pour  demander  les  ob- 
jedions   de  tous  les  Jéfiiites    contre    fes    ouvrages  ,    n'é- 
toit  pas  pour  le  Père  Bourdin,  qu'il  diftino-ue  de  Çqs  con-   T'^T/!'"*" 
freres  aflez  peu  obligeamment,  en  difant,  qu'il  aimeroit prcf-  taphr^âis 
^ue  mieux  être  vaincu  par  ces  guerriers  armez^  de  toutes  pcces^  ^"f*/"  ^^.  ^^' 

K  iij    *  que  ]uh. 


78 


La    Vie   de  M.    Descartes. 


1640. 

*  I  »._i. — — — ^ 

LcP.Phéli- 
pcaux  ,  &  les 
autres,  p.  yy. 
lom,  ;. 


Pag.  66.8C71. 


tom. 


Pag.  6î.  du  j. 
tom.  tlîc  cil 
addreflee  au 
P.  Mciicanc. 


£Ile  cft  au  j. 
vol.  en  Latia 
&  en  Franc, 
pag.  66.  Se 
70. 


^ue   de  triompher  de   ce  foldat  qui  riétoit  armé  qu'a,  la  légère' 
Cependant  le  mois  d'Août  s'écouloic,  &on  lifoit  chez  les 
Jéliiites  la  réponfe  à  l'écrit  du  P.  Bourdin,  fans  que  Mon- 
fîeur  Defcartes  entendît  parler  de  fa  lettre  au  Père  Recteur. 
M.  My Jorge  qui  étoit  chargé  de  la  donner  au  Père,  n'avoit 
pas  jugé  â  propos  de  fuivre  l'ardeur  de  ion  ami ,  craignant  de 
l'expoièr  à  une  tempête.  Pour  ne  rien  faire  qu'avec  confèil, 
il  alla  trouver  le  P.  Merfènne  à  quul  communiqua  la  lettre. 
Us  en  conférèrent  fur  fa  ledure  5  &  jugeant  d'une  même  voix 
qu'il  étoit  dangereux  pour  leur  ami  d'exécuter  fà  commif^ 
iîon  à  la  lettre  ,  ils  lui  en  écrivirent  en  commun  pour  déli- 
bérer fur  quelques  autres  mefures.  M.  Defcartes  qui  fè  dou- 
toit  de  ce  qu'il  appréhendoit,  leur  récrivit  une  lettre  com«^ 
mune  pour  \qs  remercier  de  leurs  foins  &  de  leur  afFedion, 
Mais  il  leur  dit  nettement  que  les  confîdérations  pour  lef^ 
quelles  ils  avoient  trouvé  bon  que  fa  lettre  ne  fut  pas  don- 
née au  P.  Redeur,  ètoient  celles  qui  lui  faifbient  regretter 
que  ce  Père  ne  l'eût  pas  encore  reçue.  Il  les  pria  de  nouveau 
de  faire  en  forte  qu'elle  luy  fût  donnée  :  &;  s'addreflant  en 
particulier  au  P.  Merfenne  qui  avoit  l'humeur  moins  fcru- 
puleufè  que  M.  Mydorge  quand  il  s'agiflbit  de  commettre 
les  Sçavans,  &  de  faire  des  querelles  utiles  à  l'avancement 
des  fciences  ,  il  l'engagea  à  luy  rendre  ce  fèrvice.  Il  accom- 
pagna fa  lettre  d'une  autre  qu'il  luy   écrivit  en   Latin  , 
dans  l'intention  qu'il  la  fer  oit  voir  au  Père  Redeur,  en  luy 
rendant  celle  qu*il  avoit  pris  la  liberté  de  luy  écrire  le  xxii 
du  mois  précédent.    Son  deflein  étoit  de  montrer  que  loin 
d'avoir  fbngé  à  fbulever  contre  luy  tous  les  Pères  de  la  Com- 
pagnie ,  il  avoit  eu  en  vue  de  s'acquérir  leur  bien-veillance 
par  cet  expédient  :  &  il  fit  fbuvemr  le  Père  Merfenne  fur 
tout,  de  faire  beaucoup  valoir  auprès  du  Père  Recleur îa 
docilité  6c  fon  refped  pour  toute  la  Compagnie. 


Chap 


LiviLE    V.     Chapitre    XL  79 


K340. 


CHAPITRE    XL 

'Ze  Pére  gourdin  écrit  à  M.  De/cartes  ,  é^  il  en  reçoit  une  rèponfe 
que  nous  avons  perdue.  Peu  de  jours  après  il  rei^oit  la  réfutation 
de  fa  V élit at ion.  Conditions  que  M.  Defcartes  demande  au  Pére 
J^ourdin  pour  agir  de  bonne  foy  dans  leur  différent.  Le  Pére 
KeBeur  reçoit  enfin  la  lettre  de  M.  Defcartes  ,^  au  lieu  d! ac- 
cepter fes  propofitions  ,  il  ordonne  au  P.  Bourdin  de  luy  rendre 
rai  [on  de  jon  procédé  3  ^  de  ne  faire  qu'une  caufe  perfonncUe  de 
Ça  quercUe  avec  ]\/[.  Defcartes.  Le  P.  Bourdin  fe  brouille  avec 
le  P.  Merfenne  au  fujet  d'un  écrit  François  en  forme  de  Lettre 
qu'il  luy  avait  confiée  ^  que  celuycy  avait  envoyé  a  iVf.  Def- 
cariesy  fans  fa  participation.  M.  Defcartes  répand  a  cet  Ecrit. 
M.  des  Argues  prend  fa  défcnfe  contre  le  P.  Bourdin.  Jlf.  Def- 
cartes fe  prépare  à  la  guerre  contre  les  Je  fuite  s ,  ^  à  la  réfu- 
tation de  la  philo fophie  Schola/Uque.  Jugement  quil  fait  des 
ConimbreSj  du  Feuillant  ^  de  Raconis,  Il  travaille  à  un  cours 
M^éthodiquc  de  fa  Philo  fophie. 

LE  Pére  Bourdin  ne  fut  point  longtêms  aprcs  fa  Tliëfè 
fans  fçavoir  qu'il  avoir  donné  du  chagrin  à  M.  Defcar- 
tes :  &:  quoiqu'il  n'eût  peut-être  agi  en  cela  que  d'intelligen-    Tom.  3.  des 
ce  &:  de  concert  avec  M.  Petit  qui  avoit  l'honneur  d'être   Lettr.  pag.  i®. 
fon  Parent   ou  fbn  allié  ,  6c  qui  n'avoit  pas  réiifîi  à  en- 
voyer {.Qs  objeélions  à  M.  Defcartes  touchant  la  Dioptrique, 
il  ne  put  être  indifférent  au  trouble  qu'il  avoit  caufe  dans 
fbn  efprit.  L'inquiétude  qu'il  en  eut  luy  fit  prendre  la  plu-    P^g-  i®i-  & 
nie  dés  la  fin  du  mois  de  Juillet  pour  luy  en  écrire.  Il  parut   P*g-5'3-»bid. 
touché  des  raifbns  qui  fcmbloient  juftifîer  le  mécontentement 
que  M.  Defcartes  avoit  de  la  conduite  qu'il  avoit  gardée 
dans  fà  Théfe  ^  &  il  luy  avolia  qu'il  n'avoit  manqué  à  prendre 
le  parti  auquel  il  avoit  invité  dans  fbn  dif cours  de  la  Mé- 
thode ceux  qui  auroient des  objections  à  luy  faire,  que  par-    ^'^^•7'P«t'^- 
cequ'il  n'avoit  pas  encore  lu  cet  endroit.    M.  Defcartes  ré- 
pondit à  cette  lettre  d'une  manière  que  nous  ne  pouvons 
Içavoir ,  parceque  fa  réponfe  s'eft  perdue.  Mais  le  Pére  Bour- 
din ayant  reçu  peu  de  jours  après  ,1a  réfutation  que  Mon- 

fijur 


2o  LaViedeM.   Descartes. 

1640.     fleur  Defcartes  avoit  faite  de  fi  Velitation  ,  il  crut  y  trouver 

>. de  quoy  fe  plaindre  à  fon  tour  de  M.  Defcartes  :  &:  il  luy  en 

récrivit  le  vu  jour  d'Août  une  féconde  lettre,  qui  nefutren^ 
due  à  M.  Deicartes  que  le  fîxiëme  jour  de  Septembre  fui- 
Lc  8.  de  Sept.  vant.  M.  Dcfcartes  luy  répondit  avec  une  diligence  fembla- 
1640.  j^i^  ^  1^^  fienne  :  &  il  luy  fit  comprendre  qu'un  homme  qui 

Pag.  101.  &  n'avoit  point  fait  difEc  ilté  d'attaquer  &  de  condamner  même 
IV.  tom.  3.  comme  faulTe  &  ridicule  une  doctrine  lorfqu'elle  luy  fembloit 
feulement  àouîeufe ,  avoit  mauvaifè  grâce  de  blâmer  fbn  adver- 
fiire  d'avoir  réfuté  un  écrit  qull  avoit  jugé  ahfohimentfaux. 
Le  P.  Bourdin  avoit  trouvé  mauvais  que  M,  Defcartes  eûr 
entrepris  de  réfuter  un  écrit  qui  nêtoit  point  achevé  i  Mais 
Al.  Dcfcartes  le  pria  de  confîJérer  qu'il  importoit  peu  que 
cet  écrit  fût  achevé,  ou  feulement  commencé,  puifqu'il  a- 
voit  trouvé  dans  fbn  commencement  affez  à\ngumens  pour 
pouvoir  hardiment  le  condamner  de  faufîeté  ^  au  lieu  que 
Je  P.  Bourdin  avoit  avoiié  que  dans  tout  l'ouvrage  de  Mon- 
fîeur  Defcartes  qui  étoit  complet  ,  il  n'avoit  trouvé  que  de- 
quoy  douter  de  fa  doctrine, 
ïbid.pag.ioi.  yi  Defcartes  avoit  eu  foin  de  faire  imprimer  l'écrit  du 

Père  Bourdin  (  avec  \qs  notes  ,  ou  la  réfutation  qu'il  y  avoir 
c'eft  la  Lctt.  f^i^e )  tel  qu'il  l'avoit  reçu,  fans  y  changer  une  feule  lettre. 
X.  &XI.  du  II  en  pritoccafîon  d'exhorter  ce  Père  à  luy  rendre  la  mê- 
5.  voi.  j^^^  juftice  au  cas  qu'il  eût  envie  d'écrire  quelque  chofè  con- 

tre fês  remarques.  Il  le  pria  de  ne  les  point  propofèr  eflro- 
piées,  ou  imparfaites  j  mais  de  les  repréfenter  relies  qu'elles 
étoient,  avec  la  lettre  qu'il  y  avoit  jointe.  Il  luy  donna  en- 
core divers  autres  avis  qu'il  croyoït  nécefîaires  à  ce  Père  pour 
le  fiire  agir  de  bonne  guerre,  s'il  étoit  réfblu  de  la  fbutenir 
contre  luy  :&  ï\  luy  confèilla  de  préférer  un  combat  ouvert 
à  la  rufe  &  aux  tergiverfations ,  s'il  n'aimoit  mieux  accepter 
l'offre  qu'il  luy  faifbit  de  l'amitié  dont  il  honoroit  tous  ceux. 
Pag.  97. 8c  qui  aimoient  la  Vérité,  tels,  dit-il ,  qu'étoient  fans  doute  tous 
^°^*  *^  ■  les  Pères  de  la  Compagnie  de  Jèflis ,  ne  doutant  point  pour  cet-- 
te  raifon  qu'ils  ne  luy  fuffent  tons  amis. 

Pendant  que  M.  Defcartes,  &  le  P.  Bourdin  s'éxerçoient 
£iic  étoit  du  ainiî  dans  les  préludes  de  leur  guerre  future,  la  lettre  da 
-'"**  ^^"  premier  fut  enfin  rendue  au  bout  de  deux  mois  au  Père  Ré- 

cleur^  qui  la  reçût  avec  une  férénité  de  vifage  qui  juflifîa  les 

raiibiis 


Livre  V.   Chapitre   XI.  Si 

raifons  de  M.  Defcartcs  contre  les  fcrupules  &  les  appre'hcii-    ^  "  4  °' 
/ions  c'c  M.  Mydorge  .  Le  P.  Redeur  ne  parut  point  mal  /à-    "" 
tisfait  des  iêntimens  de  fbn  cœur,  mais  il  ne  crut  pas  que 
toute  la  Compagnie  dût  s'intëreiTer  .^'ans  un  différent  où  elle 
n'avoit  aucune  part.  Il  le  contenta  de  permettre  au  P.  Bour- 
din  de  vuider  fà  querelle  perfbnnelle  comme  il  pourroit  avec 
M.  Defcartes  :  &  au  lieu  de  répondre  à  cette  lettre  ,  il  or- 
donna  à  ce  Père  de  faire  luy-mème  Lirèponfc  ,  ^  de  rendre  Lettre  au  P. 
rai  [on  de  [on  procédé  à  M.  Defcartes.  Ce  furent  les  termes  par  leC     ^^^^  *^^'^' 
quels  le  P.  Bourdin  voulut  commencer  la  réponfè,  tant  pour 
dégager  le  Père  Recteur  deû  dette,  que  pour  faire  voir  qu'il 
n'étoit  point  defavoiié  de  fa  Compagnie  ,  quoique  la  que- 
relle ne  fut  que  perfbnnelle.. 

M.  Defcartes  voyant  la  main  du  P.  Bourdin,  &;  le  fceau 
de  la  Compagnie  dont  la  lettre  de  ce  Père  étoit  cachetée, 
s'imagina  d'abord  qu'elle  lui  avoit  été  écrite  par  l'ordre  de 
Çqs  Supérieurs.  Mais  s'il  s'étoit  fbuvenu  que  e'eft  une  prati- 
que ordinaire  aux  perfbnnes  Religieufès ,  qui  n'a  aucune  con- 
fequence  ,  il  fe  feroit  contenté  de  refpeder  ce  caractère  ex- 
térieur de  la  Compagnie  qu'elle  portoit ,  fans  avoir  la  (impli- 
cite de  croire  qu'elle  eût  été  didée  par  l'efprit  de  la  Com- 
pagnie, &:  qu'elle  dût  avoir  par  confèquent  plus  d'autorité 
qu'un  fimple  particulier  n'eft  capable  d'en  donner  à  ce  qu'il 
fait  de  {on  pur  mouvement. 

Le  P.  Bourdin  luy  déclara  dans  cette  lettre  ^o^^ il  n'avoit  Lettré  au  i?: 
jamais  entrepris  ,  ^  quil  n' entreprendrait  jamais  aucun  combat  Dinec,  ibid. 
Iparticulier  contre  fe  s  opinions.    Mais  il  lui  promit  de  lui  envoyer 
dans  huit  jours  fès  Traitez,  c'eft-à-dire ,  les  raifons  dont  il     Nuilamàfe 
s'étoit  fervi  pour  ne  pas  approuver  fès  opinions.  M.  Defcar-  >/"">'»  "^'^"" 
tes  regardant  en  cette  occafîon  le  P.  Bourdin  comme  le  Se-  cuiure"frll 
cretaire  de  fà  Compagnie  ,  recrût  cette  réponfè  comme  une  ^'«"^  advirfuf 
marque  de  la  bonté  &  de  la  conlidération  que  toute  cette  '^(l"X7.'ïhiâ». 
Compagnie  avoit  pour  lui  :  mais  il  trouva  que  l'honneur 
qu'elle  luy  faifoit  de  lui  dire  qu'elle  ne  vouloit  point  £>«- 
treprendj-e  de  combat  particulier  contre  fe  s  opinions  ,étoit  fort  em- 
barraflant.   Car  il  auroit  fouhaité  que  tous  les  Jéfuites  lui 
eulîent  une  bonne  fois  déclaré  ce  qu'ils  pouvoient  trouver 
à  redire  à  fès  opinions ,  afin  qu'il  pût  remédier  par  des  cor- 
redions  ou  des  éclaircilTcmens  aux  mconvéniens  de  celles 

L.  *  qui: 


Si  La  Vie  de  M.  Descartes. 

ï6  4.0.     q^^i  ^c  trouveroient  faiilTes,  ôc  qui  n'éunt  pas  réfutées  à  pro- 

^^^^ DOS  traînent  fou  vent  après  fby  une  fuite  d'erreurs  très  fàcheu- 

fe.  Il  ne  put  s'imaginer  que  pour  l'épargner  ou  le  fivorifer 
en  ce  ponit ,  ils  euffent  voulu  abandonner  les  intérêts  de  la 
Vérité  ,  6c  négliger  l'utilité  que  la  République  des  Lettres 
tireroit  de  la  réfutation  de  fés  erreurs.  C'eft  ce  qui  lui  fît 
conclure  qu'ils  avoient  des  fentimens  favorables  pour  ies  é- 
crits,  èc  qu'ils  n'y  trouvoient  rien  à  redire.  C'elt  pourquoi 
il  fe  crut  obligé  de  les  en  remercier,  &  pour  ne  leur  point 
donner  fujet  de  fe  plaindre  de  fes  importunitez  ,  il  addrciîà 
Tom.  5.  des  jçs  témoignages  de  là  réconnoiilance  pour  eux  au  Père  Mer- 
Lettr.  p.  S8.  f^y^^^Q^  ^  q^^[  {\  g^  écrivit  en  Latin ,  c'eft-à-dire ,  en  la  langue 
dont  il  s'étoit  fervi  jufques-là  dans  tout  ce  qu'il  leur  avoit 
écrit. 

Il  y  joignit  une  réponfè  particulière  qu'il  fît  à  une  lettre 
Pag.  89.  &      Françoife  que  le  Père  Bourdin  avoit  mife  quelques  femaines 
auparavant  entre  les  mains  de  ce  Père,  lans  prétendre  qu  il 
dût  la  lui  envoyer  •  mais  fuppofant  feulement  qu'elle  ne  fe- 
roit  que  pour  lui ,  &  au  plus  pour  ceux  à  qui  il  pourroit  la 
faire  voir  fans  la  laiflTer  fbrtir  de  fes  mains.  Le  P.  Bourdin 
voyant  que  fa  lettre  ne  revenoit  point,  entra  dans  quelques 
fbupçons ,  fans  fçavoir  encore  rien  de  la  réponfe  :  ôc  fe  dou- 
tant de  ce  qui  étoit  arrivé  en  efFet ,  il  fît  fcavoir  au  P.  Mer- 
fenne  quoiqu'en  devinant  j  qu'il  trou  voit  fxDrt  mauvais  qu'il 
eiit  ofé  envoyer  à  M.  Defcartes  fans  fbn  confèntement  une 
lettre  comme  de  fa  part ,  qui  n'avoit  point  de  nom  ,  point  d'ad- 
drejfe  j   qui  n  étoit  ny  fgnée  ny  cachetée  3  &  qui  étoit  écrite 
en  une  langue  qui   n'étoit  point  celle  dont  il  avoit  cou- 
Au  commen-   tume  de  parler  à  M.  Defcartes.  Enfin  il  lui  dit  d'un  ton  de 
Novembre*^      Maître  qu'il  prétendoit  ravoir  fà  lettre  inceiîamment.   Le 
1640.  P.  Merfcnne  qui  n'avoit  pas  prévu  cet  embarras  récrivit  in- 

continent à  M.  Defcartes  3  l'informa  de  lamauvaife  humeur 
où  il  avoit  mis  innocemment  le  P.  Bourdin ,  quoiqu'il  ne  lui 
eut  pas  encore  communiqué  fa  dernière  réponfè  3  &:  le  pria 
pour  appaifèr  ce  Père  de  lui  renvoyer  la  lettre  dont  il  étoit 
queilion.  M.  Defcartes  voyant  le  P.  Merfenne  afîez  décon- 
certé de  la  vefpèrie  du  P.  Bourdin,  fbngea  plutôt  à  le  rafTûrer 
&  à  défendre  fbn  procédé,  qu'à  luy  envoyer  ce  qu'il  luy  de- 
Lettï.^pa^.  »  mandoit.  w  Quoique  le  P.  Bourdin  ne  vous  ait  point  prié, 
1^5.  zyo.  lui 


Livre     V.     Chapitre     XL  83 

luy  dit-il,  de  m'envoyer  fà  lettre  françoifc ,  je  ne  voy  pas 
néanmoins  qu'il  piùlFe  trouver  mauvais  que  vous  l'ayez  fait, 
puifqu'il  ne  vous  a  pomt  prié  aufli  de  ne  me  la  pas  envoyer. 
Comme  il  vous  l'a  envoyée  pour  vous  faire  voir  ce  qu'il  a  eu 
intention  de  m'écrire  ,  &  qu'il  vous  en  a  donné  en  môme 
têms  une  autre  pour  moy,  dans  la  vûë  de  me  témoigner  la 
même  cliolè  qu'à  vous ,  il  vous  lèra  aifé  de  lui  dire ,  que  ^'^ 
été  four  le  f^ratifier  que  vous  me  l'avez^  envoyée.  Au  refte,  tout 
bien  confidéré ,  je  crois  n'avoir  rien  mis  de  trop  dans  ma  ré- 
ponfé.  Car  quelque  amitié,  quelque  douceur  que  le  Père 
Bourdin  ,  &  ceux  de  fès  confrères  qui  voudront  fe  joindre  à 
lui  me  faiîent  paroître ,  je  fuis  aflliré  qu'ils  m'obferveront 
foigneufement.  Ils  auront  d'autant  moins  d^occafion  de  me 
nuire  qu'ils  verront  que  je  leur  répons  plus  fortement ,  & 
ils  jugeront  que  fi  j'uîè  ailleurs  de  douceur  ,  c'eft  par  modé- 
ration ,  6c  non  par  crainte,  ou  par  foiblefîe.  Outre  que  ce 
qu'a  écrit  le  P.  Bourdin  ne  mérite  rien  moins  que  ce  que 
je  lui  mande. 

Cette  lettre  fd^  retardée  plufîeurs  jours,  parceque  Mon- 
fieur  deZuytlicliem  quidevoit  la  faire  tenir  au  P.  Merlènne 
étoit  parti  fur  le  point  de  l'envoyer,  pour  faire  le  voyage  de 
Groningue  en  Frife  avec  le  Prince  d'Orange.  Ce  Père  a- 
voit  tenu  jufques-là  le  P.  Bourdin  dans  l'incertitude  de  fc^a- 
voir  fi  M.  Defcartes  avoit  eu  communication  de  fa  lettre 
franc- oife ,  &  il  efpéroit  la  lui  rendre  fans  qu'il  pût  avoir  de 
preuve  qu'elle  fut  fbrtie  de  fon  cabinet.  Mais  il  crut  fès 
mefures  rompues  lorfqu'il  ne  la  trouva  point  dans  le  pac- 
quet  que  M.  Defcartes  lui  avoit  envoyé  le  19  de  Novem- 
bre. Il  lui  manda  fur  l'heure  qu'il  n'y  avoit  point  de  com- 
pofition  avec  le  P.  Bourdin  ,  Se  qu'il  falloitabfolument  ren- 
voyer la  lettre  qu'il  redemandoit.  M.  Defcartes  la  luy  ren- 
voya donc  en  lui  mandant  qu'il  ne  fc^avoit  comment  il  pour- 
roit  la  rendre  au  P.  Bourdin,  en  continuant  de  diiîîmuler  à 
ce  Père  ce  qui  lui  étoit  arrivé,  parcequ'^il  avoit  écrit  dcfTus, 
&  y  avoit  mis  à  la  marge  une  apoftille  de  fa  main ,  en  l'en- 
voyant à  un  de  fes  amis  pour  la  lui  faire  voir.  Car,  dit-il 
à  ce  Père,  je  ne  vous  puis  celer  que  je  l'ay  montrée  à  plii- 
fieurs.  Et  comme  les  Jéfuites  ont  par  tout  des  intelligences, 
Se  même  qu'il  y  en  a  un  en  cette  Ville  *  fort  fi-nilicr  à  un  de 

L  ij     *  mes 


I  <j4o. 


*A  Lcytîe 
où  il  étoit 
leveiiu 

Cl  d'Amerf- 
fort  après 
la  mort  de 

"  fa  fille. 


ii. 


C( 


(C 


84  LaViede  M.  Descartes. 

1640.  »  nies  amis,  il  fè  peut  faire  qu'ils  fcachentcléja  que  vous  nVa- 

,5  vez  envoyé  cette  lettre.    C'eft  pourquoy,  fauf  un  meilleur 

Tom.x.dcs  ,j  avis  ,  il  feroit  ce  me  lemble  auffi  bon  d'avouer  franchement 

Lcttr.pag.  ^^  ^^^  p   gQm-^^ii-i  que  vous  me  l'aviez  envoyée  dans  la  penfée 

de  lui  faire  plaiîir.  C'eft  ce  qu'il  ne  pourra  trouver  mau- 
vais, à  moins  que  de  faire  croire  qu'il  auroit  voulu  mainte- 
nir devant  vous  des  chofes  contre  moy,  qu'il  n'oferoit  néan- 
moins ,  ou  ne  pourroit  maintenir  devant  moy.  Cependant  il 
en  a  compoféde  gros  Traitez  pour  les  dicter  à  fes  difciples: 
&  un  Danois  venu  ici  de  Paris  depuis  ce  tèms-là  m'a  témoi- 
gné en  avoir  vu  un  entre  les  mains  de  l'un  des  fbutenans 
nommé  Potier.  Je  vous  envoyé  de  nouveau  la  réponfe  que  j'a- 
voisfaiteà  leur  lettre  latine ,  afin  que  vous  puilîiez  la  leur  faire 
voir  toute  feule  :  car  il  me  femblenéceiïaire  qu'ils  fçachent 
en  quel  fèns  j'ai  pris  leurs  paroles.  Si  vous  trouvez  bon  d'a- 
vouer au  Père  Bourdin  que  vous  m'aviez  envoyé  ia  lettre, 
vous  pourrez  aufli  luy  faire  voir  en  confidence  la  réponfe  que 
j'y  avois  faite  ,  &  lui  dire  que  vous  n'aviez  pas  voulu  la  luy 
montrer  auparavant^  parceque  vous  la  jugiez  trop  forte  ,  &: 
que  vous  craigniez  que  cela  n'empêchât  que  nous  ne  puC 
fions  devenir  amis.  Enfin  en  confeilant  la  vérité  toute  pure. 
Je  crois  que  vous  ferez  plaifir  a  l'un  d^  à  l'autre.  Car  j'eipére 
que  voyant  que  j'ai  bec  ^  ongle  pour  me  défendre  ,  il  fera 
d'autant  plus  retenu  à  parler  de  moy  quand  il  en  aura  occa- 
fion.  Et  quoiqu'il  me  fût  peut-être  plus  avantageux  d'être 
en  ojuerre  ouverte  contre  eux ,  &  que  j'y  ibis  entièrement 
réfolu  s'ils  m'en  donnent  jufte  fujet,  j'aime  toutefois  beau- 
coup mieux  la  paix ,  s'ils  s'abftiennent  de  parler. 

Il  eft  étrange  que  M.  Defcartes  n'ait  pii  fe  défendre  de 
l'imagination  qui  lui  fiifbit  croire  qu'il  avoir  affaire  à  tous 
\qs  Jefuites  loriqu'il  n'étoit  queftion  que  du  Père  Bourdin, 
après  les  afiTurances  même  que  ce  Pcrc  lui  avoir  données  que 
leur  querelle  étoit  perfonnelle.  Ses  amis  en  étoient  mieux 
perfuadez  que  lui.  M.  des  Argues  entre  les  autres  ayant  gé- 
néreufèment  entrepris  là  défenfè  en  un  pas  Ci  glifUint,  crut 
z7i'.dii^tom.  qu'il  fuffifbit  pour  Téxécution  de  fbn  dcftein  de  s'adrellér  au 
fèul  P.  Bourdin.  Cet  ami  ne  fè  contenta  pas  de  plaider  la 
caufe  de  M.  Defcartes  contre  le  Père  :  il  chercha  encore  \qs 

moyens 


>5 

53 
3) 
53 
>3 
33 
33 
33 
3^ 
33 
33 
33 
33 
33 
33 
33 
33 
33 
33 
33 
33 
33 
33 


Pag.  KÎ9. 


Livre  V.  Ch  AP  I  T  RE  XI.  2^ 

moyens  de  faire  encrer  celui-ci  dans  des  voyes  de  paix  &  d'à-      1640. 

mirié.  C'eft  ce  que  le  P.  Merfènne  manda  à  M.  Delcartes,    -^„ 

qui  témoigna  être  extrêmement  obligé  à  M.  des  Argues  de 

vouloir  prendre  la  peine  de  catechiferle  P.  Bourdin:  ajoutant, 

que  c'étoit  le  meilleur  expédient  qu'on  pût  prendre  pour  lui 

faire  chanter  la  palinodie  de  bonne  grâce  ,  pourvu  quil  voulût  fe 

laijjcr  convertir. 

Mais  l'heure  du  P.  Bourdin  irétoit  pas  encore  venue  :  &: 

M.  Defcartes  ne  parut  pas  furpris  de  voir  les  difficultez  qu'il   ^"^r.  aup; 

avoit  à  fè  rendre.  Il  cft  vrai  qu'il  n'attendoit  plus  les  Traitez^y  ^^^\^i\6x 

c'eft-â-dire  les  écrits  contenant  les  raifbns  dont  ce  Père  s'é- 

toit  fèrvi  pour  attaquer  fes  opinions ,  parceque  le  terme  de 

huit  jours  que  le  Père  lui  avoit  demande  pour  les  lui  envoyer 

étoit  déjà  expiré  plufieurs  fois.  Mais  ayant  reçu  quelque  têms 

après  des  lettres  de  quelques  autres  Pérès  de  la  Compagnie 

qui  lui  promectoient  encore  ces  écrits  de  fà  part  dans  (ix  mois.^ 

il  ne  douta  plus  que  ce  ne  fût  un  ftratagéme  pour  corriger  ces 

écrits  à  loifir ,  &  les  mettre  en  état  de  ne  pas  craindre  fà  cen- 

fure.    Il  conjedura  par  les  lettres  de  ces  Pérès  qu'il  alloit  fè 

détacher  du  corps  de  la  Compagnie  un  puifîant  parti  de 

Jéfiiites  contre  lui,  pour  fbutenir  leur  confrère.    Sçichant 

que  leurs  forces  principales  confiftoient  dans  l'art  de  la  Dialé--   Tom.  j.  des 

(^ique  dont  on  fait  de  grands  exercices  dans  la  Compagnie   ^^"^-  v^%^ 

pour£"  rendre  aguerri  dans  la  difpute  contre  toutes  fortes  d'ad-   V?„^l^'l^V^' 
r  i  j  jrA^f  j,      P^S-<'0^.  610. 

verlaires ,  li  crut  devoir  de  ion  cote  recourir  aux  armes  de  la 

Scholaftique   dont  il  fembloit  s'être  dépouillé  depuis  tant 

d'années ,  fans  fonger  qu'il  en  dût  avoir  jamais  befoin. 

Il  communiqua  fon  deflein  au  Père  Merfènne  qui  l'at- 

tendoit  à  Paris  fur  la  fin  de  cette  année  :  de  il  lui  en  écri-  7'°"'-^-d« 

r  r  •  Lctti.  p. 

vit  en  ces  termes.  "»3  J  e  ne  reray  point  encore  mon  voyage  pour  i^^.  ^/o. 
cet  hiver.  Car  puifque  je  dois  recevoir  les  objections  des  «« 
Pérès  Jcfuites  dans  (Quatre  ou  cinq  mois .  je  crois  qu'il  faut  que 
je  me  tienne  en  pofture  pour  les  attendre.  Cependant  j'ai 
envie  de  relire  un  peu  leur  Philofophie  (  ce  que  je  n'ai  pas 
fait  depuis  vingt  ans ,  )  afin  de  voir  fi  ellemefemblera  main- 
tenant meilleure  qu'elle  ne  faifoit  autrefois.  Pour  cet  efîet, 
je  vous  prie  de  me  mander  les  noms  des  Auteurs  qui  ont  écrit 
des  cours  de  Philofophie  ,  lefquels  font  les  plus  fûivis  parmi 
les  Jéfuices,  ôc  s'ils  en  ont  quelques  nouveaux.  Je  ne  me  fou- 

L  iij     *  viens 


■>•> 

55 
53 

55 


1640. 

*  C'eft  à 
dire  du 
cours    de 
Philofo- 
phie  donné 
par    les        " 
Profcf.jéf.de 
î'Uaiv.deCo- 
niinbre  ,  ou 
Ccïmbre  en 
PortUiial. 

£3 


Charles  Fran. 
çois  Abra 
de  Raconis 
depuis  Evê- 
que^.de  la 
Vaur. 


Tom.  1.  des 
Lcttr.  pag. 

53 
33 


Item.  pag. 

ayy-  ibid. 


t6  L  A  Vie  DE  M.  Des  CA  R  TES. 

viens  plus  que  des  Conimbres.  *  Je  voudrois  fçavoir  aulli  s'iï 
y  en  a  quelqu'un  qui  ait  fé^ir  un  Coynpcndium  de  toute  la  Phi- 
lofbphie  de  l'Ecole ,  &  qui  ibit  fuivi  :  car  cela  m'épargne- 
roit  le  têms  de  lire  leurs  gros  livres.  Il  y  avoitceme  ièmble 
un  Feuillant  ou  un  Chartreux  qui  l'avoit  fait,  mais  je  ne  me 
ibu viens  olus  de  fbn  nom. 

En  attendant  la  réponfedu  P.  Merfenne,  il  fit acquifîtion 
du  Feuillant  qui  le  trouva  dans  les  boutiques  de  Leyde.  Le 
P.  Merfenne  quin'avoit  pas  grand  commerce  avec  la  Scho- 
laftique  ne  put  lui  en  indiquer  de  meilleur,  ni  en  ajouter  à 
ceux  que  M.  Defcartes  luy  avoit  nommez,  d'autre  que  de 
Raconis.  Mais  il  l'exhorta  de  ne  point  épargner  la  Philofo- 
phie  de  l'Ecole,  telle  qu'on  l'enfèignoit  de  leur  têms  dans  les 
collèges,  croyant  que  l'heure  de  la  iacrifier  cà  la  Vérité  étoit 
venue,  &:  luy  fniànt  entendre  qu'il  étoit  le  leul  de  qui  les 
amateurs  de  la  Vérité  &;  de  laSag-elIeattendoientcefervice. 
M.  Defcartes  lui  répondit  le  xi  du  mois  de  Novembre,  &  lui 
manda  qu'il  ne  croyoit  la  Philorophic  de  l'Ecole  nullement 
difficile  à  réfuter,  à  caufè  de  la  diverfité  des  opinions  qui  s'y 
enfèignent:  ^j  étant  aile  dercnverfer  tous  les  fondemens  dont 
les  Scholalliiques  font  d'accord  entr'eux  ,  &  qui  font  que 
toutes  leurs  dilputes  particulières  paroiflent  ineptes.  Il  luy 
déclara  en  même  têms  les  vues  qu'il  avoit  fur  la  Philofbphie 
par  rapport  «à  celle  des  écoles. 

Son  defîein  étoit  d'écrire  par  ordre  un  cours  entier  de  fà 
Philofbphie  en  forme  de  théfes,  où  fans  aucune  fuperfluité 
de  difcours,  il  mettroit  feulement  toutes  les  concluions  avec 
les  vrayes  raifbns  d'où  il  les  tiroit,  ce  qu'il  cfpéroit  de  pou- 
voir faire  en  peu  de  mots.  Dans  le  même  livre  fiiivantlbii 
projet,  il  devoit  faire  imprimer  un  cours  de  la  Philofbphie 
ordinaire,  tel  que  pouvoitêtre  celuy  du  frère  Euflache,  avec 
i^Qs  notes  à  la  fin  de  chaque  queftion:  où  il  prétendoit  ajou- 
ter les  diverfès  opinions  des  autres ,  &  ce  qu'on  devoit  croi- 
re de  toutes  félon  luy.  Enfin  il  fiiibit  efpérer  pour  fèrvirde 
conclufion  à  fbn  ouvrage  qu'il  feroit  une  comparaifbn  des. 
deux  Philof^phies,  c'eft-à-dire,  de  la  fienne  &  de  celle  des 
autres.  Mais  ilobhgealePére  au  fècret,  parceque  f^i  defl 
fèin  étant  encore  allez  éloigné  de  fbn  exécution ,  il  feroit  aifé 
aux  zélez  Peripatéticiens  de  le  faire  avorter  par  leurs  pra- 
tiques. 

Il 


Livre   V.    Chapitre  Xî.  87 

II  lui  donna  avis  par  la  même  voye  qu'il  avoïc  acheté  la      1640. 
Philoiophie  du  Frère  Dom  Euftache  de  Saint  Paul,  dit  plus   — __. 
communément  le  Feuillant  ^  parcequ'il  lui  paroiflbit  le  meil- 
leur livre  qui  eût  encore  été  fait  touchant  cette  matière.  Il 
fut  feulement  en  peine  de  fçavoir  fî  cet  Auteur  étoit  mort  ou    Pag.  163.  & 
vivant ,  parce  qu'ayant  dellein  de  fiire  iervir  fon  ouvrage  en   ^-^^ 
exemple  de  ce  qu'il  auroit  eii  à  dire  touchant  la  Scholadi- 
que,  il  auroit  été  bien  aife  de  prendre  des  mefures  pour  rné^ 
nager  laperfonne  de  ce  Religieux,  dont  il  n'auroit  eii  que  du 
bien  à  dire.  Il  lui  promit  aulfi  de  voir  le  cours  de  Philofb- 
phie  de  Monfieur  de  Raconis  qu'il  lui  avoit  indiqué ,  parce 
qu'au  cas  qu'il  fiit  plus  court  que  le  Feuillant,  &;  auiïï  bien 
rcçi  que  lui ,  il  n'héfiteroit  point  à  le  lui  préférer  pour  fon 
deiîéin.  Mais  fçachant  que  Monfieur  de  Raconis  étoit  en- 
core plein  de  vie ,  il  témoigna  ne  vouloir  rien  faire  en  cela 
flir  les  écrits  d'un  homme  vivant  qu'avec  fa  permiiîîon,  qu'il 
ne  croyoit  pas  qu'on  dût  lui  refuler,  lorfqu'on  fçauroit  fon  in- 
tention, qui  n'étoit  autre  que  de  confîdérer  celui  qu'il  choi-. 
firoit,  comme  le  meilleur  de  tous  ceux  qui  ont  écrit  de  la 
Philoibphic,  &:  de  ne  le  reprendre  point  plus  que  tous  les 
autres. 

Comme  il  fembloit  fonder  le  (wccés  de  ce  defTein  fur  ce-    P^giTs.  i?*?. 

Item.  p.  164. 


prelente  de  ce  nouvel  ouvrage ,  qui  félon  les  appa 
rences  ne  pouvoit  être  fous  la  prefTe  avant  la  fin  de  l'année, 
ou  peut-être  même ,  avant  celle  de  l'hiver.  Mais  il  n'eût  pas  Fag.163.ibii 
toute  la  patience  dont  il  s'étoit  flaté  fur  ce  point.  L'empreC 
fement  qu'il  avoit  de  réduire  tous  \^s  principes  de  fà  Philo- 
fophie,  de  les  écrire  avant  que  de  partir  de  Hollande  polir 
la  France,  &  de  les  publier  même  fi  la  chofe  étoit  poffible 
avant  la  fin  de  l'année  fuivante,  lui  fît  prendre  la  plume  pour 
faire  les  premiers  efTais  de  ce  deflèin.  De  forte  que  le  Père 
Merfenne  qui  venoit  de  recevoir  la  copie  àç^s  Méditations, 
pour  traiter  de  leur  impreffion  avec  les  libraires  de  Paris,  Ç.Vi 
furpris  d'apprendre  avant  la  fin  du  mois  de  Novembre  qu'il  pag.irj.i 
avoit  déjà  commencé  à  faire  un  abrégé  de  toute  fà  Philofb- 
phie,  &  qu'il  parloit  même  d'en  fiire  imprimer  tout  le  cours 
^ar  ordre ,  avec  un  abrégé  de  la  Philofophie  de  l'Ecole,  àc 

des 


ï  •  i 


I  6  j^o. 


Tom.  j.  des 
Lcttr.  p,  <jp. 


88  La    Vie    DE   M.  Des c  ART  ES. 

lies  remarques  de  fa  façon  fur  les  dëfxuts  de  cette  Philoio- 
phie,  &;  fur  les  opinions  diverses  des  Auteurs.  Il  efpéroitde 
taire  en  ibrte  par  la  méthode  qu'il  y  garderoit,  qu'en  voyant 
les  parallèles  de  l'une  &  de  l'autre,  ceux  qui  n'auroient  pas 
encore  appris  la  Philofjphie  de  l'Ecole,  l'apprendroient  beau- 
coup plus  facilement  de  fon  livre  que  de  leurs  Maîtres  :- 
parce  qu'ils  apprendroient  par  le  même  moyen  à  la  mépri- 
kr  ,  èc  que  les  moins  habiles  d'entre  les  Maîtres  feroient 
capables  d'enfeigner  la  fienne  par  ce  fèul  livre. 

Ayant  vu  quelques  jours  après  la  Philofophie  de  Mon- 
iteur de  Raconis ,  il  en  récrivit  au  Père  Merfenne  le  3.  de 
Décembre  ifiuvant,  &  lui  manda  que  cette  Philofophie  étoit 
bien  moins  propre  à  fbn  deiîein  que  celle  du  PéreEuftache. 
Pour  ce  qui  eft  des  Conimhes ,  il  les  trouva  trop  longs.  Mais 
il  témoigna  qu'il  auroit  fbuhaité  de  bon  cœur  qu'ils  eufîent 
écrit  auiTi  fuccindement  que  le  Feuillant ,  parce  qu'ayant 
affaire  aux  Jéfuites  ,  il  auroit  préféré  volontiers  leur  cours, 
à  tous  les  autres.. 


Chap.  XIL 


Livre   V.    Chapitre    X  I  L  89 


164.0. 


CHAPITRE      XII. 

2^ori  de  Francinc  Dcfcartes ,  avec  un  abrégé  de  fa  vie.  Doutes  fur 
le  7nanage  fecret  defon  père .  Reproches  defcs  envieux  fur  ce  point. 
Jl  remédie  promptement  au  dérèglement  de  fan  célibat.  Il  retour- 
ne  d' Amersfort  a  Lcyde.  Koetius  foUicite  les  Proteftans  ^  les 
Catholiques  contre  lui.  Jl  s'addreffc  au  P.  JVferfnne  pour  le 
porter  a  écrire  contre  2\/l.  De  [carte  s ,  ^  lui  promet  des  matières 
pour  cet  effet.  Conduite  piaffante  de  ce  Miniflre  pour  gagner  ce 
Keligieux.  JS/iort  dupère  de  M.  Dtfcartes.  il  rompt  le  voyage 
qu'il  méditoit  en  France.  Il  charge  l'Abbé  Picot  du  foin  de  fcs 
a jf aire  s  domeftiques.  Mort  de  M.  Dounot  Mathématicien  du 
nombre  de  fes  amis.  Mort  de  M.  de  Bcaugrand .,  avec  le  cara~ 
ïHre  de  fon  cfprit.  Faux  bruit  de  la  mort  de  M.  de  Beaune. 
Mort  du  Feuillant.  Le  Roy  rappelle  M.  De  fartes  pour  l'hono-* 
rer  d'une  charge  (^  d'une  p  en  fon  dans  fon  Royaume.  Il  s' en  c.kcu- 
fe  y  ^  demeure  dans  fa  retraite, 

LE  mariage  de  Monfieiir  Defcartes  cft  pour  nous  Tun 
des  myftércs  les  plus  fecrets  de  Ja  vie  cachée  qu'il  a 
menée  hors  de  fon  pa'is  loin  de  Tes  proches  &;de  Tes  alliez.  Il 
n'étoic  rien  de  plus  convenable  à  la  profeflion  d'un  philofo^ 
phe  que  la  liberté  du  célibat.  Mais  d'un  autre  côté  il  étoit 
difficile  à  un  homme  qui  étoit  prefque  toute  la  vie  dans  les 
opérations  les  plus  curieuiès  de  l'Anatomie,  de  pratiquer  ri- 
goureufèment  la  vertu  du  célibat,  conformément  aux  loix 
que  la  fainteté  de  nôtre  Religion  prefcrit  à  ceux  qui  demeu- 
rent dans  cet  état.  M.  Defcartes  ne  trouvoit  rien  en  lui,  ce 
femble ,  qui  pût  former  un  obftacle  à  la  liberté  où  il  étoit  de 
fe  marier.  Qj£elque  raifon  qu'il  ait  eûë  de  ne  point  paroître 
publiquement  ce  qu'il  pouvoit  être  chez  lui,  il  nous  a  donné 
lieu  de  croire  qu'il  aura  ufe  de  cette  hberté,  puifqu'il  a  jugé 
à  propos  de  fe  déclarer  publiquement  le  pérc  d'une  petite 
fille  qu'il  perdit  en  bas  âge. 

Elle  s'appelloit  Francine,  &  elle  étoit  née  à  Déventer  le  ix,  Apoaiiic  Mf. 
c'eft-à-dire,  le  xix  de  Juillet  1655  :  ^  ^^ioi'i  l'oblèrvation  de  Ion  de  la  m^'in  ac 
père  ,.  elle  avoit  été  conclue  à  Amiterdam  le  Dimanche  x  v  ^^'^'  ^^' 

M    *        d'Oaobre 


c)o  La  Vie  de  M.  Descartes. 

1^40.      d'Oclobre  de  l'an  1634.   Elle  avoir  été  bâtifëe  à  DeVenter  le 
■  XXVIII  de  Juillet,  félonie  ftile  du  pais,  qui  etoitlefeptiéme 

jour  d'Août  félon  nous.  M.  Defcartesfongeoit  àla  tranfplan, 
ter  en  France  pour  lui  procurer  une  éducation  convenable: 
de  fçachant  quelle  éroit  la  vertu  de  Madame  du  Tronchet  fa 
parente  ,  mère  de  M.  l'Abbé  du  Tronchet  qui  eft  aujour . 
d'iiuy  Chanome  de  iaSamte  Chapelle  ,  il  fit  agir  auprès  de 
cette  Dame  afin  qu'elle  eût  la  bonté  de  vouloir  veiller  fur  la 
perfbnne  qu'elle  leroit  priée  de  choifir  elle  même  pour  met- 
tre auprès  de  fa  fille  j  &:  que  cette  enfont  piit  être  élevée  dans 
la  piété  fous  fes  grands  exemples.  Pendant  que  les  choies 
fèmbloient  ie  difpofer  à  cela,  &  que  Madame  du  Tronchet 
(bncîcoit  aux  mefures  qu'il  falloit  prendre  pour  féconder  de 
{îloiiables  intentions,  M.  Defcartcs  perdit  la  chère  Francine, 
qui  mourut  à  Amersfort  le  vu  de  Septembre  de  Tan  j  640,  qui 
ètoit  le  troifième  jour  de  fà  maladie,  ayant  le  corps  tout  cou- 
vert de  pourpre.  Il  la  pleura  avec  une  tendreflè  qui  lui  fit 
éprouver  que  la  vraye  philolbphie  n'étouffe  point  le  naturel. 
Il  protefta  qu  elle  luy  avoit  Liiffé  par  fa  mort  le  plus  2;rand 
regret  qu'il  eut  jamais  fenti  de  la  vie  :  ce  qui  ètoit  un  effet  des 
excellentes  qualitcz  avec  lefquelles  Dieu  Tavoit  fait  naître. 

Sa  douleur  auroit  peut-être  été  moindre  s'il  avoit  eu  quel- 
que autre  enfant  qu'elle.  Il  eft  vrai  que  la  médifànce  n'a  rien 
voet.  in      oublié  pour  lui  en  fubfticuer  d'autres.  La  calomnie  quoique 
P:  iiof.  Caic.    fouf^nuë  par  l'autorité  &  les  écrits  d'un  grave  Miniftre  des 
Réformez  d'Utrecht,  lui  parut  fi  mal  étabUe,  qu'il  fe  contenta 
d'en  rire  ^  &:  de  répondre  au  reproche  que  lui  en  faifoit  foii 
E-ift-âdcdc-  j>j-^j-jçj^-ji     q^2  n'ayant  point  fait  vœu  de  chafteté  ,  &c  n'étant 
is,  point  exempt  des  toiDlelies  qui  font  naturelles  a  1  homme^il  ne 

feroit  point  difficulté  de  les  avouer  pubhquement  s'il  en  avoir. 
ncine  t-   Maïs  cncorc  qu'il  n'en  eût  aucun,  *  il  conièntoit  néanmoins  de 
lorte.       j^^  point  paffer  pour  un  grand  faint  dans  Pefprit  d'un  Mmiflre, 
qui  n'avoit  pas  2;rande  opinion  de  la  continence  des  Eccléfiafti- 
qucs  de  l'Eghfe  Romaine  qui  vivent  dans  le  célibat. 

Voilà  peut-être  ce  qu'on  peut  dire  de  plus  fimple  pour  faire 

•  comprendre  aux  envieux  de  M.  Defcartcs  la  véritéde  ce  que 

Prcf.  dtt  1.    M.  Clerlelicr  nous  a  rapporté  de  l'intégrité  de  fa  vie^  qu'il  pré- 

tom.dcsLectr.    t^iQ^i  n'avoir  jamais  été  attaquée  que  par  des  Me di fans  ^  &  qui 

félon  lui  ^toujours paru  amtantplus £ure  auor^a  taché  avec  plus 

d^ejfon 


*  Fra 
toit  moi" 


F-^S-  H. 


Li V RE  V.  Chapitre  XII.  91 

(H effort  de  la  noircir.  Mais  le  dcplaifir  que  j'ai  de  ne  pouvoir  point     i  <^  4  o. 

en  cette  rencontre  propolcr  la  folitude  de  M.  Deicartes  com-  • 

me  un  modèle  de  retraite  &  de  mortification  à  ceux  qui  vou- 
droient  aller  chercher  la  vraye  Philofophie  loin  du  grand 
monde ,  &  hors  de  la  corruption  du  fiécle  ,  me  fait  entrer 
pour  un  moment  dans  le  parti  de  (es  Envieux  ,  pour  médire 
après  eux  de  Ton  prétendu  mariage  avec  la  mère  de  la  petite 
Francine.  Il  me  paroît  fi  clandcftin  que  toute  la  bonne  vo- 
lonté des  Canoniftes  les  plus  fubtils  ne  réufTiroit  pas  aie  bien 
diftinguer  d'un  concubinage.  Et  iiefl:  à  craindre  que  M.  Defl 
cartes  n'ait  fourni  dans  le  fonds  de  fa  prétendue  folitude  de- 
quoi  prouver  aux  folitaires  de  fa  forte  que  toute  vie  ca- 
chée n'eft  pas  toujours  innocente.  Mais  fi  les  envieux  de  Mon- 
fieur  Defcartes  font  venus  à  bout  de  me  perfuader  qu'il  s'efl 
fait  une  brèche  à  cette  intca:ritè  de  vie  dont  il  honoroit  fà  fb- 
litude,  6c  la  profefîion  de  fa  Philofophie  :  il  eft  jufte  qu'ils 
rentrent  avec  moi  dans  les  fentimens  d'équité  àfbn  égard,  6c 
qu'ils  reconnoifTènt  qu'il  s'eft  relevé  promptement  de  fà  chii- 
te, &  qu'il  a  rétabli  ion  célibat  dans  fa  première  perfeétio  t, 
avant  même  qu'il  eût  acquis  la  qualité  de  père.  C'cft  un  té- 
moignage dû  àlafincérité  de  M.  CIerfèlier,à  qui  M.  Y^q^- 
cartes  déclara  durant  fbn  voyage  de  Pans  en  1644  qu'il  y  a- 
voit  prés  de  dix  ans  que  Dieu  l'avoit  retiré  de  ce  dancrereux  ^^'at.  Mf.  it 
engagement  ^  que  par  une  continuation  de  la  même  grâce 
il  l'avoit  prèfcrvé  jufqiies-là  de  la  récidive  3  êc  qu'il  cfpéroit 
de  fi  miféricorde  qu'elle  ne  TabandonncrGit  point  jufqu'à  la 
mort.  C'efl  ce  que  nulle  confidération  que  celle  d'une  con-.. 
fiance  fans  rèfèrve  ne  l'obligeoit  de  découvrir  à  M,  Clerfè- 
lier:  &  jamais  le  Public  n'auroitfi^u  cette  circonftance  humi- 
liante de  fà  vie^  s'il  n'en  avoit  fait  luy-m.ême  une  confeffioii 
publique,  en  écrivant  l'hiftoire  de  fi  Francine  fur  la  première 
reiiille  d'un  livre  qui  devoit  être  lu  de  plufieurs. 

Trois  femaines  après  la  mort  de  cette  enfant,  il  délogea  de     Amcrsforj 
la  ville  d'Amersfort  pour  aller  reprendre  fa  demeure  à  Ley de  :   "^^|^^  'î"'^ 
&1I  quitale  voifinaged'Utrecht,  où  les  efprits  partagez  fur  d'uticchc. 
fa  Philofophie  s'échaufFoient  de  plus  en  plus  par  les  prati- 
ques de  Voetius.  Ce  Miniftre  fe  méfiant  de  fcs  propres  for- 
ces ,  &  de  celles  de  ceux  qu'il  avoit  attirez  dans  fon  parti  con- 
tre M.  Regius  ôc  M,  Defcartes ,  ne  s'étoit  pas  contenté  de 

M  ij    *  répandre 


5)4  La   Vie  DE  M.  D  ES  CARTES. 

ï  é  4  o.     répandre  l^alarme  parmi  les  Proteftans ,  aufquels  il  repréfèn* 
r  roit  M.  Regius  comme  un  brouillon  fufcité  pour  troubler  les 

Ecoles,  &  M.  Deicartes  comme  un  ennemi  de  la  Religion 
Procédante  ,  &  comme  un  cfpion  envoyé  de  France  contre 
les  intérêts  des  Provinces-Unies,  Il  crût  devoir  chercher  en^- 
core  du  fecours  parmi  les  Cathohcj^ues  .-  de  pour  en  obtenir 
plus  fcicilement,  ri  tâcha  de  leur  periuader  qu'ils  avoient  afFai^ 
re  à  un  ennemi  commun,  &  qu'il  ne  s'agifFoit  de  rien  moins 
jque  de  défendre  la  Religion  en  général  contre  un  Scepti^ 
<^ue  &  un  Athée.  11  alla  foHiciter  les  efprits  jufqu'au  fonds 
des  cloîtres  de  Paris ,  dç  il  eut  la  hardieffe  même  de  tenter  le 
Père  Merlcnne,  fous  prétexte  que  ce  Père  étoit  tout  aguerri 
contre  les  Athées ,,  les  Pyrrhoniens ,  les  Déïftes  &:  les  Liber- 
tins qu'il  avoit  déjà  combattus  par  divers  ouvrages.  Il  vou- 
lut perfuader  à  ce  bon  Père  que  M.  De/cartes  étoit  venu  tro^ 
îard  pour  forger  une  nouvelle  Secle  •  qu*il  introduifbit  des 
dogmes  étranges  &:  inouïs  :  mais  qu'il  ne  laiiToit  pas  d'avoir 
fes  admirateurs  •  &  qu'il  y  avoit  àç.s  idolâtres  qui  le  regar- 
Tom.  3.  des     doient  comme  une  Divinité  nouvellement  décendu'é  des  Cieux.  Il 
l^ettr.  p.  4,.      iî.jouta  que  perlbnne  n'étoit  plus  capable  que  ce  Père  de 
combattre  &:  de  terrafTer  ce  nouveau  Philofophe,  parceque 
ce  Père  éxcelloit  principalement  dans  les  connoiiîànces  ou 
ce  Philofophe  fembloit  établir  ion  fort,  c'eft-à-dire ,  dans  la 
Géométrie  6c  dans  l'Optique.  Il  lui  témoigna  que  c'étoit  un 
yent.fs)ite  travail  très-digne  de  ion  érudition  ^  de  fa  fubtilité.    Et  pour 
nîs^î'^&m'    ^'y  <^"g^g^r  avec  des  termes  encore  plus  preflans ,  il  lui  dit 
conciliatione      qu'aprés  s'être  montré  jufques  là  le  Dèfenfeur  de  la  Vérité 
T^ftf/o|/«  cic     ^^^^  y^^  manière  de  traiter  la  Théologie  3c  de  la  concilier  avec 
t^phyÇicltum  les  eonnoilTances  humaines ,  il  ne  devoit  pas  douter  que  la 
Mathtfi  ojUn-  même  Venté  ne  l'attendît  pour  la  garantir  de  la  vexation  de 
imdtclm^Xc.  ^^  nouveau  Philofophe  ^  &  qu'elle  ne  le  regardât  comme  le 
libérateur  qui  luy  étoit  deftinè. 

C'étoit  peut-être  la  première  f  jis  qu'on  avoit  entendu  les 
Miniftres  Proteftans  féhciter  des  Catholiques  Romains,  & 
fur  tout  des  Religieux  ,  d'avoir  heureulement  défendu  la 
Vérité  en  matière  de  Théologie.  La  chofè  étoit  d'autant  plus 
remarquable  que  Voetius  fembloit  devoir  être  le  dernier  de 
qui  on  eût  dû  eipèrer  une  femblable  confeflion,  après  s'être 
déchaîné  ians  fujet  contre  l'Eglife  Romaine  en  d'autres  oc- 

cafionSj 


Livre  V.  Chapitre  XIÎ,  ^} 

cafions ,  &  s'être  brouillé  mcme  avec  quelques  autres  Mi-     i  6  4.0. 

niftres  t]ui  n'avoient  pii  fbufFrir  Ces  excès  &  fcs  impolaires.  ,,^ , 

Mais  comme  les  Catholiques  ne  fleurent  aucun  gré  de  cet 
iiveu  à  Voetius,  6c  que  les  Proteftans  ne  lui  en  firent  aucun 
crime  :  on  Je  regarda  comme  une  fuite  du  dérèglement  de 
ion  efprit  auquel  les  uns  &  les  autres  étoient  déjà  tout  ac- 
■coutumcz.    Il  ne  falloit  point  d'autre  marque  de  ce  dérégie-     Epift.ad  cé- 
ment que  la  malignité  avec  laquelle  il  afFeâ;oit  dans-  le  me-  leb.  voet.&c. 
me  têms  défaire  pafîér  M.  Defcartes  pour  un  Je  fuite  de  robe-  jefuiji(ifier,fitb 
courte,  pour  un  '-fè fuite  fauvaq-e  ^  afin  de  Je  décrier  Se  de  le  H^^^^'^^oieU 
rendre  odieux. 

Le  P.  Merfcnne  feignit  de  fe  laiiïèr  attirer  aux  enchante^ 
jnens  du  diicours  de  Voetius:  &  voulant  faire  voir  même  qu'il 
étoit  encore  plus  ami  de  la  Vérité  que  de  M.  Defcartes,  il  lui 
répondit  qu'il  ne  lui  refufèroit  point  là  plume,  pourvu  qu'on 
voulût  lui  fournir  de  la  matière  &  des  rai/bns  fuffifantes  pour 
attaquer  les  opinions  de  ce  Philofbphe.    On  prétend  que  ce  Tom.  j.  des 
Religieux  parloit  féneufement,    Voetius  en  fut  fi  perluadé  ^cttr.  pag.  j. 
qu'il  fit  répandre  incontinent  le  bruit  que  le  P   Merfènne 
écrivoit  contre  M.  Defcartes.  Il  chercha  enfaite  des  maté-  Tom.  i.  in 
riaux.de  tous  cotez,   bc  fbllicita  tous  [es  amis  pour  eiir-  P'^o'^s-P^g- 
voyer  du  fecours  au  P.Meriènne.  Mais  une  année  entière  iè 
pafi^  ùins  qu'il  pût  rien  faire  tenir  à  ce  Père  qu'une  compa- 
railbn  qu'il  avoir  faite  de  M.  Defcartes  avec  Vaninus,  le 
priant  de  fiire  bien  valoir  ce  morceau  comme  une  pièce  im- 
portante, &  de  mettre  dans  un  beau  jour  le  parallèle  du  nou- 
veau Philofbphe  avec  cet  impie  qui  avoit  été  brillé  à  Tou- 
loufè. 

Cependant  M.  Defcartes  étoit  à  Leyde  revoyant  la  Phi- 
,'Iofbphie  Scholaftique ,  &  faifant  un  cours  méthodique  & 
abrégé  de  la  fienne,  lorfqu'il  fut  frappé  de  la  trifte  nouvelle 
de  la  mort  de  M.  fbn  père  arrivée  au  mois  d'Odobre  de  cette 
année.  Ce  Magiftrat  étoit  Doyen  du  Parlement  de  Bretagne 
depuis  dix-fépt  ans.  Mais  il  n'y  fut  jamais  Préfident  comme  lipftorp.  pag, 
l'a  écrit  le  fieur  Lipftorpius  -.  beaucoup  moins  fat-il  Confciller  ^''  '^    »* 
-du  Préfidial  de  Châtelleraut  en  Poiétou  ,  -comme  l'a  crû  le     Bord  vir. 
iieur  Borel.  Il  mourut  d'une  maladie  qui  avoit  commencé  par  comp.  p.  u 
une efpéce  d'apoplexie, âgé  de  lxxviii  ans,  dans  fà  maifon  de 
-Ciiavagnes,  qui  ç toit  ijne  terre  coniidèrable  venue  de  fa  fè- 

M  iij     '^  çonde 


I  640- 

Leur.  Mf.de 
M.  de  Keil. 

V.  le  Regiftre 
mortuaire  des 
Cordeliers  de 
Nantes. 


Lettt.  Mf.  de 
Dcfc.  à  foa 

pérc  du  18. 
Oftûb.  ï6^o. 


lettr.  Mf.  de 
Dcfc.  à  foii 
frère  aîné  du 
3  Décemb. 
Ï640. 


Tom.  ?•  des 
Lettr,  p.  100. 


Ckrfel.Rcl. 
M(.  &   Ltttr. 
Mf.    de    Mr 
Charnu  à  M. 
le    Va  fleur 
4'£tioks. 


'94         La    Vie    de    M.    D  e  s  c  a  r  t  e  s. 

conde  femme  ,  &  fituée  dans  une  Paroiire  du  Diocëfè  de 
Nantes.  Son  corps  fut  inhumé  le  xx  jour  d'Oclobre  dans 
l'Ea;Iire  des  Cordeliers  de  Nantes ,  èc  fut  mis  dans  la  Chap- 
pelle  de  Ruys ,  où  eft  l'anfeu  ou  la  cave  àc^  Seigneurs  de 
Ciiavagnes.  Il  fat  fuivi  quelque  têms  après  en  l'autre  monde 
par  Madame  du  Crevis  là  lille  qui  écoit  aînée  de  nôtre  Phi- 
loibfjphe. 

Dix  ou  douze  jours  après  la  mort  du  Doyen  du  Parlement 
de  Bretagne  ,  M.  Defcartes  fon  fils  quin'avoit  reçu  aucun 
avis  de  tout  ce  qui  étoit  arrivé,  lui  récrivit  de  Lcyde  pour  lui 
marquer  les  obitacles  qui  s'ccoient  oppolèz  au  voyage  qu'il 
avoit  eu  d^ilein  de  faire  en  France  l'Eté  dernier.  Il  y  réïté- 
roit  tous  les  témoignages  du  relpect  &  de  l'obéïiîance  qu'il 
lui  devoir.  Il  lui  marquoit  la  paffioii  qu'il  avoit  de  le  revoir 
pour  lui  demander  fes  ordres  &:  fa  bénédiclion.  Et  il  n'ou- 
bli  jit  pas  de  lui  faire  entendre  les  raiibns  qu'il  avoit  de  de- 
meurer en  Hollande  plutôt  qu'en  France  pour  philofopher 
à  l'abri  des  intrigues  de  quelques  Péripatéticiens  qu'il  ctoyoït 
mal  intentionnez  pour  lui,  dans  la  créance  qu'il  en  vouloit  à 
leur  Philofophie.  Cette  lettre  ayant  été  reçue  dans  la  famille 
un  mois  après  la  mort  du  Père,  fit  fouvenir  les  enfans qu'ils 
avoient  encore  un  frère  vivant  :  &  l'aîné  prit  la  plume  par 
bienfèance ,  pour  lui  faire  fçavoir  les  nouvelles  de  la  maifon. 

Au  refte  il  parut  un  peu  furprenant  que  la  parenté  de  nô- 
tre Philofophe  l'eût  traité  en  une  rencontre  iî  importante 
avec  tant  d'indifférence  que  de  ne  le  pas  informer  de  la  ma- 
ladie de  (on  père  ,  &  de  ne  pas  fè  preiTer  même  de  Jui  faire 
fçavoir  fa  mort.  Il  fallut  que  le  P.  Merfemie  s'avifat  de  la  lui 
mander  par  une  lettre  qui  prévint  celle  de  M,  delaBretail- 
lière  fôn  frère  v  &  fuppléât  ainfi  au  défaut  de  ceux  qui  fem- 
bloient  le  conter  pour  peu  de  chofe  dans  fi  famille  ,  &  qui 
ne  le  regardant  prefque  plus  que  fous  le  titre  odieux  de 
Philofophe  y  tachoient  de  l'efïlicer  de  leur  mémoire  ,  comme 
s'il  eût  ère  la  honte  de  fa  race.  Il  n'en  avoit  pas  été  de  mê- 
me de  M.  (on  père  qui  avoit  confervè  pour  lui  une  tendrefîe 
&  une  bonté  parfaite  jufqu'à  la  mort.  Le  fils  en  avoit  tou- 
jours été  trés-perfuadé  :  &:  le  voyage  qu'il  avoir  médité  de 
faire  en  France  l'Eté  dernier  avoit  pour  une  de  fes  fins  d'aller 
revoir  àc  embrafïer  un  fl  bon  père  avaat  le  voyage  de  l'au- 
tre 


Livre   V.  Chapitre     XII.  95 

tre  monde.   De  forte  qu'il  eut  un  regret  fènfîble  que  des      1^40. 
affciires  d'auffi  médiocre  importance  qu'étoient  la  gageure  ~^ 

de  WaelTenaer  ,&  la  querelle  du  Përe  Bourdm  ,  lui  eulîent  fe's  Lem.pag. 
ièrvi  de  prétexte  pour  difFérer  fbn  voyage  iufqu'à  l'hiver  •  &   593- 
TeufTent  privé  de  la  confolation  qu'il  auroit  reçue  des  der-  Tom.  i-  des 
niéres  paroles  d'un  père  à  qui  il  étoit  de  Ion  devoir  d'aller   Lcttr.  pag. 
fermer  les  yeux.  185.153. 

Cétaccident  fut  caiife  qu'il  rompit  le  projet  de  fbn  voyage, 
de  qu'il  ne  fbngea  plus  à  l'exécuter  qu'après  qu'il  auroit  com- 
posé le  cours  de  fà  Philofophie  qu'il  croyoitpublier  en  moins 
d'un  an.  Mais  cet  ouvrage  ayant  été  depuis  relégué  avec  fbn 
Monde, &  l'un  &i  l'autre  n'ayant  abouti  qu'à  la  publication 
de  fes  Principes,  quine  parurent  qu'après  un  terme  de  prés 
de  quatre  ans,  fbn  voyage  en  France  fe  trouva  infenfiblemenc 
remis  jufqu'au  tcms  qu'il  en  fut  débarrafTé.  Monfieur  fbn 
père  n'ayant  pas  jugé  à  propos  de  le  traiter  en  Philofophe 
ni  en  Etrar.gcr^  comme  il  fèmbleque  firent  M efTieurs  fes  frè- 
res, avoiteû  la  bonté  en  mourant  de  lui  laiOér  quelques  biens 
à  partager  avec  eux.  M.  Defcartes  ayant  perdu  le  principal 
en  perdant  M.  fbn  père ,  ne  jugea  point  que  le  refle  valût  la 
peine  qu'il  prendroit  de  fe  tranfporter  fur  les  lieux.  Il  établit  Tom.i.^e* 
pour  procureur  de  fès  affaires  fon  ami  M.  de  la  Villeneuve  du  ^ttr.p.  zss. 
Boiiexic ,  qui  le  fèrvit  avec  toute  TafFedion,  toute  l'éxaclitude    Et  Leur.  Mf. 

o  III-  )i      >  ■       rt     r    '  i>  deDcfc.  aïoa 

6c  toute  la  diligence  qu  il  n  auroit  oie  elperer  d  aucun  autre,  f^^j-e  ^j  ^^ 

Cet  ami,  auquel  il  fe  fioit  plus  qu'en  luy-même  ,  ayant  re-  Décembre 

eu  fa  procuration*  ne  tarda  pointa  exécuter  fà  commifîîcn ;  ^^"^^^ 

&  avant  ré2;lé  toutes  chofcs  avec  lés  Parens,  ils  pafTérent  en-  t^^^    ,  ^^' 

■>    '       j-      ^  ^,  .  j  T  ^'  1  Décembre 

;treux  divers  contrats  1  an  1641,  dont  ils  envoyèrent  lesco-   1641. 
pies  collationnées  à  M.  Defcartes     &  qui  furent  trouvées 

1  •  j     /'       T  ..    •  *Cette  Procu- 

parmi  les  papiers  de  Ion  Inventaires  .  ^.3^;^,^  ^^^^^ 

M.  Defcartes  ayant  perdu  en  une  même  année ,  &  en  moins  du  15.  Février 
de  fix  femaines  les  deux  perfbnnes  les  plus  chères  qu'il  eût   ^^V* 

11  1*  •  1  ^-r-^''  Inventaire 

dans  le  monde  ,  pou  voit  porter  patiemment  la  perte  que  Dieu  page  7. 

permit  qu'il  fit  encore  de  quelques  amis  dans  cette  année.  Il  *son  père  & 

regretta  celle  de  M.  Dounot.  ■>•>  Il  l'avoit  connu  de  réputation  «i  ^^  fiHe. 

plus  de  vingt  ans  auparavant,  ayant  fçû  dés-lors  qu'il  étoit  <i  „^"^°' 

ami  de  l'un  de  fes  plus  intimes,  nommé  M.  le  V...*  qu'il  ho-  et    Tom.x. 

noroit  extrêmement.    Il  parut  d'autant  plus  furpris  de  fa  et  p- 2-S4iji. 

n^on,  que  peu  de  témsauparavaiitilavoiceû  de  bonnes  nou.  MJe  vajcr*^ 

yelles 


Ibid.pag.  151. 

Vie  de  Meif, 
pag.  Si. 


Roberval  Ep. 
ad  Merf.  p.  8. 
&  13.  &  ad 
JorriceJ],  6. 


Hiflror.  Tro- 
choid. 


T/îni.  1.  des 
Leur.  p.  284. 
^85. 


Pag.  i88.  du 


c)6  La  Vi  E  DE  M.  Descartes. 

vellcs  de  fà  fànté  ,  &  que  pour  mériter  fes  bonnes  grâces  il  Tui' 
avoir  envoyé  par  le  Përe  Merfènne  l'explication  d'une  ré- 
gie qu'il  avoit  donnée  pour  tirer  \^  racine  cubique  des  Binômes. 
W  étoit  en  réputation  d'être  habile  Mathématicien:  mais  il 
n'en  faifoit  pas  beaucoup  de  parade. 

M.  Defcartes  regretta  même  celle  de  M.  deBeaugrand, 
quoiqu'il  parût  que  celui-ci  eût  nidignement  abufe  de  fbn 
amitié  depuis  trois  ans  &  demi.  Il  n'ecoit  certainement  pas 
Ignorant  dans  les  Mathématiques ,  mais  il  s'étoit  rendu  ridi^ 
cule  &  odieux  aux  vrais  Mathématiciens  pour  avoir  voulu 
palîer  lamefure  des  connoilîances  qu'il  y  avoit  acquifês.  Afin 
de  pouvoir  fou  tenir  la  réputation  qu'il  croyoit  y  avoir  rem- 
portée, il  s'étoit  fait  une  habitude  de  piller  ceux  qu'il  Içavoïc 
avoir  réulîî  dans  quelques  Traitez  j  de  ie  rendre  ainfi  le  pro- 
priétaire des  inventions  &  à^^  ouvrages  d'autrui  5  &  de  les 
diftribuer  comme  venant  de  lui  après  s'être  contenté  de  fup- 
primer  les  noms  des  vrais  Auteurs,  6c  de  changer  quelques- 
uns  de  leurs  termes  en  des  l'ynonymes  équivalens.  C'eft  ce 
que  M.  de  Roberval  avoit  eu  foin  de  faire  remarquer  au 
P.  Merfènne,  &;  au  fieur  Torricelh.  C'eft  ce  que  M.  Pafoal 
le  jeune  a  reconnu  aufujet  de  la  Cycloïde  ou  Roulette,com- 
me  nous  l'avons  rapporté  lorique  l'occahon  s'en  efl  pré- 
fèntée. 

Mais  il  parut  trop  d'empreflemeutdans  ceux  qui  mandè- 
rent à  M.  Defcartes  vers  le  même  têms  la  mort  de  fon  ilîu- 
ftre  ami  M.  de  Beaune.  Il  fo  récria  contre  cette  nouvelle 
comme  s'il  eût  eu  d'abord  un  pré-fèntiment  de  fà  faulTeté. 
De  forte  que  l^^s  ordinaires  fuivans  ne  lui  en  ayant  pas  appor- 
té la  confirmation,  il  récrivit  au  Père  Merfènne  au  commen- 
cement de  Janvier,  &lui  dit  en  lui  fouhaitant  l'année  heu- 
reufe,  qu'il  prioit  Dieu  pour  les  âmes  de  Mefîieurs  Dounot, 
&  de  Beaugrand:  mais  que  pour  M.  de  Beaune  il  prioitDieu 
qu'il  le  confèrvât.  Qu^e  puifqu'il  n'avoit  point  de  nouvelles 
de  fà  mort  il  ne  la  vouloit  point  croire  ,  ni  s'en  attrifter  avant 
le  têms  j  qu'au  refl:e,il  le  regretteroit  extrêmement,  parcequ'il 
le  tenoit  pour  un  des  meilleurs  efprits  quifulîent  au  monde. 

Enfin  le  Père  Merfènne  luy  annonça  encore  une  autre 
mort ,  dont  la  connoiiîànce  lui  étoit  néceflaire  pour  les  defl 
iéins  qu'il  avoit  fur  la  Philofophie  fcholallique.  Ce  fut  celle 

du 


Livre  V.  ChapitreXII.  ^7 

du  Fciullaiit  Dorii  Euftache  de  S.  Paul ,  de  la  vie  duquel  il  a-         ^ 

voit  témoigne  être  en  peine  dans  cette  vue ,  &  dont  il  avoit    . ^ 

demandé  plus  d'une  fois  des  nouvelles  au  Përe  Merfenne.    ii^mie^. 
Dom  Euftachc  ëtoit  mort  d'une  apoplexie  de  trois  heures,    icem  17;. 
âgé  de  67  ans.  Il  étoit  Parifîen  de  naiflànce,  &  s'appelloïc 
AfTeline  du  nom  de  fa  famille.  Il  étoit  né  l'an  1573,  avoit    Abifg.chmn. 
été  Docteur  de  Sorbonne ,  &  s'étoit  rendu  Feiiillant  en  i6of .    i^  ^■'^^,^\ 

avoit  et€  Supérieur  dune  maiion  de  la  Congrégation  a  i'ani!î4a. 
Rome,  &:  Vifiteur  de  divers  Monafléres  de  Religieufes  en 
France.  M.  Defcartes  témoigna  être  fâché  de  cette  mort, 
parce  qu'encore  qu'elle  parût  lui  donner  plus  de  liberté  pour 
faire  fès  notes  fur  la  Philofbphie  de  cet  Auteur  ,  il  auroic 
toutesfois  mieux  aimé  le  faire  par  fâ  permifllon  &  de  fon  vi- 
vant, afin  qu'il  fut  en  état  d'agréer  lui-même  ce  travail. 

L'on  fuppofè  que  ce  fut  à  la  fin  de  cette  année,  ou  vers 
le  commencement  de  la  fui  vante  que  le  Roi  Loilis   XIII 
voulut  reconhoître  publiquement  le  mérite  de  M.  Defcartes 
félon  l'opinion  qui  s'en  eft  depuis  répandue  par  le  monde. 
Ce  Monarque  averti  par  le  Cardinal  de  Richelieu  ,  ou  par 
le  Chancelier  Seguier ,  que  ce  bel  ornement  de  (on  Royaume    Lor.  Cfaff. 
feroit  toujours  hors  de  fa  place  tant  qu'il  fèroit  hors  de  Çqs    ^^°o-  P-^oj. 
Etats,  fbngeoit  à  le  placer  dans  un  rang  a{îez  élevé,  fbit  à 
la  Cour ,  fbit  dans  le  Parlement,  pour  le  faire  voir  à  tous  Çqs      Borei.  vît 
peuples  :&  à  lui  faire  foutenir  ce  rang  par  une  grofîe  pen-.   Gomp.  j, 
fion.  Mais  fila  vérification  de  ce  fait  dépendoit  des  circon- 
flances  dont  quelques  Auteurs  en  ont  accompagné  le  récit, 
nous  ne  pourrions  nous  difpenfer  de  le  reléguer  parmi  les  fa- 
bles, ou  de  le  laiffer  au  moins  parmi  les  chofès  les  plus  dou- 
teufès.    M.  Lipftorpius  prétend  que  le  Roi  Loiiis   XIII    P^g.  «î-  <ic 
l'appella  en  France  fous  des  conditions  trés-honorables  pré-    ^^2*  ^'^^' 
cifément  dans  letêms  delà  gageure  de  >^aefîénaer ,  c'efb-à- 
dire,  fix  ou  huit  mois  plutôt  que  nous  ne  penfons.  Il  ajou- 
te que  le   Roi  lui   offrit  une  des  premières  charges  de  la 
Robe  dans  Paris,  ou  celle  de  premier  PréfîJenc  du  Parle- 
ment de  Bretagne  pour  remplir  la  place  de  fon  Père  qui  étoU 
déjà  mort.   Mais  cette  dernière  circonftance  fuffit  pour  dé- 
truire toute   la  vray-femblance  de  la  chofe,  6c  elle   n'efl 
qu'une  fuite  de  l'erreur  où  étoit  cet  Auteur  touchant  la 
charge  du  père  de  M,  Defcartes,  Lefieur  Moren  dit  que  ces   Diaion.H'ot. 

N  *  propofitiu.ns 


98         La,  Vie     De     M.     D  e  s  c  a  r.  t  e  s. 

164.0.     propoiitions  lui  furent  faites  à  fou  voyage  en  France  pour 
"~"        ~    r'empccher  de  retourner  en  Hollande.  Mais  ce  voyage  ne  fe  fît 
qu'en  1644  auquel  tems  le  Roi  ëtoit  mort  :  ôc  il  eft  probable 
que  cet  Auteur  aura  confondu  le  Cardinal  Mazarin  avec  le 
Cardinal  de  Richelieu,  au  fujet  d'un  troifiéme  voyage  à  Pa- 
ris que  l'on  fit  taire  à  M.  Defcartes  l'an  1648,  pour  venir 
recevoir  les  effets  de  la  libéralité  de  Louis  le  Grand. 
1?iUebrcfficux       ^^  ^^  néanmoins  difficile  de  fe  perfuader  que  le  conlente- 
da-is  Bore!.      mcut  des  Auteurs  étrangers  &  domeftiques  fur  ce  fait  puiile 
^^  ^^*^y      être  fans  quelque  fondement.  C'étoit  fans  doute  fur  quel- 
pfu"   '^  °'^'    que  chofè  de  ièmblable  que  M.  de  la  Mare  Confeiller  au 
CrafTocnita-    Parlement  de  Dijon  écrivant*  un  an  après  à  M.  GalTendi, 
!ie.&c.  fondoit  l'eipérançe  qu'il  avoit  du  retour  de  M.  Defcartes,  de 

*  Epift.  I.    de  fbn  ctabliflemencen  France  avec  celui  de  M,  de  Saumaifè, 
Febiuar.  1^42   Quoiqu'il  en  foie,  nous  fbmmes  afTûrez  qu'il  n'y  eut  pas  de 
pA^\é6.  '     iblli Citations  alTez  fortçs  pour  faire  fbrtir  alors  M.  Defcartes 
de  fa  retraite.  Il  regardoit  les  délices  de  la  Cour ,  &  les  oc- 
cupations les  plus  glorieufès  du  Confeil  &  des  Pariemens 
comme  également  préjudiciables  au  repos  &;  au  loifir  dont 
il  avoit  beibin  pour  fervir  le  genre  humain  dans  la  profef^ 
fion  qu'il  avoit  choifie.  Et  faifant  infiniment  plus  de  cas  des 
bontez  de  fbn  Roy  que  de  tous  les  honneurs  &  de  toutes  les 
richefïes  dont  il  Tauroit  voulu  combler,  il  aima  mieux  vivre 
iipftorp.  %(.    ^^^1  ^  content  dans  de  perpétuelles  reçonnoiflances  pour  ces 
bontez,  que  de  s'expofèr  au  hazard  de  perdre  les  avanta- 
ge? de  îà  Philofbphie,  fous  prétexte  de  vouloir  foutemr  le 
poids  de  ces  honneurs,  &:  de  juftiiier  le  choix  d'un  fî  grand 
Prince, 


I.ÏVRE    VL 


LA     VIE 

M' DES  CAR  TES 

LITRE       S  I  X  I  E  AI  E. 

Contenant  ce   qui   s*eft  pafTé  depuis  la  publication  de  fès 

Méditations  Mëtaphy Tiques ,  jufqu'à  la  publication 

de  les  Principes  de  Phyfique, 


CHAPITRE      PREMIER. 

JEdition  des  Aiédltatlons  Métaphyjîcjues  de  Ai.  Defc^trtes  ^  malgré  fa  rcfo- 
/ut ion  de  ne  pins  imprimer.  Hifloire  de  cet  ouvrage.  Deffein  &  motifs 
de  fon  Auteur.  Pourquoy  il  veut  fe  munir  de  l" autorité  des  f^avans. 
PoitrejHoy  il  recherche  lapprchation  en  le  jugement  des  principaux 
Théologiens  parmi  les  Catholiques,  Délibérations  diverfes  fnr  la  yna- 
niére  de  s'y  prendre.  Il  s'addreffe  au  P.  Gibienf  pour  conduire  le  Père 
JHerfenne  dans  le  ménagement  de  tome  cette  affaire.  Il  dédie  fonmivrage 
a  Me  [fleurs  de  Sorbonve ,  cefi-k-dire,  a  toute  la  Faculté  de  Théoloiriedi 
Paris.  Titre  de  l'ouvrage.  Pourquoi  il  ejî  écrit  en  Latin. 


E  fut  en  1^41  que  Ton  vidparoître  publique-      1(^41. 


ment  le  fécond  des  ouvrages  de  M.  Defcar- 


Les  I.  furent 
la  EJfais. 

Les  1.  furcn; 
les  MédttX" 


tes.  Il  fut  imprimé  à  Paris  chez  Michel  Soly 
in  VIII*,  avec  le  Privilège  du  Roy  6c  l'Appro- 
bation des  D odeurs  en  Théologie  ,  fous  le 
titre  Latin  de  Méditations  touchant  Li  première   tiens 
Fhilofo^his i  où  l'on  dèînontn  i^éxiftcnce  de  Dieu.,  é*  l'intmortalité  Les  ;.  fareaî 

N    ij     *  de    '"  Prinfipes. 


Univers 

BfBLIOTH 
aviens'S 


loa  La    Vie  de   M.Descartes. 

164.1.       ^^  l'Ame.  Mais  le  Public  fera  peut-être  furpris  d'apprendre 
_  que  c'efl  à  la  confcience  de  nôtre  Auteur  qu'il  efl:  unique- 

ment redevable  d'un  fi  beau  préfènt.  Si  l'on  avoit  eu  affaire 
à  un  Philofbphe  fans  comcience,  ou  fi  la  confcience  du  Phi- 
lofbphe  ne  s'étoit  oppofëe  aux  raifons  qu'il  prëtendoit  avoir 
de  ne  plus  jamais  imprimer  aucun  de  fes  écrits  ,  c'étoit  faic 
Tom.  i.  des    de  fes  Méditations,  auffi-bien  que  de  fbn  Monde ^  de  fbn  Coun 
î-ettr.  p.  il 3.    philofophiqttc  ^  de  fa  Réfutation  de  la  Schola/iique  ^  Sc  de  divers 
autres  ouvrages  qui  n'ont  pas  vu.  le  jour ,  hormis  ]qs  principes 
qui  avoient  été  nommément  compris  dans  la  condamnation 
qu'il  en  avoir  faire.  Cette  diftindion  étoit  bien  due  à  Çqs  Mé^ 
ditations  Métaphyfiques ,  quoiqu'on  pût  dire  que  fa  réfblu^ 
tion  pour  le  refte  étoit  étrange,  &  peut-être  un  peu  mjuile. 
Mais  il  faut  l'entendre  avant  que  de  le  condamner  luy-mê- 
me.  "  Je  n'ai  y  dit-il,  aucune  intention  de  faire  jamais  impri^ 
95    m,er  mes  Principes ,  ni  le  refle  de  ma  Phyllque ,  ni  même  au- 
î5    cunc  autre  choie  que  mes  cinq  ou  fix  feuilles  touchant  l'éxif 
ï5    tence  de  Dieu^  k  quoi  je  penfe  être  obli'ié  en  confcience.  Car  pour 
«    le  refle ,  je  ne  fçai  point  de  loy  qui  m'obU2;e  à  donner  au 
»î    monde  des  chofes  qu'il  témoigne  ne  point  defirer.  Et  Ci  quel- 
95    ques-uns  le  défirent,  fçachez  que  tous  ceux  qui  font  les 
5>    dodes  fans  l'être  ,  &  qui  préfèrent  leur  vanité  à  la  vérité 
w    ne  le  veulent  point.  Pour  une  vingtaine  d'approbateurs  qui 
»i)    ne  me  feroient  aucun  bien ,  il  y  auroit  des  milliers  de  maU 
»î    veilîans  qui  ne  pourroient  s'empêcher  de  me  nuire  quand  ils 
>î    en  auroient  occafion,  C'ed  ce  que  l'expérience  m'a  faitcon- 
9î    noître  depuis  trois  ans  :  ôc  quoique  je  ne  me  repente  pas  de 
?î    ce  que  j'ai  fiit  imprimer,  j'ai  néanmoins  fi  peu  d'envie  d'y 
î5    retourner  que  je  ne  le  veux  pas  même  laifler  imprimer  en 
53    Latin,  autant  que  je  pourray  l'empêcher, 

L'ouvra<!;e  de  fes  Méditations  n'étoit  pas  d'une  compo- 
fition  fort  récente.  Il  y  avoit  plus  de  dix  ans  qu'il  s'y  étoit 
SfâiireiiFiife.  appliqué  5  &:  il  avoit  voulu  confacrer  à  la  Vérité  fa  retraite 
de  France  en  Hollande  par  un  travail  de  peu  de  mois  fans 
doute,  mais  qui  devoit  être  un  monument  éternel  de  fa  re- 
connoifTance  envers  fbn  Créateur.  Depuis  ce  tems-là  il  l'a- 
voit  laifTé  dans  fon  cabinet  comme  une  pièce  imparfaite, 
dans  laquelle  il  n'avoit  fongé  qu'à  fe  làtisfaire.  Mais  ayant 

conlidçré 


LlVR  E     VI.    ChAPI  T  R  E    T.  ÏOl 

confidéré  enfuite  la  difficulté  que  plufîeurs  perfbnnes  au-      t^aï. 


roient  de  comprendre  le  peu  qu'il  avoir  mis  de  Métaphyfi-  

que  dans  la  quatrième  partie  de  fbn  dilcours  de  la  Méthode,  Tom.  j.  des 
il  voulut  revoir  (on  ouvrage,  afin  de  le  mettre  en  état  de  pou-   ^^"'  ^^^' 
voir  être  utile  au  Public,  en  donnant  des  éclaircilîémens 
à  cet  endroit  de  jfà  Méthode  ,  auquel  cet  ouvrage  pourroit 
fervir  de  commentaire.    11  comparoit  ce  qu'il  avoit  fait  en 
cette  matière  aux  démonftrations   d'Apollonius ,  dans  lef-  ^^ 
quelles  il  n'y  a  véritablement  rien  qui  ne  fbit  trés-clair  èc  ^^ 
trés-certain  lorfqu'on  confidéré  chaque  point  à  part.  Mais  ^^ 
parcequ'elles  font  un  peu  longues ,  &  qu'on  ne  peut  y  voir 
ia  néceiîité  de  la  conclufion  fi  Tonne  fè  fbuvient  exactement 
àe  tout  ce  qui  la  précède,  à  peine  peut-on  trouver  un  hom- 
me dans  toute  une  ville,  dans  toute  une  province,  qui  foie 
capable  de  les  entendre.  Néanmoins  fur  le  témoignage  du 
petit  nombre  de  ceux  qui  les  comprennent,  &  qui  aflïïrent 
qu'elles  font  vrayes ,  il  n'y  a  perfbnne  qui  ne  les  croye.  De 
même   M.   Defcartes  croyoït  avoir  entièrement  démontré 
i^éxiflence  de  Dieu,  &  V  immatérialité  de  l'Ame  humaine.  Mais 
parceque  cela  dépendoit  de  plufieurs  raifbnnemens  qui  s'en- 
tre-fuivoient,  &  que  fi  on  en  oublioit  la  moindre  circonftance  ib;a,  ^^i^ 
iln'étoit  pas  aifé  de  bien  entendre  la  conclufion  ,  il  prévoyoit  ^93- 
que  fon  travail  feroit  peu  de  fruit:  à  moins  qu'il  ne  tombât 
heureufement  entre  les  mains  de  quelques  perfonnes   très- 
capables,  qui  fufîent  particulièrement  en  réputation  d'être 
grands  Métaphyficiens  5  qui  priflent  la  peine  d'examiner  fe^ 
rieufèment  fes  raifbns  •  &  qui  difant  fincérement  ce  qu'ils  en 
penféroient,  donnafîent  par  ce  moyen  le  branle  aux  autres 
pour  en  juger  comme  eux,  ou  du  moins  pour  n'ofèr  leur 
contredire  fans  raifbn. 

C'eft  ce  qui  le  fit  réfbadre  d'abord  à  faire  voir  fbn  ou- 
vrage aux  plus  habiles  Théologiens  de  TEglife  Catholique, 
&  à  quelques  fçavans  même  des  autres  Communions  qui 
pafîoient  pour  les  plus  fabtils  en  Philofophie  &:  en  Meta- 
phyfique,  afin  que  l'ayant  fournis  à  leur  cenfure  ils  puflent 
iuy  faire  fçavoir  leurs  difficultez  ôc  leur  jugement  avant  la 
publication  ^  &  qu'il  pût  fiire  imprimer  leurs  objedions  6c 
lès  rèponfès  en  même  têms  que  fbn  traité.  Il  communiqua 
^n  deiïçin  aux  deux  principaux  amis  qu'il  avoit  dans  l'une 


101 


La  Vie  de  M.  Descartes. 


To.Ti.  1.    des 
Lettr.  p.  i>^i. 

Z4S.    149- 
Hem.  pag. 


Pag.  149. 
Soin.  I. 


j6^i.       ^  Tciutre  Communion  qui  fuirent  Igs  plus  propres  pour  i"*y 

fervii-,  au  P.Merfènne  en  France ,  &c  à  M.  de  Zuytlichenr  eii 

HoIIa ide.  Il  leur  manda  la  penlëe  qui  lui  ëtoit  venue  d'en 
faire  tirer  feulement  vingt  ou  trente  exemplaires  par  manière 
d'épreuves,  &  de  les  envoyer  à  autant  de  Théologiens  pour 
leur  demander  leur  le ntim entravant  qu'il  pût  tomber  entr^ 
les  mains  des  Mimflres  Proteflans ,  &  des  autres  perfonnes 
mal  affectionnées  qui  l'atcendoient  pour  y  contredire.  La 
mauvaiiè  volonté  qu'il  avoir  remarquée  dans  certains  efprits 
chicaneurs  qui  fe  rendroient  d'autant  plus  éloquens  dans 
cette  matière  qu'ils  la  comprendroient  moins ,  robligeoit  à 
fe  munir  de  l'approbation  des  Docteurs  les  plus  capables  èc 
les  plus  autorifèz  :  &  à  donner  quelque  crédit  à  un  ouvrage 
Tom. }.  pag.  ^m  regardait  la  gloire  de  Dieu  avec  plus  de  foin  6c  d'emprefl- 
î?^?.  muio.  jfèment  que  Ton  humeur  ne  lui  permettroit  àiQXï  avoir,  s'il  s'a- 
gifToit  d'une  autre  matière, 

La  difficulté  qu'il  trouva  depuis  dans  cet  expédient  lui  fit 
récrire  au  P.  Merfenne  pour  prendre  avis  fur  d'autres  mefu- 
res.  »  Je  ne  voy  pas ,  loi  dit-il ,  que  nous  puiiîîons  fiire  irà- 
primer  les  i  o  ou  30  exemplaires  de  mon  petit  Traité  de 
Métaphyfîc]ue  comme  je  vous  Pavois  mandé ,  fans  qa'il  foit 
vu  de  tous  ceux  qui  feront  curieux  de  le  voir,  fbit  par  la 
communication  de  ceux  à  qui  je  l'aurai  envoyé,  foit  par  l'in- 
fîdélité  du  Libraire  qui  ne  manquera  pas  d'en  foire  imprimer 
plus  d'exemplaires  que  je  ne  voudrai.  Il  feroitp'eut^être  plas 
à  propos  d'en  faire  faire  une  impTelfron  publique  du  premier 
coup.  Car  enfin  je  ne  crains  pas  qu'il  y  ait  rien  cpi  puifîe 
defagréer  aux  Théologiens.  Mais  j'aurois  feulement  defîré 
avoir  l'approbation  de  plufîeurs,  pour  empêcher  les  cavilla- 
tions  des  i^norans  qui  auroient  envie  de  contredire,  s'ils  n^'é- 
îoient  retenus  par  l'autorité  des  perfonnes  docles.  Danscet- 
ù  penfeej'ai  cril  qu'il  feroit  bon  que  je  vous  envoyafTe  mon 
Traité  en  manufcrit ,.  &:  que  vous  le  fi  (fiez  voir  au  Père  G^- 
bieuf,  auquel  je  pourrois  auffi  écrire  pour  le  prier  de  l'exa- 
miner :  5c  je  fuis  trompé  ,  s'il  manque  à  me  faire  la  fiveur  de 
l'approuver.  Vous  pourriez  enfuite  le  faire  voir  aulîià  quel- 
ques autres  félon  que  vous  le  jugeriez  à  propos.  Et  ainfiavec 
l'approbation  de  trois  ou  quatre ,  ou  même  de  plufieiws,  on 

le 


LlVR  E    VI.    ChAP  ITR  E    T.  IO5 

h  fcroit  imprimer.  Je  le  dédicrois  même  à  MelTicurs  de  Sor-   ce  1^41 
bonne  en  général ,  Ci  vous  le  trouviez  bon  ,  afin  de  les  prier   c. 


Cela  fe 


d  être  mes  protedeurs  dans  la  caufe  de  Dieu.    Carie  vous   et  }, 

1  ••  1     ^  //      ■  I  1  y  r  r      J  contredit 

dirai  que  les  cavilLitions  ce  quelques-uns  m  ont  raie  reloudre   ce  avec  la  pa- 
à  me  munir  dorénavant  le  plus  que  je  pourrai  de  l'autorité   ce  P.=  4*°-  <^'* 
d'autrui ,  puiique  la  Vérité  efl  il  peu  eilimée  lorfqu'elle  eft  ce 
toute  leule.  ce 

Cependant  il  avoit  fait  voir  fbn  manufcrit  à  quelques  amis      Dés  le  iroîs 
d'Utreclit  qui  l'enavoient  inftamment  foliicité  ,  6c  particu-   ^^^^^  ^^^o. 
liércment  à  Meffieurs  Regius  &  Emilius  qui  en  furent  char-     Lettr.  n.  \z 
mez  jufqu'à  Textafe.   M.  Defcartes  qui  ne  cherchoit  pas  les   Regius  Mf. 
éloges  de  Co.^  amis  leur  avoit  enjoint  d'examiner  l'Ecrit ,  tant  ^^  ^'  ^^  ^^'' 
en  Grammairiens  qu'en  Philofophes.    Il  fillut  obéir  ,  mais   ,  ^°'"'  ^-^^ 
lis  ne  trouvèrent  a  toucher  qu  a  la  ponctuation  &  a  1  orto-   jg^.  jgjf 
graphe.  Pour  lui  faire  voir  néaniroins  que  les  grands  éloges   y  ^  fin  de  la 
qu'ils  avoient  donnez  à  cet  ouvriige  ne  dévoient  pas  lui  être  lettr.  n.  Mf. 
fufpeds,  ils  lui  propolérent  deux  difficultez  touchant  l'idée  *^=  Rcgi^is. 
que  nous  avons  de  l'Etre  infini  &  infiniment  parfait,  &:  lui 
demandèrent  un  plus  ample  éclairciflèment  à  ce  qu'il  en  a- 
v,oit  écrit  dans  fbn  Traité.   M.  Defcartes  leur  accorda  (iQXX.Q 
fatisfadion  avec  plaifir  ,  fouhaitant  de  bon  cœur  qu'aux  élo- 
ges prçs,  les  Doàeurs  de  SorbonaefifTent  le  même  jugement 
qu'eux  de  fbn  Traité, 

Le  tems  s'écoula  fans  qu'ail  pût  vacquer  à  l'édition  qu'il 
avoit  projettée,  parceque  la  crainte  de  la  rendre  pubhque  ÔC 
commune  en  Hollande  avant  qu'on  l'eût  vue  en  France  la 
lui  avoit  fait  différer  jufqu'à  la  veille  de  fbn  départ  pour  le 
voyage  de  France,  où  il  v.ouloit  être  lui-rinême  le  porteur  de 
fés  exemplaires.  L'été  expira^  fon  voyage  fut  rompu  ^  &:  li 
Im  vint  de  nouvelles  penfées  qui  lui  repréfentérent  la  diffi- 
culté qu'il  y  auroit  de  faire  approuver  fbn  livre  parle  Corps 
entier  de  la  Sorbpnne ,  par  lequel  il  entendoit  non  feulement 
les  D  odeurs  de  la  maifon  &  Cociiii  particulière  de  S  or- 
bonne ,  mais  généralement  tous  ceux  de  la  Faculté  deThéo- 
logie  de  Paris.  Il  retourna  donc  à  fon  premier  defTein  de  ne 
faire  tirer  qu'un  très-petit  pombre  d'exemplaires  pour  tenir 
lieu  feulement  de  copies  manufrntes,  &  fervir  d'épreuves  à  Page  133.  du 
ceux  dont  il  attendoit  Tapprobation  ou  le  jugement.  Il  pria  ^-'o"^' 
Ip  P.  Merfennç  que  quand  ^  les  lui  auroïc  envoyez,  \\  ne 


I64I. 


Tom.  I.  des 
lettr.p.480. 


Cela  fe 
itontredit 
avec  la  p. 

149*  du 


Canciîiatian 
àc  Ces  contra - 
<ii£tions. 


Tom.  ^.  des 
Lcttr.  pag. 


104  La   Vie   de  M.  Descarte s^. 

les  mît  qu'entre  les  mains  des  Théologiens  qu'il  jugeroit  leî 
plus  capables  ,  les  moins  prèocupez^des  erreurs  de  l' Ecole ^  les  moins 
intèreffcz^  à,  les  maintenir  ,  ^  enfin  les  plus  gens  de  bien  y  fur  cfui 
il  reconnottroit  que  la  vérité  ^  la  gloire  de  Dieu  aurait  plus  de 
force  que  l^ envie  ^  la  jalou(ïe.  Ce  n'eft  pas  qu'il  chan2;eât  le 
deiTein  qu'il  avoit  de  dédier  fbn  livre  à  la  facrée  Faculté  de 
Théologie  de  Paris  :  mais  il  vouloit  faire  voir  dés-lors  ce 
qu'il  a  depuis  afluré,  que  fbn  eipérance  n'avoir  pas  été  d'ob- 
tenir leur  approbation  en  Corps.  Il  prévoyoit  que  Çqs  pen- 
fees  ne  feroient  pas  au  goût  de  la  multitude,  &  qu'elles  ie- 
roient  aifëment  condamnées  où  la  pluralité  des  voix  auroit 
lieu.  Il  témoigna  même  ne  pas  le  ibucier  beaucoup  de  celles 
àQs  particuliers  ,  fbit  parcequil  auroit  été  fâché  qu'ils  euf- 
jfènt  rien  faità  fbnfujet  qui  pût  être  defagréableà  leurs  con- 
frères, foit  parceque  ces  fortes  d'approbations  s'obtiennent 
fî  facilement  pour  les  autres  livres  que  la  caufe  pour  laquelle 
on  pourrait  juier  qu'il  ne  les  auroit  pas  eues  ne  lui  ferait  point  de fa- 
vantageufe.  Lors  donc  qu'ail  offrit  Ç^s  Méditations  à  la  Fa- 
culté, ce  n'étoit  dans  le  fonds  ni  pour  mandier  leur  approba- 
tion ,  ni  pour  attirer  même  leur  protedion  fur  {<y:i  livre,  quoi- 
qu'il leur  en  fit  le  compliment  5  »>  Mais  pour  les  faire  d'au- 
tant mieux  examiner ,  afin  que  fî  ceux  d'un  Corps  fi  célèbre 
ne  trouvoient  point  de  juftes  raifbns  pour  les  entreprendre,^ 
cela  pût  l'alTurer  des  véritez  qu'elles  contenoient. 

Pour  fàuver  la  contradiction  qui  paroît  entre  ce  langage,, 
&  celui  qu'il  avoit  tenu  auparavant,  il  faut  deviner  qu'il  ne 
mettoit  point  de  différence  entre  l examen  &  \x  proteHion^. 
entre  \q  jugement  &  \ approbation  des  habiles  gens.  De  forte 
que  fuivant  la  bonne  opinion  qu'il  avoit  de  fon  ouvrage,  c'é- 
toit  chez  lui  la  même  chofe  ç^ examiner  fbn  livre  &:  \q protêt 
ger  y  qu'en  juger  dc  l'approuver. 

Avant  que  de  faire  tirer  les  exemplaires  qull  deflinoit  aux 
Dodeurs  choifîs  de  qui  il  efpéroit  des  objections,  il  jugea  a 
propos  d'en  envoyer  une  copie  manufcrite  au  P,  Merfenne 
pour  la  faire  lire  en  particulier  auP.Gibieuf,&  pour  lui  donner 
lieu  de  fbnger  plus  efficacement  aux  moyens  de  l'imprefîîon 
de  Paris,  6c  d'avertir  par  avance  ceux  a  qui  il  devoir  procu- 
rer la  leàure  des  exemplaires.  Il  envoya  le  pacquet  le  x  de 
Novembre  de  Tan  1640  à  M.  de  ZuycUchem  qui  eut  com- 

milTioa 


i 


LivreVI.  Chapitre  I.  105 

million  de  lire  le  Traité  avant  que  de  le  faire  tenir  ap.  Përe     i  6  4.  i. 
Meriènne.  Il  en  avoit  donné  l'avis  à  ce  Père  dés  le  lende- 


main par  une  lettre  où  il  le  prévenoit  touchant  le  titre  du  li-  f^^  1  erardi  de 
vre ,  èc la  ftipulation  des  exemplaires  que  le  Libraire  fourni-   Huit  [ours .  ac 
roit.  Le  pacquet  qui  fut  retardé  de  plus  de  huit  jours  con-  Jç,"^  ^uTn's  d- 
tenoit,  outre  le  Traité  de  Métaphyfîque   àc  les  objcdions  M.Dcfcart/ 
d'un  Prêtre  des  Païs-bas  avec  la  réponfè,  trois  lettres  dont  P^^  ^'^-  ^<= 
la  première  étoit  l'Epître  dédicatoire  de  l'ouvrage  à  Mef   nc^put  ren-"^ 
fieurs  de  Sorbonne  3  la  féconde  étoit  pour  le  Père  Gibieuf  voycr  à  caufe 
Dodeur  de  Sorbonne  -,  &  la  troifiéme  pour  le  P.  Merfenne.  ^J  p"^^"^^^ 
Il  mandoit  au  Père  Gibieuf  que  l'honneur  qu'il  lui  avoitfait  Dcfcan.  l'ca- 
depuis  plufieurs  années  de  lui  témoigner  que  fes  fentimens  voya  par  le 
fur  la  Philofophie  ne  lui  paroilToient  pas  incroyables ,  &  la  pou/if^p^ij 
connoiHance  qu'il  avoit  de  jfà  doctrine  lînguhére  lui  avoient  de  trois  livres 
fait  fbuhaiter  avec  pafîîon  qu'il  prît  la  peine  de  voir  l'Ecrit  ^-  P°''f« 
de  Métaphyfîque  que  le  Père  Merfenne  devoit  lui  commu-  Pag.  té^. 
niquer.  Quoiqu'il  ne  crût  pas  qu'il  y  eût  d'autre  chemin  poir 
démontrer  l'èxiftence  de  Dieu ,  6c  faire  connoître  la  nature 
de  l'Ame  humaine  que  celui  qu'il  avoit  pris  ,  il  ne  préten- 
doit  pourtant  pas  l'avoir  parfaitement  fuivi ,  &  n'y  avoir  pas 
omis  beaucoup  de  chofes  qui  auroient  eu  befbin  d'explica- 
tion. Mais  il  fe  flatoit  de  pouvoir  remédier  à  tout  ce  qui  y 
manqueroit  pourvu  qu'on  l'en  avertît,  &  de  rendre  les  preu- 
ves dont  ilfefèrvoit  fî  évidentes  &:ficertaines,qu'elles  pour- 
roieiit  être  prifés  pour  des  démonftrations.    Mais  le  grand 
point  qu'il  croyoity  manquer  étoit  qu'il  ne  pourroit  faire  que 
toutes  fortes  d'efprits  fufTent  capables  de  les  entendre ,   ou 
qu'ils  voulufîent  même  prendre  la  peine  de  les  lire,  fî  elles 
ne  leur  étoient  recommandées  par  d'autres  perfbnnes  que 
par  leur  Auteur.   Ne  fçachant  perfbnne  au  monde  plus  pro- 
pre à  cela  que  Meilleurs  de  Sorbonne,  ni  de  qui  il  pût  efpé- 
rer  des  jugemens  plus  fîncéres  ,  il  s'etoit  propolc  de  recher- 
cher leur  frotcHion .  Mais  parce  que  le  Père  Gibieuf  étoit  l'un 
des  principaux  de  leur  Corps  ,  il  avoit  eu  particulièrement 
recours  à  fon  aiîîflance,  fur  l'expérience  qu'il  avoit  d'ailleurs 
de  fbn  affeétion  ,  fur  tout  en  une  occafîon  où  il  s'agifToit  de 
défendre  la  caufe  de  Dieu.    C'eft  pourquoi  il  le  prioit  dans  fa 
lettre  de  conduire  le  Père  Merfenne  par  fes  confèils  dans  la 
manière  dont  U  faudroic  ménager  toute  cette  affaire ,  de  pro- 

'  ,  O  *  curer 


ïo<j  La    Vie   de    M.    Descartes. 

1^41.     curer  à  fbn  livre  des  juges  favorables ,  6c  de  fe  mettre  de  leur 
'  "  nom  bre . 

Q^ant  à  la  lettre  pour  Meilleurs  de  Sorbonne  ,  il  laidâ 
au  P.  Merfenne  le  foin  de  régler  les  termes  &  les  autres  for- 
malitez  du  titre  Se  de  la  fbufcription.  Il  s'étoit  pnncipale- 
ment  chargé  de  faire  voir  aux  Dodeurs  l'importance,  de 
démontrer  par  les  raifbns  de  la  Philofbphie  l'éxiftence  de 
Dieu  &c  l'immortalité  de  l'Amç ,  quoiqu'il  fuffife  aux  fîdeL 
SousLeonX.  ^^^  de  croire  l'un  Se  l'autre  par  la  Foy.  Il  les  lie  Ibavenir 
fefl.  8.  que  c'étoit  obéir  aux  ordres  du  Concile  de  Latran  ,  qui  or- 

donne aux  Philofophes  chrétiens  de  répondre  aux  argumens 
de  ceux  qui  tenoient  l'Ame  mortelle.  Et  il  voulut  leur  per- 
fuader  qu'ayant  trouvé  une  excellente  méthode  pour  réfbu- 
dre  toutes  fortes  de  difficultez  dans  les  fciences ,  plufieurs 
perfbnnes  lui  avoient  repréfenté  qu'il  étoit  de  fon  devoir  d'en 
faire  l'épreuve  fur  une  matière  fî  importante.  Mais  en  rele- 
vant fes  raifbns  jufqu'à  les  faire  pafler  pour  des  démonftra- 
v.fcslettr.  tions  certaines  6c  évidentes ,  il  penfâ  perdre  les  fruits  de  fà 
MfT.  au  Pérc  modeftic  dans  l'efprit  de  pludeurs  anciens  Dodeurs  de  la  Fa- 
Merfennc  de  ^-uj^.^  ^  q^^  jVétant  accoutuiiiez  ni  à  fbn  langage  ni  à  fa  mé- 
thode le  crurent  fufped  de  la  vanité  qui  accompagne  ordi- 
nairement les  introducteurs  de  nouveau tez.  Il  étoit  d'avis 
que  le  P.  Gibieuf  corrigeât  cette  lettre,  Se  la  mît  en  état  d'ê- 
tre préfèntée  à  une  afTemblée  de  la  Faculté  lorfqu'on  diftri- 
buëroitles  exemplaires  imprimez  du  livre  à  chaque  Dodeur, 
ou  du  moins  à  ceux  que  la  Faculté  nommeroit  pour  l'exa- 
miner. 

Pour  ce  qui  étoit  du  Traité  même  ,  M.  Defcartes  l'avoit 
envoyé  fans  titre  Se  fans  nom  au  Père  Merfenne,  afin  qu'il 
Pag.  z^y.  &     en  pût  êére  le  farrain  ^   Sc  qùil  le  bktifàt  du  nom  qu'il  lui 
tom."  plairoit.  Il  lui  marqua  néanmoins  celui  de  Méditationcs  de 

Item  p  Î99-  î^^^^  Phdofophia ,  comme  le  titre  qui  lui  paroifîbit  le  plus  con- 
éoo.du  3.VCI.  venable,  parce  qu'il  n'y  traittoit  pas  en  particulier  feulement 
de  Dieu  Se  de  l'Ame  ,  mais  en  général  de  toutes  les  premiè- 
res chofes  qu'on  peut  connoître  en  philofbphant  par  ordre. 
Il  n'avoit  plus  les  mêmes  raifons  qu'autrefois  pour  y  fuppri- 
mer  fbn  nom.  Il  étoit  devenu  fi  connu  dans  le  monde ,  qu'il 
y  auroit  eu  de  l'afFedation  à  ne  le  pas  mettre  à  la  tête  du 
livre ,  Se  qu'on  auroit  pris  félon  lui  cette  fupprelTion  plutôt 

pour 


:84. 

com.  z. 


Livre    VI.   Chapitre   I.  107 

pour  un  effet  de  vanité  que  de  modeftie.  Il  étoit  d'avis  qu'on      i  ^  4- 1. 
mit  Dcfcartes ,  même  en  Latin.  Deux  mois  après  il  récrivit  '^       "^"^ 
que  ce  nom  François  étant  trop  rude  en  Latin,  il  croyoït  qu'il   f^^f;  V 
faudroit  mettre  dans  l'imprefTion  C^tri^efius  ,  qui  étoit  déjà  en 

voo-ue  parmi  les  Q-ens  de  Lettres.  Mais  ce  fécond  avis  ne  fut 
^  ^    r  o 

pas  lui VI, 

11  ne  jugea  point  à  propos  de  publier  d'abord  l'ouvrage  en 
Franc^ois  comme  il  avoit  fait  Tes  ElTais  :  mais  ayant  écrit  ceci 
principalement  pour  les  dodes  ,  &  d'une  manière  égale- 
ment relevée  &  nouvelle ,  il  crut  devoir  parler  leur  langue,. 
êc  s'exprimer  à  leur  mode  autant  qu'il  lui  avoit  été  poflîble. 


CHAPITRE     IL 

Ze  Père  Tiferfenne  procure  des  Cenfeurs  à  M.  Defcartes  pour  lui 
faire  faire  des  objeHions  contre  les  Méditations  Métaphyfiques^ 
afin  d*éclaircir  la  Kérité^  d^  de  perfeciionner  fon  ouvray;.  Abré- 
gé de  ces  Méditations.  Pourquoi  M.Defcartes  ne  traite  pas  de 
l' Immortalité  de  l*  Ame  ,  mais  feulement  de  fa  diflinïlion  réelle 
d*avec  le  corps.  Sa  manière  d'écrire,  il  s'attache  moins  a  l'ordre 
des  matières  quà  celui  deS  raifons.  Hifioire  des  premières  ob- 
jeHions contre  fon  livre  faites  par  M.  Catértis  Théologien  des 
P aïs-bas.  Il  veut  que  M.  des  Argues  fait  du  nombre  de  fis 
Juges.  Bonne  opinion  quil  a  de  fon  ouvrage.  En  quoi  confifte 
principalement  l'excellence  de  ces  Méditations. 

LE  Père  Meriènne  ayant  reçu  enfin  l'ouvrage  attendu 
depuis  tant  de  têms  voulut  récompenfer  la  patience  de 
ceux  à  qui  il  l'avoit  promis  par  l'adivité  &  l'induftrie  dont 
il  ufà  pour  le  leur  communiquer.  Il  en  écrivit  peu  de  têms 
après  à  M.  Defcartes:  &  il  lui  promit  les  objections  de  divers 
T-1. --'--■-     °-  ^'liloibphespour  les  étreines  r""  "       "~  -^   - 

)arut  d'autant  plus  furpris  c 
plus  de  têms  pour  remarqi 
tout  ce  qui  étoit  dans  fon  Traite ,  &  tout  ce  qui  y  manquoit 
d'êfTentiel.  Le  P.  Merfenne  pour  lui  faire  voir  qu'il  n'y  avoit 
ni  précipitation  ni  négligence  dans  l'examen  cju'il  en  faifoit 
faire ,  lui  manda  qu'oia  avoit  déjà  remarqué  que  dans  un 

G  ij     *  Trakd 


annihiler. 


Pâg. 

191. 

du 

z:  tom. 

Pag. 

180. 

& 

iSl. 

Com. 

t. 

io§  La   Vie    de    M.  Descartes. 

î  6  A.I.     Traité  qu'on  croyoit  fait  exprés  pour  prouver  rimmortalité 

de  l'Ame  ,  il  n'avoit  pas  dit  un  mot  de  c^tte  Immortalité. 

Pag.  t7j.  du   M.  Defcartes  lui  répondit  fur  le  champ,  qu'on  ne  devoit  pas 
1.  tom.  ^>^j^  étonner.    Qu'il  ne  pouvoit  pas  démontrer  que  Dieu  ne 

puiiîe  anéantir  l'Ame  de  l'homme  ^  mais  feulement  qu'elle 
efl  d'une  nature  entièrement  diftincbe  de  celle  du  Corps ,  ôc 
par  confequent  qu'elle  n'ell:  point  fujette  à  mourir  avec  lui. 
Que  c'étoit  U  tout  ce  qu'il  croyoit  être  requis  pour  établir 
la  Religion  ^  &  que  c'étoit  auiïï  tout  ce  qu'il  s'étoit  pro, 
pôle  de  prouver.  Pour  détromper  ceux  qui  voudroient  s'en^ 
tretenir  de  cette  penfée  ,  il  fit  changer  le  titre  du  fécond 
Chapitre  ,  ou  de  la  féconde  Méditation  ,  qui  portoit  de 
Mente  humanà  en  général  ,  au  lieu  de  quoi  il  fît  mettre  de 
natL  rà  Mentis  hununi^  ,  quod  ipfa  jit  mît  or  quam  cor  pris  ^  afin 
qu'on  ne  crût  pas  qu'il  eût  voulu  y  démontrer  fbn  Immor- 
tahté. 

Huit  jours  aprés,M.  Defcartes  envoya  au  P.  Merfênne  un 
abrégé  des  principaux  points  qui  touchoient  Dieu  &  l'Ame 
pour  fervir  d'argument  à  tout  l'ouvrage.  Il  lui  permit  de  le 
faire  imprimer  par  manière  de  fommaire  à  la  tête  du  Traité, 
afin  que  ceux  qui  aimoient  à  trouver  en  un  même  lieu  tout  ce 
qu'ils  cherchoient  pulTcnt  voiren  racourci  tout  ce  que  con- 
tenoit  l'ouvrage,  qu'il  crut  devoir  partager  Qn  fix  Méditations. 
Dansla/>r^W^V^  ilpropofe  \<^s  raifbns  pour  lefquelles  nous 
pouvons  douter  généralement  de  toutes  chofès  ^  &  particu- 
lièrement des  chofès  matérielles,  jurqu'à  ce  que  nous  ayons 
établi  de  meilleurs  fondemens  dans  les  fciences  que  ceux  que 
nous  avons  eu  jufqu'à  prèfènt.  Il  fait  voir  que  l'utilité  de 
ce  doute  général  conlîlte  à  nous  délivrer  de  toutes  fortes 
de  préjugez,  à  détacher  nôtre  efpric  des  fcns ,  &  à  faire  que 
nous  ne  puiiîions  plus  douter  jamais  des  chofes  que  nous  re^ 
connoitrons  enfuite  être  trés-véritabîes. 

Dans  \2L  féconde^  il  fait  voir  que  l'Efprit  ufant  de  fli  propre 
liberté  pour  fiippofèr  que  \qs  chofes  de  réxifhence  defquel- 
\cs  il  aie  moindre  doute  n'exillient  pas  en  efF.t ,  reconnoît 
qu'il  eft  impoiTible  que  cependant  il  n'éxifte  pas  lui  même, 
*  A  t'cfprit  ou  Ce  qui  fèrt  à  lui  foire  diftinguer  les  chofès  qui  lui  *  appartien- 
à  la  nature  ncnt,  d'avcc  ccllcs  qui  appartiennent  au  Corps.  Ilfèmble 
qiij  c'étoit  le  lieu  de  prouver  l'immorçaUté  ae  l'Ame  que 

le 


inceilc^ucllc. 


LivreVI.  Chapitre   II.  109 

le  Iccleur  devoir  attendre  de  fon  ouvrage.    Mais  il  voulut       164^ 
le  prévenir  en  mandant  au  P.  Merfenne  qu'il  s'étoij  con- 


1.  tom. 


tenté  dans  cette y^r^?;»?^^  Méditation  de  faire  concevoir  t  Ame    pag.  191. 
fans  le  Corps^  (ans  entreprendre  encore  de  montrer  quelle  efl    '°'"-  '- 
rècUcynent  âiflinck  du  Corps  :  parcequ'il  n'avoit  pas  encore  en    ^ ag.  179,  d* 
ceiieu-là  les  prémifjes^  dont  on  peut  tirer  cette  conclufion  que 
l'on  ne  trouveroit  que  dans  la  ^S/x/VW  Méditation.  C'cft  ain- 
fi  que  ce  judicieux  Philofbphe  tâchant  de  ne  rien  avancer 
dans  tout  {o-a  Traité  dont  il  n'dt  des  démonffcrations  très- 
exactes,  le  croyoit  obligé  de  fuivre  l'ordre  des  Géomètres 
qui  eft  de  produire  premièrement  toutes  les  choies  d'où  dé- 
pend la  propolîtion  que  l'on  cherche  avant  que  de  rien  con- 
clure. La  première  ôc  la  principale  chofè  qui  eft  requife  fé- 
lon lui  pour  bien  connoître  l'Immortalité  de  l'Ame  eft  à'<t\\ 
former  une  idée  ou  conception  très-claire  &  très-nette  qui 
fbit  parfaitement  diftincle  de  toutes  les  conceptions  que  l'on 
peut  avoir  du  Corps    ^   c'eft  ce  qu'il  a  fait  dans  la  féconde 
Méditation.   Il  faut  fçavoir  outre  cela  que  toutes  les  choies 
que  nous  concevons  clairement  &  diftinclement  font  vrayes 
de  la  même  manière  que  nous  les  concevons  j  c'eft  ce  qu'il 
a  été  obligé  de  remettre  à  la  quatrième  Méditation.  Il  faut 
de  plus ,  avoir  une  conception  diftincle  de  la  nature  corpo- 
relle ^  c'eft  ce  qui  le  trouve  pn  partie  dans  Inféconde ,  &  en 
partie  dans  la  cinquième  &ç  la  fxième  Méditations.  L'on  doit 
conclure  de  tout  cela ,  que  les  choies  que  l'on  conçoit  clai- 
rement &  diftinctemcnt  comme  des  fubftances  diverles  telles 
que  font  l'Elprit  ôc  le  Corps  ,  font  en  effet  âes  fubftances 
réellement  diftindes  les  unes  des  autres  3  c'eft  ce  qu'il  con- 
cluddans  la  (ixième  Méditation.   Revenons  à  l'ordre  des  Mé- 
ditations ,  6c  de  ce  qu'elles  contiennent. 

Dans  la  troifiéme  il  développe  allez  au  long  le  principal 
argument  qu'il  a  pour  prouver  l'éxiftence  de  Dieu.  Mais 
n'ayant  pas  jugé  à  propos  d'y  employer  aucune  comparailbn 
tirée  des  choies  corporelles ,  afin  d'éloigner  autant  qu'il  pour- 
roit  l'efprit  du  lecteur  de  l'ulcàge  &  du  commerce  des  léns, 
il  n'avoit  pu  éviter  certaines  oblcuritez  ,  aulquelles  il  avoit 
déjà  remédié  dans  fes  rcponlcs  aux  premières  objections 
qu'on  lui  avoit  faites  dans  les  Pais^bas ,  6^  qu'il  avoit  en- 
voyées au  P.  Merfenne  pour  être  imprimées  à  Pans  avec 
fon  Traiçè,  '  P  iij    *        Dans 


lio  La   Vie   de  M.  Descartes. 

1 6  41.  Dans  la  quatrième  il  prouve  que  toutes  les  choies  que  nous 

'  concevons  fort  clairement  &  fort  diftindement  font  toutes 

vrayes.  Il  y  explique  auffi  en  quoi  confii]:e  la  nature  de  l'er- 
reur ou  de  la  faulîeté.  Par  où  il  n'entend  point  le  péché  ou 
Terreur  qui  fè  commet  dans  la  pourfuite  du  bien  &:  du  mal, 
mais  feulement  l'erreur  qui  fè  trouve  dans  le  jugement  ôcle 
difcernement  du  vrai  &:  du  faux.  Ainfî  l'on  ne  doit  point  ap- 
pliquer ce  qu'il  dit  aux  chofes  qui  appartiennent  à  la  foy  ou 
à  la  conduite  de  la  vie  •  mais  feulement  à  celles  qui  'regar- 
dent les  véritez  ipéculaiives,  Se  qui  peuvent  être  connnuës 
par  l'aide  de  la  feule  lumière  naturelle. 

Dans  la  cinquième  il  exphque  la  nature  corporelle  en  gé- 
néral. Il  y  démontre  encore  l'éxiftence  de  Dieu  par  une  nou- 
velle raifon,  dont  la  difficulté  fe  trouve  levée  dans  fes  ré- 
ponfès  aux  premières  objections  dont  nous  avons  déjà  par- 
lé. Il  y  £iit  voir  comment  il  eft  vrai  que  la  certitude  mê- 
me à^s  démonflrations  géométriques  dépend  delà  connoif- 
fànce  de  Dieu. 

Dans  la  fixième  il  diftingue  Tadion  de  l'entendement 
d'avec  celle  de  l'imagination ,  &:  donne  les  marques  de  cette 
diftindion.  Il  y  montre  que  l'Ame  de  Phomme  eft  réelle- 
ment diftinde  du  Corps ,  &;  que  néanmoins  elle  lui  elt  fî  é- 
CoxMïtVtns    troitement  unie  qu'elle  ne  compoie  que  comme  une  même  chofs 

ter  acctaens  .  ...  1     •      ti  A  i  • 

de  Rcgius.  (unumquidj  avec  lui.  11  y  expole  toutes  les  erreurs  qui  pro- 
cédeiit  àQS>  fèns,  avec  les  moyens  de  les  éviter.  Enfin,  il 
y  apporte  toutes  les  raifbns  defquelles  on  peut  conclure  l'é- 
xiftence des  chofès  matérielles.  Ce  nl-ft  pas  qu'il  les  jugeât 
fort  utiles  pour  prouver  ce  qu'il  leur  a  fiit  prouver  en  ces 
endroits  ^  fc.  qu'/7  y  a  un  monde ^  que  les  hommes  ont  des- 
corps  ,  &  autres  chofes  femblables  qui  n'ont  jamais  été  mi- 
fès  en  doute  par  aucun  homme  de  bon  fens  :  mais  parce-qu'en 
les  confîdérant  de  prés  on  vient  à  connoître  qu'elles  ne  font 
pas  fî  fermes,  ni  fi  évidentes  que  celles  qui  nous conduifent 
à  la  connoiflance  de  Dieu,  &  de  nôtre  Ame.  De  forte  que 
celles-ci  font  les  plus  certaines  &  les  plus  évidentes  qui  puif 
iènt  tomber  en  la  connoiflance  de  l'efprit  humain. 

Il  faut  remarquer  que  M.  Defcartes  ne  s'eft  point  ataché 

som.  ^%^°        ^^^^  ^^^"^^  ^^  ^^'^^  ^  ^^^^^  ^  fuivre  l'ordre  des  matières ,  mais 

feulement 


Livre   VI.  Chapitre  II.  iir 

(èulement  celui  des  raifbns.  C'eft-à-dirc,  qu'il  n'a  point  en-      ,^,^ 
j     1  '^       I-  •  i        ^  1041. 

trcpris  de  dire  en  un  même  lieu  tout  ce  qui  appartient  a  un  __—, 

même  fujet ,  parcequ'il  lui  auroit  été  fbuvent  impoiïîble  de 
Je  bien  prouver,  d'autant  qu'il  y  avoit  des  raifbns  qui  dé- 
voient être  tirées  de  bien  plus  loin  les  unes  que  les  autres. 
Mais  en  raifonnant  par  ordre,  c'eil-à-dire ,  en  commençant 
par  les  chofes  plus  faciles  pour  palier  enfuite  aux  plus  diffi- 
ciles ,  il  en  a  déduit  ce  qu'il  a  pu,  tantôt  pour  une  matière, 
tantôt  pour  une  autre.  Ce  qui  étoit  à  ion  avis  le  vrai  che- 
min pour  trouver  précifément  la  Vérité,  &pour  la  bien  ex- 
pliquer. Il  eftimoit  que  l'ordre  des  matières  n'efl  bon  que  ibid.pag.iso; 
pour  ceux  dont  toutes  les  raifons  font  détachées ,  &:  qui  peu- 
vent dire  autant  d'une  difficulté  que  d'une  autre. 

C'eft  pour  cela  qu'il  ne  jugeoitpas  à  propos,  ni  même 
pofTible  d'inférer  dans  le  texte  de  fos  Méditations  la  réponfe 
aux  objedions  qu'on  y  pouvoit  faire  ,  parceque  cela  auroit 
interrompu  toute  la  fuite  ,  ôc  auroit  même  ôté  la  force  de 
(es  raifbns ,  laquelle  dépend  principalement  de  ce  qu'on  doit 
détourner  fa  penfée  des  chofes  fenfibles  d'oii  la  plupart  des 
objedions  fèroient  tirées.  Mais  il  avoit  mis  celles  qui  lui  é- 
toient  déjà  venues  des  Pais-bas  à  la  fin  defon  Traité,  pour 
fèrvir  de  modèle  aux  autres  s'il  en  vcnoit,  &;  pour  montrer 
le  lieu  où  on  pourroitles  faire  imprimeries  unes  enfuite  des 
autres  en  inférant  fès  réponfes  à  la  fin  de  chaque  objeélion. 

Ces  premières  objedions  avoient  pour  Auteur  M.  Cate^  pag.  17?. 
rus  Prêtre  demeurant  ordinairement  à  Alcmaer  en  Hollande,  ^2°-  ^^^' 
Dodeur  en  Théolo2;ie  de  la  Faculté  de  Louvain.  Elles  avoient 
été  faites  dés  la  fin  de  l'été  de  l'an  1640  à  la  follicitation  de 
deux  amis  de  M.  Defcartes,  à  qui  il  avoit  envoyé  une  copie 
manufcrite  de  fès  Méditations  pour  en  avoir  leur  fentiment, 
&  pour  faire  voir  l'écrit  à  ceux  de  leur  connoifîance  qu'ils 
jugeroient  capables  de  lui  donner  de  bons  avis.  Ces  deux 
amis,  qui  étoient  M.  Bloemaert  &  M.  Bannius  Prêtres  de 
Harlem,  après  l'avoir  lu  pour  leur  propre  fatisfadion ,  l'a- 
voient  addrefîè  à  leur  ami  commun  d'Alcmaër  qu'ils  fça- 
voient  être  trés-profond  &  trés_éxercè  dans  la  Théologie, 
èc  dans  la  Philofophie.  Ils  lui  avoient  marqué  que  n'étant 
pas  en  état  de  faire  des  objedions  à  M.  Defcartes,  comme  il 
îèmbloit  l'exiger  d'eux ,  6c  de  tous  fes  véritables  amis,  ils  at- 

tendoient 


1  641- 


fag. 
ipm. 


2.. 


Pag.  2  7 y. 
nt  fupia. 


Ibidem. 


Pag.  180. 
loin,  1. 


HZ  La   Vie  DE   M.  Descartes. 

tcndoient  de  lui  ce  fèrvice  comme  une  des  obli  ?:ations  de 
leur  amitié,  en  l'afRirant  que  M.  Deicartes  le  trouveroic  très- 
bon,  &;  qu'il  ne  manqueroit  pas  de  lui  répondre.  M.  Ca- 
tcrus  s'étant  lailîé  vaincre  répondit  à  ces  deux  amis  par  des 
objections  qu'il  fît  fur  quele]ues  endroits  de  la  1 1 1 ,  la  v,  & 
la  VI  Méditations  j  de  qu'il  accompagna  de  toutes  les  hon- 
nêtetez  èc  de  toute  la  modeftie  qui  précède  &  qui  conduit 
ordinan-ement  les  vrais  f^^avans,  &  les  amateurs  de  la  Vérité. 
Les  deux  amis  envoyèrent  à  M.  Defcartes  les  objections  tel- 
les qu'ils  les  avoient  re^iiës  :  de  ce  fat  pareillement  à  eux 
qu'il  addreiîà  la  réponfè  qu'il  y  fît.  Il  tâcha  fur  tout  de  ne 
pas  fe  laiiler  vaincre  en  honnêtetez,&;  en  témoignages  d'eC 
time  pour  M.  Caterus  dont  il  fé  fit  un  nouvel  ami  pour  le  rede 
de  fes  jours.  M.  Caterus  étoit  natif  de  la  ville  d'Anvers, 
d*une  maifbn  connue  dans  le  Pais  par  divers  exemples  de 
piété.  11  étoit  plus  âgé  que  nôtre  Philofophe  d'environ  cinq 
ans  3  &  il  avoit  pour  frère  puîné  un  Jéfuite  qui  fe  fignaloit 
par  la  prédication  en  Flandre,  tandis  que  de  fbii  câté  il  tra- 
vailloit  en  Hollande  à  faire  revenir  doucement  les  égarez  à 
la  foy  catholique.  M.  Defcartes  étant  fur  le  point  d'envoyer 
fbn  Traité  au  P.  Merfenne  pour  être  pubhé  en  France,  a- 
voit  fait  demander  à  M.  Caterus  la  permifîîoii  d'y  envoyer 
anlTi  fes  objections  pour  être  imprimées  avec  fa  réponfe  à  la 
fin  du  Traité.  Elle  lui  fut  accordée  à  condition  que  l'Auteur 
ne  fèroit  pas  nommé  ni  au  titre  des  objections ,  ni  dans  la  ré- 
ponfe. C'eft  pourquoy  Monlîeur  Defcartes  voulant  lui  don- 
ner cette  fàtisfiCtioQ  manda  au  Père  Merfenne  d'efFacer  le 
nom  de  ce  pieux  de  fçavant  Théologien  par  tout  où  il  le 
trouveroit. 

A  l'égard  des  Sçavans  de  Paris  qui  dévoient  donner  leurs 
objections,  il  pria  le  même  Père  de  ne  les  point  prefîer  fi  vi- 
vement, fe  fbuvenant  de  ce  que  M.  Caterus  lui  avoit  dit. 
Qu'il  faîloit  beaucoup  de  têms  pour  pouvoir  y  remarquer 
tout  ce  qui  s'y  trouveroit  digne  de  remarque.  Je  ferai  bien 
aife,  mande-t-il  au  Père  ,  qu'on  prenne  du  têms  pour  faire 
les  objections.  Car  il  importe  peu  qae  ce  Traité  foit  encore 
deux  ou  trois  ans  fans  être  divulejuè.  Et  parce  que  la  co- 
pie en  eit  fort  mal  écrite  ,  de  qu'elle  ne  pourroit  être  vue 
que  par  uQ  leCleur  à  la  fois ,  il  me  fèmble  qu'il  ne  feroit  pas 

mauvais 


Livre  V  I.  Chapitr  E  ï  I.  113 

jnauvais  qu'on  en  fît  imprimer  par  avance  2Ô  ou  30  exem- 
plaires. Je  ferai  fort  aife  de  payer  ce  que  cela  coûtera  :  & 
c*cft  ce  que  j'aurois  fait  fliire  des  ici ,  fi  j'avois  pii  me  fier  à 
aucun  Libraire,  &;  fijen'avois  appréhendé  que  les  Minières 
de  ce  Païs  ne  le  viflent  avant  nos  Théologiens.  Pour  le  fi:ile, 
je  {buhaiterois  de  bon  cœur  qu'il  fût  meilleur  qu'il  n'efi:. 
Mais  hors  les  fautes  de  Grammaire,  s'il  y  en  a,  &:  ce  qui  peut 
fentir  le  Gallicifine  ou  la  phrafe  Fran(^oiie,  je  crains  qu'il  ne 
s'y  puille  rien  changer  {ans  préjudice  du  fèns.  Au  refiie,  je 
ne  ferois  point  fâché  que  M.  des  Argues  fûtauffil'undemes 
Juges ,  s'il  luy  plaifoit  d'en  prendre  la  peine ,  &  je  me  fie 
plus  en  lui  ièul  qu'en  trois  Théologiens.  On  ne  me  fera  point 
auffi  de  déplaifir  de  me  faire  plufieurs  objedions ,  &  des  plus 
fortes.  Car  je  me  promets  qu'elles  ferviront  à  faire  mieux 
connoitre  la  vérité  y  &;  grâces  à  Dieu  je  n'ai  pas  peur  de  n'y 
pouvoir  point  fatisfaire.  Je  vous  prie  feulement  de  faire  tou- 
jours voir  les  premières  objeékions  avec  mes  réponfès  à  ceux 
qui  m'en  voudront  faire  d'autres  ,  afin  qu'ils  évitent  les  re- 
dites, ôc  qu'ils  ne  me  propofent  point  ce  à  quoi  j'aurois  déjà 
répondu. 

Le  Père  Gibieuf  en  auroit  fait  d'excellentes  s'il  avoit  été 
moins  perfuadé  de  l'excellence  de  cet  ouvrage.  Mais  il  ne 
ibngea  qu'à  fervrr  M.  Defcartes  pour  lui  en  faciliter  l'appro- 
bation. {\  jugea  a  propos  défaire  voir  fes  Méditations  au  Su- 
périeur général  de  la  congrégation  de  l'Oratoire ,  pour  avoir 
lieu  de  lui  mander  plus  de  chofès  qui  pufi^nt  lui  faire  un  plai- 
fir  auquel  il  ne  pouvoit  être  que  trés-fenfible ,  ayant  pour 
ce  fruit  de  (qs  veilles  une  afFedion  toute  paternelle.  Cette 
afFedion  contribuoit  fans  doute  à  le  lui  faire  confidérer  com- 
me une  pièce  accomplie,  &  à  lui  faire  rejetter les  défiiutsque 
iês  cenfèurs  y  trouvoient  furie  peu  d'intelligence  ou  la  mau- 
vaifè  difpofition  de  fes  ledeurs.  Tantôt  il  remercioit  Dieu 
de  fè  voir  fatisfait  de  fbn  travail,  croyant  avoir  trouvé  com- 
ment on  peut  démontrer  les  véritez  Métaphyfiques  d'une 
manière  qui  efl  plus  évidente  que  les  démonflrations  de 
Géométrie.  Tantôt  il  fè  laifToit  aller  à  la  complaifance  de 
marquer  aux  autres  l'opinion  avantageufe  qu'il  en  avoit  con- 
çue. Afiurez-vous ,  dit-il  au  P.  Merfènne  ,  qu'il  n'y  a  rien 
dans  ma  Mètaphyfique  que  je  ne  croye  être  ,,  ou  trés-covnu 

P     *        ^ar. 


t  (341 


t    Pag.  i8r. 


Pag.  i8r. 
&  fufms 

pag-  i^iv 
tom.  2.. 


Idem  pag; 
185.  ibid.. 


Pag.  iS4» 
tom.  z. 


Pàg.  17S.  du; 
1.  tom. 


et  Pûg.  i«7. 
du  1.  tom. 
'^    Vd  \Hmmt 


I64I. 


naturali 
nottjfimum,  »> 

■Vtl   *CCH-       jj 

rate  démen- 
er (ttum'       " 


Epift.  ad  P. 
Diaet.arr.3S. 


Tom.  t. 

deslettr.p. 

%9^, 


Cîerfcl.Rcl. 
Mfl.  &c. 


114  La  Vie  de  M.  Descartes. 

par  la  lumière  n  tturelle  ^ou  démontré  trés-éxaciement  j  Sc  que  je 
me  fais  fort  de  le  faire  entendre  à  ceux  qui  voudront  &c 
pourront  y  méditer.  Mais  je  ne  puis  pas  donner  de  l'efprit 
aux  hommes ,  ni  faire  voir  ce  qui  eft  au  fonds  d'un  cabinet 
à  des  gens  qui  ne  veulent  pas  entrer  pour  le  regarder. 

Il  fondoit  toute  l'eftime  qu'il  avoit  pour  cet  ouvra2;e  (  qu'il 
ne  faifoit  pas  même  difficulté  de  préférer  à  fès  EiTais  )  fur 
l'intention  qu'il  avoit  eue  de  renfermer  tous  les  principes  de 
fa  Pliilofbphie  dans  ces  fix  Méditations,  comme  il  l'avoua  de- 
puis au  PereDinet  Provincial  des  Jéfuites  de  France.  C'eft 
ce  qu'il  déclara  même  en  fecret  au  P.  Merfenne  dés  le  mois 
de  Janvier  I  641,  nonobftant  les  raifbns  qu'il  croyoit  avoir 

f)our  faire  un  myftére  de  ces  principes  qu'il  n'avoit  pas  vou- 
u  découvrir  dans  iès  Eflais.  Entre  nous ,  dit-il  à  ce  Père,  ces 
(îx  Méditations  contiennent  tous  les  fondemens  de  ma  Phy- 
fîque.  Mais  il  ne  faut  pas  le  dire  ,  s'il  vous  plaît.  Car  ceux 
qui  favorifent  Ariffcote  feroient  peut-être  plus  de  difficulté  de 
les  approuver,  J'efpére  que  ceux  qui  les  liront  s'accoutume, 
ront  infènfiblement  à  mes  principes ,  èc  qu'ils  en  reconnoî- 
tront  la  vérité  avant  que  de  s'appercevoir  qu'ils  détruifent 
ceux  d'Anftote. 

Ce  livre  renferme  tout  le  fonds  de  fa  doArine ,  &  l'on 
peut  dire  que  c'eft  une  pratique  trés-éxade  de  fà  Méthode, 
C'eftleièul  de  (es  ouvrgees  qu'il  fèmbloit  avoir  adopté  com^. 
me  s'il  eût  abandonné  tout  le  refte.  Et  félon  M.  Clerfelier, 
il  avoit  coutume  de  le  vanter  dans  la  converfation  familière  de 
Ces  plus  intimes  amis ,  comme  contenant  des  véritez  impor- 
tantes qui  n'avoient  jamais  été  bien  examinées  avant  lui ,  6c 
qui  donnoient  pourtant  l'ouverture  à  la  vraye  Philofophie, 
dont  le  point  principal  conlîfte  à  nous  convaincre  de  la  dif- 
férence quife  trouve  entre  l'Efprit  &  le  Corps.  C'eft  ce  qu'il 
a  fait  dans  ces  Méditations  par  une  voye  Analytique  ,  c'eft- 
à-dire  ,  par  une  méthode  d'inventer  &c  de  réfoudre,  qui  ne 
nous  apprend  pas  feulement  cette  différence ,  mais  qui  nous 
découvre  en  même  têms  le  chemin  qu'il  a  fuivi  pour  parve- 
nir à  cette  connoifTance.  Par  ce  moyen  il  a  paru  que  la  plu- 
part des  faux  raifbnnemens  de  la  Philofophie  vulgaire  ne 
font  fondez  que  fur  le  peu  de  connoiflànce  que  l'on  a  eu  jufl 

qu'ici 


Livre  II.  Chapitre  XIV.  iiy 

qii'icy  de  la  diftindion  véritable  qui  eft  encre  TEforit  &  le      1^41. 

Corps ^  &  en  quoy  elle  conhfte.  Ignorance  qui  fait  que  fuii-    — . 

vent  l'on  attribue  à  l'un  ce  qui  appartient  à  l'autre ,  ^  qui   ^^^^^^^-  '^'^ 
cft  caufe  de  toutes  les  extravagantes  penfëes  que  les  Anciens 
ont  eues  de  leurs  Dieux  ,  &:  de  celles  que  l'on  a  encore  au- 
jourd'huy  touchant  les  adions  des  Bêtes  ,  ôc  leur  principe. 
M.  Defcartes  en  détruifantces  penfëes  femble  avoir  détruit  DeTaracacs 
le  principal  retranchement  des  Libertins  &  des  Athées,  qui  '^^  ^^'"- 
ne  peuvent  raifonner  que  fur  ces  faux  principes.  Car  s'il  é- 
toitvray  qu'un  peu  de  matière  difpofée  d'une  certaine  façon 
dans  les  Animaux  fût  capable  des  fentimens,  des  palTions,  des 
imaginations ,  du  choix ,  du  raifonnement ,  en  un  mot ,  de 
toutes  les  penfëes  que  quelques  uns  leur  attribuent  :  il  n'y 
auroit  point  de  raifon  qui  pût  nous  convaincre  que  ce  ne  fût 
pas  la  même  chofè  dans  les  hommes.  Mais  quand  par  les 
principes  de  M.  Defcartes  de  par  les  voyes  qu'il  a  tenues,, 
on  a  une  fois  bien  conclu  la  diftindion  qui  eft  entre  l'Eiprit 
êc  le  Corps  ^  fçavoir,  que  l'efTence  du  Corps  confifle  ample- 
ment «f^;?/  l'étendue^  6c  qu'il  ne  peut  être  capable  que  des 
fuites  &  àes  propriëtez  qui  en  dérivent  ^  &;  que  l'Efprit  ou 
TAme  de  l'homme  eft  une  chofe  quipenfe  ,  capable  de  toutes 
\es  fondions  qui  marquent  en  nous  quelque  pcrfedion  ou 
connoiiîànce,  &  qui  ne  peuvent  être  conçues    comme  dé- 
pendantes d'une  chofè  étendue  de  quelque  manière  qu'on 
la  puiflè  fubtihfèr  :  on  ne  peut  après  cela  tomber  dans  au- 
cune erreur  touchant  la  nature  de  nôtre  Ame,  ny  même 
touchant  la  Divinité. 

Ainfi  M.  Defcartes  ne  s'eft  pas  contenté  comme  les  2;rands  cicrfci.  tom, 
Philofbphes  &  Mathématiciens  des  derniers  fîécles  d'orner  l^'    ",^Z' 
&:  d'enrichir  la  République  des  Lettres  par  les  beaux  fècrets  de  la  préf.'  * 
de  la  Phyflque  qu'il  a  révélez  au  Public.   Ce  qui  l'a  rendu 
recommandable  pardefllis  les  autres,  eft  principalement  ce 
qu'il  a  écrit  des  chofes  Métaphyjiques  :  étant  le  feul ,  félon  les 
Cartéfiens ,  qui  nous  en  ait  fait  concevoir  les  véritables  idées. 
En  quoy  il  faut  prendre  garde  de  ne  pas  confondre  les  Chofes 
^  Métaphyjïques  avec  les  Véritez^  Métaphysiques  ^o^\  ont  une 
grande  difFérence  entre  elles.  Celles-cyne  font  autre  chofè 
que  certaines  propofitions  claires  &:  évidentes  communément 
connues  de  tout  le  monde  ,  qui  nous  fervent  de  régie  pour 

P  ij  juger 


ï(j4^- 


Mf.du  même. 


116  La   Vie  de  m.  D  es  cartes. 

juger  de  la  vérité  des  Chofes  ^  mais  qui  ne  nous  mènent  a 
la  connoilîànce  de  l'exiftence  d'aucune  ^  6c  qui  confidérées  en 
elles-mêmes  ne  font  point  conciles  comme  les  propriétez  d'aur 
cune  fubftance ,  mais  feulement  comme  des  véritez  qui  reiî- 
dent  dans  l'entendement  fans  fubiifter  ailleurs.  Au  lieu  que 
par  les  chofes  Métaphysiques  on  entend  des  Chofes  ou  des  S ub- 
ftances  intelligentes  ,  ou  même  des  Propriétez  qui  appar- 
tiennent à  ces  Subftances ,  lelquelles  font  détachées  de  la 
Matière ,  &:  ont  une  fubfiftance  propre  indépendante  d'elle, 
qui  font  connues  ians  elle,  &:  connues  avant  elle.  Ce  n'eft 
Clerfel.  ibid.  p^^  que  pluficurs  grands  perfonnages  n'euflent  parlé  des  cho- 
Item,  Rci.  fès  intelleduelles  avant  M.  Defcartes ,  ôc  qu'ils  n'eulFent  mê- 
me traité  dignement  leur  fujet.  Mais  oerfonne  avant  luy  n'a- 
voit  bien  diflinétement  conçu  en  quoy  confifte  nrécifément 
l'eflence  d'une  ehofe  fi  fpirituelle  j  perfonne  ne  l'avoit  fi  net- 
tement diflinguée  de  celle  des  chofos  matérielles  ^  perfonne 
n'avoit  fi  heureufoment  foparé  les  fondions  des  unes  n'avec 
les  fondions  àQ.s  autres,  C'eft  en  quoy  confifte  la  principale 
obligation  que  la  Philofophie  &  la  Religion  ont  à  M.  Def- 
cartes,  fi  l'on  s'en  rapporte  au  fentiment  de  M.  Clerfelier, 
&  de  quelques  habiles  Théologiens  qui  fe  font  rendus  {qs 
fèdateurs. 

Le  Père  Rapin  qui  n'étoit  pas  de  ce  nombre  s'eft  contenté 
de  dire  que  M.  Defoartes  a  approfondi  les  matières  de  la 
Métaphyfique  plus  que  les  autres  Philofophesyfms  en  ex- 
cepter ny  le  Chevalier  d'Igby,  ny  lesjéfuites  Suarez&Fon- 
feca,  dont  il  avoit  parlé  auparavant  &:  qui  pafi[cnt  pour  les 
meilleurs  6c  les  plus  profonds  Métaphyficiens  de  l'Ecole, 


Reflcx.  fur  la 
Philofoph. 
pag.  370. 


Cha'p.    III. 


LivKE   VI.    Chapitre    ÏIL  117 


K541. 


CHAPITRE      III. 

Jrîijîoire  de i  fécondes  ObjeBions  faites  par  divers  Théologiens  é^ 
rhilofophes  de  Paris  contre  les  Méditations  Métafhyfîques. 
Réponfè  de  M.  Defcartes^  fmvie  d'un  autre  Ecrit  difpofé  félon 
la  méthode  des  Géomètres.  Livre  de  M.  Morin  de  Dco, 
Jugement  qu  en  fait  M.  JDefcartes  ^  ^  fa  modeftie  a  parler  de 
/'Infini.  Hifloire  des  troifémes  Ohjeclions  faites  par  M. 
Irîohbes  An<ilois.  Conduite  de  Jlf.  Hobbes  dans  l'étude  de  la 
philofophie.  Jugement  de  fon  efprit.  Cours  méthodique  de  la 
Philofophie  Cartéfeenne.  M.  JDe fartes  renonce  à  la  Réfutation 
de  la  philofophie  fcholaftique.  Jl  répond  aux  Remarques  de 
iVf,  Hobbcs  fur  fa  Dioptrique ,  ^  veut  rompre  commerce  de 
lettres  avec  luy  après  avoir  connu  fon  génie. 

LEPérc  M erfènne  voulant  tenir  fa  parole  à  M.  Defcar- 
tes  luy  envoya  clés  le  mois  de  Janvier  de  Tan  1641  les 
objections  qu'il  avoit  pu  recueillir  de  la  bouche  des  Théo- 
logiens &  desPhilofophes,  qu'il  avoit  confultcz  dans  Paris. 
Leurs  difficultez  n'étoient  ny  fort  confidérables  ny  en  grand 
nombre,  quoique  ce  Père  eût  tâché  d'y  joindre  quelques- 
uns  des  iîennes  ,  &  qu'il  eût  fait  fon  poflible  pour  en  faire  Aux  ob/ec- 
naître  auffi  fur  ià  réponfe  aux  premières  Objedions,  qu'il  luy  tio^s  Je  Catc. 
^voit  f^it  tenir  dans  le  deflein  de  la  fiire  examiner  avec  le 
refle.  Ces  fécondes  Objections  qui  étoient  au  nombre  de 
fèpt  regardoicnt  quelques  endroits  répandus  dans  toutes  les 
Méditations,  hors  la  première.  Il  parut  à  M.  D-fcartes  qu'- 
elles avoient  été  faites  par  des  perfbnnes  fîncéres  ,  6c 
qui  étoient  d'ailleurs  perfuadées  de  la  folidité  de  Çqs  princi- 
pes, &  c'e  la  vérité  de  la  plufpart  des  choies  qu'il  avoit  avan- 
cées. Il  y  fit  une  réponfe  fort  exade.  Et  parce  que  les  Au- 
teurs de  CQS  objedions  avoient  témoigné  par  la  plume  du 
Père  Merfenne  que  ce  feroit  une  choie  fort  utile,  fi  à  la   ci  v. Icsfc- 

r       y     r      r  y       •  '  ■  r  i  \  coudes  ob- 

fin  de  les  lolutions ,  après  avoir  premièrement  avance  quel-   «  ■  q^^^^^  ^ 
ques  définitions,  quelques  deiPiandes,  &  quelques  axiomes,   «  u  fin. 
il  concluoit  le  tout  lelon  la  méthode  des  Géomètres  ^  afin   ce 
que  d'un  feul  regard  les  ledeurs  puflent  y  voir  ce  qui  de-  « 

P  iij     *  voit 


iiS  La  Vi  E  DE  M.  Descartes. 

î  6  41.      voit  les  {âtisfaire,  &  qu'il  remplît  tout  d'un  coup  l'clpric  de 
'  la  connoifTance  de  la  Divinité  :  il  fut  ravi  qu'ils  luy  euiîentr 

fait  une  propofition  lî  agréable  de  Ci  facile  à  exécuter.  Il 
joignit  donc  à  fa  réponiè  pour  leur  fatisfaâiion  un  autre  E- 
crit  contenant ,  Zes  raifons  pour  prouver  l'exijhnce  de  Dieu ,  ^ 
la  diflinciion  qui  efi  entre  l'efprii  ^  le  corps  humain^  difpofées 
d'une  manière  Géométrique.  L'Ecrit  confifte  en  dix  définitions,, 
lèpt  demandes ,  dix  axiomes  ou  notions  communes ,  6c  qua- 
tre proportions  contenant  les  démonftrations  que  l'on  avoic 
fouhaitées.  Tout  cela  fut  ran^é  dans  Tédition  des  Médita- 
tions  après  les  objedions  de  M.  Catérus  fous  le  titre  dey?- 
condes  ObjciHom  avec  leurs  réponfes  féparées. 
Pag.  iS^rdu  Pendant  que  M.  Defcartes  fongeoit  à  répondre  aux  fè- 
atom..  condes  objedions  ,  il  reçut  de  M,  de  Zuytlichem  qui  étoir 

nouvellement  de  retour  à  la  Haye  un  petit  livre  de  M. 
Morin,avec  l'écrit d'^unPhilofbphe  Anglois  qui  luy  étoient 
adreflèz  de  Paris  par  le  Père  Merfenne.  Sur  ce  que  ce  Pè- 
re luy  avoit  écrit  au  mois  de  Décembre  de  l'année  pré- 
cédente touchant  ce  nouveau  livre  de  M.  Morin  où  il  trai- 
toit  de  Dieu  ^  il  avoit  témoigné  quelque  defîr  de  le  voir  d'au- 
tant plus  volontiers  que  le  Père  luy  avoit  mandé  que  l'Au- 
Pag.  isj  &  teur  y  procédoit  en  Mathématicien  :  quoique  dés-lors  il  n'en 
^^ibid.  conçût  pas  une  grande  efpérance  ,  &;  qu'il  ne  criit  pas  M, 

Morin  fort  capable  de  rèiifîîr  dans  un  genre  d'écrire  où  il 
lèmbloit  ne  s'être  jamais  beaucoup  èxercé.Ilen  fit  fcavoir  fon 
fèntiraent  au  P.  Merfenne  fur  la  fin  de  Janvier  en  cqs  ter- 
Pag.  18^.         mes.  «  J'ay  parcouru  le  livret  de  M.  Morin  (  de  Dco  ,  )  dont 
ibid.  ^^  Yq  principal  défaut  eft  qu'il  traite  par  tout  de  l'Infini  com- 

55  me  fi  fbn  efprit  étoir  au  defTus ,  ôc  qu'il  en  put  comprendre 
>3  les  propriètez.  C'eft  une  faute  qui  efb  prefque  commune  à 
îî  tous  ceux  qui  ont  entrepris  d'écrire  fur  ce  flijet,  &  que  j'ày 
«  tâché  d'éviter  avec  foin.  Car  je  n'ay  jamais  traité  de  l'Infî- 
«  ni  (\\xQpour  me  foumettre  à  luy  ,  Scnon  point  pour  déterminer 
«  ce  qu'il  efl,  ou  ce  qu'il  n'eft  pas.  M..  Morin,  avant  que  de 
55  rien  expliquer  qui  fbit  en  controverfè  dans  fon  xvi  théo- 
»5  réme  où  il  commence  à  vouloir  prouver  que  Dieu  eft ,  ap- 
»  puye  ion  raifbnnement  fur  ce  qu'il  prétend  avoir  réfuté  le 
»5  mouvement  de  la  Terre,  6c  fur  la  penfée  que  tout  le  Ciel 
î3  tourne  autour  d'elle  :  ce  qu'il  n'a  nullement  prouvé.    Il 

fuppofè 


L  I  V  R  E  VI.  C  H  A  p  iT  R  E    m.  ri9 

fuppofè  aufTi  qu'il  ne  peut  y  avoir  de  nombre  infini  Sec.  ce  ç^  i  6Ar 
qu'il  ne  fcauroit  pareillement  prouver.  Amfi  tout  ce  qu'il  r, 
met  jufqu'à  la  fin ,  eft  fort  éloigne  de  i'wvi  Jence  &:  de  la  cer-  „ 
titude  Géométrique  qu'il  iembloit  promettre  au  commen-  ^^ 
cément.  Ce  qui  foit  dit  entre  nous  s'il  vous  plaît ,  parce  que  ^^ 
je  ne  defire  nullement  luy  déplaire.  ^^ 

L'Ecrit  du  Philofbphe  Anglois  que  M.  Defcartes  re^^ût    Tom.  i  dei 
en  même  têms  que  le  liure  de  M.  Morin  ,  n'étoit  autre  cho-  lcttr.pag.t84. 
fe  que  les|objeâ:ions  que  M.  Hobbes  avoit  faites  fur  les  Mé-   *  ^* 
ditations  Métaphyfiques  à  la  fbllicitation  du  Père  Merfen- 
ne.  M.  Hobbes  cherchoit  depuis  long-têms  une  occafion  Thomas, 
telle  qu'elle  pût  être  pour  fe  fiire  connoître  à  M.  Defcar- 
tes, &  faire  avec  luy  quelques  habitudes  pour  la  Philofbphie. 
Il  étoit  â2;é  de  huit  ans  plus  que  M.  Defcartes ,  &  il  ne     ^j  ^  ^*'" 
mourut  qu  après  une  vie  de  quatre-vingts-onze  ans.  Il  avoit  Ayril  i/ss. 
autrefois  oublié  fbn  Grec  &  fbn  Latin  pour  fè  donner  plus 
parfaitement  à   la  Philofbphie  Scholaftique ,  &  fur  tout 
à  la  Logique  &  à  la  Métaphyfique,  dans  laquelle  il  brilloit 
/iir  tous  les  Hibernois  en  fa  jeunefTe.    Mais  ayant  remar- 
qué enfuite  que  les  gens  d'efpritfe  moquoient  de  luy,  il  re-   .  vit.  Hobb. 
non(^a  aux  vains  exercices  de  cette  forte  de  Philofbphie,   '^^^"^  ^*^- ^>**- 
comme  n'étant  propre  qu'à  gâter  un  efprit  &  à  fournir  de 
la  chicane  à  des  SophifVes.  Pour  fe  frayer  un  chemin  nouveau 
à  la  Philofophie  ,  il  avoit  repris  les  belles  Lettres  &  s'étoit 
mis  à  la  lecture  de  tous  les  anciens  Grecs  &:  Latins  ,  (ans  fè 
rendre  pourtant  leur  efclave  ôc  fans  négliger  aufli  ce  que  les 
meilleurs  Scholafliques  ou  Modernes  avoient  imaginéi:  iufl 
qu'à  ce  que  les  confèils  des  deux  premiers  Philofophes  de 
l'Angleterre ,  le  Chancelier  Bacon  &  le  Baron  de  Cherbu- 
ry  *,  le  déterminèrent  tout-à-fait  à  fè  défaire  de  tous  Çqs  pré-      *  Edouard 
jugez  ,  &  à  bâtir  tout  de  neuf    II  voulut  commencer  par   Herbert, 
l'étude  des  Mathématiques  à  caufe  de  la  certitude,  de  l'é- 
vidence, &  de  la  netteté  de  ces  connoiflances.   Mais  il  fit  en 
ce  point  la  même  faute  qu'avoit  faite  Scaliger  de  s'y  appli- 
quer trop  tard  ,  étant  âgé  pour  lors  de  plus  de  quarante 
ans:  &  il  trouva  comme  Scaliger  de  nouveaux  Viétes ^  qui   vvaUis,&c, 
le  redrefférent  dans  la  fuite  pour  avoir  voulu  fè  commettre 
avec  eux.  Ce  fut  principalement  après  l'an  1634  qu'étant 
venu  en  France  il  s'apliqua  tout  de  bon  à  la  Philofbphie  na- 
turelle 


no  La    Vie   de  M.     Descarte j. 

I  6  4.1      wi'clle  dont  il  avoit  pris  Je  goût  dans  les  conver/àtions  du 

Père  Merfenne  avec  lequel  il  avoit  fait  d'étroites  liaifons  ^ 

nonobftant  la  diverfîté  de  leur  Religion.  Ce  Père  luy  ayant 
fait  remarquer  que  tout  ^e  fait  dans  la  Nature  d'une  manië^ 
re  Méchamque  ^  luy  avoit  en  même  têms  infpiré  une  forte 
pafîîon  pour  connoître  M.Defcartes,de  qui  il  tenoit  cette  ma- 
xime 6c  la  plupart  des  beaux  principes  que  M.  Hobbes  luy  en- 
tendoit débiter.  Maisfonretour  de  l'an  1637  en  Angleterre 
avoit  rompu  ks  projets,  jufqu'à  ce  que  la  lecbure  des  Effays 
de  la  Méthode  de  M.  Defcartes  ralluma  en  luy  ce  defîr^ 
luQs  troubles  de  la  Grand-Bretagne  l'ayant  fait  revenir  en- 
France  fur  la  fin  de  Tan  1640  ,  il  trouva  dans  Paris  le  repos 
&  la  flireté  qu'il  cherchoit  pour  cultiver  ia  Pliilofophie  à- 
loifîr,  &  il  fè  lia  plus  étroitement  que  jamais  avec  le  P.  Mer-, 
fènne  &  M.  Gallendi ,  qui  étoient  les  principaux  confeillersr 
bc  \qs  compagnons  de  fès  études. 
vit.  Hobb.  ^^  ^^^  precifément  en  cetêms-là  que  le  P.  Merfenne  luy 
Auaar.  procura  l'occafion  qu'il  avoit  tant  recherchée  pour  pouvoir 

entretenir  quelque  commerce  de  lettres  avec  M.  Dcicartes  : 
&  ce  Père  en  luy  communiquant  le  manufcrit  des  Médita- 
Tom.  %.  des     ^^^1^^  Métaphyfiques  luy  déclara  que  pour  mériter  l'amitié 
icttr.deDef.    &  l'cftime  de  M.  Defcartes  il  falloit  faire  les  objections  les. 
tincspajfm^.    p[^^  fortes  qu'il  pourroit  trouver  contre  cet  ouvrage ,  &  les 
envoyer  à  fbn  Auteur,  qui  ne  manqueroit  pas  de  les  hono- 
rer d'une  réponfe.    M.  Hobbes  crut  ce  Père,  de  fit  des  ob- 
jeâdons  contre  les  Méditations  de  M.  Defcartes  qu'il  mit 
entre  les  mains  du  Père  pour  les  luy  fiire  tenir,  iàns  luy  per- 
mettre néanmoins  de  déclarer  encore  pour  cette  première 
foisfon  nom  à  M.  Defcartes.  Le  P.  Merfenne  avoit  accom- 
pagné récrit  de  M.  Hobbes  d'un  mot  de  recommandation 
pour  fbn  ami ,  afin  que  M.  Defcartes  connût  fbn  mérite,  &c 
qu'il  fc^ût  fur  tout  de  quelle  Pliilofophie  ce  fçavant  Anglois 
faifoit  profefîîon.    M.  Defcartes  ravi  d'apprendre  que  le 
nombre  des  vrais  Philofbphes  fût  augmenté  d'un  aufîî  no- 
ble èc  aufïi  excellent  fujet  qu'étoit  M.  Hobbes  ^  voulut  étu- 
dier fbn  génie  dans  fès  objeâions ,  mais  il  ne  les  trouva  point 
afïez  propres  pour  luy  faire  juger  de  fa  folidité  &  de  fa  pro- 
fondeur.   Il  en  écrivit  au  P.  Merfenne  en  luy  envoyant  fa 
réponfè  à  ces  objeèlions  dès  le  mois  de  Janvier  :  de  il  luy  té- 
moigna 


^4^- 


Tom.  i. 
des  Jetti. 
pag.  18^. 


Livre  VI.  Chapitre  III.  ht 

moiena  la  crainte  qu'il  avoit  que  le  rcfle  que  M.  Hobbes 
avoir  à  luy  envoyer  ne  £it  pas  meilleur.  Mais  pour  ne  fe  pas 
rendre  indigne  de  l'amitié  d'un  homme  en  qui  il  reconnoifl 
ibit  du  mérite  d'ailleurs  ,  &  qui  devoit  avoir  quelque  goût 
en  ce  qu'il  faifbit  cas  de  luy,  il  protefta  de  ne  vouloir  rien  faire 
ny  rien  dire  qui  fut  capable  de  le  dés-obliger.  Il  (e  contenta 
de  déclarer  au  Père  Merfenne  ce  qu'il  penfbit  de  fa  Philo- 
ibphie  en  ces  termes.  •>•>  ]e  n'ay  pas  peur,  dit-il ,  que  fa  Phi- 
Jolbphie  femble  être  la  mienne  j  quoiqu'il  ne  veuille  con(i- 
dérer  comme  moy  que  les  figures  êc  les  mouvemens.  Ce 
font  bien  les  vrais  principes  :  mais  fî  on  commet  des  fautes 
en  les  fuivant,  elles  paroiiîènt  11  clairement  à  ceux  qui  ont 
un  peu  d'entendement ,  qu'il  ne  faut  pas  aller  fi  vite  qu'il 
fait,  pour  y  bien  réuiîîr. 

La  réponfe  que  fit  M.  Defcartes  à  fes  objections  étoit  in- 
férée dans  le  corps  même  de  ces  objedioas,  ëc  jointe  à  la  fin 
de  chaque  article.  On  garda  le  même  ordre  dans  i'editioa 
des  Méditations  fous  le  titre  de  Troisièmes  Objeciions.  Le  P. 
Merfenne  avoit  été  prié  quelques  jours  auparavant  par  M. 
Defcartes  de  ne  luy  envoyer  de  toute  l'année  aucunes  ob-  "^^g.  184, 
jeclions  ny  aucunes  queftions  à  réfbudre  que  celles  qui  re-  ^^'^' 
gardoient  fà  Métaphyfique ,  parce  qu'il  étoit  bien-aiie  de 
pouvoir  jouir  de  tout  cet  efpace  de  têms  pour  difpoier  fa 
Philofbphie  dans  une  telle  méthode  qu'elle  piit  être  aife- 
ment  enfèignée.  Il  s'agilToit  du  cours  Philolophique  qu'il 
avoit  entrepris  dés  l'année  précédente  de  mettre  en  ordre 
félon  (ks  principes  6c  fa  méthode,  avec  un  abrégé  de  la  Phi- 
lofbphie fcholaflique  qu'il  vouloit  mettre  à  côté  pour  en 
faire  un  parallèle  &;  pour  la  réfuter  en  y  joignant  fés  notes. 
La  première  partie  de  ce  bel  ouvrage  qu'il  n'avoit  pas  en- 
core achevée  au  commencement  de  cette  année  ,  contenoit  r^  at 
prefque  les  mêmes  chofes  que  [qs  Méditations  Métaphyfi-  * 

ques,  finon  qu'elle  étoit  d'un  ftfie  tout  différent,  6c  que  ce 
qu'il  avoit  avoit  mis  tout  au  long  dans  celles-cy  fè  trouvoit 
plus  abrégé*dans  celle-là:  comme  il  y  avoit  auffi  des  chofes  i'^r^t"l"at' 4" 
dans  cette  première  partie  de  fon  cours  Philofbphique  qui  ° 

étoient  plus  étendues  que  dans  fès  Méditations.  Il  continua 
cet  ouvrage  pendant  quelque  têms  ,  mais  il  perdit  bien-tat 
i'envie  qu'il  avoit  eue  d'y  faire  une  expofition  de  laPhilo- 


exp( 


.0.' 


fop  hie 


(>  4  I- 


Tom.   3. 
des  lettr. 
pag.  18. 
*Du  Feuil- 
lant. 


*  Aux  Tc- 

fuites. 


Tom.  i.pag. 
2.X4. 


Tom.  3.  des 
lettr.  pag.  ii«> 
ou  lit' 


Sfirituiin- 
tHS  alens,  {j^ 
mms  mjitf» 
per  artus 
molem  a-vi- 
t.ms  fefejue 
iiigentt  cor- 
^ore  mifceiis. 


\iz         LaVib    De     m.     Descartes. 

fophie  fcholaftique  pour  la  réfucer.  C'eft  néanmoins  ce 
qu'il  dilfimula  pour  tenir  les  adverfaires  en  haleine ,  &  les 
entretenir  toujours  dans  la  crainte  de  fon  examen  ^  dQ  ùl 
cenfure.  Mais  comme  il  n'avcic  point  de  fecret  pour  le  P. 
MeiTennc,il  luy  en  découvrit  là  penfée  quelque  têms  après 
en  ces  termes.  »  11  eft  certain  ,  dit-il,  que  j'aurois  choifi  le 
Compendium  àa  Père  Euftache  *  comme  le  meilleur  de  tous 
les  Scholaftiques  ,  fi  j'en  avois  voulu  réfuter  quelqu'un. 
Mais  auiîi  eft-il  vray  que  j'ay  entièrement  perdu  le  delTeiii 
de  réfuter  cette  Philofophie.  Car  je  vois  qu'elle  eft  fi  ab  . 
folument  6c  fi  clairement  détruite  par  le  feul  établifTemenc 
de  la  mienne ,  qu'il  n'eft  pas  befoin  d'autre  réfutation.  Mais 
je  n'ay  pas  jU2;é  à  propos  d'en  rien  écrire  à  ceux  que  vous 
fcavcz  *,  ny  de  leur  rien  promettre  là-delFus  ,  à  caufè  que 
je  pourray  peut-être  changer  de  deflein ,  s'ils  m'en  donnent 
occafion. 

Mais  nonobftant  la  prière  que  M.  Dcfcartcs  avoit  faite 
au  Père  Merfenne  dès  le  commencement  de  l'année  de  ne 
luy  point  envoyer  d'autres  objections  que  celles  qui  regar, 
deroient  fes  Méditations  Mètaphyfiques  ,  ce  Père  ne  put 
s'empêcher  de  luy  communiquer  les  remarques  que  M. 
Hobbes  avoit  faites  fur  là  Dioptriqne,  ny  Monfieur  Defl 
cartes  luy  refafer  la  fatisfadion  de  répondre  à  fbn  ami. 
Quoique  la  chofe  eût  été  concertée  aux  Minimes  de  la 
Place  Royale,  on  feignit  néanmoins  que  M.  Hobbes  avoit 
écrit  d'Angleterre  &  addrefle  fes  remarques  au  P.  Merfen- 
ne, qui  les  avoit  fait  tenir  à  M.  Defcartes  par  la  voye  de 
M.  de  Zuytlichem.  M.  Hobbes  débutoit  dans  fon  Ecrit  par 
un  commencement  qui  ne  regardoit  point  la  Dioptriquede 
M.  Defcartes,,  >î  II  y  parloit  de  Dieu  &  de  l'Ame  comme 
de  chofes  corporelles.  Il  y  difcouroit  fur  fon  Efprit  interne  qu'il 
établilFoit  comme  le  principe  de  toutes  chofes ,  &  il  y  traitoic 
beaucoup  d'autres  fujets  q^ii  ne  touchoient  nullement  M. 
Defcartes.  Car  encore  qu'il  prétendît  que  la  MatièVe  fub^ 
tile  de  celuy-cy  îxxx.  la  même  chofe  que  fon  Efprit  interne  ^ 
Tune  n'étoit  nullement  reconnoilfable  dans  l'autre.  Premiè- 
rement parce  que  M.  Hobbes  vouloit  que  {^\\  Efprit  interne 
fiU  la  caulè  de  la  dureté,  au  heu  que  la  Matière  fubtile  de 
M.  Defcartes  ell:  plutôt  la  caufe  de  la  moUeire.  Enfuite  par^ 

ce 


LiVREVI.CHAriTRElII.  I23 

ce  qu'il  n'étoit  pas  aifé  de  comprendre  par  quel  moyen  cet      i  6  ^  t. 
Efprit  interne,  qui  de  fa  nature  devoit  être  trés-mobile,  pou-  _, 

voit  être  fi  bien  renfermé  dans  les  corps  durs  qu'il  n'en  pût 
jamais  fortir  :  ny  comment  il  ie  glifToit  ôc  entroit  dans  [qs 
corps  mous  lorfqu'ils  deviennent  durs. 

Sans  s'engager  à  la  difcuffion  de  cette  opinion  de  M. 
Hobbes,  il  ie  réduifit  à  examiner  feulement  les  raifbns  par 
le/quelles  il  tâchoit  de  réfuter  fà  Dioptrique  dans  la  fui- 
te de  ion  Ecrit,  qui  étoit  drefle  en  forme  de  lettre  Latine 
écrite  au  P.  Merienne.  Il  fit  fa  réponfè  en  même  langue, 
&  l'addrefTa  au  même  Père.  M.  Hobbes  y  fit  une  longue 
réplique  qui  fat  envoyée  à  M.  Defcartes  dés  le  feptiéme  de 
Février.  Mais  tout  le  commerce  de  cette  paifible  difpute 
réfidoit  dans  le  Père  Merfenne  qui  en  étoit  le  centre ,  fans 
que  M.  Defcartes  &:  M.  Hobbes  fe  parlafi^ent  ou  s'écrivif-. 
iènt  immé  Jiatement.  M.  Hobbes  traitant  M.  Defcartes  avec  ^^Z-  y-?-  ou 
beaucoup  de  refped  ôc  de  retenue  tâcha  de  défendre  fbn  J^J^*  ^  ^* 
Efprit  interne  :  &  ajoutant  que  par  cet  Efprit  interne  il  n'en- 
tendoit  autre  chofè  qu'un  corps  fubtil  é^  fluide  ,  il  crut  fe 
juflifier  par  là  d'avoir  dit  que  fon  Efprit  interne  étoit 
la  même  chofe  que  la  Matière  fubtile  de  M.  Defcartes,  ne 
voyant  pas,  difbit-il,  la  différence  qu'il  y  a  entre  un  corps 
fubtil  &  une  matière  fubtile.  11  répondit  aulTi  aiixdifficul- 
tez  que  M.  Defcartes  trouvoit  dans  le  refle  de  fon  hypo- 
théfè. 

Le  Père  Merfenne  qui  n'avoit  envoyé  d'abord  qu'une 
partie  de  l'Ecrit  de  M.  Hobbes  à  M.  Defcartes  luy  envoya 
le  refbe  avec  cette  réplique.    Ce  qui  obligea  M.  Defcartes    Pâ:;.  u^on 
à  une  nouvelle  réponfè  pour  ce  relie  ,  parce  qu'il  fcut  que  ^^^'  '^"^' 
quelques  perfbnnes  afïcz  habiles  tenoient  pour  de  vrayes  &: 
légitimes  démonflrations  ce  qui  étoit  contenu  dans  cet  Ecrit^ 
quoique  cela  fut  contraire  à  ce  qu'il  avoit  publié  touchant 
les  réfractions.  C'efl  tout  ce  qu'il  put  obtenir  de  fon  génie 
pour  celiiy  de  M.  Hobbes  dont  il  fe  laiFa  en  peu  de  têms. 
Au  lieu  de  répondre  au  dernier  Ecrit ,  c'eft-à-dire  à  la  ré- 
phque  de  M.  Hobbes,  il  écrivit  au  Père  Merfenne  pour  luy     p^^  r;r-  & 
marquer  les  raifons  qu'il  avoit  de  rompre  de  bonne  heure  fuiv, 
tout  commerce  avec  ce  Phiîofbphe,  afin  de  pouvoir  le  con- 
fèrver  au  nombre  de  ces  amis  dii  comnuui  qui  s'eftiment  de 


114  La  Vie  DE   M.    Des  carte  s. 

j(i  4ï.  ^oin  &L  qui  s'aiment  (ans.  commnication.  Il  kiy  manda  de 
nouveau  l'opinion  qu'il  avoit  de  cet  Efprit  qu'il  jugeoit  opi- 
niâtre &  dangereux  même  dans  fa  fingularitë  ,  quoiqu'il  ne 
fut  pas  doué  d'une  grande  jullefle  ny  d'une  grande  force 
pour  le  raifonnement.  Mais  afin  que  M.  Hobbes  ne  crût 
pas  l'avoir  ëpuifé  en  réponfes ,  &  qu'il  ne  prît  pas  fon  fîlen- 
ce  pour  une  impuiflance  ,  il  envoya  au  Përe  Merfènne  les 
répon/ès  toutes  drelTëes  à  ion  dernier  Ecrit.  Il  pria  ce  Père 
que  fi  le  Philofophe  Anglois  étoit  dans  une  femblable  pen- 
fëe  ,  il  débitât,  comme  de  fon  chef,  ces  réponfes  qu'il  luy 
envoyoit,  fans  qu'il  parût  en  aucune  manière  qu'elles  luy 
fuflent  venues  de  plus  loin  que  du  couvent  des  Minimes  de 
Paris, 


CHAPITRE     IV. 

J^ifroirc  des  quatrièmes  objeBions  faites  fur  les  MéditMions  de 
M.  Defcartesfar  M.  Arnaud  Docicur  de  Sorhonne.  QualitezJ.e 
l'cfprit  ^  des  connoiffances  de  ce  Dofleur.  Eftime  que  M.  Def- 
cartes  fait  de  fcs  objcïiions.  Eff'orts  quil  fait  pour  y  répondre. 
RefTernbLtnce  de  la  Philofophie  de  M.  De  fartes  avec  celle  de 
S.  Auqî'ftin.  'Vùlité  des  objeHions  de  M.  Arnaud  pour  corriger 
les  Méditations  de  M.  Defcartes.  Difficulté  fur  la  manière 
^expliquer  la  Tranffubftantiation.  M.  'Defcartes  ^  M.  Ar- 
naud fe  font  peu  connus  depuis,  Ouvraç-es  divers  de  M,  des  Ar-' 
gués  efimcx^de  M.  Defcartes. 

PEndant  que  le  mois  de  Février  fe  confumoit  en  objec^ 
tions  &  en  réponfes  fur  les  Méditations  &  fur  la  Dio- 
p trique  entre  M.  Hobbes  &  M.  Defcartes ,  le  P.  Merfènne 
avoit  eu  foin  de  comminiquer  diverfès  copies  à^s  Médita- 
tions à  plufieurs  Docteurs  de  la  Faculté  de  Théologie  pour 
\qs  convier  à  examiner  l'ouvrage,  &  à  luy  donner  leurs  cor- 
redions  ou  leurs  objections  pour  M.  Defcartes.  Mais  fbit 
qu'ils  l'approuvailent  entièrement  ,  foit  qu'ils  le  méprifàfl 
fent ,  fbit  enfin  qu'ils  ne  l'entendifTent  point ,  il  ne  fe  trou- 
va perfbnne  dans  tout  ce  grand  &  vénérable  corps  qui  vou- 
lût s'ériger  en  cenfeur  de  M,  Defcartes,  fi  l'on  en  excepte 

un 


Livre   VI.  Chapitre    IV.  115 

lin  jeune  Dodeur  ou  Licencie  de  Sorbonne,  qui  ayant  lu 
autrefois  les  Eiîlus  de  la  Méthode  de  M.   Dcfcaites  avec      164^- 
plaifir,  avoit  acquiefcé  au  defir  du  Père  Merfènne  avec  l'ef- 
pcrance  de  retrouver  le  même  plaiiîr  dans  la  lecture  des 
Méditations. 

Ce  Docteur  ctoit  le  célèbre  Monfieur  Arnaud  que  l'on 
croid  encore  aujourd'huy  plein  de  vie,  &  qui  par  cette  confi- 
dération  doit  nous  difpenier  de  parler  de  iuy.  Il  n'étoit  en-    on  dit  qu'il 
core  alors  â2:é  que  de  vin^t-huit  ans  &c  de  quelques  mois:   eftnéemôn. 

o      nr     T-i    r  ^  ?        '     ^        r  i-r  '    '    le  6.  de  Fc- 

&;  M.  Delcartes  maigre  tout  Ion  dilcernement  auroit  ete  ^^^^^^ 
trompé  par  fès  objections  iùrfes  Méditations, comme  il  l'avoit 
été  dix-huit  mois  auparavant  iur  V-^^e  de  M.  Paical  par  {on 
Traité  des  Coniques ,  fî  le  Père  Merfènne  n'y  avoit  pourvu 
en  le  prévenant.  M.  Arnaud  n'ayant  pu  obtenir  de  ce  Père 
qu'il  liroit  les  Méditations  gratuitement,  le  crut  obligé  de 
faire  deux  perfonnages  dans  l'examen  qu'on  demandoit  de 
Iuy.  Il  parut  d'abord  en  Philofbphe  pour  Iuy  repréiènter 
les  principales  diffiçultez  qu'on  pourroit  Iuy  objecter  tou- 
chant les  deux  grandes  queftions  de  la  nature  de  l'Elprit  hu- 
main ,  &  de  l'èxiftence  de  Dieu,  Il  fît  enfuite  lafondion  d'un 
Théologien  pour  marquer  cà  M.  Defcartes  les  chofès  qu'il 
jugeoit  capables  de  choquer  les  oreilles  accoutumées  aux 
exprefîlons  ordinaires  de  la  Thèoloc^ie  ,  ou  qu'il  ne  jugeoit 
point  allez  conformes  au  langage  des  Catholiques  touchant 
quelques  dogmes  particuliers. 

M.  Defcartes  n'avoit  pas  encore  eu  d'adverfàirc  plusraifbn-     M.  Arnaud 
nable  ny  plus  habile  que  ce  jeune  Do<5teur ,  qui  non  content  "'^^o'^paien- 

^         ,'^     ■'   '^  r        1  •     1  r  t  ■  rr  ^'^^«^  ^^  bonnet 

de  s  être  approfondi  dans  toutes  fortes  de  connoiiiances  ,  de  Dodair, 
faifoit  encore  régner  un  efprit  parfaitement  géométrique  qu'il  ne  prit 
dans  tous  fes  raifbnnemens.  Mais  au  lieu  de  perdre  le  tcms  ^^^^  ^^'^^' 
à  l'admirer ,  il  mit  toute  fbn  application  à  Iuy  répondre.   Ce 
qui  Iuy  donna  d'autant  plus  d'exercice  qu'il  avoit  à  fatisfai- 
re  un  efprit  auquel  il  ne  Iuy  ètoit  pas  pofîîble  d'impofèr  ou 
de  donner  le  change ,  de  qu'il  s'agifîoit  de  foudre  en  même 
tcms  des  dilEcultez  trés-folides  éc  trés-fubtilement  propo- 
fées.    Il  écrivit  au  Père  Merfènne  pour  Iuy  marquer  qu'il  ^P'^-  pra^l»- 
n'auroit  pu  fouhaiter  un  examinateur  de  fon  livre  plus  clair-  ™  q^^  ^'^ 
voyant  &  plus  officieux.  Qu'il  en  avoit  été  traité  avec  tant 
de  douceur  ôcd'honneitetè,  qu'il  ne  pou  voit  prefque  s'ima- 

Q^iij     *  gmcr 


ii6  La    Vie    DE    M.  Descartes'. 

1641.       giner  que  ce  fut  un  adverfaire  qui  eût  voulu  écrire   contre 

,— luy  :  mais  qu'il  avoit  examiné  ce  qu'il  avoir  combattu  avec 

tant  de  foin,  qu'il  efpéroit  que  rien  ne  luy  feroit  échappé  5 
de  que  Tes  manières  vives  &  pénétrantes  à  poufler  les  ciiofes 
aufquelles  il  ne  pou  voit  accorder  fbn  approbation  luy  faifbienc 
croire  qu'il  n'avoit  point  eu  la  complaiiance  de  luy  rien  difîî- 
muler.    Aulîî  témoignoit-il  être  moins  touché  de  la  qualité 
de  fes  objections  qu'il  n'étoit  réjoùy  de  voir  qu'acnés  m iTent 
en  fi  petit  nombre  ,  &  qu\in  efprit  railbnnable  ne  pût  y  en 
ajouter  davanta^^e  qui  fuflent  bonnes.  Il  envoya  au  même 
Lcttr.  us.  P^re  fa  Réponfe  à  ces  objedions  le  jour  de  Pâque  de  l'an 
de  Defc.  de    1641.  Elle  commeiiçoit  par  un  remerciment  à  M.  Arnaud 
Jaaï64i.        pour  dcux  bons  offices  qu'il  luy  avoit  rendus  en  écrivant 
contre  luy.  Le  premier  étoit  d'avoir  propoië  les  raifbns  de 
fon  hvre,  de  telle  manière  qu'il  fembloit  avoir  eu  peur  que 
les  autres  ne  les  trouvadent  pas  alTez  fortes  &  convaincan- 
res.  L'autre  étoit  de  l'avoir  fortifié  d'im  grand  fecours  en  le 
muniilant  de  l'autorité  de  S.  Auguflin.  En  effet,  la  première 
chofe  qie  M.  Arnaud  prétendoit  avoir  trouvée  dans  ces  Mé- 
ditations Métaphyfiques  qui  luy  parût  digne  de  remarque 
Se.  je  fenfe  ètoit  de  voir  que  M.  Defcartes  établît  pour  fondement  èc 
donc  je  fuis.      pour  premier  principe  de  toute  fa  Philofophie,  ce  qu'avant 
iib.r  dchbe-  j^     g    Aueuftiu  avoit  pris  pour  la  bafe  6c  le  foutien  de  la 

roaibur.  Cap..        J  o  r        r 

}.&iib.  XI.     fienne. 

cap.  z6.  de  y[  Defcartes  ayant  confidérè  long-têms  la  force  des  ar- 
^^'  ^  *  gumens  de  M.  Arnaud  touchant  la  Philofophie,  jugea  qu'^a- 
prés  avoir  taché  de  réfoudre  ceux  qui  regardoient  la  nature 
de  r  Effrit  humain,  il  de  voit  changer  de  méthode ,  craignant  de 
ne  pouvoir  pas  réfifler  à  la  force  de  ceux  qu'il  luy  avoit  pro- 
polez  touchant  Vcxi/Ience  de  Dieu,  C'ed  pourquoy  au  lieu  de 
le  mettre  en  devoir  de  fbutenir  fes  efforts  comme  il  avoit  fait 
jufques-là,  il  voulut  imiter  ceux  qui  ont  à  fe  défendre  con- 
tre un  adverfaire  qui  a  l'avantage;  6cilne  s'étudia  plus  qu'a- 
ëviter  adroitement  les  coups  plutôt  que  de  s'oppofèr  direc- 
tement à  leur  violence.  Il  reconnut  de  bonne  foy  que  tout 
ce  que  M.  Arnaud  luy  objeèloit  concernant  l'éxiflence  de 
Dieu  pouvoit  luy  être  accordé  de  la  manière  qu'il  l'enten- 
doit ,  &:  qu'il  l'avoit  exphquè.  Mais  ayant  pris  les  mêmes 
chofes  dans  un  autre  lens  que  M,  Arnaud  lorfqu'il  les  avoit 

écrites, 


Livre  VI.  Chapitre     IV.  117 

ccrites,  il  fê  contenta  de  faire  voir  que  ce  fens  pouvoit  être      1^41. 
favorablement  rec^û ,  &  regardé  comme  véritable  auilî  bien  » 

que  ccluy  de  M.  Arnaud. 

Qucind  M.  Dc(cartcs  en  fut  venu  à  la  réponfc  qu'il  avoit 
à  faire  aux  difficultez  quipouvoient  arrêter  les  Théologiens, 
il  déclara  '?  qu'il  s'étoit  oppofë  aux  premières  raifons  de  M. 
Arnaud»  ^  qu'il  avoit  tache  de  ^arer  les  fécondes  ^  •  mais  qu'il  i.De  Afentt 
donnoit  entièrement  les  mains  aux  troifièmes ,  excepté  la  dcr-  ^^'"^"^• 
niére  qui  concernoit  l'Euchariftic.  Il  entreprit  donc  de  ré- 
pondre à  cette  dernière  difficulté,  jugeant  que  s'il  venoita- 
bout  de  fatisfaire  M.  Arnaud  fur  ce  point ,  il  luy  feroit  aifé  de 
contenter  tous  les  efprits  raiiônnables.  On  ne  peut  nier  qu'il 
ne  s'en  foit  acquité  avec  beaucoup  de  iiibtilité  &:  de  vray-fem- 
blance.  De  forte  que  tant  qu'on  difputera  dans  les  Ecoles  de  la 
manière  dont  le  Corps  de J.C.exifte  au  S.Sacremenr,&qu'on 
voudra  l'expliquer  par  les  maximes  de  la  Phyfique,  on  aura 
fujet  de  beaucoup  efpérer  du  fiiccés  des  efforts  que  feront  ^ 

les  Cartéfiens  pour  expliquer  cette  manière  d'èxiiler  fur  les 
principes  de  leur  Maître.  AuiïïM.Defcartesne  defefpèroit- 
il  pas  de  voir  venir  le  têms  auquel  l'opinion  de  nos  Scho- 
laftiques  qui  admet  des  ^mdens  réels  îcroit  rejettèe  par  les 
Théologiens  comme  peu  fure  en  la  Foy ,  contraire  a,  la  Raifon, 
&  tout-à-fait  incompréhen0le:^  que  la  lienne  feroit  rccûë  en  (â 
place  comme  certaine  èc  indubitable. 

M.  Arnaud  avoit  donné  à  M.  Defcartes  divers  avis  éga- 
lement importans  &  judicieux  pour   aller  audevant  des  chi- 
canes qu'on  pouvoit  appréhender  de  la  part  des  efprits  mal- 
intentionnez.    M.   Defcartes ,  non  content  d'en  témoigner  Rerpon{:ad4. 
pubUquement  fa  reconnoifî^ince ,  voulut  faire  voir  encore  des  ^^\^^ 
fruits  de  la  déférence  qu'il  avoit  pour  fon  jugement,  &  de 
l'eftime  qu'il  faifbit  de  fés  confèils.  Il  récrivit  donc  au  Père 
Merfénnc  pour  luy  envoyer,  féparèment  de  fa  réponfe,  les 
endroits  que  M.  Arnaud jugeoit  à  propos  de  retoucher  &  de   Tom.  \At% 
changer  dans  fes  Méditations.  Il  pria  ce  Père  de  faire  mettre   lett.  pag.  /?<?, 
ces  additions  ou  corrections  dans  le  texte  même  de  fbn  ou-   ^^'^' 
vrage ,  mais  féparees  par  des  crochets  par  manière  de  paren- 
théfès ,  afin  de  montrer  la  dociUté  qu'il  avoit  pour  les  avis 
d'autruy ,  fans  prétendre  s'en  attribuer  ]a  gloire  ,  &  d'éxci- 
çer  par  une  générofité  fi  modefle  tous  ks  examinateurs ,  &: 

fes 


Tom.  1.  des 
leur.  pag. 
x^8. 


128  La    Vie   de  M.    Descartes. 

1641.      ies  adverdùres  mêmes  à  luy  donner  de  fèmblables  avis  dans 

l'e/pérance  d'une  juftice  fèmblable. 

Pag.6oo.ibid.  Mais  en  luy  envoyant  fa  réponfè  aux  obje6tionsde  Moff- 
fleur  Arnaud  il  retmt  le  dernier  feuillet  où  il  expliquoit  la 
TranfTubftantiation  fuivant  fes  principes,  parcequ'il  defîroit 
lire  les  Conciles  flir  ce  fujet  avant  que  de  le  luy  envoyer  pour 
le  jouidre  au  refte.  Mais  après  avoir  lu  ce  qu'il  fbuhaitoir, 
il  ajouta  quelque  choie  à  ce  dernier  feuillet  que  le  P.  Mer- 
fènne  jugea  à  propos  de  retrancher  dans  l'édition,  craignant 
t[ue  cela  ne  fit  naître  quelque  obftacle  à  l'approbation  des 
Docbeurs.  M.  Defcartes  fouhaitoit  que  M.  Arnaud  vît  fa 
réponfe,  afin  qu'il  en  jugeât,  &  qu'il  pût  luy  communiquer 
fès  répliques ,  ou  luy  donner  de  nouveaux  avis.  Maislachofe 
n'alla  point  plus  loin  ,  &  l'on  prétend  que  M.  Arnaud  té- 
moigna être  fàtisfait  de  M.  Defcartes  fur  tous  les  points  qu'il 
luy  avoit  objectez ,  fans  en  excepter  même  celuy  de  l'Eucha- 
riilie,  où  il  l'avoit  le  plus  embarrafle.  C'eft  au  moins  ce  que 
nous  pouvons  avancer  fur  la  foy  du  Père  Merfènne  contre 
ceux  qui  veulent  encore  aujourd'huy  douter  de  la  vérité  de 
cette  circonflance,  Voicy  les  termes  aufquels  ce  Père  en  écri- 
vit quelque  têms  après  auMmiftre  Voetiusennemy  de  Mon- 
fieur  Defcartes. n  Je  demanday  dernièrement,  dit-il,  à  l'Au- 
teur des  quatrièmes  objedions  qui  efl  eflimè  l'un  des  plus 
fubtils  Philofbphes ,  6c  l'un  des  plus  grands  Théologiens  de 
cette  Faculté,  s'il  n'avoit  rien  à  repai"tir  aux  rèponfes  qui  luy 
avoient  été  faites  par  M.  Defcartes.  Il  me  répondit  que  non, 
&  qu'il  fè  tenoit  pleinement  fatisfiit.  Il  m'ajouta  m^meqii'it 
avoit  enfeigné  Ik.  publiquement  fbutenu  la  même  Pliilofb- 
phie  j  qu'elle  avoit  été  fortement  combatuë  en  pleme  afîcm- 
blèe  par  plufieurs  fçavans  hommes  ,  mais  qu'elle  n'avoit  pu 
être  abbatue  ny  même  eoranlee. 

M.  Defcartes  ayant  appris  quelle  ètoit  la  difpofîrion  de 
M.  Arnaud  s'en  forma  un  préjagè  pour  fa  Philoiophie d'au- 
tant plus  avantageux  qu'il  le  jugeoit  moins  capable  d'erreur 
dansfesconnoiiFanceSjOude  difÈmulation dans  fa  conduite.  li' 

Tom.  I.  des     ne  fit  point  difrîculté  de  mander  depuis  aux  Pères  de  l'Ora^ 

km.  p. 480.  toireque  tout  jeune  Dodeur  que  fut  M.  ArnauJ  ,  il  ne  laifl 
fbit  pas  d'cflimer  plus  fbn  jugement  que  ccluy  <J!une  moitié  da 
Anciem  de  toute  la  Faculté,. 

De 


Lcttr.  de 

Ï5 

Merf.  à 

Voet.  au  X. 

Î5 

tom.  des 

l'i 

lettr.  de 

Defcartes. 

^3 

ïî 

»^ 

Î3 

33 

33 

LivreVI.  Chapitre  IV.  119 

De  tontes  les  objections  qui  fè  firent   contre  les  Médi-      j^^i 

tations  de   Monfieur    Defcartes,  il  ne  s'en  trouva  point    — 1^ 

à  qui  le  Public  fît  plus  d'honneur  qu'à  celles  de  ceDodeur: 
^  Monfieur   Defcartes   les  jugeant  préférables  à  toutes  ^««f-  Mfl'.de 
les  autres  ne  fut  point  honteux  de  s'en  faire  honneur  de  fon  cieiidi^cr  du 
côté  comme  d'un  nouvel  appuy  pour  fà  Philofbphie.  Il  ne  10  d'Avdi 
tint  pas  à  luy  qu'il  n'entretint  cette  habitude  nailTànte  avec  ^*'^^' 
un  amy  de  cette  confequence.  Mais  Monfieur  Arnaud  quoy 
que  grand  Philofophe  6c  grand  Géomètre  avoit  dés-lors  tel- 
lement dévoué  fon  têms  à  la  Théologie  &:  à  tout  ce  quitou- 
choit  immédiatement  la  Rehgion,  qu'il  ne  luy  en  reftoit  pref^ 
que  plus  pour  les  exercices  desfciences  humaines.    M.  Defc. 
ie  contenta  donc  de  l'honorer  èc  de  l'aimer  fans  communi- 
cation.   Il  en  donna  des  marques  trois  ans  après  écrivant  Lettr.MiT.i 
d  l'Abbé  Picot  fur  les  chagrins  que  luy  donnoient  les  procez  AniïisAi 
que  les  Théologiens  Proteflansluy  avoiencfufJ:itez  àUtrecht 
êc  à  Groningue.»  La  difgrace  de  M,  Arnaud,  dit-il,  me  tou- 
che davantage  que  les  miennes.  Car  je  le  conte  au  nombre  ^    Troubles 
de  ceux  qui  me  veulent  du  bien  :  &  je  crains  au  contraire  que  c^  JJ^"^  ^^J^V^ 
iès  ennemis  ne  fbient  aufîî  pour  la  plupart  les  miens.  Toutes-  «t  comm'.^*^' 
€ois  je  ne  fcay  point  encore  le  fujetde  mécontentement  qu'il  cj 
peut  leur  avoir  donné  ;  2c  je  me  conlble  fur  ce  que  mes  écrits  ne  „ 
touchent  ny  de  prés  ny  de  loin  la  Théologie,  ôc  que  je  ne  crois  „ 
pas  qu'ils  y  puiilent  trouver  aucun  prétexte  pour  me  blâmer.  «^ 

Néanmoins  l'indifïerence  de  M.  Arnaud  pour  l'entretien 
d'un  commerce  de  lettres  avec  M.  Defcartes  n'alla  point  jufl 
qu'à  fè  refufèr  la  fatisfaclion  de  luy  donner  aux  occafions  des 
témoignages  de  fon  eftime.  Ayant  fçu  que  M.  Defcartes 
étoit  à  Paris  durant  l'Eté  de  Tan  1644,  il  ne  put  s'empêcher 
de  l'envoyer  vifiter  par  un  jeune  Ecciéfiaftique  de  fes  *  Amis,  *  m.  Waiiots 
&  de  luy  faire  offrir  fes  fervices.  Il  luy  fît  même  propofer  «^^^"«F^is» 
quelque  nouvelle  difficulté  fur  fa  manière  d'expliquer  la 
TranfFubflantiation  félon  fes  principes  ,  mais  plutôt  pour 
donner  matière  au  jeune  Eccléfiaflique  d'un  entretien  avec 
ce  grand  homme,  que  pour  avoir  de  luy  aucune  réponfè,  dont 
il  eût  befoin  fur  la  difficulté  propofée.  L'Eccléfîaftique  ren- 
dit conte  de  fà  vifîte  à  M.  Arnaud  avec  les  complimens  de 
M.  Defcartes  :  mais  il  ne  parla  prefque  que  de  la  flirprifè  ou 
il  avoir  été,  non  feulement  de  trouver  un  Philofophe  trés-ac- 

R  !  cefîible 


130  La  Vie  de  M.  Descartes. 

1^41,      ceiîible  &  trës-afFablc ,  mais  encore  de  voir  un  fi  grand  gé- 
'     ^  nie  dans  une  finiplicité  &  une  tacitarnité  toute  extraordi- 
naire. 
Tom.  i.^de»         Pour  revenir  au  livre  des  Méditations  Métaphyfiques, 
tgi/     °'       nous  avons  vu  que  M.  Dcfcarrcs  avoit  fait  prier  M.  des  Ar- 
gues de  vouloir  être  du  nombre  de  fèsjuges.  Mais  il  iè  con- 
tenta d*en  être  le  ledeur  &:  Tapprobateur.    Au  lieu  de  fbn 
jugement ,  il  fit  tenir  à  M.  Defcartes  par  le  P.  Merfènne  uii 
papier  qui  félon  toutes  les  apparences  contenoit  le  projet  on 
Pac.içô.ibid.    i^*ne  portion  du  livre  de  la  manière  de  fofer  l'e_(Jïcu  aux  Cadram 
folâtres  y  qu'il  publia  quelque  têms  après.  M.  Deicartes  le  lue 
ij   avec  plaiîîr ,  &  trouva  que  l'invention  en  ëtoit  fort  beile ,  ôc 
SI   d'autant  plus  ingénieufe  qu'elle  étoit  plus  fimple.  Elle  ëtoic 
parfaitement  conforme  à  la  théorie,  mais  il  luy  fit  donner 
pour  réiiffir  plus  jfurement  dans  la  pratique  un  expédient 
plus  commode  que  celuy  qu'il  avoit  inventé.  >M.  des  Argues 
Ces  deux     luy  avoit  fait  en  même  têms  préfent  d'un  nouveau  livre  de  ià 
M  ^'^?"Ar-     compofition  touchant  la  manière  de  couper  les  pierres  à  ba- 
gues- ne  fu-     tir.     Le  livre  parut  fous  le  titre  de  la  Pratique  du  trait ,  ^ 
rent  publics      Prcuves  four  la  coupe  des  pierres  dans  V Architeciure .    M.  Def. 
^hcz"  d«^      cartes  le  parcourut  fur  le  champ,  &  il  ne  différa  de  l'étu-. 
Hayes  rue  de   djer  ,  que  pârcequ'il  n'en  avoit  pas  encore  reçu  les  figrres  qui 
u  Haipe.        étoient  de  la  gravure  d'Abraham  BolFe.  Il  en  fit  remercier 
?  Auteur  par  le  Père  Merfènne,  à  qui  il  donna  en  même  têms 
commiffion  dp  luy  faire  fc^avoir  ce  que  M.  des  Argues  difoic 
avoir  trouvé  touchant  l'Algèbre ,  afin  qu'il  pût  juger  en  peu 
de  mots  de  ce  que  ce  pouvoit  être.  M .  Defcartes  avoit  le  goût 
afiez  difficile  :  mais  foit  que  l'amitié  l'aveuglât  ,  fbit  que 
M.  des  Argues  fût  un  trés-habile  homme ,  il  avoit  coutume  de 
loiier  tout  ce  qu'il  voyoit  de  hiy  ,  &  il  l'ellimoit  avec  d'au- 
tant plus  deraifbn,  qu'il  voyoicque  M.  des  Arguesfaifbitfèr- 
vir  fes  connoi{îances  à  l'utiliré  publique  de  la  vie  plutôt  qu'à 
Ja  vaine  fàtisfadion  de  nôtre  curiofité.  Son  génie  luy  fit  en- 
core produire  d'autres  ouvrages  dans  la  fuite  à^s  têms ,  & 
Leur.  Mff.  à     M.  Dcfcartes  en  fut  toujours  partagé  des  premiers.    De  ce 
DécembrV"    nombre  furent  le  livre  de  la  PerfpeHive^  àc  celuy  de  lama- 
1643.  mère  dQg?^rjer  en  taille  douce  a  l^  eau  forte.  M.  des  Ar2;ues  ne 

fit  plus  rien  après  la  mort  de  M.  Defcartes ,  auquel  il  flirvé- 
cjuit  de  plus  d'onze  ans ,  étant  prés  de  trois  ans  plus  âgé  que 

luy 


Livre    VI.   Chapitre   V.  131 

îtiy.  II  avoit  préféré  la  vie  retirée  à  celie  de  la  Cour  dés  le       164.1. 

vivant  de  fon  amy  ^  &  il  pafTa  le  relie  de  Tes  jours  à  n,éditer 

fur  ks  Mathématiques ,  &:  à  cultiver  le  bien  qu'il  avoit  à 
Condrieu  dans  leLyonnois, 


CHAPITRE     V. 

ja/Ioire  des  cinquièmes  OhjccHons  faites  par  M.  GdJJendi  venti 
nouvellement  de  fa  province  four  lAjfemblèe  du  Clergé  à, 
Mante  ,  ^^  four  s'établir  k  Paris,  Origine  de  l'animofté  (^ 
de  la  jaloufe  de  M.  Gaffendi  contre  M,  De  [cartes,  'jugement 
de  M.  De  [carte  s  fur  la  Dijfercation  que  M.  Guffendi  avoit 
faite  autrefois  des  Parhelies  de  Rome.  Douceur  eb"  modération 
de  M.  Gaffendi,  Sonadre[fe  ^  fa  difjîmulation  envers  M.  Def 
cartes.  Sincérité  choquante  de  celuy-cy  dans  la  réponfe  à  fes  Ob* 
jeclions.  BroUillerie  de  ces  deux  amis  entretenue  ^  auginentée 
dans  la  fuite  par  quelques  efprits  inquiets.  Hiftoire  des  fixiémes 
objeclions.  Edition  des  Méditations.  Modejlie  de  M.  De  fartes 
fur  le  titre  de  fes  réponfes.  Réflexion  fur  les  approbations  du  li- 
vre mis  long-tems  après  à  /'Index.  Objeclions  de  Huelnerus 
venues  après  coup.  Eloges  des  Méditations  de  M,  De  fartes ,  d^ 
de  la  Méthode  d'Acontius  par  cet  Eiuelneriu, 

LE  nombre  àcts,  objeâ;ions contre  les  Méditations  Meta- 
phyfiques  n'augmentoit  pas  autant  que  M.  Defcartcs^ 
témoignoit  le  fouliaiter  :  &  Tindullrie  du  P.  Merfènne  ne 
réiiffiiîoit  pas  comme  y\  l'avoit  efpéré  d'abord  à  luy  fufciter 
des  cenfeurs  qui  fulTcnt  capables  d'en  faire,  ou  qui  en  eufl 
fènt  la  volonté.  11  (emble  que  la  Providence  voulut  tirer  l'un 
6c  l'autre  d'inquiétude  en  faifànt  venir  M.  Gaffendi  de  Pro* 
vence  à  Paris ,  où.  elle  luy  deftinoit  un  établiffement  par  des 
voyes  toutes  oppofces  à  celles  par  où  elle  avoit  conduit 
M.  Defcartes.  Elle  avoit  fait  paffer  celuy-cy  du  grand  monde 
dans  une  folitude  pour  cultiver  la  Philofbphie  :  &:  elle  tiroic 
celuy-là  d'un  coin  de  province  pour  le  produire  en  public 
fur  le  premier  théâtre  du  royaume.  Etant  arrivé  à  Paris  le  Qx^ttiA. 
o  de  Février  de  l'an  \Ga.\  ,  il  ne  manqua  point  de  rendre  vi-  epiftoiar.j 
iice  au  Père  Merienne  qui  etoit  lun  é^s  principaux  amis   ^  opcr. 

R  ij  qu'il 


131  La    V  I  £  DE   M.    D  ESC  ARTES. 

I  <3  41.      qu'il  eût  dans  la  ville.  Le  Përc  cherchant  à  le  régaler ,  n'eut 
■   point  de  nouveauté  plus  importante  à  luy  communiquer  que 
le  manufcrit  des  Méditations  de  M.  Defcartes:  mais  il  ne  luy 
en  propofa  la  ledure  que  comme  une  faveur  qui  ne  s'accor- 
doit  qu'à  ceux  qui  s'engageoientà  lareconnoître  par  des  ob- 
jedions  contre  l'ouvrage.  M.  Gaiîendi  voulut   bien  acheter 
cette  fatisfadion  à  ce  prix-là  :  mais  il  demanda  fîx  fèmaines 
de  terjTie  au  Père  pour  pouvoir  s'acquiter  de  fa  dette.   L'oc- 
çafion  principale  de  Ton  voyage  à  Paris  étoit  une  affaire  qu'il 
vouloit  faire  terminera  l'Aflemblée  du  Clergé  qui  devoitfè 
tenir  à  Mante  en  Vexin  :  &  il  falloit  partir  le  xxiii  de  Février 
pour  être  préfent  à  l'ouverture  de  l'Aflemblée  qui  devoitfè 
Pa<T.  103.  &     ^^^^^  1^  XXV.  Dés  le  premier  jour  fonafEiire  touchant  la  dépu- 
Ï04.  ibid»       tation  de  fà  province  avoit  été  propofée  par  les  foins  de  divers 
Prélats  à  qui  il  l'avoit  fait  recommander  par  plufieurs  de  fes  a- 
mis.  On  luy  donna  des  Commifîaires  de  l'un  &  de  l'autre  or- 
dre du  Clergé  pour  l'examiner.   M,  l'Archevêque  deTou- 
ioule  qui  en  étoit  le  premier ,  &:  qui  connoiflbit  le  mérite  èc 
l'humeur  deM.GafTendi  la  fit  régler  au  plûtôt,pour  le  délivrer 
Vi<r.  104.     des  embarras  des  affaires  civiles  par  un  accommodement  avec 
col.  ï.sc  î.     fàPartie,qui  le  rétabliffoit  dans  le  repos  nécefïaire  à  (bs  étu- 
çpift.  Gaff.      ^^^    j^  partit  de  Mante  dés  le  fécond  jour  de  Mars  5  &  âés 
qu'il  fut  de  retour  à  Pans,  il  manda  Ces  livres  6c  fes  papiers 
de  Digne  poiir  travailler,  non  feulement  à  l'édition  de  la 
vie  de  M.  dePeirefc  qu'il  avoit  compofëe  quelque  têms  au- 
paravant, mais  encore  à  la  réflitation  qu'il  méditoit  des  Mér 
ditations  de  M.  Defcartes,    . 

L'amitié  qui  avoit  uni  ces  deux  grands  hommes  jufqu'a- 
îors  n'étoit  jamais  montée  jufqu'au  degré  où  les  amis  ne  font 
plus  en  état  de  découvrir  ou  de  fe  reprocher  leurs  défauts 
quand  ils  y  font  arrivez.  Telle  qu'elle  étoit  dans  les  com- 
mencemens  de  leur  connoiflance,  M.  Defcartes  l'avoir  tou- 
jours confervée  dans  une  fituation  égale  :  mais  il  n'en  étoit 
Depuis  Tan  plus  de  même  du  coté  de  M.  GafTendi  depuis  l'édition  du 
Î637.  traité  des  Météores  de  M.  Defcartes.  M.  Gaffendi  étoit  un 
homme  charmant  pour  le  commerce  de  la  vie.  Il  étoit  grand 
diftributeur  d'éloges  à  l'égard  de  toutes  fortes  de  gens  de 
Lettres,  fi  l'on  en  excepte  les  Péripatéticiens,  ou  les  feétateurs 
d' Ariflote  qui  étoient  devenus  l'objet  de  fès  inimitiez.  Mais 

al 


L  I  V  R  E    V  I.    C  H  A  P  I  T  R  E     V.  135 

il  n'avoit  pii  fè  mettre  au  nombre  desSçavans  fans  encon-     i  ^  4^. 
trader  l'humeur,  llavoit  appris  d'eux,  &  fur  tout  des  Hu-  * 

maniftes  ou  Philologues,  à  répandre  l'encens  avec  unelibé- 
rahte  intërcflee,  dans  Tnitention  d'en  recevoir  réciproque- 
ment :  &  s'il  n'avoit  point  la  maladie  des  Poètes,  quieft  de 
vouloir  être  lotie,  il  Icmbloit  être  atteint  un  peu  de  celle 
des  Grammairiens ,  qui  efl  de  vouloir  être  cité  dans  les  écrits 
des  autres. 

Il  en  avoit  donné  quelque  marque  lors  qu'on  wid  paroi- 
tre  les  EfTais  de  la  Philofbphie  de  M.  Defcartes.  Celuy  de 
ces  Ellais  qui  revenoit  le  plus  au  genre  de  Ces  études  étoit 
le  traité  des  Météores, où  M. Defcartes  n'avoit  pas  oublié 
le  Phénomène  des  Parhélies  ou  faux  fbleils  qui  avoient  pa^  voyer  cy- 
ru  à  Rome ,  &  dont  l'obfervation  avoit  été  envoyée  en  Fran-  ^  ^V'" 
ce  par  le  Cardinal  Barberin.M.Gafîendi  trouva  qu'il  n'y  étoit  4.  de  cette* 
pas  cité;,  èc  regarda  le  fîlence  de  M  Defcartes  comme  une  ^i^* 
injuflice,  par  rapport  à  la  créance  où  il  étoit  queM.Defcar, 
tes  n*avoit  eu  communication  de  cette  obfèrvation  que  par 
fbn  canal;,  èc  qu'il  n'avoit  pu  ignorer  une  Diflertation  qu'il 
en  avoit  faite,  &  qu'il  avoit  addrefîee  à  M.  Reneri  leur  ami 
commun.  M.  Defcartes  qui  avoit  abandonné  ce  genre  d'é- 
rudition qui  ne  s'acquiert  que  par  la  lecture  des  Auteurs , 
&c  qui  faifoit  profeiTion  de  n'écrire  que  fur  fes  propres  mé- 
ditations, ne  pouvoit  point  par  conféquent  s'afTujettir  à  la 
citation  des  autres.  Mais  s'il  eût  pu  prévoir  la  délicatefîe  de 
M.  Gafîéndi  fiir  ce  point ,  il  n'eût  eu  garde  fans  doute  de 
luy  rcfufèr  une  fi  légère  fàtisfadion  pour  confèrver  fbn  ami- 
tié. Quand  le  Père  Merfènne  luy  eût  fait  connoître  la  fau^ 
te  que  fbn  ignorance  luy  avoit  fait  commettre  ,  il  ne  put 
s'empêcher  d'admirer  la  modération  qu'avoit  eue  M.  Gafl 
fèndi  de  retenir  fbn  refîentiment  pendant  plus  de  trois  ans , 
jugeant  qu'il  ne  fe  feroit  peut-être  pas  encore  expHqué  Ci- 
tât fur  fon  mécontentement ,  Ci  la  vûë  de  Ces  Méditations 
Métaphyfiques  ne  l'en  avoit  Cait  fbuvenir.  Mais  d'un  autre 
côté  il  ne  put  comprendre  comment  un  homme  qui  fiifoit 
profefîion  de  ne  jamais  s'émouvoir  contre  ceux  même  qui 
luy  en  donnoient  fiijet,  s'étoit  rendu  fenfible  à  une  bagatel- 
le fans  aucun  fujet.  C'eft  ce  qu'il  fit  connoirre  au  P.  Mer^ 
/ènne  vers  le  commencement  du  mois  d'Avril  en  luy  mar- 

R  *  iij  quant 


134  La   ViEde   m.   Descartes. 

1641.      quant  le  peu  de  cas  qu'il  faifoit  de  fa  DilTcrtarion  &  de  ceL 

^ le  de  Schickard  Mathérnaticien  de  Tubingue  fur  le  Plicno- 

Tom.  1.  des     mène  des  Parliélies.  »  Je  vous  alFdre  ,  dit-il  au  Père ,  qu'il 

i$6.^^^'    "  ^^'y  ^  P^^  ^^^^  ^^^  ^^^^^  ^9  raifbnnement  dans  le  livret  Alle- 

»3  mand  de  Guill.    Schickard  qui  fik  ci  mon  ufage,  non  plus 

>3  que  dans  la  Lettre  ou  Viffertation  Latine  que  M.   Gaiîen- 

«  di  a  écrite  à  M.  Reneri  iiir  ce  môme  Phénomène.     Mais 

«  celuy-cy  a  tort  s'il  s'ofïenfe  de  ce  que  j'ay  tâché  d'écrire  la 

»5  vérité  d'une  chofè  dont  il  avoit  auparavant  écrit  des  chi  né- 

»3  res  :  oii  s'il  a  crû  que  je  devois  le  citer  en  ce  heu-Ià,  où  je 

)5  n'ay  pas  eu  de  luy  une  feule  chofè,  finon  que  c'eft  de  fès 

y.  leder-    »  mains  que  robfèrvation  du  Phénomène  de  Rome  qui  eft  à 

dwMéféo-  "  ^^  ^'^  ^^  ^^^^  Météores  eft  venue  à  M.  Reneri  ^  bc  delà  à 

les.  î5   moy,  comme  par  \qs  mains  àçs  melTagers  &  fans  qu'il  y  ait 

>5  rien  contribué.  J'aurois  crû  luy  faire  plus  de  tort,  fî  j'avois 

«  averti  les  ledeurs  qu'il  a  écrit  de  ce  Phénomène ,  que  je  n'ay 

«  fait  de  m'en  taire. 

Cette  mauvaifè  difpofîtion  de  l'èfprit  de  M.  GafTendi  ac- 
compagnée d'une  jalon fîe  fecrète  que  la  réputation  ou  \qs 
defîeins  de  M.  Defcartes  avoientfait  naître  en  Iuy_,  fut  un 
préfervatif excellent  contre  fà  douceur  naturelle, qui auroiî 
été  à  craindre  dans  fès  objections  contre  \qs  Méditations, 
où  M.  Defcartes  avoit  befoin  de  toute  la  fè vérité  des  plus 
habiles  cenfèurs.  Il  n'oublia  rien  pour  fè  bien  acquiter  de 
la  réfutation  qu'il  avoit  entreprifè.  La  dili2;ence  qu'il  y  ap- 
Pag.  10^.  &  porta  fut  fî  extraordinaire  que  àés  le  troifième  jour  de  May 
Ï07.  Epift.  il  manda  au  Comte  d'Alais  ,  depuis  Duc  d'Angoulefme 
Gouverneur  de  Provence  &  fôn  patron  particulier,  qu'il  é- 
toit  déjà  vers  la  fin  de  fon  examen.  Le  travail  dura  néan- 
moins jufqu'au  XIV.  du  mois,  auquel  reprenant  la  complai- 
fànce  qu'il  avoit  tâché  de  fufpendre  dans  tout  fbn  Ecrit,  il 
finit  par  une  proteftationquefbn  unique  delîeiii  en  écrivant 
contre  M.  Defcartes  n'avoit  été  que  de  s'entretenir  dans 
l'honneur  de  fbn  amitié ,  qu'il  prétendoit  fe  confèrver  invio- 
/  lablement.  Il  ajouta  que  s'il  luy  étoit  échapè  quelque  cho- 
fè qui  parût  trop  dur  ou  avancé  d'une  manière  inconfîdé- 
rée,  il  le  dèfàvoiioit  fur  l'heure  ,  &  confentoit  que  tout  ee 
qui  poarroit  déplaire  à  M.  Defcartes  fût  rayé  de  Çon 
Ecrit,  ' 


Livre  VI.    Chapitre  V.  135 

Ses  lîonnêtetez  ne  Ce  bornèrent  pas  à  une  fi  belle  fn  :  il      16  4  r. 

voulut  encore  écrire  dés  le  lendemain  une  lettre  particulière  à         

M.  Defcartes,  qui  jufques-làn'enavoitjamaisre^iideluy,  6c 
qui  ne  luy  avoit  jamais  écrit.  La  lettre  étoit  pléne  d'éloges , 
non  feulement  pour  Te/prit  de  M.  Defcartes  ,  mais  pour 
l'ouvrage  même  qu'il  avoit  entrepris  de  cenfurer  ,  en  luy 
narquant  que  la  grandeur  du  fujet,  la  force  des  penfees,  éc 
la  pureté  de  la  didion  luy  avoient  plu  extraordinairement. 
Il  le  félicita  même  du  grand  fucccs  avec  lequel  il  travailloit 
à  l'avancement  de  la  véritable  Icience.  Mais  ce  qu'il  ajouta 
enfuite  touchant  le  prétendu  déplaifir  qu'il  avoit  de  l'obli-- 
gation  que  le  P.  Merfènneluy  avoitimpofée  de  luy  envover 
fès  doutes  èc  les  fcrupules  j  touchant  l'a  prétendue  incapaci- 
té i  touchant  la  foiblelle  de  fès  raifbnnemens  &  l'inutiRté 
de  fès  réflexions,  étoit  le  fruit  d'une  difîîmulation  fi  fine  6c 
fî  approchante  de  la  modeflie,  que  pluficurs  ne  firent  point 
difficulté  de  la  préférer  à  la  fincèrité  fimpie  ôc  auflère  de 
M.  Defcartes,  &  d'improuver  la  droiture  choquante  avec 
iaquelle  ccluy-cy  jugea  à  propos  de  luy  répondre. 

Ce  langage  affedé  de  M.  Gaflèndi  n'étoit  que  pour  M. 
Defcartes.    Il  en  avoit  un  autre  pour  ceux  avec  lefquels  il 
traitoit  fans  difîîmulation ,  tels  qu'étoient  les  Miniftres  M. 
Daillé  en  France  èc  M,  Rivet  en  Hollande,fès  amisparticu^ 
Hers.  Il  ne  fut  pas  honteux  d'avouer  à  ce  dernier  qu'il  n'a-     §iuod  Meta^ 
-voit  examir.é  de  (îprés  la  métaphyftcjuc  de  M.  Defcartes  aue  par-  Phfi^^'^  ^'"' 
ce  qu  U  avoit  ret^u  de  luy  quelqtie  maUhonnetete.  11  raut  lailler  a  fius  dtfqutfie- 
d'autres  la  commifTion  de  conciher  M.  Gaflèndi  parlant  de    '"'"''  f»^"^ 
M.  Defèartes  avec  M.  GalTendi  parlant  à  M.  Defcartes ,  fulTmft 
fans  arrêter  le  leéteur  fur  la  confidcration  d'un  motif  fî  peu  g^ffif^t  pruer 
digne  d'un  Prêtre  Cathchque  de  d'un  homme  qui  affedoit  '^'^ll"'"\. 
de  pafTer  pour  le  plus  doux  des  Scavans.  piftfcoi.'  i. 

Mais  quoique  la  vengeance  de  M.  GafTendi  fut  fans  fon-   "^"^°- 
dément  &  trés-injufle  en  elle-même,  elle  ne  lailTà. pas  d'ê^ 
tre  utile  à  M,  Defcartes,  qui  recrût  fbn  écrit  par  la  voye  du     Le  p.  Mcr- 
P.  Merfènne  fous  le  titre  de  Difquijitio  Mètaphyjica  feu  Dubi-   ^^""e  l'en- 
tationcs^  é^c.  Il  y  répondit  d'une  manière  moins  afFedée  fans   ^ndVic  V?^' 
doute  que  n'avoit  été  celle  de  Monileur  GafTendi,  dont  le  deMayis+u 
fliie  luy  parut  très-beau  &  très-agréable  ,  quoiqu'il  voulût 
ft  perfuader  qu'il  avoit    moiiis  employé  les  raift:)ns  d'un 

Piiilofophe 


î^ê  La    Vie   de   M.    Descartes. 

1^41.      PJiilofophe pour  réfuter  {qs  opinions,  que  ks  artifices  d'un 

' Orateur  pour  les  éluder.    Mais  on  ne  peut  nier  que  Je  defir 

de  ménager  davantage  fon  Adverfaire,  l'empêcha  de  foàt-2- 
nir  le  caractère  de  fa  (Implicite  ordinaire.    Car  s'étant  mis 
en  tête  de  faire  répondre  VEfprit  à  la  Chair,  comme  fi  c'é- 
toient  deux  perfonnages  qu'il  eût  voulu  introduire  fur  le 
théâtre,  il  donna  heu  à  M.  GalTendi  de  fe  reconnoître  fous 
celuy  de  la  C^^z/r,  malgré  la  précaution  qu'il  avoit  prife  pour 
luy  ôter  cette  penfée  dés  le  commenceiiient  de  fa  réponfè. 
(AïLolk.  *'   ^^  ^^^  ^^"^  ^^^"  qu'après  avoir  levé  le  mafque  à  la  fin  il  vou- 
»  lut  faire  les  éloges  de  M.  Gaiîendi  comme  d'un  parfait  6c 
»   fubtil  Philofbphe  3  comme  d'un  perfonnage  autant  recom- 
>3  mandable  pour  l'intégrité  de  (qs  mœurs  &  la  candeur  de  fon 
«   efprit,  que  pour  la  profondeur  &  la  fubtilité  de  fa  dodrine. 
En  vain  protefta-t'il  que  fbn  amitié  luy  feroit  toujours  trés- 
chére ,  &  qu'il  tâcheroit  de  la  mériter  de  plus  en  plus.    En 
vain  luy  témoigna-t'ii  la  joye  6c  la  reconnoilPance  qu'il  a- 
voit  pour  fbn  beau  difcours ,  dans  lequel  nonobftant  fà  lon- 
gueur Se  fbn  exactitude ,  il  n'avoit  apporté  aucune  raifbn  qui 
eût  pu  détruire  les  fiennes.  M.  Gaflendi  ne  parut  pas  en- 
tièrement content  de  ce  lan2;age  ,  autant  qu'on  peut  le  con- 
jeéturer  par  les  plaintes  qu'il  en  fit  à  M.  le  Comte  d'Alais, 
Epiftol.  GafT.    6c  il  s'imagina  que  M.  Defcartes  avoit  voulu  payer  fes  com- 
pag.  in, m.    pliixiens  en  efpéces  fèmblabies.     Il  luy  en  fit  une  querelle 
•  °?^^-  ferieufêj  que  quelques-uns  de  fes  amis  ^  quelques  efprits 
brouillons  eurent  grand  foin  d'entretenir  par  de  faux  rap~ 
ports  ^  des  médifances  qui  détrui firent  une  partie  de  la 
chanté  que  cqs  deux  Philofophes  chrétiens  fè  dévoient  l'un 
à  l'autre.  Nojs  parlerons  de  la  réplique  de  M.  Gaiîendi  en 
{on  lieu.  Ilfiifiit  de  dire  maintenant  qu'il  n'y  eut  que  fà  Dif^ 
quifition  avec  laRéponle  de  M. Defcartes  qui  entra  dans  la 
première  édition  des  Méditations  fous  le  titre  de  cinquièmes 
ohjefhons.    Mais  fiir  quelques  plaintes  que  M.  Gafîendi  fit 
au  P.  Merfènne  touchant  cette  rèponfe,  M.  Defcartes  fans 
en  vouloir  rien  rabatre  fc  crut  obligé  de  récrire  au  Père  en 
Tom.z,^es      ^^^  termes.  55  II  me  fèmble  que  M,  Gaiîendi  feroit  fort  in- 
%f%\     **'  »  jufte,  dit-il ,  s'il  s'ofFenfbit  de  la  rèponfe  que  je  luy  ai  faite. 
»  Car  j'ay  eu  foin  de  ne  luy  rendre  que  la  pareille ,  tant  à  fes 
>3  comphmens  qu'à  i^s  attaques  „  quoiqu'il  ait  eu  l'avantage 

fur 


ce  — 

C( 
(C 

et 

C( 


Livre    VI.    Chapitre  V.  137 

fur  moy,  en  ce  que  j'ay  toujours  oûy  dire  que  le  premier  coup  ^^  j  6  4.1. 
en  vaut  deux  :  de  ibrte  que  quand  je  luy  aurois  rendu  le 
double,  je  ne  Taurois  que  juftement  payé.  Il  fe  peutfaire  qu'il 
/bit  touché  de  mes  réponics,  àcaufe  qu'il  y  reconnoît  la  Vé- 
rité :  mais  pour  moy  ,  je  ne  l'ay  point  été  de  fes  objections 
pour  une  raifon  toute  contraiie.  Si  cela  eft,  ce  n'cll  point 
ma  faute* 

Cependant  le  Père  Merfenne  ramaflbit  tout  ce  qu'il  pou- 
voit  obtenir  d'objections  dans  Paris  6c  dans  les  provinces , 
èc  les  envoyoit  à  M.  Defcartes  à  mefure  qu'il  les  recevoit , 
outre  celles  qu'il  tâchoit  de  former  luy-même  par  une  étu- 
de réitérée  de  fcs  Méditations.  M.  Defcartes  les  voyant  de     Tom  1.  des 
diverfes  pièces  ôc  de  comportions  difFé rentes  tâcha  de  leur    ^'^^  P^S-'^^- 
donner  quelque  ordre ,  6c  les  tranfcrivit  toutes  de  fa  main 
en  la  manière  qu'elles  pouvoient  le  plus  commodément  être 
jointes  enfemble.  Il  les  renvoya  enfuite  avec  la  réponfe  qu'il 
y  fit.     Le  Père  Merfcnne  leur  donna  pour  titre  en  Latin 
Jîxiémes  O'^jccUonsfaites  par  divers  Théolo'^tens  ,  Philofophes  (^ 
Géomètres.    En  qaoy  il  exécuta  ponduellcment  la  prière  qui     Xom.  j.  «îc$ 
luy  en  avoit  été  faite  par  M .  Defcartes ,  qui  avoit  recomman-  '^"'^'  P^S 
dé  principalement  de  laifîer  pour  infcription  à  /es  répon/ès, 
Refponfio  ad  ohjcciiones^  plutôt  que  d'y  mettre  celuy  de  Solu- 
tiones  objeHionum ,  afin ,  difbit-il ,  de  laifîer  juger  au  leèteur  /i 
io.'^  réponfes  en  contenoient  les  folutions  ou  non.  Car,ajoûta- 
t'il ,  il  faut  laifïer  mettre  Solutiones  à  ceux  qui  n'en  donnent 
que  de  faufîes  :  comme  font  ordinairement  ceux  qui  ne  font 
pas  nobles,  6c  qui  fè  vantent  le  plus  de  l'être. 

Le  P.  Mer/ènne  croyant  n'avoir  plus  rien  à  attendre ,  paf^  Le  2.  d7-o« 
/à  le  privilège  du  hvre  au  Libraire  par  procuration  de  M. De/1  i^f- 
cartes,  6c  fît  expédier  l'édition  qui  ne  parut  achevée  que  le 
28  jour  d'Août  de  l'an  1641.  Mais  au  lieu  de  fe  contenter 
de  faire  marquer  au  bas  de  la  première  feuïUe  que  le  livre 
pâroifToit  avec  V approbation  des  Docteurs  comme  avec  le  pri- 
vilège du  Roy ,  nous  fbuhaiterions  aujourdnuy  qu'il  eût  fait 
mettre  une  copie  de  ces  approbations  en  bonne  forme  , 
comme  il  a  eu  foin  de  n'y  pas  omettre  l'extrait  du  privilè- 
ge. Ny  les  approbations,  ny  le  privilège  n'ont  pas  empê- 
ché que  le  livre  des  Méditations  avec  les  Objections  n'aie 
été  mis  vingt-deux  ans  o,^rés  à  V/ndex  de    Rome  par  les    Amn^^j. 

S*  foins 


^99,  600. 


C( 
Cl 

ce 

C( 

ce 


138  La  Vie  de  M.  Descaktes. 

164.1.      ^^^'-^'^  &  rinduflrie  du  Père  Fabri,avcc  la  reftridion  de  la 
■  clémence  ordinaire  des  J'^^iges  de  la  Congrégation  félon  la 

formule  (lonec  comgatur,  dont  l'éxecution  eit  remifè  aux  ca- 
lendes Grecques. 
Tom.  1.  des        Le  Pérc  Merlénne  fe  conceiita  d'envoyer  trente  ou  qua- 
&pa/\^n"^'   rante  exemplaires  en  Hollande,  comme  M.  Defcartcs  l'en 
avoit  prié.  Il  diilribua  les  autres  lur  le  pied  des  libéralité^ 
qui  s'étoient  pratiquées  dans  la  diltnbution  des  Ellliis  ;  mais 
v.pag.  m.   M.  Defcartcs  luy  recommanda  fur  tout  de  ne  pas  oublier 
où  l'on  void     Jvl.  le  Cardinal  de  Bag-ne  qui  iuy  faifoit  l'honneur  de  fe  fou- 

qu'ils  s'écri-  ■     ^     «•  j     1 

voient erKore.   venir  toiijours  de  luy. 

Peu  de  jours  après  la  publication  du  livre,  ce  Père  reçut 
quelques  objections  nouvelles  de  la  part  a'un  fçavant  Carte, 
fien  nommé  le  lieur  Huelner^  qui  luy  manda  qu'il  luy  en  auroit 
envoyé  un  plus  grand  nombre  s'il  ne  s'étoit  rencontré  dans 
Lettr.  du^j     plufieurs  réfléxions  avec  l'Auteur  des  fécondes  Objections,  6c 
Août  16^1.      avec  M.  GaiT^ndi  Auteur  des  cinquièmes  qu'il  trouvoit  très- 
ii^lafemir   cxacles.  Il  ne  les  envoya  point  dans  le  deirein  de  les  rendre 
Ms.  publiques  ^  mais  de  faire  connoitre  feulement  le  refpecl  & 

l'eflime  qu'il  avcit  pour  M.  Defcartes.  Il  témoignoit  goii- 
ter  fur  toutes  choies  la  méthode  avec  laquelle  il  avoit  traité 
Ion  fiTJet  j  il  en  admiroit  les  propriétez,  &  reîevoit  les  o- 
vantao;es  qu'elle  avoit  fur  celle  des  Ecoles  ordinaires.  Mais 
iiir  tout  il  eftimoit  fon  jugement  ,  6c  les  raifbns  pour  lef^ 
quelles  il  avoit  préféré  la  méthode  analytique  ou  de  réfb- 
Jution^jà  la  méthode  (ynthétiqueow  de  compofition,  tant  pour 
enfeigner  que  pour  démontrer.  11  n'avoit  encore  trouvé 
rien  de  femblable  jufques-là  hors  le  petit  livre  de  la  Métho- 
de compofé  par  Jacques  Acontius ,  qui  outre  cet  excellent 
traité,  avoit  encore  donné  un  bel  eilay  de  la  Méthode  ana- 
lytique dans  Çon  livre  des  Stratagèmes  de  Satan^  qu'il  confeil- 
le  de  lire  à  tous  ceux  qui  aiment  la  paix  de  i'Eglife,  quoi- 
que Acontius  n'y  fbit  pas  exempt  des  préjugez  de  fa  Com- 
munion, &  qu'il  ait  eu  intention  d'y  favorifer  ceux  de  fbn 
parti. 


Ch  AP. 


LivKE  VI.  Chapitre  VI.  139 


CHAPITRE     VI. 

Voctitis  efl  fait  RcHeur  de  llJniverjîté  d'Vtrecht,  Regiris  crai^ 
quant  four  la  philofophie  de  M.  De  [cartes  ^  four  kiy^ynème  ^ 
luy  fait  fa  cour  ^  liiy  rend  toutes  fortes  de  foùnufjions .  il  luy 
donne  fe s  Thcfes  à  corriger  p.ir  déférence,  ï! éclat  de  ces  Thcfes  luy 
fait  ref  rendre  fa  mauvaife  volonté  contre  luy  (^  contre  M.  De f~ 
cartes.  Régius  choque  les  autres  Profeffcurs  mal  a  frofos.  Il 
envoyé  fes  Théfes  a,  corrKicr  à  iW.  De  fartes^  ^  luy  demande 
les  fecours  nêciffaires  four  mettre  fes  dogmes  hors  d'atteinte. 
VoctiiM  rc(^oit  réfonfe  aux  foUicitations  quil  avoit  faites  au-^ 
prés  du  P.  Merfenne  pour  le  faire  écrire  contre  2^/1.  Defcartes. 
Grands  éloges  de  la  Philofophie  de  M.  Defcartes  conforme  k  la 
doctrine  d.e  S.  Auguftin  ^  utile  à  la  Religion.  Pratiques  de 
Voetius  contre  Regius  quil  veut  faire  déclarer  hérétique.  Thé- 
fes de  yoetitM  contre  les  opinions  de  Régitis  ^  de  M.  Def- 
cartes. 

TAiidis  que  M.  Defcartes  ëtoit  occupé  de  (es  rëpoiifes 
aux  objcdions  que  l'on  faifoit  à  fes  Méditations  Méta- 
ph\  fiques ,  le  Muiiftre  Vo^tius  Profefleur  cnThéqlogie  for-  Epift.  z\  F. 
tifîoit  de  plus  en  plus  le  parti  qu'il  avoit  commencé  àfbale^  Dinct.  an.itf, 
ver  dans  l'Univerfité  d'tJtrecht  contre  fa  Philofophie.  Ju{^ 
qucs-là  il  n'avoit  ai^i  que  par  à^ts  bruits  odieux  qu'il  avoit 
fait  fcmer  parmi  le  peuple,  &  par  divers  libelles  qu'il  avoit 
eu  foin  de  faire  gHlFer  auprès  de  ceux  qu'il  avoit  ju2;é  capa- 
bles de  prévention.  Mais  il  procura  un  grand  renfort  à  fa 
faclion ,  lors  que  par  un  effet  de  fes  intrigues  il  fe  vid  élevé 
au  Redorât  de  l'Univerfité  le  xvi  de  Mars  1641,  ôc  revêtu 
de  prefque  toute  l'autorité  qui  étoit  néceflaire  pour  l'exé- 
cution de  fes  defTeins  fur  M.  Defcartes.  M.  Re5;ius  pré- 
voyant que  les  efforts  du  nouveau  Reéteur  dévoient 
tomber  fiir  luy  chercha  tous  les  moyens  de  le  gagner  ,  011 
du  moins  de  prévenir  les  effets  de  fa  mauvaife  volonté.  Il 
alla  d'abord  le  féliciter  de  fbn  P^edorat,  &  luy  ofR-ir  {qs  fou- 
mifîions.  L'ayant  mis  en  belle  humeur  oar  fès complimens, 
il  crut  luy  faurc  fa  cour  en  luy  propofant  de  fignaler  fon 

S*  ij  Rectorac 


(541. 


140  La  Vie  de  M.   Descartes. 

Rectorat  par  quelque  adion  éclatante  pour  laquelle  il  luy 
offiroit  Tes  fervices.  11  voulut  luy  perfuaeier  qu'il  avoit  con-. 

Narrac.  lufto-  qû.  un  dciFcin  ttés  propre  à  cela ,  (ans  luy  dire  encore  néan- 

pae  f7"i8  i^^oins  quc  cc  defîem  n'etoit  autre  que  celuy  de  publier  fà 
Pliilofophie  nouvelle  avec  Tapprobation  de  l'Univjriité  en 
corps.  Voetms  qui  n'étoit  point  accoutumé  à  rejetter  les 
Gccafions  d'acquérir  de  la  gloire ,  crut  que  Regius  vouloit 
effeclivenient  luy  en  préféjitcr  une  belle  ^  &  iur  la  propofî- 
tion  que  luy  iir  celuy-cy  d'opter  pour  cet  effet  entre  un  li- 
vre à  imprimer  èc  une  tlicL*  publique  à  fbûtenir  ,  le  Rec^ 
teur  choiht  l'expédient  de  la  théfe  :  6c  fbuhaita  ieulement 
que  Ces  queftions  fe  renfermaflènt  le  plus  qu'il  feroit  pofîîble 
dans  les  bornes  de  la  Médecine ,  pour  ne  point  donner  de 
jaloufie  aux  ProfeiTeurs  de  Philolbphie.  M.  Regius  profita 
de  ces  difoolltions  pour  obtenir  encore  autre  chofè,  alléguant 
pour  flater  plus  agréablement  Voetius  que  l'autorité  du 
Redeur  retiendroit  toujours  aifément  les  autres  Profefleurs 
dans  le  devoir  ^  ôc  que  d'ailleurs  il  le  prioit  de  fe  fouvenir 
qu'il  étoit  aulîî  Profefleur  en  Pliilofophie  pour  les  leçons 
problématiques  &;  les  paradoxes  de  Phyfique ,  qu'il  enfei- 
gnoit  extraordinairement  dans  l'Univeriité  après  les  leçons 
de  Médecine  par  orcire  du  Magiftrat,  Le  Recteur  charmé 
Lcttr.  14.  ae   de  la  déférence  &  des  honnctetez  de  M.  Regius,qui  luy  avoit 

Reiiius  Ms.  i   apporté  les  théfes  à  corriger,  fè  contenta  d'y  faire  quelques 
^^'^'  remarques  pour  fauver  l'honneur  de  la  Philofbphie  ancien- 

ne :  &  non  content  de  fbuffnr  qu'il  laiilat  Ces  paradoxes  ou 
nouvelles  opinions  dans  ies  théfès  par  manière  de  coroUai^ 
Tom.  I.  des   rcs  OU  d'additions  aux  opinions  reçues  de  l'Ecole,  il  luy  per- 

lem.aeDeic.  j^^-j.  ^j^corc  dc  mettre  le  nom  de  M.  Defcartes  à  la  tête  de 
ces  théles. 

La  première  difpute  publique  de  ces  théfes  fe  fît  le  xvn 
jour  d'Avril  de  l'an  1641.  M.  Regius  y  préfidoit  •  &  celuy 
qui  la  foûtenoit  ft^us  luy  étoit  le  jeune  Monfieur  de  Racy, 
qui  s'eft  rendu  depuis  fort  célèbre  par  fes  écrits  &  Con  fça- 
voir,  &  qui  eft  encore  aujourd'huy  au  nombre  (^es  vivans. 
L'habileté  du  Prèfident  &  du  Répondant  à  faire  triompher 
les  opinions  nouvelles  fît  bien-tôt  repentir  Voetius  de  tou-^ 
Epift.  Cart.    j.g5  Çq^  condefcendances.     Il  prit  fujet  d'un  tumulte  &  de 

^m.iyT^'      quelques  fifHemens  que  les  ProfelFeurs  Péripatèticiens  firent 

faire 


LivreVI.  ChapitreVI.  14Ï 

faire  à  leurs  écoliers  dans  la  fale  contre  M.  Regiiis .  pour 
reprendre  les  defTeins  qu'il  avoit  eus  avant  Ton   Rectorat     ^     ^  ^' 
de  luy  faire  perdre  fa  chaire,  5c  de  le  chaffcr  de  l'Uni  ver-   j^^m  Narrât. 

flté.  lîift.  Acad. 

M.  Regins  pour  défendre  fes  /èntimens  contre  la  médi-  P^§-  ^J-  *^' 
difance  &  les  vers  fàtyriques  de  fcs  envieux  jugea  à  propos 
de  faire  imprimer  une  expofition  fimple  de  cette  première 
difpute.  Il  en  écrivit  le  xxi  d'Avril  à  M.  Defcartes  pour  l'in- 
former de  toutes  chofès,  &  pour  luy  marquer  que  ces  op- 
pofitions  ne  fervoient  qu'à  luy  augmenter  le  courage  avec 
lequel  il  efpéroit  foûtenir  les  efforts  des  adverfaires  de  leur 
Philofbpliie  commune.  Mais  pour  luy  faire  fentir  les  befoins 
qu'il  avoir  de  fbn  fècours ,  il  luy  donna  avis  que  la  plus  gran- 
de partie  de  l'Univerfité  ie  foulevoit  contre  luy  par  les  pra- 
tiques de  Voetius,  qui  prétendoit  employer  le  crédit  de  fou 
Redorât  à  la  ruine  du  Cartéfianifme.  Il  luy  exagéra  fur  Lcttr.  i*. 
tout  la  fierté  du  jeune  Voetius  Maître.és-Arts ,  qui  ne  man-  Ms.  de  Reg. 
quoit  pas  d'efpnt,  mais  que  l'autorité  de  fon  père  fembloic 
avoir  rendu  infolent  dans  les  accufàtions  fauffes  àc  ridicules 
dont  il  avoit  prétendu  le  charger. 

11  lui  envoya  en  même  têms  la  fiiite  des  théfès  qu'il  de- 
voit  encore  faire  le  v  jour  de  May,  avec  les  remarques  que 
le  Redeur  y  avoit  faites   avant  que  de  les  lui  paffer.     M. 
Defcartes  ne   trouva  rien  de  trop  déraifonnable  dans  les 
remarques  du  Recicur.  Mais  s'étant  crû  obligé  de  fe  ren^ 
dre  à  la  prière  que  M.  Regius  lui  faifbit  d'examiner  fes 
thèfcs  à  toute  rigueur  ,  il  y  corrigea  diverfes  cliofes  qu'il 
auroit  été  fâché  qu'on  pût  lui  attribuer.     Car  on  croyoit 
déjà  tout  communément  dans  le  païs  que  M.  Regius  n'avoit 
point  d'autres  opinions  que  celles  de  M.  Defcartes.    De 
forte  que  le  monde  n'étant  plus  en  état  defé  défaire  de  cette 
penfée  ,  il  étoit  important  que  M.  Defcartes  ne  pailat  rien 
à  M.  Regius  qu'il  ne  voulût  bien  adopter,  &  dont  il  ne  pût 
avantageufement  entreprendre  la  défenfe.  Il  commençoit     Tom.  ï.des 
dés- lors  à  remarquer  des  femences  d'erreur  dans  ce  que  M.   iettr.de  Dcfc. 
Regius imaginoit de  fà  tête, &  fur  tout  en  ce  qui  concerne  ^*^"  ''^* 
l'Ame  raifonnable  :  mais  il  étoit  encore  le  maître  de  fbn  efl 
prit,  ôcil  n'avoit  aucun  fujet  de  fe  plaindre  de  fa  docilité 
§c  de  ià  fpûmiffion.   Il  ne  lui  étoit  pas  auffi  facile  de  le  faire 

S*  iij  entrer 


1^1  La    Vie   de  M.  Descartes.' 

1^41.       encrer  dans  les  voyes  de  la  douceur  &:  de  la  modération  à 

• Pegard  de  ceux  qu'il  vouloir  réfuter,  comme  il  a  paru  par 

des  leçons  d'honnêteté  &  de  modeftie  qu'il  fut  obligé  de 
iuy  donner  de  têms  en  lêms  au  fujet  de  Waleus  homme 
de  mérite  aimant  la  paix  ,  de  Silvius,  de  Primerofius ,  Sc 
de  Voetius  même. 

Les  fécondes  Théies  fbutenuës  le  5  de  May  n'eurent  pas 
moms  d'éclat  que  les  premières ,  &  elles  ne  firent  pas  moins 
de  peine  aux  Profeffeurs  de  Philoibphie^  de  Médecine  àc 
de  Mathématique  ,.  aufquels  Voetius  voulut  perfuader  que 
Regius  avoit  juré  la  ruï.ie  de  la  Philofbphie  qu'ils  profef. 
fbient ,  6c  qu'il  fappoit  les  fondem^îiis  de  leurs  connoiilances. 
Après  les  difputes  de  Phyfiologie,  il  en  eût  d'autres  dans  le 
cours  de  l'^té  touchant  les  opérations  de  l'Efpric-  touchant 
les  Paffions  de  l'Ame  ,  la  Subftance ,  la  Qjanticé ,  le  Mou- 
Lcttr.  14.      vement  j  6c  fur  les  principales  queftions  de  Médecine.  Mais 
^^'      fès  Thélcs  quoyque  corrigées  par  M.  Defcartes,  àquiil  ne 
donna  pas  peu  d'exercice  pendant  tout  le  refte  de  l'année 
Tom.  I.  des   1641,  ne  fer  virent  qu'à  augmenter  la  jaloufie  qu^on  avoir  de 
■^Ir'  ^^  fil  réputation  ,  &  à  ai2:nr  les  efprics  des  autres  Profelleurs 

396,}97,j9g,    qui  etoient  dejamal  cilpoiez  pour  Iuy.   De  lorte  qu  on  prit 
399,  Sec.         u^-jg  réfblution  férieuiè  de  s'oppofer  aux  proerez  de  fès  nou- 
de  Reo-^*    *    veautez ,  êc  d'en  faire  la  caufe  commune  de  rUniverfîté  con- 
tre Iuy  &  Monfieur  Defcartes.  Le  Recteur  Voetius,  qui  avoit 
été  long-têms  retenu  extérieurement  parles  fbumifîions  que 
îebcrr  voeT"   ^^^Y  ^voit  rcnducs  M.  Regius  en  Iuy  faifant  examiner  &  ap- 
pagig.  &31.    prouver  fès  Théfes  de  la  manière  qu'il  avoit  toujours  ja[;é 
à  propos ,  leva  enfin  le  mafque  :  ôc  fe  déclara  le  chef  de  Ces 
adverfaires  ,  fous  orétexte  que  dans  quelques  articles  de  f^s 
dernières  Théies,  qu'il  n'avoit  pas  crû  nècelTaire  de  Iuy  faire 
examiner  pour  leur  peu  de  confèquence ,  il  s'éroitgliiïc  quel- 
que légère  exprefîion  qui  n'ètoit  pas  coriforme  au  langage 
ordinaire  des  Ecoles.. 

Voetius  avant  que  de  fe  déterminer  à  la  déclaration  d'une 
î^uerre  ouverte  contre  M.  Defcartes  avoit  efpèrè  de  voir  ft:>r- 
tir  des  mains  du  Père  Merfenne  un  livre  qu'il  l'avoit  prié 
l'année  précédente  d'écrire  contre  Iuy ,  pour  le  faire  décla- 
rer athée  ,  impie  6c  libertin.  Mais  l'impatience  de  voir  le<» 
fruits  de  fès  fbllicitations  Iuy  ayant  Lut  rcnouvcller  [es  inftan- 

ces 


Livre   VÎ.  Chapitre  VÎ.  143 

ces  fîir  ce  fujet  après  onze  ou  douze  mois  de  fauiîe  con-      ^ 
fiance,  il  obligea  enfin  le  P.  Merlènne  à  luy  expliquer  les  ^ 

raifons  de  fon  lîlence,  &  du  refus  qu'il  luy  avoic  fait  de  fè    u  ^';ucieiif. 
rendre  le  miniftre  de  ù  pafîion.    11  eft  vray,  dit  ce  Père    et  ^^  j,/^_  ' 
à  Voetius,  que  vous  m'avez  excité  il  y  a  un  an  à  prendre    u  vol  des 
la  plume  contre  Li  Philofbpliiede  Monfieur  Defcartes  :  mais   et  J'/"^  1*^ 
voyant  que  les  matières  6:  ics  autres  lecoiirs  que  vous  ma-   « 
viez  promis  de  la  part  de  vos  amis  &  de  la  vôtre  n'étoient  a 
point  venus  après  tant  de  tcms ,  j'avois  lieu  de  croire  que   n 
vous  aviez  quitté  les  armes,  &  que  vous  vous  étiez  entière-   u 
ment  défait  de  cet  efprit  de  contention  que  vous  fiifîez  pa-   ce 
roi tre  contre  M.  Defcartes.  Néanmoins  ayant  appris  depuis   « 
peu  que  vous  aviez  defîèin  de  compofér  vous-même  un  li-   u 
vre  entier  pour  combattre  cette  nouvelle  manière  de  phi-  « 
lofbpber,  éc  que  vous  répandiez  le  bruit  que  dans  peu  de   « 
jours  l'on  me  verroit  pareillement  m'élever  contre  elle  :  j'ay   c< 
crû  devoir  vous  donner  avis  de  ce  que  je  penfe  far  ce  fujet.   ce 
Je  vous  avoue  que  j'avois  toujours  eu  une  grande  idée   c< 
de  là  Pliilofbphie  :  mais  depuis  que  j'ay  vu  fes  Méditations  ce 
avec  les  réponfès  faites  aux  objections  qui  luy  avoient  été  ce 
propofees ,  j'ay  crii  que  Dieu  avoit  verfe  dans  ce  grand  hom-   ce 


ce 
ce 
ce 
ce 


le 

pas  étudie  en  l  i:ieoio^>je  ait  rep 

points  très-importans  de  nôtre  Religion,  Je  l'av  trouvé  fî 
conforme  à  l'efpnt  &  à  la  doctrine  de  S.  AugulHn,  que  je  ce 
remarque  prefque  les  mêmes  chofès  dans  les  écrits  de  l'un  ce 
èc  de  l'autre.  L'efpnt  de  M.  Defcartes  fe  foutient  fl  bien  « 
dans  toutes  Ces  rèponfes  ^  il  efl  fî  ferme  fur  fes  Principes  ^  ce 
outre  cela  il  efl  fi  chrétien  -,  &  il  infpire  fî  doucement  l'a- 
mour de  Dieu,  que  je  ne  puis  pas  me  perfuader  que  cette 
Phiîofophie  ne  tourne  pas  un  jour  au  bien  &l  à  l'orne- 
ment de  la  vraye  Religion. 

Après  avoir  vu  cet  excellent  Géomètre  foutenir ,  comme  et 
il  fait,  que  cette  dodrine  ne  peut  être  conteftée  par  celuy  ce 
qui  l'aune  fois  bien  compnfe/&  convaincre  par  fes  raifons  te 
tous  ceux  qui  ont  tikhé  de  luy  refiRer,  je  me  fuis  confirmé  ce 
dans  la  penfée,  que  cette  Philofophie  ,  ou  pour  mieux  dire  ce 
cette  manière  de  philofopher  étoit  la  véritable,  &;  que  par  ce 

fa 


ce 
ce 
ce 
ce 


1  6^1. 


C'eft  à-duc 
les  Piinci- 
pcs. 


144  La    Vie    de    M.  Descârtes. 

fà  propre  lumière  elle  le  feroit  jour  avec  le  têms  à  travers 
des  nuages  que  l'envie  Se  l'ignorance  pourront  luy  oppofer. 
Attendons,  Monfîeur,  qu'il  ait  mis  cettQ  Philofophie  au 
jour:  autrement  nous  aurions  mauvaife  grâce  de  vouloir  por- 
ter nôtre  jugement  d'une  chofe  que  nous  ne  connoiflbns 
point.  Pour  moy  je  puis  juger  fur  ce  que  j'ay  déjà  vu  de 
luy  jufqu'icy,  qu'il  n'avance  rien  qui  ne  s'accorde  avec  Platon 
&  Ariftote  ,  pourvu  qu'ils  fbient  bien  entendus  ,  &  à  quoy 
S.  Auguftin  ne  pût  foufcrire  :  de  forte  que  plus  un  homme 
fera  foavant  dans  la  dodrine  de  S.  Auguftin,  plus  fera-t-il 
difpofe  à  embraflèr  la  Philofophie  de  M.  Defoartes.  D'ail- 
leurs ,  tous  les  écrits  particuliers  que  j'ay  vus  d^  luy,  &  où 
il  réfout  plufîeurs  queftions  de  Philofophie  &  de  Géomé- 
trie ,  m'ont  laifle  une  fi  haute  eftime  de  la  fubtilité  de  de  la 
fublimité  de  fon  efprit ,  que  j'^ay  peine  à  croire  que  jamais 
perfonne  ait  eu  une  fi  grande  connoifîance  des  choies  na- 
turelles. Pour  vous ,  Monfieur ,  je  ne  puis  comprendre  com- 
ment vous  pouvez  vous  réfoudre  à  combattre  fa  Philofo- 
phie fans  l'avoir  vue.  Q£oy  qu'il  en  foit,  j'ay  grand  defîr  de 
voir  vôtre  ouvrage  3  &  li  j'y  trouve  quelque  chofè  de  vraVy 
foyez  perfuadé  que  je  l'embrafTeray  malgré  l'attache  que 
j'ay  à  fes  principes. 

Le  Père  Merfenne ,  au  lieu  d'adrefTer  cette  Réponfe  à 
Voetius,  l'envoya  toute  ouverte  à  M.  Defoartes,  laifTantà  fà 
difcrétion  le  pouvoir  d'en  faire  ce  qu'il  jugeroità  propos: 
Toiî).3.  <ks  &  M.  Defoartes  après  l'avoir  lue  6c  fermée  eut  la  fidé- 
ictti.pag.  ;.  lité  (Je  l'envoyer  luy-même  à  Voetius  fans  y  avoir  touché. 
Mais  les  chofes  étaient  alors  tellement  aigries ,  que  Voetius 
n'étoit  plus  en  état  de  profiter  des  remontrances  du  P.Mer- 
fonne.  Il  avoir  pris  le  parti  d'attaquer  M.  Defoartes  par  deux 
endroits ,  premièrement  par  la  difpute  en  oppofant  les  thé- 
fos  à  celles  de  Regius ,  éc  enfuite  par  la  plume  en  réfutant 
fes  Ecrits. 

Les  moyens  que  l'on  prit  par  la  voye  des  théfos  parurent 
les  plus  promts  pour  s'oppofor  aux  progrez  de  la  nouvelle 
Philofophie  :  outre  que  M.  Regius  donnoit  plus  de  prifo 
fur  elle  de  fon  côté  ,  foit  par  l'indifcrétion  qu'il  avoit  d'at- 
taquer les  autres  Profofleurs  contre  l'intention  de  Monfieur 
Defoartes ,  foit  par  k  zcle  inconfidéré  qui  Iq  tàifoit  aller 

trop 


Livre  VI.  Chapitre    VI.  145 

trop  loin  dans  quelques-unes  des  opinions  qu'il  avançoit     1^41. 
quelquefois  dans  la  chaleur  de  ladifpute,où  M.  Dcicartes 


n'étoitpas  pour  le  retenir.  Voetius  comme  Recteur  &com-   Narrât,  hift. 
me  fbn  adveriaire  engagea  Stratcnus  Profeileur  en  Aîéde-  ?^a-^9,ic, 
cine  ,  &  Ravenfperger  Profefleur  en  Mathématiques,  à  ré-      '  ^'^^'^ 
fjter  dans  leurs  thefes  des  mois  de  Novembre  &  Décembre     Touchant  la 
ces  nouvelles  opinions,  en  établifîant  celles  qui  avoient  tou-  ^^''^'^"'«lon  & 
]ours  ete  communément  reçues  dans  les  écoles,  rour  luy  il   tions  en  oa. 
le  reierva  le  foin  d'attaquer  dans  fes  théfès  de  Théologie   ^°^'  ^  ^^<^- 
ce  qu'il  jugeoit  être  préjudiciable  à  la  Religion  dans  ce  qu'il     ^  ^^*^' 
appelioit /^/rW«!?Ar^j"  de  Regius, 

Comme  les  dernières  thé&s  de  ce  Médecin  étoient  rem-     Soutenues  h 
plies  de  diveries  queflions  qui  n'avoient  point  de  rapport  ^'"•'ieDcc. 
iiy  de  liaifon  entr'elles  ^  Se  qu'elles  étoient  plutôt  félon  la 
flintaifie  de  ceux  qui  les  foutenoient  que  de  celuy  qui  y  pré- 
fîdoit  :  quelqu'un  des  Soutenans  avoit  mis  inconfidérément 
dans  une  de  leurs  aflertions,  Oue  de  l'union  de  l*Ame  ^  du  Epift.  Canef, 
Corps  ^  il  ne  fe  faifoit  pas  un  être  de  foy  ,  mais  feulement  par  ac-  J  ^  îg'"^^' 
f/V^;2/f  j  appellant  être  par  accident  tout  ce  qui  étoit  com-      ex  mente  é* 
^pofe-  de  deux  fub'lances  tout-à-fait  différentes  j  fans  nier  f^orpore  nm  fit 
pour  cela  l'union  fubftantielle  par  laquelle  l'Ame  eft  jointe  flrZcidtn!! 
avec  le  Corps  ,  ny  cette  aptitude  ou  inclination  naturelle 
que  l'une  &:  l'autre  de  ces  parties  ont  pour  cette  union.. 
C'eft  ce  qui  paroifïbit  en  ce  qu'on  avoit  ajouté  dans  la  fuite 
de  l'aflertion ,  que  ces  fuh fiance  s  s'appellaient  imparfaites  par  rap-  suhfiantîA  «»- 
port  au  compofé  qui  rèfultoit  de  leur  union.  Ces  expreffions  ,  à  dire  "'"?'*"  '''*'"'" 
vray,  parurent  un  peu  dures  a  M.  Delcartesquiauroitfou-  ^uedexearum 
haité  que  M.  Regius  eut  eu  le  loifîr  de  l'en  confulter  pour  les  ""'""'^  "'"''«''• 
ôter  ou  les  adoucir.  Mais  quoique  dans  le  fonds  elles  ne  pa-   Tom.  ?.  des 
rufîent  d'aucune  importance ,  &  qu'elles  ne  marquafTent  me-  ^"'-  P^S*  ^' 
me  rien  qui  fiit  différent  de  l'opinion  commune,  il  fuffit  à    Epi^-Carf. 
M.  Voetius  qu'elles  ne  fulîentpas  conformes  au  lan^aee  or-  tl^^e"'^^^ 

,.  .'  1/1  00  loO.  loi. 

omaire  de  l'Ecole, pour  déclarer  M.  Regius  hérétique  ,  6c 
faire  procéder  à  fa  dépofition.  Ce  fut.  en  vain  que  M.  Rc-  Narrât,  hift. 
gius  tenta  de  l'appaifer  par  Ces  foumiffions  comme  aupara--  t^a^Ix^^^^' 
vant.  Ileiit  beau  s'excuferfurce  que  cette  manière  de  par- 
ler n'étoit  pas  de  luy ,  mais  de  Gorl^us,  dans  les  écrits  du- 
quel il  l'avoit  prife  telle  qu'elle  fe  trouvoit  inférée  dans  fa 
diipute..  Voetius  fit  ordonner  au  nom  delà  Faculté  de  Théo- 

T  *         logie,^ 


i<'4i- 


Narrât,  hift. 
pag.  17,  1$, 
Se  fuiv. 


^ns  ^  unum 
^sr  acçidens,. 


Lettr.  15 
Rce.  Mf. 


de 


14^  La  Vie  de  M.  Descautes. 

logie,  c'efb-à-dire,  de  luy-même,  de  fes  deux  collègues  Deina- 
tius  éc  Mamard  Schotanus,  ôc  des  Miniftrcs  Pafteurs  de  la  vil- 
le, que  les  ëtudians  en  Théologie  s'abftiendroient  des  leçons 
de  M.  Regius  comme  de  dogmes  pernicieux  à  la  Religion. 

Peu  de  jours  après,  le  même  Voetius  fît  imprimer  des 
thëles  auxquelles  il  ajouta  trois  Corollaires  comme  de  la  part 
de  la  Faculté  Théologique,  pour  fervir  d'avertiflement  & 
d'mftruction  à  tous  les  Ëtudians  contre  certains  Novateurs 
ou  Auteurs  de  paradoxes,  qui  choquoient  \qs  véritez  éta-. 
blies  dans  l'Ecriture  Sainte.  Les  trois  Corollaires  étoient. 

I.  L'opinion  de  l'athée  Taurellus  ^  de  David  Gorlccus  qui 
enfeignent  que  l*  Homme  compofè  de  l'Ame  ^  du  Corps  efi  un  Etre 
par  accident ,  ^  non  de  foy-mème ,  ^/?  abfurde  ^  erronée. 

2.  Le  mouvement  de  la  Terre  introduit  par  Kepler  -^  les  au- 
tres eft  oppofé  dire  Bernent  ^  évidemment  à  r  autorité  de  f  Ecri- 
ture Sainte  :  ^  il  ne  convient  nullement  avec  les  raifons  de  la  lu- 
mière naturelle  que  la  Philofophie  a  enfeiynées  jufqu' icy . 

3.  La  philofophie  qui  rejette  les  Formes  fubfiantielles  des  cho^ 
Ces  avec  leurs  fa  cuit  ez^  propre  s  ^  fpécifiques  ^ou  leurs  qualitez^ 
aïiives  3  é^  conféquemment  les  natures  difiincks  ^  fpécijîques 
des  chofes  ,  telle  que  Taurellus  ,  Gorlaus  ,  ^  Bafjon  ,  ont  taché 
de  l' introduire  de  nos  jours,  ne petu  point  s' accorder  avecla  Phyfique 
de  Moïfe,  ny  avec  tout  ce  que  nom  en  feigne  l*  Ecriture,  Cett£  Phi'^ 
lofophie  e(i  dangereuse ,  favorable  au  Scept  ici  fine  ,  propre  k  détruire 
notre  créance  touchant  l' Ame  raifonnahle ,  la  procefjïon  des  perfi^n^ 
nés  divines  dans  la  lyinité ,  l' incarnation  de  lefus-Chrifi ,  le  pé- 
ché originel  ,  les  miracles ,  les  prophéties ,  la  grâce  de  notre  régé- 
nération  ,  ^  la  poffejjîon  réelle  des  Démons. 

Ces  corollaires  fuivis  d'une  appendice,  avec  les  thé/ès 
Théologiques  fur  le  Jubilé  Romain  dévoient  être  pubhque- 
ment  fbutenus  les  xviii ,  xxiii,  ôc  xxiv  jours  de  Décembre. 
Mais  le  dellein  de  Voetius  étoit  de  les  faire  fîgner  par  avan- 
ce aux  autres  Profeiïèurs  en  Théologie,  &  même  à  tous  les 
Théologiens  qui  étoient  Miniftres  ou  Prédicateurs  :  &  de 
députer  enfuite  quelques-uns  de  fes  collègues  vers  le  Ma- 
giftrat ,  pour  luy  donner  avis  que  le  Médecin  ,  c'eft-à-dire 
M.  Regius,  auroit  été  condamné  d'héréfie  par  un  ConfîC 
toire  ou  un  Concile  Eccléfiaftique ,  6c  mis  au  rang  de  Tau. 
rellus  ôc  Gorl^us  j  ôC  que  par  ce  moyen  le  Magiftrat  ne  pûc 


Livre  VI.  Chapitre  VI.  147 

fe  difpenfèr  honnêtement  de  Tôter  de  la  chaire.  M.  Regius      1^41. 
ayant  eu  vent  de  ce  qui  Ce  tramoit  contre  luy ,  alla  prompte-  _ 

ment  avertir  M.  Vander-Hoolck  l'un  des  Confuls  qui  le 
protégeoit,  &  qui  étoit  amy  intime  de  M.  Defcartes.    Le 
Conful  manda  auiîî-tôt  le  Libraire  qui  imprimoit  les  Thè- 
mes &  fè  fit  apporter  les^Corollaires.  Il  fît  venir  en  même  têms     Namt.  hin:. 
le  Redeur  de  Voetius  qui  devoit  préfî  Jer  à  ces  théfès  ^  luy   ^^^^-  "^^'^i* 
ordonna  de  corn:;er  les  Corollaires  ^  d'en  ôter  le  titre ,  éc  ce   jif'  ^°  '  ^^' 
qui  pourroit  intérefTer  la  réputation  de  M.  Regius  5  &  de     ipift.  ad  p. 
ne  pas  abufer  publiquement  du  nom  &  de  l'autorité  de  la  Dinet.  n.  is. 
Faculté  de  Théologie  pour  fàtisfaire  fa  paiîîon  particulière.       ^^* 
Voetius  parut  aflez  ëtourdy  de  cet  ordre  qui  luy  fut  donné 
le  XVI  de  Décembre ,  &  fort  à  propos  pour  M.  Regius.  Car 
le  lendemain  qui  ctoit  la  veille   de  fbn  aâ:ion  publique  ^ 
il  fît  afiembler  la  Faculté  pour  luy  communiquer  l'ordre  qu'il 
avoit  reçu  ,  6c  pour  luy  faire  part  du  mauvais  fuccés  qu'a- 
voit  eu  le  projet  que  les  Théologiens  avoient  pris  pour  faire 
condamner  d'iiéréfie  M.  Regius,  qui  de  fbn  côté  fe  préfènta 
à  TAflèmblée  ,  pour  afTurer  la  Faculté  qu'il  n'avoit  jamais 
eu  intention  de  toucher  à  la  Théologie  ny  d'en  blejfler  les 
maximes. 

On  réforma  donc  les  Corollaires  ^  on  6 ta  de  leur  titre  le 
nom  de  la  Faculté  Théologique  ^  &  on  corrigea  ce  qui  pou- 
voir regarder  perfbnnellement  M.  Regius,  ôc  M.  Defcar- 
tes. Mais  comme  les  endroits  des  théfès ,  où  l'un  de  l'autre 
étoient  nommez  ou  défîgnez  par  leurs  écrits  ou  leurs  opi- 
nions ,  étoient  déjà  imprimez ,  la  précaution  du  Conful  fut 
inutile  pour  ce  point:  &  Voetius  le  crût  fort  heureux  d'a- 
voir ce  prétexte  pour  couvrir  fa  dés-obéï fiance  &  fà  mau- 
vaife  volonté. 

Les  théfès  furent  foutenuës  le  xviii  de  Décembre  pour  la 
première  difpute ,  continuées  durant  les  deux  jours  qui  pré- 
cédoient  lafêtede  Noël.  Le  Répondant,  qui  étoit  le  fieur  •  cemenKa- 
Lambert  Vanden   Vvaterlaet  * ,  s'y  flgnala  autant  que  fbn  "'^5. 
Préfldent,  par  la  chaleur  qu'on  y  fit  paroître  contre  les  opi-  Epift.  lî.Reg. 
nions  nouvelles,  foutenuës  avec  une  ardeur  ésale  par  les  Op-  ^t^'lS^"* 
polans,  qui  etoient  prefque  tous  écoliers  de  M.  Regius.         adP.  Dincc. 

Le  Préfldent  trouvant  qu*on  n'y  parloit  pas  affez  de  Mon- 
fieur  Defcartes  chercha  fur  la  fin  de  la  difpute  quelque 

T  *    ij  queflion 


148  La    Vie   de   M.    Descartes. 

queftion  très-difficile,  pour  embarralTer  l'un  de  cqs  Oppofàns 
^  ^  4  ^-  clans  la  réponfe  ,  fans  avoir  néanmoins  nitention  de  Técou-. 
ter  fcivorablement.  C'eft  pourquoy  voyant  que  l'Oppofànt 
fèmettoit  en  devoir  de  le fâtisfaire  iur  la  queflion  par  des  ré. 
ponfès  conformes  aux  Principes  de  la  Philofophie  nouvelle, 
il  l'interrompit  brufquement  pour  dire  que  ceux  qui  nes'ac- 
commodoient  pas  de  la  manière  ordmaire  de  philofbpher 
en  attendoient  une  autre  de  M.  Defcartes  ,  comme  les  Juifs 
attendent  leur  Elie  qui  doit  leur  apprendre  toute  vérité. 


CHAPITRE      VIL 

Regiuif  prend  le  ■party  de  fe  défendre  contre  les  théfes  de  T^oetim 
far  la  plume  ^  plutôt  que  par  la  difpute.  M.  Defcartes  l'exhorte 
plutôt  au  filence  j  luy  fait  quelques  remontrances  fur  fa  con- 
duite paffée  •  luy  donne  divers  avis  pour  l' avenir.  M.  Regius 
luy  envoyé  le  projet  de  fa  Réponfe  k  Voetius  pour  la  corriger» 
il/.  Defcartes  ne  la  trouve  point  bonne.  Jl  le  porte  à  rétr acier 
de  bonne  foy  ce  qu'il  avoit  avancé  mal  a  propos  ,  ^  à  prendre 
les  voyes  de  douceur  ^  de  modeflie  dans  fa  Réponfe  ,  dont  il  luy 
trace  le  modèle ,  ^  dont  il  luy  fournit  les  matières.  Troubles 
caufez^  par  l'édition  de  cette  Réponfe.  On  en  ordonne  la  fuppref- 
(ion.  Décret  des  Magijhats  ^  S"  jugement  des  Profeffeurs  de 
l'^niverpté  pour  défendre  à  M.  Regius  d'enfcigner  la  Philo- 
fophie de  M..  Defcartes.^ qui  confeille  à,  M.  Reghiéd'y  ac^uief 
ccr,  Z/ibelles  de  Voetitis, 

VOetius  parut  triompher  de   la  Philofophie  no  ivclb 
pendant  les  trois  jours, fuivant  les  conflitutions  fcho- 
l^ltiques  établies  dans  les  collèges  touchant  l'ifTuë  des  thé- 
{e^s.  Mais  M.  Regius  prévoyant  que  s'il  ne  difoit  mot,  plu- 
ileurs  le  croiroicnt  férieufement  vaincu  :  Se  d'un  autre  côté, 
s'il  entreprenoit  de  fe  défendre  par  des  difputes  publiques, 
on  ne  manqueroit  pas  de  luy  étouffer  la  voix  par  des  huées, 
Narrât,  liift.   àf^s  fîfïlemens ,  6c  des  battemens  de  mains ,  comme  on  avoit 
Acad.  p.  11.     £^-j  ^  £g5  dernières   théfes  du  viii  de  Décembre,  prit  le 
Epift.  Carc.    pg^j-^y  Je  répondre  par  écrit  aux  théfes  de  Voetius.  Il  en 
num.  17.        écrivit  a  M.  Defcartes  le  24  jour  de  Janvier  de  1  année  lui- 

vante 


Livre  VI.  Chapitre  VII.  149 

vante  pour  l'informer  de  tout  ce  qui  s'ëtoit  pafTc  ,  Se  luy  de- 

mander  avis  fur  l'avenir.  Il  luy  marqua  combien  les  clprits      1642. 
i'aigriiïbient  contre  luy,  &  comment  le  party  de  Voctius  fe   l^^^^.      ^^5 
fortifîoit  de  jour  en  jour:  ajoutant  que  M.  le  Conful  Van-   deRcg. 
der-Hoolck  leur  protecteur  étoit  d'avis  qu'il  gardât  le  (î- 
lence  ,  ou  qu'il  calât  la  voile  en  traitant  Voetius  &  les  au- 
tres ProfelTeurs  avec  le  plus  de  douceur  de  de  refpect  qu'il 
luy  feroit  poffible.  Il  luy  envoya  en  même  têms  la  Rcponfè 
qu'il  avoit  préparée  contre  les  tliéfes  de  Voetius ,  afin  qu'il 
l'examinât  avec  le  même  droit  qu'il  avoit  fur  fes  autres 
écrits. 

Dans  le  même  têms ,  M.  le  Colonel  Alphonfèquis'étoit 
trouve  à  Utrecht  pendant  ces  troubles  •  qui  avoit  lu  de  exa- 
miné les  écrits  de  M.  Régius  avec  foin  5  qui  l'avoit  beaucoup 
fervi  auprès  des  Magiftrats,  &  qui  avoit  attiré  toute  la  jeune 
noblefle  du  païs  à  des  conférences  particulières  qu'il  faifoit 
de  la  Phyfique,  étoit  allé  voir  M.  Defoartes  à  Eyndégeeft: 
prés  de  Leyde,oii  il  s'étoit  retiré  depuis  le  mois  de  Mars  1641. 
Il  l'entretint  de  tout  ce  quis'étoit  pafle  à  Utrecht  beaucoup 
mieux  que  ne  fît  la  lettre  de  Regius  :  &  ils  fe  trouvèrent 
tous  deux  de  même  avis  que  M.  Vander-Hoolck.  Après  Tom.  i.dc» 
que  ce  fage  &  prudent  ami  l'eiit  quitté,  il  récrivit  à  M.  Ré-  ^^"'^•.P^g-4oi. 
gius  pour  luy  faire  une  douce  remontrance  flirfà  conduite, 
2c  pour  luy  fiiggèrer  les  moyens  de  remédier  au  mal  qu'elle 
lui  avoit  attiré. 

Il  lui  témoigna  que  fà  penfèe  avoit  toujours  été  qu'il  ne 
falloit  point  propofer  d'opinions  nouvelles  comme  nouvel- 
les 5  mais  qu'en  retenant  le  nom  &  l'apparence  des  anciennes, 
ondevoit  fe  contenter  d'apporter  des  raifon  s  nouvelles,  Rem- 
ployer les  moyens  propres  à  les  faire  goûter.  ^5  Qo^ètoit-il 
nécefraire,lui  dir-il,que  vous  allafTiez rcjetter  fi publiquement   e»  Mé'j'éor '^^ 
les  Foryncsftib[]:cintielles  &  les  Qualitezjée/les^NQ  vous  foiiveniez    ce  art.  «?.  pag. 
vous  pas  quej'avois  déclaré  en  termes  exprès  dans  mon  Trai-   «  ^^4- 
té  des  Météores,  que  je  ne  hs  rejettois  pas,  &:  que  je  ne  pré- 
tendois  pas  les  nier  •  mais  feulement  qu'elles  ne  m'étoient 
pas  nécefTaires  pour  expliquer  ma  penfée,  &:  que  je  pouvois 
fans  eUes  faire  comprendre  mes  raifons.  Si  vous  en  aviez  ufè 
de  même ,  aucun  de  vos  auditeurs  ne  fe  fèroit  révolté ,  & 
vous  ne  vous  feriez  point  fait  d'adverfaires.    Mais  fins  s'amu- 

T  *  iij  fer 


ce 
ce 

M 
Cl 

ce 
ce 


Î5 


<lcs  leur. 


tom.  I 
lettr. 


i^G  La  Vie  D£   M.    Des  carte  s. 

i  6  A.  t.  «  ^^  ^  condamner  mutilement  lepafTë,!!  faut  avifer  aux  moyens 
de  faire  un  bon  ufàge  de  l'avenir.  Il  ne  s'agit  plus  que  de 
défendre  avec  la  plus  grande  modelHe  qu'il  vous  fera  pofîî- 
ble  ce  qu'il  y  a  de  vrai  dans  ce  que  vous  avez  propoië  5 
6c  de  corriger  fins  entêtement  ce  qui  ne  paroît  point 
vrai,  ou  qui  eft  mal  exprimé:  étant  perfuadé  qa'il  n'efl 
rien  de  plus  louable  ni  de  plus  digne  d'un  Pliilofoplie  que 
l'aveu  fincére  de  fès  fautes. 
ïtcm  pag.40î,  H  lui  confcilla  fur  tout  de  rétrader  de  bonne  foy  ce  qu'il 
406.  tom.  I.  avoir  lailFé  avancer  par  un  de  fes  Répondans  dans  fes  théfès, 
^ae  ri'omme  eft  un  être  -par  accident  ^  6c  d'avouer  qu'il  n'avoit 
pas  bien  entendu  ce  que  l'école  veut  dire  par  le  terme  à^Ens 
per  accidens  3  plutôt  que  de  le  vouloir  défendre  par  quelque 
faux  point-d'honneur. 
Pâg.  40t.  A  l'égard  de  la  réponfe  qu'il  vouloir  faire  à  Voetius  & 
*^"  dont  il  lui  avoit  envoyé  le  projet,  il  luy  manda  fincérement 
qu'il  n'en  approuvoit  pas  trop  le  delîein ,  &;  qu'il  n'en  voyoic 
pas  alTez  l'utilité.  Mais  que  s'il  étoit  dans  la  réfolution  de 
la  faire  paroître,  il  devoit  la  réformer  entièrement  5  qu'il  y 
avoit  beaucoup  de  chofès  dures  &  choquantes ,  beaucoup 
d'exprelTions  impropres  6c  trop  hardies ,  beaucoup  de  cho- 
fès étrangères  à  fbn  fujet,peu  convenables  à  la  conjonclure 
préfènte  des  afïàires  •  en  un  mot,  qu'il  feroit  plus  court  & 
plus  aife  de  faire  une  autre  réponfe  de  nouveau  que  d'entre- 
prendre de  corriger  celle-là  :  &  qu'encore  qu'il  fût  fort  oc- 
cupé pour  lors,  il  ne  feroit  pas  difficulté  de  lui  donner  un 
jour  ou  deux  de  fbn  têms  pour  luy  dreiler  un  modèle  de 
réponfe,  s'il  perfifloit  dans  la  réfolution  d'en  faire  une. 

M.  Regius  qui  croyoit  que  le  projet  de  réponfe  qu'il  avoit 
envoyé  à  M.  Defcartcs  étoit  un  chef-d'œuvre  de  modéra- 
tion ,  en  ce  qu'il  s'étoit  abftenu  c'y  parler  avec  aigreur  ,  6c 
d'y  faire  mention  des  corollaires  6c  de  l'appendice  des  thé- 
j(ès,fut  allez  furpris  de  la  manière  donc  M.  Defcartes  luy  en 
expliquoit  Çqs  fèntimens.  Il  alla  trouver  incontinent  le  Con- 
fùl  M.  Vander-Hoolck,  fous  prétexte  de  luy  porter  les  com- 
plimens  de  M.  Defcartes  :6c  le  confulta  fur  ce  qu'il  avoit 
à  faire.  M.  Vander-Hoolck  qui  s'étoit  trouvé  à  une  délibé- 
ration faite  depuis  quelques  jours  avec  les  autres  M^giftrats 
de  la  ville  pour  afToupir  les  troubles  de  l'Univerfît^ ,  àL  pour 

recommander 


Livre   VI.  Chapitre  VIT.  151 

recommander  aux  trois  Profefîeurs  de  Théologie  de  veiller     i^  ai. 
à  la  confcrvation  de  la  Religion  Proteftante  contre  les  nou- 


veautcz  dangereuiès,  lui  parut  fort  réfervé  fur  fon  flijet  :  &  il      ^^"^^  J^i^- 
fe  contenta  de  luy  dire  qu'il  couroit  rifque  de  perdre  là  chaire    ^^^  *     "~ 
de  Prof:lIcur.   Que  félon  la  situation  des  affaires ,  toute  ré- 
ponfc  feroit  mal  reçue  j  &  qu'il  étoit  à  craindre  que  les 
moyens  d'honnuterë  èc  de  douceur  que  lui  avoit  confeillez 
M.  Defcartcs  ne  fulîènt  pris  pour  des  railleries.  M.  Emlius   Lcttt.  i<f.  Mf. 
ProfefTeur  en  Eloquence  6c  en  Hiftoire,  à  qui  M.  Regius  a-  <icKeg. 
voit  fait  voir  fon  écrit  avant  que  de  l'envoyer  à  M.  Defcar- 
tes ,  jugeoit  pareillement  qu'il  étoit  dangereux  de  faire  une 
réponfe,  &  que  rien  n'étoit  plus  propre  que  le  fîlence  pour 
calmer  l'orage. 

Ces  avis  ne  changèrent  point  la  réfblution  de  M.  Regius, 
qui  jugea  que  fi  fà  réponfè  n'étoit  bonne  pour  le  public, 
elle  fèroit  au  moins  de  quelque  utilité  pour  fes  écoliers. 
Voyant  qu'on  en  parloit  déjà  tout  pubhquement  à  Amffcer- 
dam  &  à  la  Haye,  d'où  M.  de  Zuytlichem,  M.  Rivet,  M. 
Pollot,  &  d'autres  amis  &  fedateurs  de  la  nouvelle  Philofo- 
phie  avoient  déjà  mandé  à  Utrecht  qu'on  leur  envoyât  cet- 
te réponfe  avec  les  théfês  de  Voetius,il  en  écrivit  à  M.  Def 
cartes  le  1  de  Février ,  &  le  fupplia  qu'à  telle  fin  que  ce  pût 
être  il  voulut  la  corriger,  èc  la  luy  renvoyer  en  l'état  qu'il 
croyoit  qu'on  pourroit  la  publier.  Il  luy  propofà  en  même 
têms  de  la  faire  paroîtrefbus  un  nom  étranger,  &  de  pren^- 
dre  celui  de  Hornitis  ou  Van-Hoorn  ,  qui  étoit  celui  de  l'un 
de  fes  anciens  écoliers  demeurant  pour  lors  à  Leyde,  Enfin 
il  le  conjura  de  confidérer  que  s'il  avoir  fait  quelques  fautes 
dans  toutes  fês  démarches  j  elles  ne  venoient  que  du  zélé 
extraordinaire  qu'il  avoit  pour  publier  &;  faire  recevoir  fa 
Philofophiej5c  que  ne  s'étant  attiré  la  haine  des  autres  Profef» 
fèursquepour  avoir  préféré  fes  principes  à  ceux  de  laPhilofb- 
phie  ancienne  ,  il  étoit  de  la  juftice  &  de  fon  intérêt  même 
de  ne  le  point  abandonner  dans  des  befbins  fî  prefîàns. 

Pour  lui  faire  paroître  l'injuftice  de  Voetius  dans  une  plus 
grande  évidence  ,  il  la  lui  fît  confidérer  dans  trois  circonf^ 
tances.  Premièrement ,  Voetius  ayant  lu  la  phyjiologie  dQ 
Regius  &  une  partie  de  fà  Phyfique,  que  Vander-Hoolck 
lui  avoit  confeillé  defbumettre  à  fon  examen  pour  voir  fi  tout 

étoit 


152  La    Vie     de      M.    Des  car  te  s. 

1642.      écoit  conforme  à  l'Ecriture  faiiite ,  loin  d'y  trouver  rien  àredi- 
■  re  ,  il  avoit  permis  pendant  fon  Rectorat  mcme  qu'on  en  fit 

desdifputes  publiques.  Secondement,  il  avoit  foufFert  avant 
fon  Rectorat ,  de  encore  depuis,  que  M.  Ravenfperger  Ibu- 
tint  publiquement  6c  en  fa  préfence  même  le  mouvement 
circulaire  de  la  Terre.  En  troifîéme  lieu ,  ayant  appris  que 
Main.  Scho-    1^  théfc  OU  l'oii  avoit  difputé  Cl  Y  Homme  eji  un  Etre  de-  foy, 
tanus ,  chari.  ou  par  accident  luy  avoit  déplu ,  il  ëtoit  allé  trouver  le  lende- 
GiT.  Voetius    i"^^^i^^  ^^s  ^^ois  ProfefTeurs  en  Théologie  pour  leur  faire  des 
excufès,  ^\ç.s  alTurer  qu'il  n'avoit  eu  aucune  intention  de 
choquer  les  véritez  Théologiques.  D'ailleurs,  que  la  théfe 
avoit  été  inférée  par  fon  Répondant  iâns  fà  participation  j 
mais  qu'au  refte  il  étoit  prêt  de  réparer  cette  faute  en  la 
manière  qu'ils  jugeroient  à  propos.   Les  Profefleurs  avoient 
regardé  la  choie  tous  trois  avec  aflez  d'indifférence.  Mai- 
nard  Schotanus  s'étoit  contenté  de  dire  que  la  chofe  n'étoit 
pas  de  grande  conféquence.  Dematiuspailànt  outre  avoit  ap- 
prouvé même  la  conduite  de  Regius  en  ce  point.  Et  Voetius 
quoyque  déjà  déclaré  contre  luy  avoit  dit  feulement  qu'iL 
ne  vouloit  point  fè  mêler  de  cette  affaire.  Cependant  on  a- 
voit  vu  paroître  peu  de  jours  après ,  &  contre  l'intention 
même  du  Magiftrat  \ç.^  corollaires  injurieux  de  fes  théfes,. 
fans  parler  d'un  autre  Ecrit  dont  les  corollaires  furent  fui- 
vis  fous  le  titre  à^ Appendice  ad  CoroUaria  Theologico-Philofo- 
phicà  nuper/€  difputationi  de  Jubileo  Romano  fubjecia  ^  ^c. 

M.  Defcartes  voyant  que  M.  Regius  fbuhaitoit  abfblu- 
ment  de  faire  paroître  fa  Réponfe,crut  devoir  ufer  de  con- 
defcendance  pour  ne  pas  le  rebuter.    Il  lui  drellà  un  nou- 
veau projet  de  réponfe,rempli  de  termes  obligeans  &:  de  loiian- 
Pâg.  403.  &   ges  pour  Voetius.  Il  luy  fournit  des  formules  d'eftime  pour  \q^ 
fuiv.dm.vol.    autres,  &  de  modeftie  pour  luy-même.  Il  lui  marqua   di-. 
verfes  manières  infînuantes  pour  fe  faire  lire  avec  plaifîr,. 
&  fiire  écouter  fès  raifons.    Et  fur  tout  il  luy  recommanda 
de  fe  garder  de  l'air  ironique  dans  le  tour  qu'il  falloit  donner 
aux  éloges  de  fes  adverfàires.  Ce  modèle  de  réponfe  avec 
les  matières ,  \ç.s  raifons  &  les  moyens  de  la  remplir,  nous  efb 
refté  parmi  fes  lettres  comme  l'un  des  plus  beaux  moiiumens 
Depuis  là     de  fa  douceur  &;  de  la  prudence.  Mais  quelque  raifbnnable 
pac.  403.  juf-   ^  quelque  honnête  que  fut  cette  manière  d'écrire  ,  il  ne 


Livre  VÏ.  Chapitre  VIL  153 

kifla  pas  d'entrer  dans  une  jufte  défiance  de  ion  fiiccés    fur      i  6  4  z. 
l'idée  qu'il   avoit  de    l'humeur  impérieufe  de  bourrue  de  m 

Vocdus ,  &  de  la  mauvaife  difpofition  des  Profefîeurs  pré- 
venus èc  animez.    C'efl  pourquoi  il  ordonna  à  M.  Regius 
en  lui  renvoyant  Ton  écrit  avec  le  modèle  de  réponfe  de  ne 
rien  faire  fans  prendre  &  fuivre  l'avis  de  M.  Van-Leuw ,  ôc   Pag.  414. 
fur  toutde  M.  Emilius  leur  collègue,  dont  la  prudence  éc  la  ^^J- 
fidélité  lui  étoit  connue,  M.  Vander-Hoolck  lui  avoit  auflî 
donné  le  même  confeil ,  lors  qu'il  reçit  fes  complimens  fur 
le  choix  qu'on  avoit  fiit  de  lui  *  pour  être  député  de  la   *  vandcr-: 
province  d'Utrecht  à  l'afTemblée  des  Etats  Généraux.    De   HooIck. 
forte  que  M.  Regius  ayant  enfin  arraché  le  confentement 
de  M.  Emilius  mit  là  réponfè  fous  la  prellè,  d'où  elle  fbrtit  le  * 
XVI  de  Février,  &  il  en  envoya  dés  le  lendemain  deux  exem-  Lcttr.  17.  ic 
plaires  à  M.  Defcartes.  ^*=S-  ^^• 

L'écrit  avoit  pour  titre  ReJ^onfo  feu  2Tota  in  Appendiccm  ad 
CoroUaria  Theoloqico^philofophica  ^  Q^c.  &au  jugement  de  ceux 
qui  l'avoient  lû,il  ne  contenoit  rien  dont  Voetius  pût  fè  plain-  Epift.  Carr. 
dre  à  moins  que  fbn  humilité  n'eût  été  choquée  par  les  quali-  ^^  ^-  ^i"^<' 
tez  à* homme  f  avant  ^  célébrera' homme  de  bien  ^  ennemi  de  la  mé-    "^  -"^  " 
difancc  ^  Q[\xQ  Regius  lui  avoit  données.    Mais  quoi  qu'il  n*y 
fut  point  maltraitté  de  paroles,  il  crut  néanmoins  que  Re- 
gius lui  avoit  fait  une  injure  irrémiffible  ,  parce  qu'il  l'avoit 
vaincu  par  le  nombre  &:  la  force  de  Çqs  raifons ,  qui  décou- 
vroient  beaucoup  mieux  fon  ignorance  &  fbn  animofité  que 
n'auroient  pu  faire  des  termes  de  véhémence  &  d'aigreur. 
Pour  prévenir  les  fuites,  il  crut  qu'il  falloit  étouffer  le  Hvre 
dans  fà  naiffance  :  &  prenant  pour  prétexte  qu'il  avoit  été 
imprimé  fans  ordre  du  Magiftrat  •  que  fon  Imprimeur  étoic 
un  Catholique ,  ôc  fbn  Marchand  Libraire  un  Remontrant -. 
il  convoqua  l'affemblée  générale  de  fbn  Univerfité  ,  où  il  fe  tes  18  &  19. 
plaignit  de  cet  écrit  comme  d'un  libelle  fait  contre  lui,.con-  ^'  Février 
tre  la  dignité  Redorale ,  contre  l'honneur  des  Profelfeurs   ^  ^^' 
&;  de  toute  l'Univerfité  par  un  de  fès  collègues.  Il  en  de-  AclTpaa.f . 
manda  la  fupprelTion,  6c  en  même  têms  l'extermination  de  ^  .^^  ^^^^ 
toute  cette  nouvelle  Philofophie  qui  troubloit  le  repos  de  adP.Dincc, 
toute  rUniverfité.  Plufieurs  foufcrivirent  àcétavis,  octrois  art.n. 
d'entre  eux  f^avoir  Dematius  ou  de  Maets  Profelfeur  en  Epift.iS.Mf. 
Théologie ,  MathîEUS  ProfeiTeur  en  Droit,  &;  Lyr^us  Pro-  ^^^'  *^  ^*'^^-' 

V  !  fefTeur 


154        La    Vie    d-e    M.    Des  car  tes. 

164.%.     fefleur  en  Humanitez    furent  députez  vers   le  Magiftrat 

— , pour  lui  porter  les  plaintes  de  l'aflemblée. 

Le  Magifbrat  pour  les  appaifer  envoya  iaifir  130  exem- 
plaires du  livre  chez  le  Libraire,  qui  dés  le  premier  jour  en 
M,  avoit  débité  150,  &en  avoit  envoyé  enfuite  un  grand  nom- 

bre à  Amfterdam  &  à  la  Haye.  De  forte  que  ce  qui  refta 
d'exemplaires  devmt  exorbitamment  cher,  &  fit  recher- 
cher le  livre  comme  une  cbofe  très-rare  &  trés-précieu/è. 
Ces  circonftances ,  loin  d'appaifer  Pefprit  de  Voetius  félon 
l'intention  du  Magiftrat ,  ne  fervirent  qu'à  l'irriter ,  voyant 
que  cette  fuppreiîîon  failbit  que  le  livre  de  Regius  ëtoit 
couru  avec  plus  d'empreflement  qu'auparavant,  &  qu'il  ë- 
toit  lu  avec  plus  de  foin.  Il  ne  fongea  plus  qu'à  fè  vanger 
également  de  M.  Regius  &:  de  M.  Defcartes  :  &  il  aflembla 
prelque  tous  les  jours  fbn  Univerfité  pour  prendre  de  nou- 

Jfeid.  velles  délibérations  contre   la  Philofbphie  de  ce  dernier, 

fans  qu'il  fut  permis  à  M.  Regius  d'y  affifter.  Le  xxi  de  Fé- 
v-rier  il  drelTa  un  Réfliltat  de  délibération  qu'il  fit  figner 
parla  plupart  des  Profefleurs,  pour  pouvoir  être  préiénté 
au  Sénat  ou  Confèil  de  la  ville  au  nom  de  l'afTemblée  des 
quatre  Facultez  ,  afin  qu'on  pût  obtenir  une  fentence  du 
Magiftrat,  tant  pour  la  profcription  de  la  Philofophie  nou- 
velle, que  pour  la  fupprefîion  de  l'Ecrit  de  Regius  comme 
d'un  libelle  injurieux  au  Redcur  de  l'Univerfité  ,  &  capa- 
ble de  détourner  la  jeunefle  d'aller  prendre  Ces  leçons.  M. 
Regius  écrivit  le  v  de  Mars  fuivant  à  M.  Defcartes  pour 
l'informer  du  mauvais  fuccés  de  fa  réponfè  à  Voetius,  6c  de 
tout  ce  qui  iè  pafToit  à  {on  defavantage-,  oc  pour  le  prier 
d'employer  fbn  crédit  auprès  de  M.  Vander-Hoolck  &:  de 
fes  autres  amis  pour  détourner  la  tempête  quimenaçoit  leur 
Philofophie  commune  &  fa  perfonne  particulière. 

M.  Defcartes  au  lieu  de  le  plaindre  aima  mieux  le  con- 

Pag.  410.  du  gratuler  de  la  perfécution  qu'il  fbufFroit  pour  la  Vérité, 

r.  tom.  tics  croyant  que  tous  ces  troubles  ne  lui  produiroient  que  de  la 
gloire.  Il  lui  en  écrivit  une  longue  lettre,  dans  laquelle  il 
lui  marquoit  toutes  les  raifbns  qu'il  avoit  de  ne  rien  appré- 
hender, èc  de  bien  efpérer  de  l'excellence  de  fà  caufè.  Ce- 
pendant on  déhbéradans  leConfèil  de  la  ville  d'Utrecht  fur 
la  requête  des  Profefleurs  de  rUniverfité ,  qui  y  avoit  été 

lue 


Livre   VÎ.    Chapitre    VIL  155 

lue  publiquement  dés  le  xxiv  de  Février  :  &  la  réfolutioii      k;^ 

priie  les  jours  fuivans,  on  y  donna  le  xv  d2  Mars  un  de-   — 

crct  portant  défenfe  à  M.  llegius  de  ne  plus  faire  d'autres   Nanat.hiit. 
levons  que  celles  de  la  Médecine  ,   &  de  ne  plus  tenir  de   ^"  -P^S^i- 
conférences  particulières.  Il  ëtoit  permis  par  le  même  de-  Epift.cartef. 
cret  aux  Profelîeurs  de  rUniverfiré  de  s'alFembler  pour  por_   ad  ceieb.Voet. 
ter  leur  jugement  fur  le  livre  de  M.  Regius.  De  forte  que  P*s-i^<^>  ^^7. 
Voetius  triomphant  de  cet  arrêt  convoqua  Ion  alîemblée 
dés  le  XVII  du  même  mois  ^  &  y  fît  portier  ,  contre  toute 
forme  de  juftice,  un  Jugement  qui  paroifljpit  rendu  au  nom 
de  toute  TUniverfité ,  mais  qu'il  avoit  minuré  feul  èc  pronon-  ihH.sc  Narr.- 
ce  comme  Redeur ,  étant  tout  à  la  fors  le  juge  ^  la  partie  P^S-  ^7- 
de  M.  Reiiius .  oui  ne  fut  ni  appelle  ni  entendu  dans  tes  dé-  ^^'^  Redorât 
fenfes.  Irrégularité ,  dont  le  blâme  fèmbloit  moins  retomber  ^"'"o^'^'or^- 
fîir  les  Profeiléurs  de  qui  on  ne  devoit  exiger  autre  chofè  J-^'"-  ^9.  Mf. 
que  l'art  de  bien  régenter ,  que  iiir  les  Magiftrats  qui  avoient    ^    ^^* 
érigé  des  Régens  en  juges  £ms  leur  donner  en  même  têms 
la  fliffifànce  &:  l'intégrité  néceflaire  pour  jnger.    11  n'y  eut 
que  huit  Profelîeurs  qui  eurent  part  à  ce  jugement.   Se.  G.   Lcttr.  j^.MC 
Voetius,  Ch.  Dematius  ,  M.  Schotanus,  A.  Matha^us,  G.  ^efc^^°  ^ 
Stratenus ,  J.  Lir^us ,  Arn.  Senguerdius ,  èc  Dan.  Berckriii- 
ger,^  qui  prononcèrent  contre  la  Réponfè  de  M.  Regius  â 
Voetius  &  contre  la  Pliilofophie  nouvelle.    Les  autres  fu- 
rent honteux  de  fiiivre  la  paffion  de  Voetius,  mais  ils  étoient 
les  plus  foibles.  Il  n'y  eut  que  M.  Emilius  qui  forma  oppo- 
iîtioii  à  ce  jugement ,  6c  M.  Cyprien  *  ProfelTeur  en  Droit  ^  Cyprianus 
qui  protefta  de  nullité  ^  voyant  que  l'on  n'alléguoit  aucune   ^egneri  qui 
raifon  recevable  pour  rendre  ce  jugement  valide.   Il  voulut  noin^Moer- 
même  qu'il  fut  fait  mention  de  fon  oppofition  dans  l'ade  du    canes  &  n*é^ 
jugement,  &  qu'on  le  nommât  pour  n'être  point  confondu    ^°\^  P"^'"!  ami: 
mai  a  propos  avec  les  auteurs  d  une  adion  li  peu  railonna-    Rcrius. 
ble  fous  le  nom  général  des  ProfefTeurs  de  l'Univeriité.        Nanarhiftor, 
M.  Re2;ius  manda  toutes  ces  procédures  à  M.  Dcfcartes   Lcttr.  i^.Mf,. 
le  XXXI  de  Mars  i6/\.i:^  lui  envoya  le  décret  du  Magiftratcki  ''^^^S- 
XV  du  même  mois ,  le  jugement  de  ces  ProfelTeurs  dont  nous 
venons  de  parler,  &  les  théfês  de  Voetius  le  fils  dreirées  par 
fon  pérc  II  lui  donna  avis  en  même  têms  que  Voetius  avoit 
fùborné  un  jeune  Etudiant  pour  écrire  contre  fa  réponfe  5 
mais  q^ue  les  fçavans  ôc  les  honnêtes  gens  tant  d'Utrecht 

V*  jj  que- 


15^ 


La    Vie   d  e  M.    Descaktes. 


1641. 


Pag.  4iî. 
lom.  1.  des 
lettr. 


C'étoitlaiai- 
fon  que  les 
Profeffeurs 
allégucrcnc , 
pour  marquer 
que  les  nou- 
vcautcz  delà 
Philofoph.  de 
Dcfc.  étoient 
dangercufes  à 
leur  Univcr- 
:fue  naiâante. 


Epift.  ad  P. 
Dincc.  num. 
31- 


*  Lambert 
Watcrlaet. 

*  Ce  libelle 
s'cft  trouvé 
dans  rinven- 
taire  de  M. 
Defcartes. 


IbiJ.  num. 
31. 


que  des  autres  villes  de  Hollande  commençoient  à  fe  décla- 
rer contre  la  conduite  de  Voetius,  M.  Deicartes  lui  répon- 
dit d'une  manière  à  lui  faire  comprendre  qu'il  flilloit  plutôt 
rn-e  que  fe  mettre  en  colère  des  théfes  du  jeune  Voetius 
(  qui  n'avoit  fait  que  prêter  fon  nom  à  fon  père,  parce  que 
Madame  Voetius  fa  mère  l'avoit  jugé  trop  jeune  pour  en- 
trer en  lice,  )  6c  du  jugement  de  fon  Univerfité  ,  qui  pa- 
roifToit  être  encore  dans  fon  enfance  auiTi  bien  que  le  fils 
de  Madame  Voetius.  Il  ne  lui  tint  pas  le  même  difcours  à 
l'égard  du  décret  des  Magiflrats.  Il  lui  fit  remarquer  que 
ces  Meilleurs  ne  pouvoient  en  ufer  plus  prudemment,  ni 
même  avec  plus  d'indulgence  dans  la  conjondure  préfente 
des  affaires,  pour  fe  délivrer  des  importunitez  de  Voetius  6c 
de  Ces  Collègues.  Que  s'il  l'en  croyoit ,  il  leur  obéïroit  à  la 
lettre ,  ôc  n'enfeigneroit  rien  autre  chofe  que  la  Médecine 
félon  Hippocrate  ôc  Galien.  Que  s'excufant  fur  la  révoca- 
tion de  fon  pouvoir  à  ceux  qui  lui  demanderoient  autre  cho- 
fè ,  il  exciteroit  une  paffion  plus  grande  dans  les  eiprits  pour 
ce  qu'il  enfeignoit  auparavant  ,  ôc  les  animeroit  innocem- 
ment contre  fes  adverfàires.  Qu'il  étoit  victorieux  pourvu 
qu'il  fçût  fè  taire  -,  6c  qu'il  ne  pouvoit  rentrer  dans  le  com- 
bat fans  s'expofer  à  de  nouveaux  dangers. 

Le  fils  de  Voetius  n'étoit  pas  fi  jeune  qu'il  ne  fut  déjà 
en  âge  d'enfèigner  les  autres.  Il  étoit  déjà  reçi  au  nombre 
des  Profefieurs  de  l'Univerfiré  :  Se  l'on  peut  dire  que  les 
théfes  qui  portoient  (on  nom  étoient  les  premiers  eflais  de 
fa  maîtrifè.  Elles  ne  contenoient  que  ce  que  fon  père  avoit 
déjà  avancé  dans  les  fiennes  en  faveur  des  formes  fubftan- 
tielles  contre  M.  Regius.  Elles  furent  fuivies  de  la  publica- 
tion d'un  autre  libelle  qui  parut  vers  le  mois  d'Avril  fuivant 
fous  le  nom  de  cet  Etudiant  *  qui  avoit  répondu  dans  les 
théfes  du  mois  de  Décembre,  où  le  Redeur  Voetius  prèfi- 
doit.  Le  titre  de  ce  libelle  étoit  Prodromus  * ,  ^ive  Examen 
tiitdare  orthodoxcc  Philofophi^principiomm.Vouv  aller  au  devant 
des  fàchcufès  plaifanteries  des  railleurs  quifembloient  fe  ran- 
ger plus  volontiers  du  côté  de  M.  Regius  que  de  l'autre,  on 
g;ro{lk  le  libelle  d'une  féconde  partie  ,  dans  Tintention  de 
défendre  encore  mieux  l'honneur  de  l'Univerfité  6c  des  an- 
ciennes opinions.    Mais  pour  le  titre  de  Prodrome  ^  Voetius 

avoic 


Livre  VI.  Chapitre  VII.  157 

avoit  defïein  de  faire  entendre  que  cet  ouvrage  n'étoit  que       16^2. 
TAvant-coureur  d'un  autre  encore  plus  important,  qu'il  mé-    .^_^_ 
ditoit  contre  la  Philofbphie  de  M.  Defcartes  fous  le  nom  de 
quelque  autre  de  iès  difciples.  *  *SclioocKius, 

Pour  ce  qui  efi:  de  la  réfutation  que  Voetius  avoit  entre-    &c. 
prifè  contre  la  Réponfe  de  M.  Regius  à  fès  théfes  par  le  mi-    Lettr.  15.MC 
niftére  de  fes  étudians ,  l'on  peut  dire  qu'elle  échoua  entre    ^^  ^^gius, 
les  mains  d'un  Moine  renégat ,  ou  fugitif,  comme  l'appelle 
M .  Regius ,  pour  avoir  voulu  dilîimuler  qu'il  en  fut  l'auteur. 
Pour  éloigner  le  Public  encore  davantage  de  cette  penfée,  il 
avoit  conné  l'écrit  à  ce  Moine  pour  l'aller  faire  imprimer  à 
Leyde  ,  afin  qu'il  parut  que  Meflîeurs  Defcartes  6c  Regius 
avoient  encore  des  ennemis  ailleurs  qu'à  Utrecht.  L'écrit  n'é-   pag.  415.  du 
toit  point  fort  gros  tout  lèul  :  mais  pour  en  faire  un  jufte    i-  toni*  «1" 
volume  au  goût  du  Libraire  ,  Voetius  avoit  donné  ordre    '"'^* 
qu'on  imprimât  enfemble  fon  Appendice  aux  corollaires  de 
fes  théfes  du  Jubilé,  avec  la  Réponfè  que  M.  Regius  y  avoit 
faite  j  6c  que  l'on  réflitoit  par  cet  écrit.  De  forte  que  le  li- 
vre devoit  être  de  dix  feiiiUes  félon  la  fupputation  de  l'Im- 
primeur, de  qui  \qs  amis  de  M.  Defcartes  l'avoient  appris. 
Mais  le  Recteur  de  l'Univerfîté  de  Leyde  qui  étoitM.Go-    Lc„r.io.Mr. 
lius  ayant  été  averti  de  ce  qui  fe  pafToit,  fe  tranfporta  incon-    de  Rcg. 
titient  chez  l'Imprimeur  de  cette  Réfutation  ,  6c  fît  faire  en    n^^,  lettr. 
fa  préfence  une  information  de  cette  entreprife.    L'Impri-    xj-  Mf. 
meur  la  rejetta  toute  fur  le  Moine  ,  qui  fe  trouva  heureufè- 
ment  abfent  de  l'Imprimerie ,  6c  qui  prit  la  fuite  pour  aller 
à  Utrecht  donner  avis  à  Voetius  de  ce  qui  étoit  arrivé  à  fon 
ouvrage,  6c  lui  rendre  conte  de  fà  commifîion. 

M.  Defcartes  confidéroit  toutes  ces  pratiques  avec  trop 
d'indifférence  pour  en  avertir  Çqs  amis.  Mais  M.Huyghens 
fécond  fils  de  M.    de  Zuythchem  habile  Mathématicien      ^cttr  de 
dés-lors,  6c  fort  attaché  à  la  Philofophie  de  M.  Defoartes  à    chrift. 
l'exemple  de  M.  fon  père ,  fè  chargea  du  foin  d'en  informer    Huyghens 
le  Père  Merfènne.    Il  lui  écrivit  d'une  manière  à  lui  faire    7^A'viii74i^ 
comprendre  que  l'Ecrit  qui  portoit  le  nom  de  M.  Regius    au3.t0m.des, 
étoit  de  M.  Defcartes.  »  Par  mes  dernières  lettres  ,  dit-il,    ^"^ie')[f',.^^ 
vous  aurez  reçu  la  défenfè  de  M.  Defoartes  fous  le  nom  de 
Regius  contre  Voetius.   Un  petit  Moine  fuppofo  y  fait  im- 
primer une  Réphque  que  j'aurai  foin  de  vous  envoyer  des 

V  iij     *         qu'elle 


158  La   Vie  d  e  m.  D  esca  R.TE  s. 

1^41.  M  qu'elle  verra  le  jour.  En  attendant  vous  trouverez  ici  la' 
Cenfîire  de  T Académie  d'Ucrecht  en  groiïè  lettre,  mar- 
quant la  foibiefle  dudit  Voctius,  ècen  mês-nc  tê.iis  fjn  pou- 
voir parmi  Tes  collègue:,  induits  par  fà  feule  autorité  à  pu- 
blier une  cenfùre  Ci  impertinente,  ^erfcntmtiam  de  fsntentia. 


»5 


CHAPITRE    VIII. 

Sentimens  fdvorables  des  Pères  de  l' Oratoire  pour  les  Médit-Otiom 
Métaphyfqucs  de  M..  Defcartes.  lElo%es  du  Père  de  la  Barde... 
2^ort  du  P.  Gihieuf.  Sentimens  favorables  des  '^è fuites  four  les 
mêmes  Méditations.  Eloge  du  P.  Vatier ,  ^  du  p.  MéLindy 
qui  approuvent  tout  ce  qu'il  a  écrit ,  ^  wème  fa  manière  d'eX' 
pliquer  la  Tranffubfiantiation.  Ze  Père  Mèlandfait  un  abré~ 
gé  de  fes  Méditations ,  (^  les  met  en  flile  fcholafiique  ^  in- 
telligible aux  efprits  les  plus  médiocres.  Ze  Père  pourdin  fais 
les  feptiémes  Ob]  celions  d'une  manière  qui  ?net  M.  De  fartes  en 
mauvaife  humeur.  Il  répond  a  ces  obje citons  ^  ^  écrit  une  Dif 
fertation  en  forme  de  Zetf^e  au  P.  Dinet  contre  le  Père  Bour- 
din  d^  Voetius^  Sa  ré  conciliation  avec  le  Père  Bourdin,  Se- 
conde édition  des  Méditations^ 

DEpuis  rédition  des  Méditations  Métapliyfiques  ,  Mon- 
fieur  Defcartes  faifbit  la  matière  des  converfàtions /ga- 
vantes dans  Paris,  ôc  dans  les  provinces  du  Royaume.  Cha- 
cun en  parloit  félon  les  lumières  de  fbn  efprit ,  ou  félon  \zs 
ïpift.  Hier,  mouvemens  de  fbn  cœur.  Mais  il  en  étoitvenupeudenou- 
BardiadGaff.  yçUes  ^  y^^  Defcattes  pendant  i'abfènce  du  PéreMerfènne, 
».tom.  tf.op.  qui  avoit  fait  un  voyage  en  Italie  aux  mois  d'Odobre  &  de 
GafT.  Novembre,  A  fbn  retour  il  luy  avoit  addrefîe  Jiverfès  ré- 

k«r."J'.  kf"  ponfes  qu'il  avoit  faites  aux  complimens  qu'il  avoit  reçus  de 
plufieurs  Pérès  de  l'Oratoire  ,  dont  les  principaux  étoienc 
les  Pé  es  Gibieuf  &  de  la  Barde.  Il  avoit  fàtisfait  à  quelque» 
diificultez  que  ce  dernier  luy  avoit  propofccs  ,  &  il  avoit 
appris  enfuite  que  ce  Père  s'étoit  rendu  le  défenfeur  de  fbn 
livre  des  Méditations  contre  ceux  qui  l'accufoient  de  mettre 
Tom.  X.  des  tout  en  doate.  Il  en  écrivit  vers  le  hiois  de  Février  de  l'an 
imr.  p.  500.    j^^  ^  ^^^  ^^^^^  p^^^  j^  l'Oratoire  de  k^  amis  particuliers 

que 


ï  (?  4  ^• 

i  OUI  2.. des 
Icttr.  pag. 
47^.480. 


LivreIII.  Chapitre    VIII.  15^ 

que  nous  ne  connoifTons  pas ,  mais  qui  étoit  D  odeur  de  S  or- 
bonne  comme  le  Père  Gibieuf.  «  J'ai  aflez  éprouvé  ,  dit~il 
à  ce  Père ,  combien  vous  favorifiez  le  defir  c]ue  j'ai  de  faire 
quelque  progrez  dans  la  recherche  de  la  Vérité  :  &  le  té- 
moignage que  vous  m'en  rendez  encore  par  vos  lettres  m'o- 
bUge  extrêmement.  Je  fuis  aulîî  trés-obligé  au  R.  Père  de  la 
Barde  pour  avoir  pris  la  peine  de  lire  mes  penfées  deMéta- 
phyiîque,  &  m'avoir  fait  la  faveur  de  les  défendre  contre 
ceux  qui  m'accufoient  de  mettre  tout  en  doute.  Il  a  trés- 
parfaitement  pris  mon  intention  :  6c  fî  j'avois  plulîeurs  pro- 
tecteurs tels  que  vous  ôcluyje  ne  douterois  point  quemon 
parti  ne  fè  rendît  bien-tôt  le  plus  fort.  Mais  quoyque  je 
n'en  aye  que  fort  peu  ,  je  ne  lailîe  pas  d'avoir  beaucoup  de 
(htisfadion  de  ce  que  ce  font  les  plus  grands  hommes  &:  les 
meilleurs  eifprits  qui  goûtent  &  favorisent  le  plus  mes  opi- 
nions. Je  me  laifle  aifément  perfuader  que  fî  le  P.  Gibieuf 
eût  vécu ,  il  en  auroit  été  des  principaux. 

En  efFet,  il  perdit  un  excellent  amy ,  &  un  bon  protedeur 
de  fà  philofbphie  à  la  mort  de  ce  fçavant  homme  ,  qui  au-  Txg.  49/.  du 
roit  été  celuy  d'entre  les  Théologiens  modernes  qu'il  auroit   **  ^**™* 
joint  le  plus  volontiers  à  S.  Thomas  fon  principal  diredeur, 
s'il  avoit  jamais  pu  fe  réfoudre  à  traiter  aucune  matière 
Théologique. 

Les  Jéfuites  fcmbloient  être  un  peu  plus  partagez  quelé^' 
Pére5  de  l'Oratoire  fur  la  philofbphie  de  M.  Defcartes  :  & 
la  diverfîté  des  opinions  étoit  grande  dans  leur  Gompa<7^nie 
fur  fès  Méditations  Métaphyfiques.  Les  uns  fè  contentoient 
de  goûter  fes  principes  &:  fes  raifbnnemens ,  ou  de  louer  fcs 
bonnes  intentions  &  f^s  efForts,  fans  aller  au  de-lâ,  comme 
le  Père  Noël,  le  P.  Fournier ,  le  P.J.  François,  le  P;  Grand- 
Amy  ,  le  P.  Dinet,  qui  étoit  Provincial  de  France  à  Paris, 
le  P.  Charlet  fon  parent,  qui  étoit  Aiîifbantdu  Général  de 
la  Compagnie  à  Rome;  Le  P.  Dinet  qui  avoit  été  autre fbis^ 
fon  Préfet  à  la  Flèche ,  ayant  fait  un  voyage  à  Rome  fur  la  fin 
de  la  même  année  *  ne  manqua  point  d'entretenir  le  Père 
Charlet  du  livre  de  fes  Méditations  :  &  il  voulut  donner  avis 
au  Philofophe  de  tout  ce  qui  s'ètoit  dit  de  plus  obHgeant 
entr'eux  à  fon  fujet,  par  une  lettre  qu'il  lui  en  écrivit  de 
Rome  vers  le  commencement  de  l'Avenc.  M.  Defcartes  crue 

devoir 


*   1^41. 

Lcttr.  lat.  de 
Defc.  à  Mcif. 
Mf. 


i6o  La  Vie  DE  M.  D  ES  CARTES. 

1  6  4.1.     clcvoir  faire  part  de  la  joye  qu'il  en  reçut  au  P.  Merfènne, 
dans  le  têms  des  étreines  de  l'année  fuivante.  Il  lui  marqua. 


Lcttr.  Mf.  du  aux  termes  du  P.  Dinet  l'cftime  que  le  P.  Charlet  faifoit  de 
îj/î^"^'"       ^^s  études.,  &i  l'affection  qu'il  avoit  pour  fa  perfônne  j  croyant 
que  ce  Père  n'attendoit  à  fe  déclarer  ouvertement  pour  fà 
Philofophie  qu'après  la  publication  de  fes  Principes.    Quel- 
ques autres  Pérès  de  la  Compagnie  ne  faifoient  point  difficul- 
té d'embraflerfà  Philofophie,  6c  de  s'en  déclarer  les  Séna- 
teurs. De  ce  nombre  étoient  le  Père  Vatier ,  &:  le  Père  Mê- 
tom.i.^^    '^    land.  Le  Père  Vatier  lui  étoit  connu  très-particulièrement 
fi  tom.i.  des  depuis  quelques  années.  Il  avoit  fort  approuvé  fa  Méthode 
lcttr.  p.  55'-     ^  les  Efïais  de  fa  philofophie  dés  le  têms  qu'on  les  avoit  vu 
Lcttr.  Mf.  de    paroîtrc.    Les  Méditations  ne  furent  pas  moins  dans  foa 
?uit.  M^r  '  approbation  ,  autant  qu'on  peut  le  conjeârurer  par  les  ter- 
i(54î.  mes  aufquels  M.  Defcartes  en  écrivit  au  Père  Meriènne. 

Tom.3.des  «  Pour  ce  qui  eft  de  mes  raifbns  de  l'éxiftence  de  Dieu ,  dit- 
!«"•  P-      „  il ,  j'efpére  qu'elles  feront  à  la  fin  autant  ou  plus  efhimèes. 
x8^,iso.  ^^  qu'aucune  autre  partie  du  livre.   Le  Père  Vatier  montre 
„   qu'il  en  fait  état  :  de  il  me  témoigne  autant  d'approbation 
„   par  fès  dernières  lettres  touchant  tout  ce  que  f  ai  écrit  ^  que  j'en 
,5  pourrois  fbuhaiter  de  perfbnne.  De  forte  que  ce  qu'on  vous 
y,  a  dit  de  lui  n'eft  pas  vray-femblable.  Ce  que  l'on  avoit  dit 
au  P.  Merfènne  étoit  une  petite  calomnie,  fuivant  laquelle 
on  avoit  voulu  luy  faire  croire  que  le  Père  Vatier  avoit  eii 
quelque  defTein  de  cenfurer  les  écrits  de  M.  Defcartes.  Le 
Père  Vatier  en  ayant  eii  vent  écrivit  incontinent  â  M.  Defl 
cartes  pour  le  prévenir  contre  une  faufïèté  fî  des-obligeante. 
Le  Père  Merfènne  le  ^<:^^t^  quoique  cette  lettre  n'eût  point 
pafPè  par  {qs  mains ,  &  il  fut  curieux  de  f(^avoir  de  M.  Defl 
cartes  ce  qu'elle  contenoit,  ne  jugeant  point  le  P.  Vatier 
capable  d'une  cliffimulation  telle  qu'auroit  été  celle  de  fê 
déclarer  Cartèlîen  ,  6c  d'écrire  en  même  têms  contre  Mon- 
iîeur  Defcartes.    Il  reçût  la  fàtisfadion  qu'il  demandoit  fîir 
l*fom7  *^"    ^^  point  le  XVII  jour  de  Mars  de  l'an  1642  auquel  M.  Defl 
„  cartes  lui  écrivit  en  ces  termes.  »  La  Lettre  du  Père  Va- 
,5   tier  n'efl  que  pour  m'obliger.   Car  il  y  témoigne  fort  être 
^     ,   j  „   de  mon  parti ,  &  il  dit  qu'il  a  defavoué  de  cœur  6c  de  bou- 

Tcrmes  de  ^•'       ,  r  '     .    ^  .         *  .    ,,     . 

la  ktcr.  da  „   che  ce  qu  on  avoit  fait  contre  moi.  Il  ajoute  encore  ces  mots, 
p.  Vatier  â  ^^  ^q  ^ç  p^auroïs  m'm^ècher  ds  vous  confejfer  que  fuivant  vos  frin^ 

vlPCS 


Livre  Vî.    Chapitre  VI II.  léi 

Cipes  vous  expliquez^  fort  clairement  le  myflére  du  faini  Eacrcment   u  i  (5  4  î, 

de  l' Autel  j  fans  aucune  entité  d'accidens.    Le  fujec  de  fa  lettre    ce 

eO:  fur  ce  qu'il  Tuppcfe  qu'on  m'a  dit  qu'il  avoit  eii  defTein  et  ^^^f'^'^}' 
de  cenfurer  mes  écrits  ^  à  quoy  je  lui  répons  que  je  n'en  ay   et  lettr.  de 
jamais  oiiy  parler  ,  ôc  que  je  n'en  ay  jamais  eu  aucune  opi-  et  Defcaitei 
mon.  <'.  fjj^  ■ 

Pour  ce  qui  efl  de  la  connoifîance  que  M.  Defcartes 
avoit  eue  du  P.  Mcland  ,  il  faut  avouer  qu'elle  ëtoit 
plus  récente  que  celle  du  P.  Vatier  :  mais  leur  amitié  n'en 
etoit  pas  moins  bien  établie  ^  &  l'on  peut  dire  que  c'étoit 
une  des  conquêtes  des  Méditations  Métaphyfiques  deMon- 
fîeur  Defcartes.  Ce  ne  fut  ni  par  inclination  ni  par  préjugé, 
mais  uniquement  par  raifon,  que  ce  PéreembrafTa  fes  opi- 
nions ,  puifque  jufques-là  ils  n'avoient  point  encore  oiiy  par- 
ler l'un  de  l'autre.  Le  P.  Méland  avoit  été  pénétré  de  la 
leélure  des  Méditations.  Non  content  de  les  avoir  digérées 
pour  Ton  ufage  particulier^  il  voulut  les  rendre  encore  uti- 
les à  d'autres.  Pour  les  proportionner  à  la  portée  de  plus  de 
monde ,  il  s'avifà  de  les  réduire  dans  une  méthode  plus 
fcholaflique  &  plus  intelligible  aux  efprits  communs.  M, 
Defcartes  confîdéra  l'importance  de  ce  fèrvice  comme  il  le 
devoit,  &  îl  ne  Teftima  pas  moins  avantageux  pour  fon  traité 
de  Métaphyfique  ,,  que  le  travail  de  M.  de  Beaune  l'a- 
voit  été  pourfà  Géométrie.  Il  s'en  expliqua  depuis  en  d^s 
termes  pleins  de  reconnoifTance,  écrivant  a  un  Pérc  Jéfuite 
que  nous  ne  connoiiTons  pas,  •»  Si  le  témoignage  de  M.  « 
de  Beaune,  dit-il,  fuffit  pour  faire  valoir  ma  Géométrie,  « 
j'ofe  me  promettre  que  celui  du  Rév.  Père  Méland  ne  fera  « 
pas  moins  efficace  pour  autorifer  mes  Méditations ,  vu  prin-  « 
cipalement  qu'il  a  pris  la  peine  de  les  accommoder  au  ftile  « 
dont  on  a  coutume  de  fe  fervir  pour  enfeigner.  Je  lui  en  ay  e 
une  très-grande  obligation  :  6c  j'efpére  qu'on  verra  par  ex-  « 
pérjence  que  mes  opinions  n'ont  rien  qui  doive  les  faire  re-  « 
jetter  par  ceux  qui  enfeignent  ^  mais  qu'elles  fè  trouveront  « 
au  contraire  fort  commodes  &  fort  utiles.  Cette  occadon  é-  « 
tablit  entre  eux  une  correfpondance  mutuelle,  qui  fut  entre- 
tenue par  le  commerce  des  lettres.  Celle  que  M.  Defcartes 
écrivit  à  ce  Père  pour  le  remercier  de  fon  travail  efl:  fort 
longue.   Mais  n'ayant   encore  été  imprimée  nulle  part,  il 

X  "  tauc 


Tom.  jî< 
des  lettf. 
p3g.  10;. 


i6i  La  Vie  DE  M.  D  ESC  A  R.  TE  s. 

1642.      f-^^^î^  ^"ÏJ^C  ^^^  lecteur  le  plaifir  de  lui  communiquer  l'extraie 

. —   du  commencement  qui  regarde  nôtre  fLî)et,>3  Vôtre  lettre  du 

Lcttr.  Mf.  ,j   XXI r  d'Odobre ,  dit-il  à  ce  Père ,  ne  m'a  été  rendue  que  de^ 

de  Defc.au  .    ,      .    .  ^^  •     /i  r  •        ,    .       a  ^   ,        . 

p,Mélan4.  "   P^^'^  "^^^^  jours.  Ce  qui  elfc  caule  que  je  n  ai  pu  vous  tcmoi-, 

"   gner  plutôt  combien  j?  me  reiîens  vôtre  obligé  ^  non  pas  de 

->■>   ce  que  vous  avez  pris  la  peine  de  lire  &  d'examiner  mes  Mé- 

»   ditations,  car  n'ayant  point  été  auparavant  connu  de  vous, 

•y  je  veux  croire  qu'il  n'y  aura  eu  que  la  matière  qui  vous  y  aie 

sî   invité  j  ni  auffi  de  ce  que  vous  les  avez  digérées  de  la  ma-» 

"   niére  que  vous  avez  fait,  car  je  ne  luis  pas  il  vain  que  de 

»?   penler  que  vous  l'ayez  fait  à  mon  fujet,  &:  j'ay  aflez  bonne 

îî   opinion  de  mes  raifonncmens  pour  croire  que  vous  avez  ju- 

>3   gé  qu'ils  méritoienr  d'être  rendus  intelligibles  à  pluiieurs,à 

»  quoy  la  nouvelle  forme  que  vous  leur  avez   donnée  peut 

î5   beaucoup  fèrvir  :  mais  de  ce  qu'en  les  expliquant  vous  avez 

>î   eii  loin  de  les  faire  paroitre  avec  toute  leur  force,  èc  d'inter- 

)5   prêter  à  mon  avantage  plusieurs  chofes  quiauroientpû  être 

51   perverties,  oudiffimulées  par  d'autres.  C'eft  en  quoy  je  re-r 

>î   connois  particulièrement  vôtre  franchife,  &  où  je  vois  que 

>5   vous  m'avez  voulu  favorifer.  Je  n'ay  trouvé  pas  un  mot  dans 

"   l'écrit  qu'il  vous  a  plu  me  communiquer  ,  auquel  je  ne 

«  ibufcrive  entièrement.    Et  bien  qu'il  y  ait  plu  {leurs  penfees 

î>   qui  ne  font  point  en  mes  Méditations  ,  ou  du  moins ,  qui 

»   n'y  font  pas  déduites  de  la  même  forte  ,  il  n'y  en  a  toute- 

"   fois  aucune  que  je  ne  voulufles  bien  avouer  pour  mienne, 

Difc.  de  la  „   Auffi  pourray-je  dire  que  ce  n'a  pas  été  de  ceux  qui  ont  é- 

©arc. 6. an.  "   xaminç  mes  écrits  comme  vous,  que  j  ay  parle  dans  le  ail- 

;.  J5   cours  de  la  Méthode ,  quand  j'ay  dit  que  je  ne  reconnoiiîbis 

îî   pas  les   penfees  qu'ils  m'attribuoient  5  mais  fjulement  de 

î?   ceux  qui  les  avoient  recueillies  de  mes  difcours  étant  en 

î3   converlation  familière. 

Mais  parmi  tant  d'amis  &  de  fedateurs  que  M.  Defcar- 

Lettre  au  P.   ^*^''  avoit  d^ns  la  Compagnie  des  Jéfuires ,  &  qu'il  ne  fiifbit 

Dincc  ,    &    point  diaiculté  de  rcconnoître  pour  fes  Maîtres  :  il  avoit 

jom.  j.  des    j^^j-j   ccnfèur  en  la  perfonne  du  P.   Bourdin  ,   qui  ne  pou^ 

voit  point  lui  être  inutile.  Ce  Père  fembloit  avoir  acquis  le 

droit  d'examiner  les  Ecrits   de  M.  Defcartes  depuis  la  difl 

pute  qu'il  avoit  eue  avec  lui  fur  fi  Dioptriqae  ,  &  il  ufa  de 

ce  droit  dçs  qu'il  fe  vid  en  état  de  lire  fes  Méditations.    Il 

y 


Lïvp.  E    VI.ChapitreVIII.  1^3 

y  forma  des  obi:dions  qu'il  ne  jugcoit  point  d'abord  de-      1^41. 

voir  envoyer  à  M.  Defcarces,  parce  que  la  conduite  qu'ils — • 

avoient  gardée  l'un  envers  l'autre  ne  pouvoir  lui  faire  con- 
jecturer la  manière  dont  il  les  recevroit.  M.  Defcar- 
tes  ayant  fcû  cett2  difpofition  s'imagina  que  le  P.  Bour- 
din  avoit  Eiit  ces  objections  pour  d'autres  que  pour  lui:  ce 
qui  lui  oarut  contraire  aux  maximes  de  la  charité  chrétien- 
ne de  au  bon  ordre  de  la  République  des  Lettres,  qui  veut 
que  la  corredion  (èrve  premièrement  à  celui  qu'on  entre- 
prend de  corriger. 

Pour  l'obliger  à  fuivre  les  pas  des  Auteurs  des  autres  crb- 
jedions,  ilréfolut  de s'adrelTer  au  R.  P.  Dinet  Provincial,  & 
de  le  prier  de  faire  rentrer  par  fbn  autorité  le  P.  Bourdin 
dans  les  voyes  d'équité  &  de  bien-veillance  à  fcni  égard,  foie 
en  publiant  (es  objeâ:ions,{biten  les  lui  envoyant  pour  pou- 
voir y  répondre,  &  les  joindre  aux  autres  qui  étoient  déjà 
imprimées.  Le  Père  Provincial  qui  avoit  de  l'amitié  &  de  la 
confidération  pour  M.  Dcfcartes  engagea  le  P.  Bourdin  Epiit. kî  Dl- 
à  lui  accorder  la  fansfadion  qu'il  lui  demanioit.   De  forte  "^ï-  ^"^^« 
que    bon  gré  ou  malgré  le  P.  Bourdin,  il  reçût  fcs  objec- 
tions,  qui  étoient  dreflees  dciis  la  forme  d'une  jufte  diiîer- 
tation,  oùihs  Méditations  f."  trou  voient  rJfutces  avec  toute 
la  vigueur  d'un  Adveriàire.  Il  jugea  d'abord  par  le  Me  &  Epift.  atlDi- 
les  manières  de  cet  écrivain  qu'il  s'ètoittro.npède  croire  que  "^'^• 
l'union  étroite  des  membres  de  ce  grand  corps  dût  faire  attri-   objç  a.&Ré». 
buer  à  toute  la  Compagnie  ce  qu'il  plaifbit  aux  particuliers  P°"^"  ^^P^^^" 
de  penier  ou  d  écrire,  ou  raire  juger  qu  il  ne  paroiiioit  rien 
d'aucun  o'entr'eux  qui  ne  fàt  approuvé  de  tous  les  autres. 
AulTî  protefta-t-il  que  la  Rèponfe  qu'il  fît  à  ces  Objeclions 
n'ètoit  que  pour  le  P.  Bourdin,  qui  fembloit  avoir  voulu 
s'éloigner  de  l'accommodement  qui  fè  ménageoit  entre  eux, 
par  le  moyen  des  confrères  de  l'un,  de  des  amis  de  l'autre.  ïi 
le  peut  faire  que  M.  Defcartes  ait  été  trop  fènfible  aux  coups 
du  P.    Bo-irdin,  &  qu'il  ait  eu  tort  de  prendre  pour  des     tJtamîciû6 
infultesou  des  ironies  les  proteflations  que  ce  Péreavoit  fai-  ''^/^y-'^'"^**- 
tes  au  commencement  &  a  la  fin  de  fa  Réfutation  ,  quV/  ne  vim  docios 
hlcffcrolt  point  les  loix  de  l' amitié  qui  et  oit  eut  r  eux ,  nv  les  rézles  •Z''^'^'*  ^  '"'"'^ 

j     1,1        \        I         .  r  1       ^  >r    •  '1  Inmesrcttnean^ 

de  l  honnêteté  qui  Je  pratique  entre  les  Scavans.  Mais  pour  luy   ^.,v.  objea. 
donner  des  marques  plus  fincères  de fon amitié, il  crut  de-  pag-  j  -  4  , 

X*ij        voir'°7.>5% 


1^4  La  Vie  de  M.   Descaktes. 

I  <3  4  2.     voirie  recommander  à  Ton  Supérieur,  comme  un  malade  qu? 

, eft  mené  au  Médecin  par  ion  ami. 

Il  écrivit  dans  cette  intention  une  lon^rue  lettre  en  forme 
de  dilTertation  au  PéreDmet,  qui étoit encore  Provincial, 
Voyez  cette  Mais  il  lie  put  lui  montrer  le  mal  du  P.  Bourdin  qu'il  ne  lui 
Letuc  impri-  (Jécouviit  le  fîen  en  même  têms.  Le  défaut  de  prudence,  de 
î^pticm^ob-  bonne  foy,  de  fcience,  de  douceur  ,  de  modefbie,  de  cha^ 
jedions  en  La-  rite,  &  dc  toutes  Ics  boiiues  qualitcz  convenables  à  ceux  qui 
im  a  Anifter-  ç      ^^^ij-nez  &  conduits  par  l'efprit  de  la  Société.étoitce  qu'il 

dam  ,    &    en  •     i        i        v         j-    ^  j  i>  '      •     o    i  J    •  " 

François  à     trouvoit  le  pius  a  redire  dans  1  écrit  ce  la  conduite  particu-, 
i^aiisç  i^^^Q  ^u  p.  Bourdin  :  mais  par  un  mauvais  effet  de  ce  fâ- 

cheux exemple,  il  iembloit  avoir  lui-môme  contradé  dans 
fa  Réoonfe  à  l'Ecrit  du  Pére  quelques-unes  des  mauvailès 
qiialitez  dont  il  l'accufoit  devant  fon  Supérieur.  Il  préten- 
doit  principalement  tirer  avantage  fur  le  Pére  de  ce  qu'étant 
Reliirieux  il  fembloit  être  obligé  à  une  plus  grande  perfec, 
tion  que  lui ,  fans  prendre  garde  que  les  chofes  dont  il  lui 
faifoit  des  crimes  n'étoient  pas  moins  blâmables  dans  le  der- 
nier des  chrétiens ,  que  dans  ceux  du  premier  rang  ^  èc 
qu'elles  étoient  contraires  au  Décalogue  de  à  l'Evangile, 
avant  qu'on  fe  fût  avifé  défaire  des conftitutions  Réguhéres 
èc  Monafliques. 

L'atteinte  que  le  P.  Bourdin  avoit  donnée  à  la  bonne  o^ 
pinion  qui  fe  répandoit  de  fa.  philofophie  dans  Pans ,  don^ 
na  occa^on  à  nôtre  Philofophede  faire  au  P.  Dinet  un  récit 
hiftorique  des  avantures  de  cette  philofophie  depuis  l'édi- 
tion de  fes  Eflais.  Les  troubles  de  l'Uni verfité  d'Utrecht 
n*y  furent  pas  oubliez.  Le  Miniftre  Voetius  y  fut  dépeint 
dans  toutes  fes  intrigues  :  mais  l'on  peut  dire  que  les  cou- 
leurs qu'il  y  employa  ,  quoique  fort-propres  &  fort-Umples, 
furent  des  lémences  pour  de  nouveaux  chagrins  qu'il  eut  a 
recueillir  dans  la  fuite  des  têms  de  la  part  de  Voetius  &;  de 
(à  cabale. 

Il  n'en  reçut  aucun  de  la  part  du  Pére  Dinet  &  de  k 

Compagnie  des  Jéiiiites  ,  quoiqu*il  lemblât  en  avoir  mérité 

par  le  peu  d'indulgence  dont  il  avoit  ufé  à  l'égard  du  P. 

Bourdin,  &  qu'il  crût  après  avoir  envoyé  cette  lertre  &:  fa 

Tom.  1.  des  réponfc  contre  lui,  ne  devoir  fonger  qu'à  Ibûtemr  le  choc 

î«tf.pag.jo^.  (icsjéfuites,  malgré  tous  les  foins  qu'il  avpit  pris  pour  fépa^ 


» 


Livre    VI.    Chapitre  VIII.  1^5 

Ter  la  caufê   perfbnnclle  du    P.    Boiirdin   de  celle   de  fa     i^At 

Compagnie.  Il  fout  avouer  que  fbn  defîein  ccoïc  d'attirer  en * 

un  jufle  combat  tous  ceux  d'entre  les  Jéfliitcs  qu'il  croyoit 
être  partifàns  ou  fauteurs  du  P.  Bourdm  ,  6c  qu'il  fçavoit   '^°"'-  3pagr 
qui  parloient  mal  de  lui  &  de  fà  philofbphie  entre  eux,  ou    '^'^ 
dans  \qs  convcrfations  particulières  qu'ils  avoient  par  la  vil-   ^^^^  610/^^* 
Je.   Mais  loin  de  remporter  aucun  avantage  fur  la  Société,   j^çj^        ^^ 
il  fut  vaincu  par  la  prudence  6c  par  la  bonté  du  P.  Dinet,   tom.  3.  ^ 
qui  ôta  au  Père  Bourdin  toute  envie  de  plus  fc  brouiller  ^°'""  '•  P*S* 
avec  luy  j  le  fit  taire  ^  &:  difpofa  ion  eiprit  à  la  réconcilia-   Lct'tr.  Mf.  ic 
tion.  Le  P.  Dinet  fut  choifi  peu  de  têms  après  pour  être  Dcfcaites     à 
ConfelTeur  du  Roy  Louis  XIII  ;  mais  il  ne  cefla  point  d'ê-  uZ^i,%^^^' 
tre  l'ami  &;  le  fauteur  de  M.  Dcfcartes.    Le  Père  Charlet  Tom.  j.  pag. 
Affiitant  de  France  prés  du  Général,  ôc  quantité  d'autres  ^°4>  ^°;- 
perfonnesconfidéréesdans  la  Compagnie  desjéfuites  voulu-  aprcTrian' 
rent  aufli  fe  mêler  de  (g.s  intérêts  ;  &:  leurs  foins  fjrent  fuivis  1644.  &c. 
deux  ans  après  des  gages  de  l'amitié  que  le  P.  Bourdin  àc 
M.  Dcfcartes  jurèrent  entre  eux  pour  le  refle  de  leurs 
jours. 

L'Ecrit  du  P.  Bourdin  contre  les  Méditations,  avec  la  Ré- 
ponfe  de  M.  Dcfcartes  inférée  à  la  fin  de  chaque  article , 
fut  imprimé  fous  le  titre  de  feptiémes  Obje&ions  à  la  fin  de  la 
/econde  édition  Latine  des  Méditations  qui  fè  fit  à  Amfler» 
dam  chez  Elzevier  l'an  1642  ,  où  M.  Dcfcartes  fit  corriger 
le  titre. de  celle  de  Paris,  &:  fubftituer  le  terme  de  difiinHion 
de  l^ Ame  d'avec  le  Corps  à  la  place  de  celui  ai  immortalité  de   il  l'avoit  fait 
l'Ame.  Il  eut  foin  de  faire  joindre  auffi  fà  lettre  au  P.  Dinet  '«ip/imer  fé^ 
à  la  fin  de  cette  édition,  qui  fe  trouvant  ainfî  plus  complé-  paîavlnt^^"' 
te  que  la  première,  parut  plus  que  fuffifante  pour  payer  la     lettr.  n  & 
patience  avec  laquelle  les  Hollandois  6c  les  autres  Etran-  "•  ms.  de 
gers  avoient  attendu  la  lecture  de  l'ouvrage.    On  avouera  ^^^'"s. 
que  le  confentement  de  M,  Dcfcartes  pour  cette  nouvelle 
édition  ne  pouvoit  nuire  à  la  réputation  de  fi  bonne  con- 
fcience  ni  aux  intérêts  du  Libraire  de  Paris  à  qui  il  avoit 
cédé  fbn  privilège ,  quand  on  aura  examiné  fts  vues  ^  fcs 
démarches.    On  Tavoit  averti  que  plufîeurs  Libraires  de 
Hollande  avoient  envie  de  faire  cette  imprefTion,  ^  qu'il     Tom.  z.  des 
ne  \qs  pourroit  empêcher  parce  qu'ils  étoient  tous  perfua-  ^"^r.p3g.30}. 

X*  -iij  dez 


1^4  ^• 


Pag.  19?.  & 


J04. 


ibid. 


î^ag- 199,301. 
504.  ibid. 


i5^  La   Vie   DE    M.  Des  carte?; 

dez  que  le  privilège  du  Libraire  de  Paris  n'étoit  que  pour 
la  France.  On  lui  avoit  fait  entendre  d'ailleurs  que  les  Li- 
braires du  païs  ufbient  de  toute  forte  de  liberté  fur  ce  point: 
de  forte  même  qu'un  privilège  des  Etats  ne  les  retiendroit 
pas.  C'ell  pourquoi  il  aima  mieux  qu'il  y  en  eût  un  qui  le 
fit  avec  fon  confentement ,  fes  corrections ,  &  fes  a  Mitions , 
que  de  voir  que  d'autres  le  filTent  à  fon  infçû  &  avec  beau- 
coup de  fautes.  C'eft  ce  qui  le  fit  confentir  qu'Elzevier 
d'Amfterdam  l'imprimât,  à  condition  néanmoins  qu'il  n'en 
envoyeroit  aucun  exemplaire  en  France  ,  afin  de  ne  point 
faire  tort  au  Libraire  Soly ,  dont  il  n'avoit  pourtant  pas  eu 
grande  fatisfadion  jufques-là,  en  ce  qu'il  ne  lui  avoit  encore 
envoyé  aucun  exemplaire. 

Outre  les  feptiémes  Objections  &L  la.  lettre  au  P.  Dinet , 
il  fît  mettre  de  nouveau  une  addition  à  la  fin  des  quatriè- 
mes Objections  touchant  la  TranfFubftantiation  que  le  P. 
Merfènne  avoit  jugé  à  propos  de  rctra'icher  de  l'édition  de 
Paris.  Mais  il  n'exécuta  point  le  defîein  qu'il  avoit  eu  d'y 
joindre  VHyperafpiJîes  ou  le  défenfeur ,  avec  la  réponfe  qu  il 
y  avoic  faite  à  la  prière  du  P.  Merfènne. 


CHAP, 


Livrée   VI.  Chapitre    IX.  \(,-} 


I  (5  42. 


CHAPITRE     IX. 

J)emcure    de   M.    Defcartes   au  château  d' Eyndcgeefi  prés  de 
Zcyde.  Avantages  ^  commoditex^  de  ce  lieu.    Dcfcription  des 
trois  petites  Cours  de  la  Haye ,  f^.  du  Prince  d'Orange ,  des 
£tats  Généraux  ^  de  la,  Reine  de  Bohême.   Habitudes  de 
JS/I,  de  Sorbiére  auprès  de  M.  Defcartes.  CaraHére  de  l'efprit 
de  cet  homme.  Il  rend  de  mauvais  offices  à  M.  Defcartes  au- 
près de  M.  Gajjèndi.    Vi(ites  fréquentes  que  M.  Régi  us  rend 
a  M.  Defcartes.  Tradu'ciion  des  Méditations  par  M.  le  Duc 
de  Lûmes  3  ^  des  Ohj celions  par  M.  Clerfelier.   Excellence  de    LcsTraduct, 
ces  traduBions  revues  par  M.  Defcartes.  Pourquoi  les  ouvra-  valent  mieux 
ges  Frant^ofs  de  M.  Defcartes  tant  originaux  que  traduits  va-   naux^hms^a" 
lent  mieux  que  les  Latins,  'jugement  de  M.  Defcartes  fur  le   Géométrie 
livre  De  Cive  de  M.  Hobbes.  Hifioire  de  cet  ouvrage ,  0-  des   Latmc. 
bons  offices  que  AC.  de  Sorbiére  a  rendus  à  fon  Auteur. 

DEpiiis Pâques  derannëe  précédente  M. Defcartes  s'étoit 
logé  dans  le  château  d'un  village  nommé  Eyndegeefl 
à  une  demi-Iieuë  de  Leyde  du  côté  de  la  mer.  Là  il  rece- 
voit  des  vilites  plus  volontiers  qu'il  n'avoit  fait  ailleurs  ,  foie 
que  l'âge  &  les  difputes  Teufîent  humanifé  plus  qu'aupara- 
vant, foit  qu'il  faillit  accorder  quelque  chofè  au  bruit  de  fa 
réputation  ou  à  la  belle  fituation  de  fa  demeure.  Il  y  fut 
vifité  au  commencement  de  l'anrée  1641  par  le  fleur  Samuel 
de  Sorbiére  Médecin  de  profefTion ,  Epicurien  de  fecte  ,  ne- 
veu du  célèbre  Samuel  Petit  Mmiftre  de  Nifmes.  C'étoic 
un  homme  d'efprit  &:  de  f^avoir  ,  qui  faifoit  fà  principale 
£tude  de  rechercher  les  S(^avans  répandus  dans  l'Europe,  & 
de  profiter  plus  de  leurs  converfations  que  à(i^  livres.  De 
forte  qu'il  étoit  en  réputation  d'être  encore  plus  curieux 
quef<^avant,  &  plus  coureur  qu'homme  de  cabinet.  11  ne 
parut  pas  moins  charmé  des  agrémens  de  la  demeure  de  M. 
Defcartes  que  de  ceux  de  fa  converfàtion.  11  ncus  en  a  fait 
depuis  la  defcription  en  ces  termes,  »  Je  courus ,  dit-il ,  à  p-J^*  ^^ 
Endelgeefl  (  Eyndegeefi  )  à  une  demi-îieuë  de  Leyden  du  "  Sorbiére  , 
côté  de  >^ani;ont ,  dés  que  je  fus  en  Hollande  au  corn-  «  ^^''^-   "' 

^        '  JV.  pas;. 

meucemeut      ^7?,  681. 


1^8  La   V  r  e  d  e   M.    D  e  s  c  a  r  t  e  s. 

1641.  »   mencement  de  Tan  164.1.  J'y  vilîtai  M.  Defcarcesdansfâ  fô- 
,  litude  avec  beaucoup  de  plaifîr,  &:  je  tâchai  de  profiter  de 

,5   fà   converfation  pour  l'intelligence  de  fa  doctrine  . . . .  Je 
j,    remarquai  avec  beaucoup  dejoye  la  civilité  de  ce  Gentil- 
,5   homine,  fa  retraite,  &  Ton  œconomie.  Il  étoit  dans  un  petit 
„   château  en  très-belle  fîtuation,  aux  portes  d'une  grande  6c 
,5    belle  Univerfîté,  à  trois  lieues  de  la  Cour^  &  à  deux  peti- 
,5   tes  heures  de  la  mer.    Il  avoit  un  nombre  fliffifànt  de  do- 
,3   mefliques ,  toutes  perfonnes  choilîes  &  bien-faites  ^  un  afîez 
,5    beau  jardin ,  au  bout  duquel  étoit  un  verger ,  3c  tout  à  Pen- 
55    tour  des  prairies  ,  d'où  l'on  voyoit  fortir  quantité  de  clo- 
53    chers  plus  ou  moins  élevez,  jufqu'à  ce  qu'au  bord  de  i'hori- 
55    zon  il  n'en  paroifibit  plus  que  quelques  pointes.  Il  alloit  à 
55    une  journée  delà  par  canal  à  Utrecht,  à  Delfc,  à  Rotter- 
,5   dam ,  à  Dordrecht,  à  Harlem,  ôc  quelquefois  à  Àmfterdam, 
,5   II  pouvoit  aller  pafler  la  moitié  du  jour  à  la  Haye ,  revenir 
Pao-.  6Si.  "   ^^  logis  le  même  jour,  &  foire  cette  promenade  par  le  plus 
ibidem.    53    beau  chemin  du  monde ,  par  des  prairies  6c  des  maifons  de 
53   plaifànce ,  puis  dans  un  grand  bois  qui  touche  ce  village  com- 
55  parable  aux  plus  belles  villes  de  l'Europe,  &:  fuperbe  en  ce 
,5   têms-làpar  la  demeure  &  l'établifïement  de  trois  Cours.  Celle 
53   du  Prince  d'Orange  qui  étoit  toute  mihtaire  y  attiroitdeux 
53   mille  G^^ntils-hommes  en  équipage  guerrier  j  le  collet  de 
,3   buffle,  l'écharpe  orangée  ,  la  grofîe  botte, &  le  cimeterre 
,3   en  étoient  les  principaux  ornemens.  Celle  des  Etats  Géné- 
,3   raux  étoit  compofce  des  députez  des  Provinces-unies  &;  des 
53   Bourg-maîtres  qui  fbutenoient  la  dignité  de  l'Ariftocratie 
,3  en  habit  de  velours  noir  avec  la  large  fraize  &  la  barbe 
53   quarrée.    La  Cour  de  la  Reine  de  Bohême  veuve  du  Roi 
33   Frédéric  V  Eledeur  Palatin  fembloit  être  celle  des  Grâces^. 
,3   ayant  quatre  filles  prés  defquelles  fe  rendoit  tous  les  jours 
53   le  beau  monde  de  la  Haye  pour  rendre  hommage  à  l'efl 
33  prie,  à  la  vertu, 6c  à  la  beauté  de  ces  PrincelFes,  dont  l'aï- 
33  née  prenoir  plaifîr  à  entendre  difcourir  M.  Defcirtes. 
5j      Je  loiiai  merveilleufement  le  choix  que  M  Defcartes  avoïc 
.j3  fait  d'une  demeure  iî  commode ,  &  l'ordre  qu'il  avoit  mis  à 
33  fbn  divertiiîèment  aufïï  bien  qu'à  fà  tranquillité.  Et  delà  je 
»3   pafîai  à  l'obfervation  de  fes  études  &  de  fés  autres  occupa- 
n  tions.  Je  confidérai  plus  particulièrement  que  le  refte  l'a- 

dreflè 


Livre    VI.    Chapitre    IX.  16^ 

drefTe  de  ce  Philofophe  en  ce  qui  regardoit  fà  méthode,  de  u  1642. 
le  deiîein  qu'il  avoir  d'ccablir  [es  raifbnnemens  dans  les  A-  ^  «____^ 
cadémies  .  .  .  Je  voulus  entrer  avec  lui  dans  quekpe  détail  c^ 
de  fês  opinions  :  mais  il  me  renvoya  à  fes Ecrits, qu'il  difoit  ç^  pa^.  679. 
avoir  compofèz  le  plus  clairement  qu'il  lui  avoit  été  poiîî-  ç^  ibidem, 
ble.  Et  j'ai  admiré  depuis  ce  têms-là  qu'il  n'ait  pas  voulu 
expliquer  les  penlées  de  divers  biais ,  &  de  la  même  ma- 
nière que  quelques-uns  de  lès  dilciples  les  donnent  à  enten- 
dre. Il  demandoit  à  (bs  dilciples  auffi  bien  qu'Ariftote  la 
docilité  &;  la  patience  néceilaire  pour  rebattre  une  doctrine 
dans  l'erpnt,iufqu'à  ce  qu'on  l'eût  fortement  imprimée  dans 
(a  mémoire.  Ainfî  je  ne  m'étonne  pas  que  ceux  qui  lui  ont 
obéi  ayent  tellement  formé  leur  efprit  à  fà  philofbphie , 
qu'il  lemble  qu'ils  l'ont  plus  à  cœur  qu'il  ne  Tavoit  lui-mê- 
me. Il  n'eft  pas  jufqu'aux  Lulliftes  éc  aux  Paracelfiftes  qui 
ne  le  perfiiadent  que  le  galimathias  qu'ils  fè  font  opiniâtrez 
d'apprendre  ,  eft  fondé  fur  de  bonnes  raifbns.  Mais  la  phi- 
lofophie  de  M.  Defcartes  a  bien  plus  de  droit  qu'aucune 
autre  de  s'infinuer  dans  les  efprits  des  perfonnes  curieuies  ^ 
parce  qu'elle  eft  pleine  d'excellentes  choies  puilées  dans 
toutes  les  bonnes  iburces ,  &  que  le  mélange  de  ce  qui  eft 
moiiis  folide  y  eft  fait  avec  beaucoup  d'addrelîe.  On.  void 
paroître  ce  bel  elprit  en  divers  endroits,  où  il  donne  de  clai- 
res idées  de  ce  qu'il  dit  :  puis  il  difparoît  en  quelques  au- 
tres ,  &  il  le  plonge  dans  les  flippolîtions ,  ians  qu'il  y  ait 
moyen  d'attraper  fa  penlée  ,  à  moins  que  l'on  ne  diftingue 
promtemcnt  avec  lui  \  TntelleBion  d'avec  Y  Imagination.  Celle- 
là  n'eft  qu'un  terme  de  là  fubtilité,  qui  s'infinuë  plus  aifement 
que  l'autre  dans  les  matières  où  Ton  ne  trouve  plus  de  fonds, 
&  où  le  bon  fèns  trouve  de  la  réfiftance.  Mais  il  a  préparé 
Ion  lecteur  à  cette  diftinction  par  fa  Métaphyfique,  où  il  a 
choifi  le  plus  beau  prétexte  du  monde  de  raifonner  impuné- 
ment à  la  Platonicienne,  &  d'accoutumer  ceux  qui  l'écou- 
tent  à  recevoir  unfimple  arrangement  de  paroles  pour  une 
fuite  de  chofes  plus  réelles.  C'eft  ce  dont  il  ne  me  refte  rien 
à  dire  après  la  Difquifîtion  de  M.  Gaflendi. 

11  faut  tenir  compte  à  M.  de  Sorbiére  du  peu  de  bien 
qu'il  a  dit  de  M.  Defcartes  en  toute  là  vie.  Il  n'étoit  peut- 
être  rien  de  plus  îoiiable  en  lui  que  la  violence  qu'il  s'eft 

Y  *  faite 


C( 
C( 

çc 
C( 
C( 
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ce 

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(( 
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et 
ce 
ce 
ce 
ce 
ce 
ce 
ce 
ce 
ce. 
ce 


lyo  La  Vie   de   M.    Des  cartes. 

■i  6/Li.     faite  dans  les  occafions  pour  en  arracher  les  témoignac^cs 

^ L de  fà  confcience.     Il  eft  feulement  à  craindre  qu'on  ne  le 

ic)upçonne  d'en  avoir  dit  tout  ce  bien  par  un  mouvement 
de  cette  légèreté  avec  laquelle  il  avoit  coutume  de  débiter 
tout  le  mal  qu'il  r^avoit,ou  qu'il  croyoit  fçavoir  des  plus 
grands  hommes  de  fbn  tênis,  chez  qui  il  cherchoit  à  fe  four- 
rer à  la  faveur  du  nom  de  du  mérite  de  fbn  oncle ,  ou  fous 
le  prétexte  d'apprendre  des  nouvelles  de  Sçavans  aux  Sça- 
vans,  ècde  fe  rendre  leur  fadeur.  Il  avoit  un  talent  parti, 
culicr  pour  découvrir  les  défauts  de  ceux  qui  le  recevoienc 
à  leur  table  èc  jufques  dans  leur  cabinet,  &  qui  lui  permet- 
toientde  les  regarder  en  dcs-habillé ,  par  une  confiance,  ou 
plutôt  par  une  iimplicité  qui  eft  naturelle  à  cette  efpéce  de 
Sçavans  qui  ont  renoncé  au  commerce  du  grand  monde.  Il 
s'étoit  déjà  donné  tout  entier  à  M.  Gafîendi  avant  que  d'a- 
voir vii  M.  Defcartes-  il  en  étoit  le  pancgyrifte  perpétuel  j 
îl  fat  depuis  le  prédicateur  de  faPhilofophie  ,  l'abbréviareur 
ôc  le  compilateur  de  fcs  écrits  ,  ôc  l'hillorien  de  fa  vie.  H 
fut  aufîi  l'efpion  continuel  de  M.  GaiTendi  auprès  de  M, 
Defcartes  pendant  tout  le  tems  qu'il  fut  en  Hollande  •  de 
il  n'oublia  rien  pour  détruire  celui-çi  dans  l'efprit  de  l'au- 
Sorb.  pag'     tre  par  des  rapports  defbbligeans.  Non  content  d'irriter  M, 

e8^.686.ibid.  Q^^iiendi  contre  M.  Defcartes,  il  fe  charg-ea  encore  du  foin 
de  faire  imprimer  en  Hollande,  6c  de  diftribuer  avec  les  élo- 
ges nécelîaires  les  écrits  qu'il  avoit  déjà  faits  ,  &  qu'il  luy  fit 
foire  encore  depuis  contre  les  Méditations  dç  Monfieur  ÙeÇ- 
cartes. 

C'etoit  par  un  autre  efprit  &  dans  d'autres  intérêts  que 
M.  Rcgius  rendoit  i  M.  Defcartes  de  fréquentes  vifites 
dans  Evndegeefl:,  qu'il  regardoit  comme  l'école  où  il  alloit 
puifér  les  enfèignemens,  aufquels  le  fimple  commerce  des 
lettres  ne  pouvoit  fiifiifàmment  fournir.  Monfieur  Defcar- 
tes le  confidéroitfbuvcnt  chez  lui  moins  comme  undifciple 
qui  eût  bcfbin  d'inftrudion,  que  comme  un  ami  à  qui  il  de- 
Tom,  I.  des  voit  procurer  quelque  divertiflèment.    Aufîi  voyons -nous 

Iettr,pag.4i8.   q^'j|  ^^yoïc  fom  quelquefois  de  convier  avec  lui  fà  femme  & 
V.  auni  les   fa  fille  de  le  venir  voir  à  Eyndegeefl.    Il  n'étoit  pas  difficile 

Rcius.^^  '   ^  à  M.  Regius  de  mener  fouvent  fli  famille  à  M.  Defcartes, 
qui  la  regardoit  avec  la  même  tendreffe  qu'il  auroit  fiit  la 

fienne. 


Lcttr.  MC 
a 
ie 

Rcgius  à  DeC- 

cartes 


de  Sorb. 


Ll  VR  E    V  I.    C  H  A  P  I  T  R  E    IX.  171 

fîenhe.  Outre  la  vove  des  canaux,  il  avoit  encore  pou'*  ce-        ^ 
la  les  commoditez  d'un  bon  carrolîe  qu'il  entrecenoit  chez  ^^' 

lui,  de  dont  il  Te  fervoit  volontiers  pour  procurer  la  prome-    """^  ' 

nade  à  fes  amis ,  comme  M  de  Sorbiére  le  témoigne  de  lui-  Lettr.  &  Kç\ 
même.  Il  y  trouva  M.  Picot  qui  demeuroit  avec  M.  DqC-  1"7.'"'  ^^^" 
cartes  depuis  la  fin  de  l'année  précédente  :  &  la  relation 
qu'ils  eurent  eniemble ,  en  ih  confidérant  comme  difciples  de^Defc. 
d'un  même  Maître  de  nourris  de  la  même  doctrine  ,  forma  Picot ,  scje 
entre  eux  une  amitié  pareille  à  celle  qui  les  unifïbit  avec  M. 
Defcartes. 

M.  de  Sorbiére  s'étoit  habitué  à  Leyde  pour  étudier  plus   Lettr  sc  Uifc; 
particulièrement  les  défauts  de  M.  de  Saumaife.    Mais  il  ne 
s'occupoit  pas  tellement  de  la  conGdération   de  ce  grand 
homme  qu'il  ne  retournât  fou  vent  à  Eyndegeeil:  par  ma- 
nière de  promenade  ,  &  qu'il  n'en  rapportât  toujours  quel- 
que nouveau  prétexte  d'animer  M.  Galïendi  à  écrire  con- 
tre M.  Defcartes.    Mais  pour  donner  un  contrepoids  au 
tort  que  la  plume  de  cet  excellent  homme  pourroit  fiire 
aux  Méditations  de  M.  Defcartes,  Dieu  permit  qu'un  Sei- 
gneur de  la  Cour  de  France  entreprît  de  faire  une  traduc- 
tion Françoife  des  mêmes  Méditations,  pour  en  faire  con-- 
noître  plus  particulièrement  le  mérite  dans  le  Royaume,  &: 
en  procurer  la  lecture  à  tous  ceux  qui  n'ayant  pas  l'ufage 
de  la  langue  des  fçavans,  ne  laifïeroient  pas  d'avoir  de  l'a- 
mour &  de  la  difpofition  pour  la  Philofbphie.  Il  faut  avouer 
que  la  fin  de  l'auteur  de  la  traduction  n'avoit  été  que  la  fx- 
tisfadion  particulière  qu'il  trouvoit  à  exercer  fon  ftile  fur 
de  grands  fujets  ,  fans  fbnger  à  rendre  fèrvice  au  Public. 
Mais  ia  traduction  ayant  été  recueillie  èc  envoyée  à  M. 
Defcartes  par  fa  permiiTion  ,  elle  fut  jugée  propre  à  faire 
beaucoup  d'honneur  à  nôtre  Philofophe  &  à  donner  un 
erand  relief  à  fa  Pnilofophie ,  &  Monfieur  le  Duc  de  Luines*  ^,  * ,  ^  °^'*. 
Ion  auteur  tut  prie  d  en  fouttrir  la  publication.  bctt  mort  ic 

Peu  de  jours  après  M.  Clerfeher  *  l'un  des  plus  zèlez  &    'o  d'Odobre 
des  plus  vertueux  amis  cie  M.  Defcartes  entreprit  de  rradui-  H^^J^f^  "^ 
re  aufTi  en  nôtre  langue  les  objections  faites  à  ces  Mèdi-ta-      *  Mort  en 
tions  avec  les  réponfes  de  M.  Defcartes.    Cette  traduction  Jf/'^p  ]^. 
étoit  excellente  aufïî  bien  que  celle  de  M.  le  Duc  de  Lûmes,  yoatls/^^ 
Mais  l'un  ôc  l'autre  jugèrent  que  11  elles  dévoient  voir  le 

Y*  ij  jouTy 


ïyi       La  YiE    De    M.    Des  cartes. 

,  jour ,  il  falloir  qu'elles  fuflent  revues  auparavant  par  l'auteur 

^  '      même  des  Méditations ,  afin  qu'en  les  confrontant  avec  fa 
*  penfëe  il  put  les  mettre  le  plus  prés  de  leur  original  qu'il 

ièroit  pofTible,  èc  leur  en  imprimer  lecaradére.  M.  Defcar- 
tes  fut  obligé  de  fe  prendre  à  un  avis  fi  important.  Mais  fous 
prétexte  de  revoir  ces  verfions ,  il  fe  donna  la  liberté  de  Ce 
corriger  lui-mêine ,  6c  d'éclaircir  fes  propres  penfées.    De 
Lettr.Mf.  de   iortc  qu*ayant  trouvé  quelques  endroits  où  il  croyoit  n'a- 
Defc.  à  cier-   yoir  pas  rcndu  fon  fens  afTez  clair  dans  le  Latin  pour  toutes 
l'kviûielf.    -^rtes  deperfonnes,  il  entreprit  de  les  éclaircir  dans  la  tra- 
duction par  quelques  petits  changemens,  qu'il  effc  aifé  de 
reconnoître  à  ceux  qui  confèrent  le  François  avec  le  Latin. 
Une  chofe  qui  fembloit  avoir  donné  de  la  peine  aux  traduc- 
teurs dans  tout  cet  ouvrage,  avoit  été  la  rencontre  de  plu- 
sieurs mots  de  Fart,  qui  paroiiïant  rudes  6c  barbares  dans  le 
Latin  même  ,  ne  pouvoient  manquer  de  l'être  beaucoup 
ibid.  Icttr.  à   plus  dans  le  François ,  qui  eft  moins  libre,  moins  hardi,  6c 
cicrfclicr Mf.   moins  accoutumé  à  ces  termes  de  l'Ecole.     Ils  n'oférent 
pourtant  les  ôter  par  tout  ,  parce  qu'ils  n'auroient  pu  le 
Faire  fans  changer  le  fens  dont  la  qualité  d'interprètes  de- 
voit  les  rendre  religieux  obfervateurs.  D'un  autre  côté  M. 
Defcartes  témoigna  être  fi  fàtisfliit  de  l'une  6c  l'autre  ver- 
fion ,  qu'il  ne  voulut  point  ufer  de  la  liberté  qu'il  avoit  d'en 
changer  le  ftile,  que  fa  modeflie  6c  l'eftime  qu'il  avoit  pour 
(es  traducteurs  lui  faifoit  trouver  meilleur  que  n'auroit  été 
le  fîen.   De  forte  que  par  une  déférence  réciproque  qui  a 
retenu  les  traducteurs  6c  l'auteur  ,  il  eft  reflé  dans  l'ouvra- 
ge quelques-uns  de  ces  termes  fcholaftiques ,  malgré  le  defl 
fein  qu'on  avoit  eu  de  lui  ôter  le  goût  de  l'école  en  le  fai- 
fant  changer  de  langue.   Cet  éclairciflement  touchant   la 
traduction  des  Méditations  de  des  Objedions  eft  nécefTaire, 
non  feulement  pour  juftifîer  les  traducteurs  fur  les  change- 
mens dont  l'auteur  eft  le  fèul  refponfable ,  mais  pour  faire 
voir  aufîi  que  la  tradudion  Françoife  vaut  beaucoup  mieux 
que  l'original  Latin,  parce  que  M.  Defcartes  s'eft  fervi  de 
l'occafion  de  la  revoir  pour  retoucher  fbn  original  en  nôtre 
langue.  C'eft  un  avantage  qu'a  eu  auiîî  dans  la  fuite  la  ver- 
fion  Françoife  des  Principes   de  M.   Defcartes  faite  par         |l 
l'Abbé  Picot.  De  forte  que  tous  fes  ouvrages  François  tant 

originaux 


Livre    VÏ.   Chapitre   IX,  17^ 

originaux  que  traduits  font  préférables  à  ceux  qui  font  La:ms.      1642. 

C'eil-à-dire  que  toutes  les  traductions  qu'il  a  revues  valent  „ 

mieux  que  Tes  originaux  même. 

Pour  ne  rien  omettre  de  ce  qui  peut  regarder  la  tra- 
duélion  des  Méditations  ,  il  fuffit  de  remarquer  qu'enco- 
re qu'elle  ait  été  faite  en  1641,  néanmoins  larevifion  ou  la 
corredion  par  M.  Defcartes  ne  s'en  fît  qu'en  1645,  &  que 
la  première  impreffion  qui  en  fut  faite  à  Paris  ne  fut  en  état 
de  paroître  que  pour  les  étreines  de  l'an  1647. 

Dans  le  têms  que  l'on  s'occupoit  à  traduire  les  Médita- 
tions de  M.   Defcartes  à  Pans ,  l'on  vid  paroître  dans  la 
même  ville  un  nouveau  livre  de  la  compofition  du  philofb-  Th.  Hobbcs. 
phe  Anglois ,  qui  avoit  fait  l'année  précédente  les  troifié- 
mes  objeélions  contre  ces  Méditations.   L'Anglois  qui  n'é- 
toit  autre  que  M.  Hobbes  ayant  trouvé   à   fon  premier 
retour  de  France    en   Angleterre  l'an  1637  des    étincel-     vit.  Hobb. 
les  d'une  guerre  inteftine,  qu'il  prévoyoït  devoir  s^allumer   ^"'^^^-  P^S- 
dans  fbn  païs  par  la  révolte  des  EcolTbis  contre  l'autorité 
royale  &  la  dignité  épifcopale ,  s'étoit  crû  obligé  de  cher- 
cher les  moyens  de  les  éteindre  ou  d'en  prévenir  les  fuites. 
Dans  cette  penfée  il  avoit  drefle  quelques  mémoires  pour 
la  defenfe  de  la   Royauté  en  Angleterre  &   des    droits 
du  Souverain.    Le  dellein  de  fon  ouvrage  confiftoit  à  faire 
voir  qu'il  ne  peut  pas  y  avoir   de  fureté  publique  fans  la 
paix,  point  de  paix  fans  un  commandement  abfolu,  point 
ce  commandement  abfolu  fans  la  guerre.  Qu^e  pour  faire 
la  guerre  avec  fuccez  &  à  l'avantage  des  peuples,  il  étoit 
nécefTaire  que  les  forces  de  les  richefles  de  l'Etat  fu lient  mf- 
fèmblées  dans  la  main  d'un  feul.    Que  la  crainte  des  armes 
ne  fert  de  rien  pour  avancer  la  paix  dans  ceux  qui  font  por- 
tez à  la  guerre  par  un  mal  qu'ils  craignent  plus  que  la  mort. 
Que  la  paix  ne  peut  pas  être  fblide  ni  de  longue  durée  par- 
mi les  citoyens,  fî  l'on  ne  convient  des  chofes  que  l'on  croid 
être  néceflaircs  au  fàlut  éternel.  Les  troubles  ayant  obligé 
M.  Hobbes  de  repafler  en  France  trois  ans  après ,  il  y  ap  - 
porta  fes  mémoires  ,  de  les  ayant  mis  en  ordre  il  en  forma 
un  livre  qu'il  fît  imprimer  à  Paris  fous  le  titre  à'Elcmcnta 
fhtlofophica  de  Cive,    Quoi  que   le  nombre  des  exemplaires 
en  fût  fort  petit,  on  eut  foin  d'en  faire  tenir  un  à  M.  Def- 

Y  *  iij  cartesi 


174  Lj^  Vie  de  m.  Des  cartes. 

1641.      cartes  3  Ôc  peu  de  têms  après  il  reçût  une  lettre  d'un  Vers 

Jéflutede  les  alliez,  parent  de  Madame  delà  Bretailliëre  fa 

belle  iœur,  qui  le  prioir  de  lui  mander  ion  fentmienc  tou- 

_  ,^^    chant  ce  nouveau  livre.    Il  en  récrivit  à  ce  Père  en  ces  ter- 

ri OHl.  3.  0"S 

lettr  pag.        mes.  îs  Je  juge,  dit-il ,  que  l'Auteur  du  livre  De  Cive  eft  le 
l®'^•  i,   même  que  celui  qui  a  fait  les  troilîémes  objedions  contre 

„  mes  Méditations.  Je  le  trouve  beaucoup  plus  habile  en  Mo* 
„  raie  qu'en  Métaphy  lique,ni  en  Pliylîquc:  quoique  je  ne  puiile 
55  nullement  approuver  Tes  principes  ni  fes  maximes ,  qui  font 
„  trés-mauvai(ès  &  trés-dangereufes  ,.  en  ce  qu'il  fuppoîè  cous 
,j  les  hommes  méchans  ,  ou  qu'il  leur  donne  ilijet  de  l'être-. 
„  Tout  fon  but  eft  d'écrire  en  faveur  de  la  Monarchie  :  c<î 
„  qu'on  pourroit  fiire  plus  avantagea fèment  qu'il  n'a  fait  y  en 
55  prenant  des  maximes  plus  vertueufes  &  plus  folides.  Il  écrie 
,5  auffi  fort  au  defavanta?:e  de  l'Eghfe,,  &  de  laReHgion  Ro- 
,5  maine ,  de  forte  que  s'il  n'eft  particulièrement  appuyé  de 
y,  quelque  fiveur  fort  puiflante ,  je  ne  vois  pas  comment  il  peuc 
„   éxemter  fon  livre  d'être  cenfuré. 

Ce  jugement  de  M.  Defcartes  fur  le  livre  de  M.  Hobbes 
eft  devenu  dans  la  fuite  celui  de  toutes  les  perfonnes  fages. 
L'ouvrage  ne  fut  d'aucun  effet  parmi  les  efprins  féditieux  de 
les  rebelles  de  fon  païs.  Son  Auteur  touché  de  le  voir  inu- 
tile craignit  de  ne  l'avoir  pas  rendu  alîèz  intelligible  ni  ailex 
public.  C'eft  ce  qui  le  porta  à  le  retoucher,  àPéclaircir,  &  à 
l'augmenter  de  nouvelles  remarques.  Mais  il  ne  fut  pasd's^ 
Vit.  Hobb.    vis  d'y  corriger  certaines  maximes  dangereuiês  que  M.  Def- 
auâar.pag.i^,  cartcs  dc  d'autrcs  gens  de  bien  yavoient  remarquées.  Cette 
,  î^;'î-o,     eonildération  n'empêcha  point  M.  de  Sorbiére  de  faire  im- 
primer le  livre  cinq  ans  apré^  en  Hollande,  ni  M.  GafTèndi 
de  lui  donner  fon  approbation ,  comme  fit  auih  le  P.  Mer- 
iènne.  En  quoi  ils  ne  fè  trouvèrent  pas  entièrement  d'accord 
avec  Meilleurs  de  Rome  de  la  Congrégation  de  l'Indice. 
M.  de  Sorbiére  ne  termina'  point  à  cette  nouvelle  édition 
du  livre  De  Cive   les  bons  offices  qu'il  voulut  rendre  à  M. 
5orb.  lettr.   Hobbes.  îl  traduifit  encore  fon  ouvrage  en  nôtre  langue, 
&  AïCc.in  iv°   &  fit  imprimer  fa  traduction  dans  la  même  boutique  l'an  164CX, 

&6.  ^^^'  ^^^'  ^"^^^  ""^  préface  contenant  les  éloges  de  l'ouvrage  ^  de  fou 
Auteur. 

Chap.    Xr 


Livre    VI.   Chapitre    X.  175 


I  ^  4  X, 


CHAPITRE     X. 

Zcs  Boots  écrivent  contre  Anjlote.  Mort  de  Galilée.  Jugement  que 
M.  Bcfcanes  faifoit  de  lui.  p^oetius  employé  Schoocktus  pour 
écrire  contre  M.  JDefcartes.  Quelle  part  Schookcius  pouvoit  a- 
voir  À  ce  livre.  M.  De  [cartes  le  réfute  à  mefure  quon  lui  eu 
envoyé  les  feuilles.  Reyus  efl  enveloppé  dans  la  caufe  de  M. 
Defcartes.  Jl  ne  peut  fe  tenir  d'enfeigner  la  philo fophie  car- 
te fennenonobjiant  ladéfenfe  du  Magjfirat.  Hiftoire  de  la  Con^- 
frairie  de  Notre-Dame  de  Bojleduc  commune  aux  Catholiques 
^  aux  P  rote  flans,  Voetius  écrit  contre  cet  étahlijfeynent .  Def. 
marcts  répond.  Voetius  réplique.  M.  Defcartes  réfute  Voetius 
pour  Defmarets  (^  les  Magi(lrats  de  Bojleduc.  Continuation 
du  livre  de  Voetius  ou  Schoockius  contre  M.  Defcartes  ^fuivie  de 
la  continuation  de  la  Réponfc  de  M.  Defcartes.  Connoijjance 
^  amitié  de  M.Defmarets  avec  M.  Defcartes.  Voetius  efi  blâmé 
par  les  Miniftres  du  Synode  de  la  Jrlaye  pour  fa  conduite  envers 
JS/LcJJîcurs  de  Bojleduc. 

LA  Philofopbie  ancienne,  ou  pour  mieux  parler  la  ma- 
nière ancienne  de  philofbpher  recevoir  de  jour  en  jour 
^Ic  nouvelles  attaques  par  les  nouveaux  philo/bphes.  Les 
deux  Boots  Médecins  de  Londres  entre  les  autres  voulurent 
{c  fî^rnaler  par  un  livre  qu'ils  firent  paroi tre  à  Dublin  en  *i642   * ,^"  ^-^^m^ 

Z.         A-n  r>-  1  ■      \   K  ir     1-%    r  des  le  mois  de 

contre  Anitote.   Kegms  en  donna  avis  a  M.  Delcartes  par  juillet  1641. 
.une  lettre  du  iv  d'Avril ,  où  il  lui  témoigna  que  ce  qu'il  en   Lettr.  lo.uc. 
avoit  lu  lui  avoit  paru  aflez  bon  pour  renverîèr  la  matière  de  Rcg.  à  M. 
première  &  détruire  les  formes  fa  bilan  tielles.  Le  livre  étoit  ^^^*^* 
petit ,  &  ne  paroilîbit  pas  encore  fùffifant  pour  fapper  les 
principes  d'Ariftote  &  des  Péripatéticiens.    Il  avoit  pour 
titre ,  Philofophia  naturalis  reformata ,  id  efi  Philo  fophie  Ari- 
JîoteliCiC  accurata  examinât io  ac  folida  confututio  j  Q^  nov^e  ac  ve- 
rioris  introduclio  fer  Gerardum  ac  Amoldum  Botios  fratres  HoL 
landos  Medicin^  Doctores. 

Mais  la  Philofbpliie  nouvelle  fît  dans  le  même  téms  une   Tom.  5.  des 
perte  trés-confidcrable  de  l'un  de  Tes  principaux  Auteurs  ^^t^rdcDcfc, 
4ansU  mort  du  célèbre  Galilée,  âgé  de  78  ans.  Quoique  ^''°"^^^* 

M.  Defcartes 


lyf?  La     Vie    de     M.     Descartes. 

164.1,      M.  Defcartes  ne  connuic  fbn  mérite  qu'à  demi ,  il  ne  kifîà 
— — — «—   pas  de  le  confidérer  comme  l'an  des  premiers  hommes  du 
fiécle ,  tant  pour  les  Mathématiques  que  pour  la  Philofbnhie. 
Il  l'avoiteftimé  particulièrement  pour  cette  généreufé  liber- 
té qu'il  avoit  fait  paroître  à  /ècoiier  le  joug  qu'on  impo- 
lè  ordinairement  à  ceux  qui  font  profeîîîon    de    philoio- 
Tom.  i.  des   pher ,  à  Cq  défaire  des  erreurs  de  l'école ,  &  à  examiner  Iqs 
letti.  p.  5^1.      matières    phyfîques  par  des  raifbns  mathématiques,   qu'il 
croyoit  être  auiïï-bien  que  lui  l'unique  moyen  de  trouver  la 
Vérité.    Les  envieux  de  M.  Delcartes  avoient  tâché  de  le 
rendre  fiifpeâ:  de  quelque  jaioufie  fecréte  à  l'égard  de  ce 
grand  homme  :  &  pour  fondement  de  leurs  fôiipçons  ils  a- 
voient  allégué  le  fîlence  fous  lequel  ils  l'accufbient  de  l'a- 
voir palîe  en  une  occafio  ■.  où  il  s'agiiîbit  de  Tinvention  des 
Tom.  5.  des   lunettes.  M.  Defcartes  fit  voir  l'injuftice  de  ce  fbupçon  dans 
kttr.  p.  188.      une  lettre  au  P.  Merfenne,&fè  contenta  de  dire  que  Galilée 
jac.  Mctias    même  ne  s'étant  pas  attribué  l'invention  des  lunettes ,  li 
DT^'^^^^d        n'avoit  du  parler  que  de  l'inventeur  Metius  en  cette  occafion. 
Dioptriqut.  Nôtre  Philofbplie  fe  trouvoit  alors  diverti  de  les  études  de 

de  fa  retraite  par  de  fréquentes  vifites  que  lui  rendoient  la 
plupart  des  curieux  de  France  qui  voyageoient  en  Hollande. 
Plufieurs  partoient  exprés  des  provinces  même  les  plus  ë- 
ioignées  pour  l'aller  voir  uniquement,  fans  autre  intention 
que  de  faire  honneur  à  fà  phiiofbphie.   D'autres  y  alloient 
pour  s'inftruire  :  6c  de  ce  nombre  étoient  divers  amis   qu'il 
avoit  faits ,  èc  dont  nous  n'avons  pas  encore  eu  occafion  de 
Epift.  Mf.    parler.  C'étoient  M.  des  Barreaux^  M.  de  VilUmoux^  M.  de 
jvk"f  adann     Vitry-U-viUe  Gentilshommes  fçavans  ,  6c  grands  amateurs 
3 £41 ,  1641,    de  fa  phiiofbphie,  Monfieur  de  G^ndais ,  Monfieur  HoUcng^ 
î(î4î,&c.       Monfieur  C/^/7(?^  qui  fut  depuis  Mathématicien  du  Roy  de 
Bor.  &  Lipft.    Portugal  j  M.  de  Faberoi^x  fut  depuis  Gouverneur  de  Sedan,, 
fe  Maréchal  de  France,  &  qui  mourut  en  \GGi  ^  M.  l'Abbé 
de  L'.iunay  qui  lui  faifoit  volontiers  des  objcdions.    Mais  il 
Lcttr.  Mf.  de    n'eût  point  d'amis  plus  affidus  à  le  fréquenter  pendant  cette 
^.'ly.'i^y      année  1642  que  M.  l'Abbé  Picot  &  M.  l'Abbé  de  7^.»^-^^- 
i(î4i.  Idye  le  jeune,  qui  avoit  étudié  fous  le  P.  Bourdin  Jéfuite,  6c 

qui  avoit  un  frère  aîné  pareillement  Bénéficier  ci  Tours,  in- 
time ami  de  M.  Defcartes. 

Cependant  les  ennemis- de  la  Philofophie  nouvclleavan- 

^oient 


Livre   VI.    Chapitre    X.  177 

çoient  leurs  defTcins  à  Utrecht.  Voetiiis  avoit  double  les  forces 
en  afîbciant  un  jeuneProfjiîcurdc  l'Univerlité  dcGronin- 
eue  en  Frife  ,  nommé  Martin  Schooikius^Qm  avoic  été  de  {qs  , 
écoliers,  &  qui  ne  manquoit  pas  de  génie  pour  écrire  con-  33,  &c. 
tre  M.  Defcarces,  qui  au  jugement  de  plufieurs  venoit  de  le   Lcttr.n  Mf. 
couler  à  fonds  dans  l'Epitreau  P.  Dinet.  Jufques-Là  Voetius  «^^  Reg.  à 
n'avoit  point  fait  difficulté  de  mettre  Ion  nom  à  tous  les  li- 
belles qu'il  avoit  publiez  en  forme  de  théfes  contre  fa  phi- 
lofophie  ,  &:  dont  le  nombre  montoit  jufqu'à  fèpt  différens 
écrits  ,  en  comprenant  les  théfes  de  ion  fils  flir  les  formes 
fubflantielles ,  hc  le  Jugement  Académique  de  l'Univerfité 
d'Utrecht  qui  étoit  auiîî  de  fa  compofition.   Mais  pour  ne 
point  déq;oûter  le  Public  de  fbii  nom^  bc  pour  faire  croire 
que  M.  Defcartes  avoit  encore  d'autres  ennemis  que  lui,  il 
voulut  que  Schoockius  mit  fbn  nom  à  la  tête  du  livre,  com- 
me s'il  en  eût  été  le  véritable  père ,  ou  l'unique  auteur, 
C'étoitun  artifice  propre  à  tirer  Voetius  d'embarras,  au  cas 
que  le  fuccés  du  livre  ne  fut  pas   heureux.    Mais  comme 
cet  artifice  ne  parut  qu'à  la  fin  de  l'édition  du  livre,  où  l'on 
réferve  ordinairement  à  tirer  la  feuille  du  titre  &de  la  pré- 
face ,  M.  Defcartes  y  fut  trompé.    Car  ayant  appris  que  le   Leur.  i?.  Mf. 
Jivre  qu'on  difbit  être  compofé  par  Voetius  s'imprimoit  à  "* 

Utrecht  par  fès  foins ,  &  en  ayant  recii  les  fix  premières 
feuilles  ,  fans  qu'il  y  fût  fait  mention  de  Schoockius,  &  fans 
même  qu'on  eût  encore  ouy  parler  de  ce  jeune  homme  :  &   Epia.adcde- 
ayant  voulu  le  réfuter  à  mefùre  qu'on  l'imprimoit,  fans  at-   ^^"'  \°^^' 
tendre  la  fin  de  l'édition  >  il  fut  furpris  de  voir  que  l'adver-    so'^&paflîm.* 
faire  qu'il  avoit  apoftrophé  dans  fi  Réponfe  à  face  décou- 
verte ne  lui  parût  plus  qu'un  mafque  dans  la  flûte.    Mais 
s'étant  douté  de  la  diffimulation  duperfbnnage  fur  certaines 
exprefîions  de  (on  livre  qui  ne  lui  convenoient  pas ,  &  qui 
marquoient  que  Y  auteur  en  fagnolt  la  philo  fophie  dans  le  coin   Lettr.  ij.Mi", 
le  flus  reculé  des  P aïs-bas  ,  0^  honoroit  V^oetius  [on  Maître  coïïi-  **' 

me  s'il  eut  été  [on  père  ,  il  voulut  bien  le  traiter  dans  la  con- 
tinuation de  fa  Réponfè  comme  un  auteur  déguifé,  fans  cefl 
fer  néanmoins  de  parler  à  lui,  parceque  l'incivilité  du  flile, 
la  groffiéreté  des  injures,  la  répétition  continuelle  des  mê- 
mes calomnies ,  6^  les  autres  caractères  de  l'efprit  de  Voetius  Tom.  3.  des 
qu'il  reconnoiiioit  dans  ce  livre  ne  lui  permettoient  point  de  ^^"^-  P^S-  ^« 
parler  à  d'autres..  Z.  *       Schcockiui» 


lyg  La   Vie    de    M.  Des  cartes. 

1641.         SchoocKius  n'étoit  pas  tellement  chimère  qu'il  ne  fèrvîc 
1643.      au  moins  de  copifle  àVoetius,  quiavoit  befoin  fans  doute 
,„...«__  de  ce  fbulagement  pour  pouvoir  vacquer  aux  autres  procé- 
dures qu'il  faifoit  contre  M.  Defcartes  pardes  voycs  de  fait. 
Lctti-.  ii.Mf.   L'Epître  au  P.  Dinet  lui  tenoit  au  cœur.  L'expofition  toute 
deRegius.       fimple  que  M.  Defcartes  y  avoit  donnée  de  fa  conduite,  & 
le  petit  commentaire  qu'il  y  avoit  fait  au  Jugement  Acadé- 
mique de l'Univerlîté,  qui  en  étoit  devenu  tout  ridicule,  lui 
itemicttrij.  avoicnt  dérangé  le  cerveau.    11  confulta  quelques  Avocats 
Mf.dumême.  jç  Çq^  Q^y^iis  fur  l'afFront  public  qu'il  en  recevoit,  de  prit  des 
mefures  pour  l'appeller  en  Juftice  de  lui  intenter  dans  les 
formes  un  procez  en  réparation  d'honneur  envers  une  per- 
sonne de  fbn  rang,  un  premier  Profefîeur  en  Théologie ,  un 
premier  Miniftre  de  l'Evangile  des  plus  réformez,  occupant 
la  place  que  les  Prélats  y  avoient  pofTédée  avant  la  Réfor- 
mation. De  forte  qu'écrivant  de  agiflant  tout  à  la  fois  con- 
Tom.  j.  des   tre  M.  Defcartes  il  avoit  intention  de  le  battre ^  ^  de  luifai" 
icttr^pag.  7.    ^^  encore  payer  r amende. 

Dés  le  mois  de  Juin  de  rani642.  la  confpiraticn  avoit  com- 
voycz  cy-    mencé  entre  les  deux  Voetius  père  &  fils  &  ScboccKius ,  que 
dcflus.  y[^  Regius  ne  défîgne  dansfes  lettres  que  du  nom  de  Moine 

renégat,  pour  écrire  conjointement  contre  M.  Defcartes. 
Mais  elle  ne  produifit  fa  conclufion  qu'à  la  foire  du  mois 
Tom.  3.  des  <^^  Juillet  fuivant ,  pendant  laquelle  SchoocKius  étant  venu 
icttr.  pag.40,  à  Utrecht  voir  fes  amis  félon  fa  coutume  s'étoit  laifTé  enga- 
^^^'  ^er  à  TifRië  d'un  grand  &  magnifique  repas  que  lui  avoit 

donné  Voetius,  de  prendre  la  plume  en  faveur  de  fbn  an- 
cien Maître  contre  l'Epître  au  P.  Dinet.  Schoockius  ne  té- 
•  moignoit  pas  d'abord  toute  l'ardeur  qu'on  fbuhaitoit  d'un 
difciple  zélé  pour  l'honneur  du  Maître  :  mais  le  redouble- 
ment des  inftances  que  lui  fît  Voetius,  qui  fc  fît  joindre  aufîî 
par  Dematius  &  d'autres  de  (^^s  amis  qu'il  avoit  priez  à  cî- 
ner  avec  lui,  acheva  de  le  réfbudre  à  faire  ce  qu'il  vouloit. 
Tom.  j.  des   II  fut  donc  réglé  que  SchoocKius  emporteroit  à  Groningue 
lettr.  pag.  31,  j^^  mémoires  qui  lui  feroient  fournis  d'Utrecht ,    &  que 
''    '^  '     *    quand  il  \qs  auroit  mis  en  ordre  il  envoyeroitincefîamment 
itemicttr.  ij.  cc  qu'il  en  auroit  drefîe  pour  être  imprimé  à  Utrecht  fous 
r'!!'rr'^^,^T,     ^  direction.   C'cfl  ce  qui  fît  languir  en  partie  l'impreifion 
14,  Sfc  de      de  l'ouvrage  juiqu'en  1643.  Mais  Voetius  pour  foutenir  1  ei- 
Rcgias.  Ms.  pérance 


LiVKE   VI.  Chapitre    X.  179 

pérance  de  fès  écoliers,  &  du  petit  peuple  à  qui  il  pubUoic 
les  chai^rins  &  ùs  delTeins  contre  M.  Defcartes ,  avoit  foin 
de  répéter  fès  vieilles  calomnies,  &  d'en  forger  de  nouvelles 
dans  fa  clalTe  &  dans  Ces  autres  entretiens ,  fans  oublier  de 
les  faire  entrer  de  nouveau  dans  les  dernières  théfjs  Théo- 
logiques  de  la  même  année  au/quelles  il  préliia. 

M.  Regius  fe  trou  voit  enveloppé  dans  la  fortune  de  M. 
Defcartes  :  mais  quoique  le  gros  de  l'orage  parût  détourné  de 
fa  tête  par  la  granie  diverfion  que  l'Epître  au  P.  Dinct  a- 
voit  fait  fiire  fur  M.  Defcartes ,  il  paroiiîbit  néanmoins  plus 
à  plaindre  que  lui ,  parcequ'il  étoit  jufticiable  du  tribunal 
que  Voetius  afTiégeoit  par  ùs  amis  &.  Cqs  intrigues.  Voetius 
avoit  remarqué  que  la  plupart  des  véritez  que  M.  Defcar- 
tes avoit  débitées  de  lui  au  P.  Dinet  ne  pouvoient  lui  a- 
voir  été  révélées  que  par  M.  Regius.  Il  ne  fetrompoit  points 
mais  c'étoit  par  une  nouvelle  injuflice  qu'il  préténdoit  le 
pourfuivre  dorénavant  comme  un  traître,  ne  l'ayant  regar- 
dé jufques-là  que  comme  un  novateur,  un  brouillon  &  un 
ennemi  de  l'Anft ote  des  écoles.  Il  nefbllicitoit  rien  moins  que 
fon  abdication ,  &  l'on  parloit  déjà  tout  communément  de  la 
perte  de  fa  Chaire^  comme  de l'hiftoire  d'un  fait  arrivé.  De 
forte  qu'on  ne  le  confîJéroit  plus  que  comme  la  victime  de 
rUniverfité  de  le/r^W>r  iVf^r^r  de  lafedecartéiienne.  M. 
Regius  nonobstant  le  confêil  que  lui  avoit  donnné  M.  Defcar- 
tes d'exécuter  à  la  rigueur  le  Décret  des  Magiftrats,  par  le- 
quel il  lui  étoit  défendu  d'enfeigner  autre  chofe  qu'Hippo- 
crate  &  Galien,  &  les  opinions  communément  reçues  dans 
l'Uni verfité,  ne  pouvoit  s'empêcher  de  propofer  les  nouveaux 
fentimens  avec  les  anciens.  Il  manda  à  M.  Defcartes  qu'il 
fè  trouvoit  obhgé  d'en  ufcr  de  la  forte ,  parcequ'il  appré- 
hendoit  de  faire  déferter  la  plupart  de  fes  auditeurs,  qui  ne 
vouloient  pas  fe  contenter  des  fentimens  de  Galien,  d'Hippo- 
crate  &  d'Ariflote.  Voetius  pour  le  mortifier  avoit  obtenu 
depuis  un  autre  Décret  datte  du  n  d'Août  1642,  par  lequel  il 
étoit  défendu  à  tout  Libraire  de  la  ville,  ôc  de  toute  la  Sei- 
gneurie d'Utrecht ,  d'imprimer  ni  débiter  aucuns  libelles  ou 
autres  écrits  contre  les  théfês ,  &  les  autres  difputes  de l'U- 
niverfîté.  Voetius  ne  permettoit  à  perfbnne  de  douter  que 
récrit  de  M.  le  Roy  en  forme  de  réponfe  à  fes  théfes  n'eût 

Z  ij     *  donné 


I  64  2. 
1643. 


Lettr.Mf.  de 
Regius  t(?. 


Tom.  3.  des 
lettr.pag.j90, 
391. 


Pag.  6. 
vol. 


du  f. 


Lett.  iz. 
Mf.  de 
Rcg. 


Narrât  hiflr. 
Acad.Trajc(SV. 
pag.  67,  68. 


iSo  La  Vie    de  M.  Descartes. 

ï  6  A.1.     cloniié  occafion  à  ce  nouveau  Décret.    Mais  ni  Voetius ,  ni 
1643.      le  Décret  des  Magiftrats  ne  purent  faire  confidérer  cet  écrit 
«„,= de  M.  Regius  comme  un  libelle  diffamatoire  j  ^ilpaiFe  en- 
core aujoiird'liuy  pour  une  bonne  pièce  faite  contre  de  mé- 
chantes théfès. 

Inlenfiblement  l'année  1641  s'écouîoit,  fans  que  i'impref- 
fion  du  livre  que  Voetius  failbit  compiler  à  Groningue  par 
Schoockius  ,  fit  de  grands  progrez  fous  la  preile  de  Jean 
van-Waefberge  Libraire  d'Utrecht.  On  l'avoit  commencée 
vers  le  milieu  d'Octobre  dans  l'efpérance  de  la  finir  avant 
la  fin  de  Novembre.  Mais  elle  fe  trouvoit  retardée  ou  ral- 
lentie.par  la  concurrence  d'un  autre  livre  que  Voetius  fai^ 
fbit  imprimer  en  même  têms  fous  fbn  nom  ,  &  qui  parta- 
geoit  les  foins  qu'il  donnoit  à  celui  qu'il  faifoit  imprimer 
fous  celui  de  Schoockius.  Le  livre  qu'il  publioit  fous  {on 
nom  propre  n'étoit  pas  contre  M.  Defcartes ,  mais  contre 
une  ville  entière  des  Provinces  unies ,  à  laquelle  néanmoins 
il  fè  trouva  engagé,  tout  étranger  qu'il  étoit,  de  prêter  fà 
Frédéric         plume  Contre  ce  feditieux  Miniflre. 

^^""^y-  Lorfque  le  Prince  d'Orange  réduifit  la  ville  de  Bofleduc 

la  l'an  itfip.   fous  l'obéïflance  des  Hollandois,  comme  nous  l'avons  re- 
marqué en  fbn  lieu  ,  il  trouva  dans  la  ville  une  célèbre  con^ 
frairie  de  'Notre-Dame :,  autrement  du  Ro faire  ,  dont  l'établifl 
fêment  étoit  beaucoup  plus  ancien  que  la  domination  Efpa- 
gnole.   Elle  n'étoit  compofée  que  de  Magiftrats   &  de  la 
Noblefîè  de  la  ville.  C'efl  ce  qui  la  rendoit  trés-puifîante  , 
qui  la  faifoit  refpeder  par  les  Cathohqucs  ,  &  qui  la  fiifbit 
craindre  en  même  têms  par  les  nouveaux  Réformez  dupais, 
qui  la  regardoient  comme  une  aifemblée  mêlée  d'Etat  &  de 
Epift.  Carte-    Rehgion.  Le  nouveau  Gouverneur  pour  les  Hollandois  ju- 
fil  ad  ceieberr.   ^^^^  cette  confraiiie  d'autant  plus  dano-ereufè  à  l'intérêt  de 

Voetium  ,  i-      -KK   i\  >•!'•  ■       ^  r        ^  •       i      \      r 

pag.  9^,5,7,    les  Maîtres,  qu  il  etoit  moins  en  fon  pouvoir  de  la  luppri- 
u  feqq.  j-^ier  j  &  Ics  coufrércs  qui  étoient  tous  les  principaux  de  la 

ville  avoient  grand  fbin  de  lui  faire  entendre  que  cette  con- 
frairie  étoit  comprife  dans  l'article  de  leur  liberté  qu'on 
leur  avoit  accordée  par  leur  capitulation.  Pour  prévenir 
tous  les  fbupcons  de  cabale  &  de  délibérations  clandeftines 
que  le  prétexte  de  cette  afiemblée  de  Religion  pourroit  pro- 
duire, ôc  en  même  têms  pour  entretenir  la  paix  &  l'union 

entre 


L  IV  R  E    V  I.  Chapitre     X.  iSi 

entre  les  habicans  de  la  ville,  il  fut  réglé  par  le  Confèi.'  des  ^ 
Etats  que  la  confrairie  de  Notre-Dame  lèroit  commune  / 
d'orcnavant  aux  deux  Religions,  &  que  les  CatiSoliques  y  ^^ 

admettroicntles  Proteftans  :  mais  que  pour  ne  blellèr  la  con- 
fcience  de  perfonne ,  l'on  en  retrancheroit  les  pratiques  qui  ^^^^' 
pourroient  choquer  les  uns  ou  les  autres  en  y  confervant 
les  adcs  de  Religion  aufquels  les  Catholiques  &  les  Protef- 
tans n'auroient  point  de  répugnance.  Le  Gouverneur  de 
la  ville  demanda  auffi-tôt  d'être  reçu  au  rang  des  confrères 
de  la  Vierge  Marie  ,  &  il  préfenta  en  même  têms  treize 
autres  Proteftans  des  plus  qualifiez  de  la  ville  ou  de  la  gar- 
nilbn  pour  y  être  admis.  L'embarras  fut  grand  du  côté  des 
confrères  catholiques ,  de  ils  ne  manquèrent  point  d'allé- 
guer que  la  pureté  de  leur  Religion  ne  pouvoit  ibufFrir  un 
mélange  de  cette  nature.  Mais  le  Gouverneur  les  fit  fou- 
venir  que  lors  qu'il  fut  arrêté  dans  les  articles  de  leur  capi- 
tulation que  tous  les  biens  ecclèfiaftiques  de  la  ville  fèroienc 
mis  au  fifc  du  vainqueur,  ils  n'avoient  fait  excepter  les  re- 
venus de  cette  confrairie  qu'en  alléguant  qu'elle  n'étoit 
point  une  fbciétè  fpirituellc  ou  religieufe  ,  mais  une  fbciété 
civile  j  &  que  fès  biens  n'étoient  point  ecclèfiaftiques.  De 
forte  qu'ils  ne  purent  refufèr  cette  honnêteté  au  Gouver- 
neur 2c  aux  autres  Proteftans  qui  fe  préfèntèrent  avec 
lui. 

Cette  nouvelle  union  quoi  qu'un  peu  bizarre  fe  conler-  if'id-  pa?-  i?, 
voit  avec  aflez  de  bonne  foi  de  part  àc  d'autre,  fins  que  les  ^^" 
Docteurs  de  Louvain  ou  les  Jéluites  de  Flandre  le  mliPent 
en  devoir  de  crier  ou  d'écrire  contre  elle.  Aufli  n'avoient- 
ils  pas  le  zèle  du  Miniftre  Voetius,  qui  n'eut  pas  plutôt  ap- 
pris la  chofe,  que  lé  trouvant  indigné  du  fait,  il  fe  fèrvic 
de  fès  armes  ordinaires ,  qui  ètoientfès  thèfès,  pour  attaquer 
les  auteurs  a'une  fociètè  qui  lui  paroidbit  fi  monftrueufè. 
11  ne  crut  pas  devoir  plus  refpeèter  l'autorité  de  fes  Maî- 
tres en  cette  occafion,  qu'il  avoit  coutume  de  faire  en  d'au- 
tres, où  il  avoit  déjà  fignalé  fouvent  (on  indilcrction  Se  fou. 
ètourdiftement.  11  prit  pour  fujet  de  Ces  difputes  riJolàtrie 
indirecte  é^  defariicipation^  &  il  mit  en  queftion  de  fçavoir,y^7<^ 
confrairie  de  ïa  p^ierge  Marie  peut  en  bonne  confciencc  être  tolérée 
par  le  Mapfirat  Protefiant  ou  Réformé ,  lors  quil  peut  la  dêtrui- 

Z*  iij  l'e 


«1 


1^2  La  Vi  E  De  M.  Descartes. 

1641.       Yc  ^  quand  même  elle  ferait  purgée  de  l' Idolâtrie  papifiique  /  I.t 
1643.     fuppofant  que  le  Tvii-f^^firat  Lt  tolère ,  (i  aucun  Réformé  ou  Protof- 

— —  tant  peut  s'y  faire  enrôler  fur t-s  condition  de  ne  pod-  préjudicier  a  fa, 

Religion  /  Ses  coiiclufîons  furent  que  cela  ne  pouvoir  être  ni 
permis  ni  toléré  j  que  c'étoit  participer  à  l'idolâtrie  d'au- 
trui  3  &  qu'encore  que  le  Magiftrat  fj  laiiHt  aller  à  I^  né^ 
gligence  ou  à  la  diffimulation  en  ce  point ,  il  n'étoit  pas  per- 
mis aux  particuliers  de  la  Religion  Réformée  de  ie  ranger 
dans  ces  confrairies.  Il  prétendoit  que  les  Catholiques  en 
tiroient  de  grands  avantages  fur  les  Réformez,  à  qui  ils 
avoient  tout  fujet  de  reprocher  qu'il  n'y  avoit  que  les  petits 
profits  de  la  confrairie,  les  régales  6c  lesfjftins  des  confrè- 
res qui  les  y  attiralTent.  Une  des  marques  de  ciiflindion  pour 
Ja  co  frairie  étoitune  écharpe  rouge  dont  on  avoit  les  épau- 
les &:le  dos  couvert,lors  qu'on  conduifoit  le  corps  .'un  confrè- 
re en  terre.  Cette  pratique  fiit  changée  en  celle  de  porter 
autour  du  bras  unchappellet  d'où peadoit une  médaille  qui 
Comme  le  lyj  ^voit  pour  infcription,  Sicut  lilium  inter  fpinas.  Les  confré- 
cnticicsépi-  res  Réformez  pour  appaiier  leurs  Miniftres  tichoient  de 
leur  faire  entendre  qu'il  y  avoit  une  providence  particuliè- 
re de  Dieu  dans  la  fociété  de  leur  confrairie  avec  les  Ca- 
tholiques ,  &  que  félon  eux  ce  lys  entre  les  épines  n'étoit  au- 
tre chofè  que  \çs  confrères  Réformez  parmi  les  confrères 
Catholiques.  Voetius  revint  à  la  charge  pour  les  relancer 
de  toute  fa  force  fur  cette  plaifante  diredion  d'intention, 
qu'il  croyoit  avec  raifon  devoir  être  l'objet  de  la  raillerie 
dQs  Catholiques.  Mais  en  \qs  poulTànt  avec  fbn  aigreur  or- 
dinaire fur  la  prétendue  idolâtrie  qu'il  leur  imputoit,  il  ne 
pût  s'empêcher  de  porter  des  coups  contre  l'autorité  des 
Magiftrats  Réformez  de  Bofleduc. 

Ces  Meilleurs  s'en  tinrent  trés-ofîenfèz  :  &  voyant  que 
les  tlièfès  de  Voetius  étoient  publiques,  ils  jugèrent  que  {qs^ 
calomnies  ne  pourroient  être  réfutées  que  par  un  écrit  qui 
fiitaufîî  public.  Ils  choifirent  pour  leur  Avocat,  non  pas  un 
écrivain  catholique , mais  un  confré  e  même  de  Voetius, 
un  des  Miniflres  de  leur  ville,  qui  étoit  le  fleur  Samuel  des 
Marets  natif  d'Oyfèmont  en  Picardie  ,  qui  fut  depuis  prin- 
cipal Miniftre  de  Groningue,  &;  l'un  des  fçivans  Théologiens 
qu'çufTent  les  Calviniftes  defbn  têms.  M.  Defmarets  n'étoit 

pas 


v.c%. 


Livre    VI.    Chapitre    X.  183 

pas  ennemi  de  Voetius,  de  il  n'avoit  guéres  moins  de  zélé      164.1. 
que  lui  contre  la  Religion  Romaine.  Auiîî  s'acquicta-t'il  de       i  6  4.  v 

fa  commiffion  avec  toute  la  modération  èc  toute  la  précau-   

tion  imaginable  à  l'égard  de  Voetius  &:  de  la  Religion  pré- 
tendue Réformée.  Il  fe  contenta  de  mettre  dans  un  jour  évi- 
dent la  bonne  intention  des  Magiftrats,  de  de  les  juftifîer 
contre  les  accufations  de  Voetius.   Loin  de  traiter  ce  Mi- 
niftre  comme  un  calomniateur  6c  de  vouloir  découvrir  fès 
fautes,  il  déclara  que  c'étoit  moins  contre  lui  qu'en  là  fa- 
veur qu'il  avoir  pris  la  plume.    Il  fè  contenta  de  lui  faire 
voir  qu'il  avoir  été  mal  infonr.é  du  fait ,  6c  qu'il  avoit  écrit  fur 
de  faufles  hypothéfès.    Il  convenoit  avec  lui  de  la  thélê , 
c'eft-à-dire  de  la  décifion  générale  de  la  queftion  de  fçavoir 
5  il efl  ■permis  aux  Réformcz^d' embrajjer  les  cérémonies  des  Catho- 
liques .^  6c  n'y  parloit  jamais  de  Voetius  qu'avec  éloge.  Ayant 
été   obligé  de  rejetter  la  malignité   de   la  calomnie    fur 
quelqu'un,  il  aima  mieux  feindre  des  mafques  de  personnes 
mal  intentionnées,  qui  auroientfurpris  la  facilité  de  Voetius 
&;  auroient  abufé  de  fa  crédulité,  que  de  le  faire  lui-même 
auteur  de  la  calomnie.  Il  omit  même  la  queftion  principale 
du  fil  jet  qu'il  avoit  à  traiter,  &  qui  conlîftoit  à  fçavoir  s'il  a- 
voit  été  permis  à  ce  Miniftre  de  condamner  par  un  écrit 
public  6c  de  fbn  autorité  privée  \es  premières  perfbnnes  de 
la  ville ,  6c  nommément  les  Magiftrats  fans  les  avoir  enten- 
dus ou  avertis ,  6c  fans  avoir  fait  les  informations  néceflai- 
res.  En  un  mot  il  n'avoit  rien  dit  qui  dût  beaucoup  toucher 
Voetius ,  finon  que  toutes  les  pcrlbnnes  lages  avoient  jugé 
qu'une  difpute  publique  6c  fcholaftique  faite  fous  lui  dans 
un  lieu  éloigné,  n'étoit  pas  un  remède  propre  pour  le  mal 
qu'il  prétcndoit  guérir  -.  hc  que  comme  on  trouvoit  fort  bon 
à  Bofleduc  que  les  réformateurs  d'Utrccht  réformafîent  les 
déréglemens  de  la  ville  d'Utrecht ,  on  auroit  fbuhaité  aufll 
qu'ils  eulTcnt  lailTe  à  ceux  de  Bofleduc  le  fbin  de  corriger 
les  déibrdres  de  Bofleduc.  Pour  ménager  encore  davantag;e 
l'honneur  6c  la  réputation  de  Voetius,  M.  Defmarets  avoit 
eu  fbin  de  ne  faire  tirer  qu'un  fort  petit  nombre  d'exem- 
plaires ,  6c  de  n'en  fiire  diftribuer  qu'à  ceux  qui  avoient  vu 
les  théles  de  Voetius  contre  la  coofrairie  de  Nôtre-Dame  Epift.  a<icc- 
de  Bofleduc.  l^.^:/^"-"' 

Toutes 


fupr. 


184         La     Vie    de    M.    D  e  s  c  a  r  t  e  s. 

i  Ci  4.1.  Toutes  ces  précautions  furent  inutiles.    Les  honnêtetez 
1643.      de  M.  Delmarets  ne  {ci'rvirent  qu'à  irriter  cet  efpnt  intraita- 
■      ble  ,  comme  avoient  fait  celles  que  M.  Regius  avoit  em- 
ployées dans  {à  Réponfe  à  Ï^qs  théfes  des  formes  fjbltantiel- 
ies.  Peu  de  jours  après  il  dreila  tamultuairement  un  libelle 
dé  peu  de  feuillets  contre  le  livre  de  DefiPiarets,  &  il  eut 
l'efFronterie  de  le   faire  paroître  fous  le  nom  fuppofé  d'un 
Aiiui'jon  à  ce   Miniftre  de  Bodeduc  bc  îbus  le  titre  de  Reiorjio  Ccdumnia- 
voca"' cmitre    ^^^  f  ^^^^  TcrtuUits  Societatis  Manant  Advocauis ,  ^c.  Mais 
s.  Paul.          il  fut  condamné  incontinent  par  le  Ma2;iftrat  de  la  police  , 
Leur.  ij.Mf.   qq-^-^^-ç^q  qh  libelle  difFamatoire  ,  rempli  de  meofonges   &; 
s^no^fiibumm  d'impoftures ,  &  propre  à  exciter  àQs  féditions  :  fa  lecture 
é't^jm^anwum  fQt;  défend  Lie  par  les  crieurs  publics  au  fon  du  tambour  *  ôc 
confi-l?e°  niî     ^^  ^^  trompette ,  comme  Voetius  même  a  eu  foin  de  le  faire 
Marian.          fcavoir  à  la  poflérité. 

*  Ou  de  la         Lg  libelle  difFamatoire  du  prétendu  Miniftre  de  Bofle- 
rocfm.  duc  Contre  le  livre    de  Delmarets    n  etoit    que    1  avant - 

coureur  d'un  jufte  volume  que  Voetius  entreprità  la  hâte 
pour  fronder  faconfrairie  de  Nôtre-Dame  de  Bofleduc.Les 
Magiftrats  de  cette  ville  en  eurent  avis  :  &:  s'étant  aiFemblez 
pour  délibérer  des  moyens  de  réprimer  l'infblence  de  ce 
brouillon,- ils  en  écrivirent  en  corps  aux  Etats  de  la  provin- 
ce d'Utrecht ,  &:  aux  Magiftrats  de  la  ville.  Voetius  fè  van- 
Pag.  421.  de    ta  même  depuis ,  qu'ils  lui  firent  l'i^ionneur  de  lui  écrire  en 
co  ifiat.  Ma-    particulier ,  pour  lui  faire  tomber  la  plume  à^s  mains  ^  mais 
que  ce  fut  en  vain.  Car  encore  que  le  Magiftrat  d'Utrecht 
tirRe^^'^     eût  arrêté  l'imprefTion  de  ce  nouveau  livre,  &  qu'il  eut  dé- 
fendu à  Voetius  de  la  continuer  pour  fatisfaire  aux  ordres 
ad^cckb.  ^'     ^^^  Etats  de  la  province  ,  il  ne  laiiîa  point  d'ag;ir  fecrétc- 
Voet.  ment  pendant  les  mois  de  Novensbre  &  de  Décembre, 

s'étant  contenté  de  changer  l'Imprimeur  êc   la  forme  du 
livre,  qui  d'in  viiio  devint  in  xiIq,  afin  qu'il  put  le  flii-e 
Tom.  1.  des    yoir  au  Synode  Gallo- Belgique  qui   devoit  s'adémbler  ci  la 
pa"*t4i^'^'^    Haye  en  1643  ;  &  que  fe  relevant  de  i'obt'i  Tance  qu'il  de- 
7  t      ,  \/ir   voit  aux  Maaiflrats  laïcs  par  l'autorité  eccléfiaftique  du  Sy- 

Lcttr.  15. Ml.  1  '  /T>  1  n      1  i    •  i         > 

dcRcg.  noie  auquel  Meilleurs  de  Bolleduc  avoient  bien  voulu  s  en 

rapporter  pour  ^îécider  de  leur  confrauie ,  il  trouvât  moyen 
d'y  rendre  fà  caufe  triomphante.  MefTieurs  de  Bodeduc 
fkrent  avertis  du  peu  de  foumidloji  qu'il  rémoignoit  pour 

fes. 


Livre    VI.    Chapitre    X.  1S5 

ics  fapirieurs.   Qaelques-uns  en  farenc  indignez,  &  entre     1^4^. 
autres  M.  Brcderodius  Protcftant ,   perfonnapje   qualifie, 


qui  ëtoit  de  la  confrairie,  èc  qui  fie  menacer  Voetius  de  lui   icèmiatr  iV 
faire  donner  les  ëtriviéres.    Mais  les  autres  aimant  mieux   uc.  dcRcg. 
le  méprifer,  jugèrent  plus  à  propos  de  l'abandonner  à  fes 
propres  inquiétudes.    Il  parut  que  Voetius  avoit  trop  pré- 
ilimc  de  la  fliveur  des  Miniftres  des  fèpt  Provinces  unies 
qui  fë  trouvèrent  au  Synode  Gallo-Bcly-que.  Malgré  le  zélé  Art.  14.  Sy- 
qu'ils  avoient  tous  à  détruire  jufqu'aux  moindres  veflio-es  "°^^  ^^'^°- 
de  i  ancienne  Religion ,  ils  le  crurent  obligez  a  approuver  la   xc^t,, 
conduite  de  Meffieurs  de  Bofleduc,  6c  de  blâmer  celle  de 
leur  confrère  Voetius.    Il  n'y  eut  que  la  confidération  du 
miniflére  qu'ils  honoroient  dans  eux-mêmes,  &  l'appréhen- 
fion  de  donner  fujet  aux  Catholiques  de  les  remercier  ,qui 
arrêta  leur  cenfure. 

Cependant  l'interruption  du  livre  que  Voetius  faifbit  im- 
primer à  Utrecht  fous  le  nom  de  Schoockius  contre  la  phi- 
lofopiHe  cartcfienne  avoit  caufe  aufTi  l'interruption  de  la  ré- 
ponfè  qMe  M.  Defcartes  y  ï^iïoït.    Mais  la  defoccupation 
où  il  fè  trouva  dans  le  têms  qu'on  lui  envoya  le  livre  de  ce 
Miniftre  contre  la  confrairie  de  N,  D.  de  Bofleduc  ,  lui  fit 
donner  quelques  heures  de  fbn  loihr  à  la  lecture  &  à  l'exa- 
men de  ce  livre.    C'efl:  ce  qu'il  fit ,  non  en  contro ver fifte 
Cathohque,  pour  lui  ôter  tout  prétexte  de  calomnier  dans   ^^g^m.  Ep. 
la  fiite  l'Eglifè  Romaine  en  fa  perfbnne ,  mais  comme  au-  Ja<y'^îV^°^^' 
roit  pu  faire  un  honnête  payen  ,  qui  n'auroit  eu  que  les  lu- 
mières naturelles ,  6c  qui  n'auroit  parlé  que  fur  les  princi- 
pes de  la  raifbn  humaine.  11  trouva  que  Voetius  en  avoit  Pag.  109  Ep. 
étouffé  prefque  tous  les  fentimens ,  pour  ne  fuivre  que  fà   y  e^icbc"- 
pafîion  :  6c  comme  il  ne  s'agifibit  plus  ici  de  philofophie 
cartéfienne  ni  de  fès  propres  intérêts,  il  ne  craignit  pas  de 
faire  voir  fà  malignité,  fbn  entêtement  ,  fes  injuflices,  Çow 
arrogance ,  6c  une  partie  de  Ç^s  abfurditez  dans  cet  ouvra- 
ge, où  il  déchiroit  les  Magiftrats  de  Bofleduc  6c  le  Minifl 
tre  Defînarets  ,  fous  prétexte  d'écrire  contre  la  confrairie 
de  Nôtre-Dame.    M.  Defcartes  ne  s'étant  propofé  autre 
chofe  dans  cette  nouvelle  réfutation  que  de  fuivre  les  rè- 
gles de  l'équité  naturelle  ,.  n' avoit  point  prétendu  faire  fà 

A  a  *  cour 


1^6  La  Vie  DE  M.   Descartes. 

I  <>  43.      cowr  à  ceux  donc  il  avoir  pris  la  défenfe.  Néanmoins  il  ne 
'      put  fe  défendre  de  l'amitié  de  M.  Deirnarets,  qui  s'atta- 
cha premièrement  à  luy  par  les  mouvemens  de  la  recon« 
noiflance,  puis  par  la  raifbn  &:  par  les  attraits  de  fà  phi- 
lofôohie  ,  dont  il   fe  rendit  le  ledateur.   C'efb  à  quoy  le 
rapportoit   lans  doute  l'impiété  que  fie  paroître  le  jeune 
Voetius,  qui  ofant  comparer  fbn  père  à  Jcfus  -  Chrift  mê- 
Tom.  3.^dcs     jy^Q^  n'avoit  point  fait  difficulté  de  repréfenter  Defcartes 
^ur.pag.4;,  ^  Defhiarets  fous  le  perfonnage  d'Hérode  6c  de  Pilate , 
&  de  dire  à  leur  fujet  Herodcs &  Vdatm  amià  faHi  funt ^ut 
innoxiiC  fam^e  ac  pcr  Dci  qratiam  illibata  mjculam  afperqerent, 
A  dire  vray,  leur  connoifîànce  étoit  d'une  datte  plus  an- 
cienne que  le  livre  de    Voetius  contre   la  confrairie   de 
Bofleduc.    L'on  n'en  doutera  point  il  l'on  confidére  que 
îettr!pag.54o,  M.  Defcartcs  prenoit  la  peine  de  faire  venir   d'Utrecht  à 
î4i«  Eyndegeell  les  feuilles  de  ce  livre  pour  les  faire  tenir  à  M, 
Defînarets,qui  étant  déjà  retenu  pour  le  Miniftére  de  Gro- 
rsingue,  devoit  refter  encore  à  Bofleduc  jufqu'au  mois  de 
Mav  fuivanto 


CHAP. 


Livre    VI.    ChapitreXI.  1S7 

.. - — i<^43. 

CHAPITRE     XL 

JEdition  du  livre  de  Voetitis  ou  Schoockius  cohire  M-  T)cfcartcs. 
Edition  de  la  réponfe  de  M.  Dcfcartes  à  cet  ouvmge  ^  à  celui 
de  Voctius  contre  la  confrairie  de  K.  D.  de  Bojleduc,  Procé- 
dures contre  M.  De  [cartes  à,  "Vtrecht.  Il  répond  a,  la  première 
publication  des  Magifirats  ,  qui  par  une  injuftice  fans  exemple 
travaillent  à  lui  faire  fon  prccez^fecrètcment ,  fans  le  faire  aver* 
tir  c^u  après  quil  n  était  plus  tèms.  Autres  injuftices  des  mè~ 
mes  Magiftrats  aveuglez^ou  pofféde^  de  l'cfprit  de  Voetius. 
Monfieur  JDefcartes  s'addrcffe  à  C Ambajfadcur  de  France  , 
qui  par  l'autorité  du  Prince  d' Orange  fait  arrêter  ces  procé- 
dures ^  lors  qu  elles  ctoicnt  fur  le  point  de  leur  confommatioi^, 
M.  Defcartcs  en  examine  Nnjuflice  ,  ^  il  fe  juftifie  après 
avoir  découvert  les  principaux  points  de  la  cAomnie  de  fes  en- 
nemis. Jl  cite  Schocikiu^  devant  les  Juges  de  Groninyie  ^où  il 
efpére  meilleure  fiftice  quu  Vtrccht. 

VOetius  ayant  expé  Jié  l'édition  de  fon  livre  de  îa  con- 
frairie  contre  le?  Magidrats  de  Bofleduc  &  M.  DeC 
marets,  retourna  à  celle  du  livre  de  Schoockius  contre  M, 
Defcartes,  qui  ie  trouva  ainil  engagé  à  en  continuer  la  ré- 
futation. Il  ne  s'y  prefcrivit  point  d'autre  méthode  que 
celle  de  fbn  adverfaire,  qui  ne  luy  fournilîbit  Tes  réflexions 
qu'à  mefure  qu'on  luy  envoyoit  les  feuilles.  De  forte  quv^ 
fans  s'afTujettir  à  féparer  ce  qu'il  avoic  écrit  pour  Defînarets 
d'avec  ce  qu'il  écrivoit  pour  fa  propre  défenfe ,  la  réfuta- 
tion qu'il  ht  du  livre  de  Voetius  touchr.nt  la  confrairie  64 
N.  D.  fe  trouva  inférée  dans  celle  qu'il  fit  de  l'ouvrage  de 
Schoockius  dans  l'efpace  qu'avoir  produit  fon  interrup- 
tion. 

Cet  ouvrage  parut  enfin  à  Utrccht  chez  Waeiber2;e  au 
mois  de  Mars  de  l'an  1645  fous  le  double  titre  de  Philo fo- 
phia  Cane  fana  y  five ,  admiranda  Methodtts  ncv.c  Philo fophicC 
Rcnati  De  fartes.    L'Auteur  avoit  affeélé  l'équivoque  dans     Lcttr.  w. 
l'un  &  dans  l'autre  ,  afin  de  tromper  plus  fdrement  ceux  ^'^  ^^^^-  à 
dont  il  âppréhendoit  a'ctrc  rebuté  j  d'exciter  plus  efficace-  M^r[*j^"  */ 

A  a  *  ij  mcnc 


i88  La    V  I  e  d  e   jM.    D  e  s  c  a  r  t  e  s. 

1^43.      ment  la  curiofité  de  ceux  qui  étoient  paflionnez  pour  tout 

-* ce  qui  portoit  le  nom  de  M.  Defcartes  •  &  d'attirer  plus 

de  marchands  èc  de  ledeurs  par  cette  fupcrclierie.  L'ou- 
vrage étoit  divifé  en  quatre  parties.  La  première  regardoit 
M.  Regius ,  dont  le  prétendu  Schoockius  ne  faifoit  point 
difficulté  d'attribuer  toutes  les  opinions  à  M.  Defcartes.  La 
féconde  fervoit  à  l'examen  des  principes  &:  de  la  méthode  de 
fà  philofophie.  La  troifîéme  n'étoit  qu'un  choix  de  quel- 
ques-uns de  Tes  dogmes  particuliers  de  Métaphyfîque  &:  de 
Phyfique,  pour  faire  un  eflày  de  la  réfutation  qu'on  en  pour- 
roit  entreprendre.  La  quatrième  n'étoit  que  pour  montrer 
que  cette  nouvelle  manière  de  philofbpher  conduifbit  droit 
.„     -        au  Icepticifîne  ,  à  l'enthoufiafîne,  à  l'athéifhie  &  à  la  phré- 

Epifl.  ad  ce-         T       T      T  '      •  ■  j>  T  V    i>  ^ 

icb.  Voet.  nelie.  Le  livre  etoit  muni  d  une  préface  ou  1  on  entrepre- 
pag-  79-  noit  de  réfuter  principalement  la  lettre  de  M.  Defcartes  au 
Tom.  3.  des  p.  Dinet,  que  Voetius  étoit  déjà  venu  à  bout  de  faire  con- 
icitr. pag.  1;.   ^^^j-j-jj-j^j-  (^^iis  Iq  Confèil  de  la  ville,  ou  plutôt  dans  ion  Con- 

fiftoire^commeinjurieufe  àla  Religion  Réformée,  au  Mi- 
niftére  évangélique,  &:  à  la  perfbnnede  l'un  des  principaux 

Pig.  jj.  tom.  pafteurs  de  la  ville.  Cette  préface  étoit  une  vraye  diiîerta- 
tion  contenant  plus  de  foixante  pages  •  &:  elle  pouvoit  palTer 
pour  la  partie  du  livre  la  plus  criminelle  :  auffi  étoit-elle  de 
Voetius  feul ,  fans  que  Schoockius  pût  s'en  attribuer  même 
les  apparences  ,  comme  il  étoit  en  droit  de  faire  à  l'égard 
du  refle  du  hvre. 

Peu  de  jours  après  fa  publication  l'on  vid  pnroître  à  Am- 

^"  J-^^"^  ^    flerdam  chez  Elzevier  la  Réponfe  de  M.  Defcartes  f.)U s  le 
,  *     titre  d'Epi/Ivla  Ken.  Defcartes  ad  celeberrlmum  virum  D.  Gif- 

Tom.  1.  des       ,  ^t       ■  ■  ^  ■  i       ir    ■  t^       ■ 

Icttr.  pae.541.  vcrtum  Koetium^  m  qua  exammantur  duo  libri  nuper  pro  Koetto 
l  la  fin.  Vltraje&i  fimul  ediîi  5  umis  de  confrat  émit  aie  Marianâ  ^  alter  de 

philofophià  Cartejtanà.  Cet  ouvrage  fè  trouve  coupé  en 
neuf  parties  que  l'auteur  n'a  point  jugé  néceiîiiire  de  lier 
enfemble  par  une  fuite  trop  raifbnnée.  La  première  ;,  la 
troifîéme ,  la  cinquième ,  la  huitième  &:  la  neuvième  con- 
tiennent  la  réponfe  au  livre  de  la  Philofophie  Cdrtéfienne  ou 
de  la  Méthode  admirable.  La  fîxième  cfl:  un  examen  dj  li- 
vre contre  la  confrairie  de  Nôtre-Dame  de  Bofleduc.  La 
féconde  &:  la  feptième  font  une  elpéce  d'information  parti- 
culière que  l'on  fait  de  la  conduite  de  Voetius  j  &  la  qua- 
trième 


Livre   VI.    Chapitre    XL  1S9 

tricme  eft  un  jugement  de  fes  livres  &  de  fa  doctrine  ,  d'où       1 0^43. 

il  £iut  excepter  ceux  qu'il  avoit  écrits  contre  l'Eglife  Ko- -— 

maine,  &  quelques  autres  que  M.  Regius  n'avoit  pu  trou-   Lettr.36.Mr. 
ver  chez  les  Libraires  d'Utrccîit.   Le  grand  nombre  de  ces  '^'^  ^cgius- 
parties  n'eft  point  aiïurémcnt  une  preuve  de  la  grofïeur  du 
livre  j  èc  l'Auteur  afFeda  d'y  confèrver  le  titre  d' Epltri'  pour 
marquer  qu'il  ne  s'ctoit  point  départi  de  la  promefle  qu'il 
avoit  faite  d'être  fort  court.  C'eft  pour  cela  qu'il  avoit  laifl 
fé  palier  fans  réponfe  quantité  de  faulTetez  puériles  &  ridi-    Tom.  z  ds« 
cules  dont   le  livre  de  Voetius    ou  SchoocKius  étoit  rem-   "^^  lettr.pag. 
plv  ;  &  de  la  nature  defquelles  étoit  entre  les  autres  celle        '         , 
a  acculer  M.  Delcartes  de  n  avoir  chercne  La  faveur  Q-  lafro-  Çun  Mina,  lo^ 
tecHon  des  Je  fuites^  que  pour  fe  mettre  a  couvert  des  coups  du  Sca-   cum  tnventu'. 
vant  père  Merfenne  ,  ^  des  autres  Théologiens  ^  Philo  fophes  de   ^dVcinnlm  de 
France.  Suppofition  qui  n'étoit  plus  pardonnable  à  Voetius,   Tranffubft^^n. 
depuis  que  le  P.  Merfenne luy  avoit  écrit ,  tant  pour  le  dé-   ^^^cT/oneft' 
tromper  de  la  faufle  imagination ,  que  pour  le  guérir  de  fbn   Roman&  ca^ 
animofîté  contre  M.  Defcartes.  *^^tV^f  I 

Le  ûile  de  cette  pièce  n'efl  point  fins  doute  fort  châtié:   pofitetur[m 
mais  il  fiiffifoit  à  M.  Delcartes  qu'il  fût  aifé,  &  à  la  portée  de  g"^^''^"»  A'^'- 
toutes  fortes  de  ledeurs.  0\\  doit  principalement  s'arrêter  "ocieTIi-Mu^ 
à  deux  confîdérations  qu'il  a  eues  en  compofànt  cet  ouvrai^e  ^   ^<^-  quorum  a- 
celle  de  là  perfonne  ou  de  foii  intérêt  perfonnel ,  &;  celle  ^>'-['"^[".^'^j 
d'autruy,  11  faut  avouer  que  la  connderation  d'autruy  com-  fendi  foffit 
me  de  De{înarêts,de  MelFieurs  de  Bofleduc,de  M.  Regius  luy  ''"^^''^  "''"^jf'- 
a  quelquefois  lailfé  appeller  les  défauts  de  Voetius  par  leur  nitm.ai^s'i'qHe 
nom.    C'eft  ce  qui  a  fait  dire  à  M.  Saldenus  *  l'un  des  dilci-  Thcdojos  ac 
pies  afFeclionnez  de  Voetius,  qu'il  le  trouvoit  quelques  ter-   Gliio?!Tqui- 
mes  d'ai2:reur  contre  fbn  maître  dans  cet  ouvrag-e.  Mais  lorfl   i>us  xpA:cI:>.s 
qu'il  ne  s'asilifoit  que  de  luy_même,  il  fèmble  qu'il  ait  aîcc-   ^  ^^^''  ^"*'' 
te  de  raire  triompher  la  douceur  des  emportemens  de  Ion  tifcitciu:-.'?iut 
adverfiire.  Auffi  protefta-t-il  à  MefTieurs  de  la  ville  d'U-  "^[û''»-'^^^' 
trecht  'f  que  le  motif  principal  quil'avoit  porté  à  répondre  à   l'^"^,  [ 

ur  Mmiltre  n  avoit  pas  ete  1  enormite  des  injures  dont  il  iit^is.  p.530. 
avoit  rempli  le  livre  de  SchoocKius.  Elles  étoient  trop  abfur-     ^         , 
des  ce  trop  éloignées  de  la  vrai-lemblance  pour  mériter  les   icttr.  p.  8,9. 
relTentimens.  Mais  il  voidut  donner^  enfe  rendant  cefervicc  à 
lui-même  ,  quelque  latisfidion  à  divers  honnêtes  gens  de  lu 
Religion  même  de  Voetius ,  qui  étoient  indignez  qu'un  hom- 

Aa  iîj     *         me 


Pâg.  ro.ibid 


190  La  Vie  de  M.    Descartes; 

643.  ïTie  ^Lifli  vicieux  que  lui  &;  d'un  mérite  aulîî  fuperficiel  q\i^ 
le  fien  eut  allez  de  crédit  &:  d'autorité  pour  brider  la  popu- 
lace ,  èc  pour  bander  les  yeux  aux  trois  quarts  de  la  première 
bourgeoifie  de  la  Ville.  D'ailleurs  l'engagement  où  il  avoic 
été  de  le  défendre  enfin,  après  avoir  eu  la  patience  de  ne  rieit 
répondre  à  neuf  ou  dix  libelles  injurieux  de  Voetius  6c  de 
fes  difciplesj  ne  pouvoit  pas  ne  pas  être  de  quelque  utilité  à 
l'Etat  de  la  Seigneurie ,  parcequ'il  fàifoit  connoître  aux  plus 
Hmples  les  véritez  qu'il  fçavoit  de  Voetius,  pour  le  récom- 
penlèr  des  fauiïetez  que  ce  Miniftre  publioit  de  luy.  Enfin 
puifque  Voetius  prétendoit  luy  faire  un procez^  d'injures  ipour 
l'obliger  à  vérifier  les  chofès  qu'il  avoit  dites  de  luy  en  paf. 
Tant  èc  par  manière  d'abrégé  dans  la  lettre  au  P.  Dinet  ;  il 
avoit  crû  devoir  les  expliquer  toutes,  de  les  prouver  fi  clai- 
rement dans  ce  fécond  écrit  que  cela  put  l'exempter  de  la 
peine  de  les  prouver  devant  des  Juges. 

M.  Dwfcartes  ayant  donc  dreifé  fbn  fécond  écrit  de  telle 
forte  qu'il  pouvoit  afi^ez  fe  défendre  par  luy-même ,  Se  dé- 
fendre aufTi  le  premier  :  il  en  envoya  des  exemplaires  aux 
Vanleew,  &  deux  Coufuls  OU  Bourgmaiilres  d'Utrccht  pat  deux  perfon- 
HooiK?         ^^^^  ^^^  P'^^  qualifiées  de  la  ville,  qui  leur  firent  des  compli- 
mens  de  fà  part.  Mais  les  intrigues  éc  les  procédures  de  Voe- 
V.  l'Eciir  in-   tius  avoient  déjà  préoccupé  la  plupart  des  Magiilrats  en  fcL-^ 
ïit.Aengivzn-  y^m-  cI'q,-,^  periomie  aux  intérêts  de  laquelle  ils  crovoiens 
un,  ^  honneur  de  leur  Keligion  attache.  De  forte  que  M.  Def- 

cartes  futfurpris  quelques  femaines  après,  lorfqu'il  apprit  la 
■  publication  d'un  Acte  donné  contre  {bs  deux  Ecrits,  c'eft-à- 

dire  contre  fès  deux  Lettres  au  P.Dinet,  &  à  Gifbert  Voetius 
le XIII ,  ou  feloiTiious  le  xxiii  jour  de  Jain  1(343,  ligné  C.  de 
Rider.  Ce  n'cil  pas  qu'ail  témoignât  être  mal  content  de  ce 
quecèt  Ade  contenoit  au  regard  de  Voetius    Car  il  croyoit 
y  trouver  la  condamnation  manifèfte  de  ce  Minière  ,  en  ce 
Tom.  h  des    q^^  les  Magillrats  qui  avoient  donné  cet  Acte  reconnoif- 
letir.  p.  10.     foient  que  cet  homme  étoit  inutile  &  nuifible  même  à  la 
ville  d'Utrccht,  Ci  les  chofes  qu'il avoit  écrites  de  luy  étoienc 
Botel  a  été  ^rayes.  Or  il  étoit  trés-afîlirè  de  leur  vérité  .-  mais  il  ne  poii- 
mai  informé    voit  comprendre  que  des  Magiftrats  qui  dévoient  f^avoir  ce 
lorfqu'il  a  e-   qui  étoïc ,  6^  cc  qiii  n'étoit  pas  de  leur  devoir,  eu (Fent  voulu 
Dcfcartcs  Se    Ic  citcr  pour  ics  ventier  ,.  Cvinmc  s  us  avoient  eu  quelque  ju - 
les  difçiplcs  jiidiciioa 


Livre  VI.  Chapitre   XI.  191 

rifciiclion  fur  luy  ^  6c  il  s'étonnoit  aufTi  que  cette  citation 

eût  été  faite  avec  cclat  au  fbii  de  la  cloche ,  coinme  s'il  pvoit      '    ^^* 

ctë  criminel.  ^  o.uécechaf. 

Il  y  avoit  prés  de  fix  femaines  qu'il  avoit  quitté  le  voifi-  fez  d'u- 

na2;e  de  Leyde  pour  retourner  en  Nord-Hollande,  &:  il  s'é-  tï^echt  au  foa 

P,        /    V  r-  j    j      TT       r         \      1  •     1    ..  '  •/-         de  la  cloche. 

toit  loge  a  hgmond  du  Hoer  ,  ou  il  avoit  loue  une  mailon  paa.  ^ . 
fort  commode  pour  un  an,  à  commencer  depuis  le  premier  *  Lettr.  i&r 
jour  de  May  1643.  Il  avoit  eu  foin  d'en  faire  donner  avis  aux  Mff.  à  Picot. 
Bourgmaiftres  de  la  ville  d'Utreclit,  en  leur  faifant  préfen. 
ter  fbn  livre  contre  Voetius.  Ainfî  il  trouva  un  peu  étran2;e   Tom.  ?.  des 
que  les  Magiftrats  eulîcnt  fuppofe  qu'ils  étoient  incertains   ^^"''  P'  ^®* 
du  lieu  de  (a  demeure,  pour  avoir  un  prétexte  de  rendre  la 
citation  plus  publique.  Néanmoins  parceque  cette  maniéie 
de  procéder  pouvoit  avoir  diverfès  interprétations  ,  de  qu'il 
croyoit  avoir  mérité  l'amitié  de  ces  Meflîeurs  plutôt  que 
leur  averfîon  ,  il  ne  voulut  pas  croire  qu'ils  eullcnteû  in- 
tention de  luy  nuire  ^  mais  feulement  de  faire  éclater  l'af- 
faire ,  afin  que  celuy  qui  étoit  coupable  &  fujet  à  leur  ju- 
rifdidion  pût  être  puny  avec  l'approbation  de  tout  le  monde. 
C'efl:  pourquoy  jugeant  qu'il  étoit  à  propos  qu'il  les  imi- 
tât ,  &  qu'il  fuivit  ks  intentions  qu'il  leur  attribuoit ,  il  fît  intitulée 
imprimer  aufTi  fa  Réponfê  à  cette  publication  en  langue  du  '^"J"^"^'^^» 
païs.   Elle  parut  dattéed'Egmond  op  de  Hoef  le  vi  de  Juillet      v.  le  jeune 
félon  le  ftile  des  Catholiques.    Dans  cit  écrit  qui  n'étoit   X°"'"^^f"* 

,  .  ^        .,  .    .  ,      .  ,  A  le  Recueil 

que  de  trois  ou  quatre  pages  il  remercioit  premièrement  ces  Atngevi^ngen» 
Meflîeurs  de  la  réfblution  qu'ils  faifbient  paroître  pour  exa- 
miner les  mœurs  d'un  homme  qui  l'avoit  ofFenfé ,  &  il  les 
prioit  enfliite  comme  par  occafion  de  vouloir  auflî  s'informer 
s'il  n'étoit  pas  complice  du  livre  imprimé  fous  le  nom  de 
SchoocKius ,  fous  le  titre  de  Philofophia  Cartcfîana^  ou,  Admi-   P^g  "  tom.3. 
randa  Mcthodus ^  dcc.  où  il  étoit  calomnié.  Il  ne  prétendoit     "  ^"'^' 
point  abfolumentque  Voetius  en  fût  coupable ,  quoiqu'il  en   ^^^"^  P^S-  '9» 
fût  entièrement  perfiiadé  ,  ou  qu'il  l'en  crût  au  moins  ref-  ^  ° 
ponfable.   Mais  parce  que  tout  le  monde  l'en  fôup(^onnoit, 
i^  croyoit  avoir  jufle  faifbn  de  prier  ces  Meflîeurs  qu'il  leur 
plût  en  faire  information.  Il  déclara aufîî  exprefTément  qu'il 
ce  vouloit  point  fe  rendre  partie  contre  Voetius  ^  &:  ^u'il 
frctejioit  d'injures  en  cas  qu'ils  voulufîent  prétendre  quelq:7e 
<ixoit  dç  jur^fdiôlioii  fur  luy.  Enfin  ij  s'o&oit,  au  cas  qu'il 


î;9î        L  A  .  V  î  E     De     m.     D  e  s  c  a  r  t  e  s. 

.      ^       fè  troLivât  quelque  chofc  dans  fes  écrits  donc  lis  dëfirailèiit 
"^  ^'__  plus  de  preuves  qu'il  n'en  avoit  donné,  de  leur  en  fournir 
de  fuffiiantes  ,  lors  qu'il  leur  piairoit  de  l'en  avertir. 

Cette  réponfj  de  M.  Defcartes  a  la  publication  des  Ma- 

C'etoientles         n,  , ,,,  y       r  '■  >    -ir         •  ■>  i    j 

termes  de       giltrats  d  Utrecot  ht  connoicre  a  Voetius  qu  il  cievoit  re- 
schoocKius.     doubler  lès  follici cations.  Il  lâcha  Ç^zs  émiir.ires  par  la  ville, 
pour  animer  la  populace  contre  cet  ennemi  prétendu  de 
leur  Padeur  &:  de  leur  Religion.    Il  fuborna  le  plus  qu'il 
Pag.  iz  &  15    pût  de  témoins  ^  &  il  n*en  pût  trouver  que  cinq  qui  étoient 
4lu  3  tom.  des   toutes  Créatures  de  fa  faction,  &  qui  ne  dépoférent  autre 
chofe,  finon  que  Schoockius  étoit  l'auteur  du  livre  qui  por- 
toit  ion  nom     Les  moins  récufibles  de  ces  témoins  corrom- 
pus étoient  Schoockius,  &  ce  "S^aeterlaet  difciple  de  Voe- 
tius ,  qui  avoit  été  le  Répondant  des  fameuies  tbéfjs  de 
Voetius  contre  M.  Defcartes  &  M.  Regius ,   &  qui  avoit 
fèrvi  à  corrompre  Schoockius ,  comme  celuy-cy  le  déclara 
depuis  devant  les  Ju:^es  de  Groningue ,  au  tribunal  defjueîs 
M.  Defca-tes  fut  obligé  de  le  traduire.    Sans  autres  éclair- 
ciilemens  les  Commiiîaires  que  le  Sénat  ou  le  Confeil  de  la 
ville  avoit  établis  pour  connoîtrede  c:tte  affaire  donnèrent 
une  ientence  contre  M.  Defcartes,  où  {qs  deux  écrits  ad- 
drefîèz  l'un  au  P.  Dinet  Tautre  à  Voetius  furent  déclarez 
Pag.  n  &  12,    libelles  diiEimatoires  le  xiii ,  c'eft-à-dire  félon  nous ,  le  xxiii 
lofli.  j.  ^ç.  Septembre  de  l'an  1643  fans  qu'il  fut  averti  de  rien  ,  6c 

fans  avoir  reçu  même  aucune  nouvelle  de  fes  amis  d'Utrechtr 
depuis  le  mois  de  Juin.  Quelques  fcmaines  s'écoulèrent  en- 
cx)re  dans  ce  fîlence  myftérieux,  jufqu'à  ce  que  vers  le  mi- 
lieu d'OAobre  il  reçut  deux  lettres  l'une  affez  prés  de  l'au- 
Luc  Van.        ^^*^î  écrites  d'une  main  inconnue  &  fins  nom,  par  lefquel- 
Vuyren.         Jes  on  luy  doimoit  avis  que  l'Officier  de  Juftice  par  ordre 
Chnft.   Ro-    ^^^  Ma^iflrats   l'avoit  cité  pour  comparoître  en  perfbnne 
comme  criminel.  On  ajoutoit  qu  il  n  ctoit  pas  même  en  lu- 
reté  :ians  la  province  où  il  demeuroit,.  à  caufe  que  par  un 
accord  fait  entre  les  deux  provinces  particulières  d'Utrechc 
&  de  Hollande  ,  les  fèntences  qui  fe  donnoient  dans  Tune 
s'éxécutoient  auiîi  dans  l'autre. 

M.  Defcartes  ne  fçût  que  penfer  de  ces  lettres  qui  n'é- 
toientde  la  main  d'aucun  de  fes  amis  d'Utrecht.  Il  crut  d'a- 
bord que  c'étoic  une  raillerie ,  6c  il  ne  s'en  s'en  émût  point.. 

Mais 


Livre    VI.    Chapitre    XI.  193 

Mais  après  y  avoir  fait  une  féconde  reflexion,  il  s'en  alla  à      1^43. 

la  Haye  pour  s'en  enquérir.    Il  y  appric  que  la  cholê  écoic  — - 

telle  qu  on  la  iuy  avoit  écrite  j  ce  il  i^ut  que  la  citation  a-  procédure  da 
voit  été  faite  le  23  de  Septembre ,  c'eft-à-dire  le  3  a'Odo-  j^une  Voeùus 
bre.  On  Iuy  fit  connoître  en  même  têms  qu'il  ne  s'agiffoit  ^'^' 
de  rien  moins  que  d'aller  répondre  à  Utrecht  fur  les  crimes 
de  l'atliéiime  envers  Dieu,&;  de  la  calomnie  envers  un  hom- 
me de  bien.  Voyant  que  les  choies  étoient  defefpérées  pour 
lu^■ ,  £iute  d'avoir  été  fbmmé  &;  averti  de  ce  qui  s'étoit  palTé 
à  Ucrecht  depuis  le  mois  de  Juin,  il  ne  trouva  plus  d'autre   Lcttr.  Mf.  ou 
remède  que  celuy  d'aller  trouver  Monfieur  de  la  Thuillerie  £^1^"^\/^ 
AmbafTadeur  de  France,  pour  Iuy  demander  fa  protection  la Thuillerie. 
contre  ces  entrepriiès.  L'Ambafladeur  (ans  fçavoir  d'ailleurs 
que  les  bef^ins  de  M.  Defcartes  fuflent  prelîans  alla  incon- 
tinent parler  à  M.  le  Prince  d'Orange ,  croyant  Iuy  donner 
une  nouvelle  marque  de  (on  amitié  par   la  diligence  qu'il 
apportoit  à  le  fervir.  M.  le  Prince  d'Orange  fit  écrire  aufîî- 
tôt  aux  Etats  de  la  province  d'Utrecht,  èc  les  Etats  de  la 
province  employèrent  incellàmment  l'autorité  qu'ils  avoient 
fiir  les  Magidrats  de  la  ville  ,  pour  procurer  à  M.  Defcartes 
la  iatisfaclion  qu'il  demandoit.    Mais  le  fecours  vint  trop 
tard,  quoyqu'il  produifit  tout  l'efFct  que  M.  Defcartes  a- 
voit  (buhaité.  L'ignorance  où  il  étoit  de  fes  propres  affaires 
fut  caufe  qu'ayant  demandé  trop  peu  de  choies  à  l'AmbaC 
fadeur,  le  remède  ne  parut  pas  luffifànt  pour  arrêter  le  mal 
dans  fa  fource. 

Il  n'avoit  demandé  autre  chofè ,  finon  que  le  cours  de  ces  Elles  abeutif- 
procédures  extraordinaires  fût  arrêté,  parce  qu'il  croyoit  Soient  à  fai- 
qu'elles  étoient  les  premières  qu'on  eût  faites  contre  Iuy  :   5]^eux"éerits^ 
éc  il  ne  fçavoit  rien  de  la  fentence  que  les  Magiftrats  a-   par  la  main 
voient  donnée  contre  Iuy  le  '-  de  Septembre,  où  les  deux  «^ubouueau. 
écrits  qui  traitoient  de  Voetius  avoient  été  condamnez.    Ce 
fut  après  coup  qu'il  apprit  ce  qui  s'étoit  pafTè  :  de  la  diffi- 
culté qu'il  fit  encore  pendant  quelque  têms  d'en  rien  croi- 
re venoit  de  ce  qu'il  avoit  dans  Utrecht  des  amis  qui  ne  l'en 
avoient  pas  averti,  quoyqu'ils  n'ûfïent  point  manqué  aupa- 
ravant de  Iuy  donner  avis  de  la  publication  du  H  de  Tuin.   y-LeRccudi 
Mais  ceux  qui  1  informèrent  a  la  Haye  de  la  vente  du  fait ,  ùas ,  &c.  ut. 
&  qui  par  les  habitudes  qu'ils  avoient  à  Utrecht  avoient  ^"P"^- 

B  b  *  appris 


1^4 


La  Vie  de  M.  Descartes. 


164.^. 


Toin 

•    3- 

des 

lettr. 

P^S- 

IL, 

«J. 

Du  bourreau. 


V.  la  Ictîr. 
Mf.  de  Defc. 
à  Picot  du  7 
de  Novembre 


*  Ou  au  com- 
mencement 
d'Oaobre. 
i6'4j,  à  U- 

trecht  in  iv° 
chez  Guill. 
StricK. 


appris  toutes  chofes  d'origine  ,  eurent  la  bonté  de  luy  dé- 
couvrir encore  le  myftére  de  toute  l'intrigue.  Ils  luy  firent 
remarquer  que  la  publication  du  '^  de  Juin  avoit  été  faite 
d'une  manière  plus  éclatante  que  d'orduiaire  j  avec  plus 
d'appareil  &  une  convocation  de  peuple  plus  iblennelle  j 
qu'elle  avoit  été  imprimée,  affichée,  &  diffcribuée  avec  grand 
foin  par  toutes  les  principales  villes  des  Provinces  unies  : 
de  forte  que  ce  n'ctoit  point  merveille  qu'il  en  eût  eu  con- 
noifTince.  Mais  que  depuis  la  réponfè  qu'il  y  avoit  faite  le 
/îxiémedejuillct,  on  avoit  entièrement  changé  de  ftile  dans 
la  procédure  j  &:  que  fes  ennemis  avoient  eu  autant  de  foin 
d'empêcher  que  ce  qu'ils  préparoient  contre  luy  ne  fiit  fçû, 
que  s'il  avoit  été  queftion  de  furprendre  quelque  ville  en- 
nemie. Ils  avoient  voulu  néanmoins  obfèrver  quelques  for- 
mes ;  &  pour  ce  fujet  la  fêntence  qu'ils  avoient  obtenue  des 
Magiftrats  avoit  été  lue  dans  la  Maifon  de  ville  -,  mais  à  une 
heure  ordinaire  ,  après  d'autres  écrits ,  dc  lors  qu'on  fè  fut 
apper^û  de  l'abfence  de  ceux  qu'on  jugeoit  capables  d'en 
avertir  M.  Defcartes.  Pour  les  citations  de  l'Officier  dejufl 
tice  ,  qui  dévoient  fuivre  la  fêntence ,  ils  ne  s'étoient  point 
fonciez  de  prendre  tant  de  précautions ,  croyant  que  M. 
Defcartes,  éloigné  des  lieux  comme  il  étoit,  ne  pourroit 
point  en  être  averti  aflez  tôt  pour  y  apporter  du  remède. 
En  eiFet  fes hvres  étant  déjà  condamnez,  &  luy-même  cité 
en  perfonne,  ils  fe  doutoient  bien  qu'il  ne  comparoîtroit 
pas,  &  que  la  fêntence  feroit  donnée  par  défaut.  Ils  étoient 
afTûrez  que  cette  fêntence  n'iroit  pas  moins  qu'à  le  con- 
damner à  de  grofïes  amendes,  à  le  bannir  des  Provinces 
unies  ,  Se  à  faire  brdler  fes  livres  :  Se  Ton  prétendoit  que 
Voetius  avoit  déjà  tranfigé  avec  le  bourreau  pour  faire  un 
feu  d'une  hauteur  demefurée ,  &  dont  on  pût  faire  mention 
dans  l'hiftoire  comme  d'une  chofe  extraordinaire. 

Le  deflein  de  iès  ennemis  étoit  après  cela  de  faire  impri- 
mer fous  le  nom  de  l'Univerfité  d'Utrecht  une  Narration 
hiftorique  de  tout  ce  qui  auroit  été  fait  (  fèmblable  à  celle 
que  Voetius  avoit  publiée  fur  la  fin  de  Septembre  :,  *  conte^ 
nant  ce  qui  s'étoit  pajfTé  contre  M.  Regius,  depuis  qu'il  eût 
acquis  une  chaire  de  Profeireur,ju{qu'à  la  défenfè  qui  luy 
fut  faite  d'enfeigner  la  Philofophie  nouvelle  fous  le  titre  de 


LiVKE    VI.    Chapitre  XI.  195 

2^ dr ratio  hifiorica  quk  défende  quk  exîer minât ^  noviC  philo fo- 
fhi^.  )  On  devoit  ajouter  à  cette  féconde  Narration  hiflori- 
que  les  témoignages  de  vie  &  de  mœurs  *  que  Voetiusavoit 
demandez,  tant  aux  ProfefTcurs  de  l'Univerfité,  qu'aux  Mi- 
nières &  Anciens  du  Conlîftoirc.  On  devoit  l'accompagner 
auiTi  de  quelques  pièces  de  vers,  tant  pour  louer  Voetius, 
que  pour  blâmer  M.  Defcartes,  afin  que  les  exemplaires  en 
étant  répandus  par  toute  la  terre  félon  lesmefures  qu'ils  en 
avoient  prifes ,  M.  Defcartes  ne  pût  plus  aller  en  aucun  lieu  , 
où  il  ne  trouvât  fon  nom  diffamé ,  &:  où  la  gloire  du  triom- 
phe de  Voetius  ne  s'étendît. 

M.  Defcartes  ayant  appris  que  la  confîdération  de  TAm- 
bafladeur  de  France  avoit  fait  arrêter  les  procédures ,  vou- 
lut avant  que  de  quitter  la  Haye  employer  l'indu ffcrie  de  fès 
ainis  pour  tâcher  de  découvrir  les  fondemens  ou  les  pré- 
textes qu'on  avoit  eus  pour  procéder  contre  luy  de  la  for- 
te. Tout  ce  qu'il  put  apprendre  fut,  que  depuis  la  premiè- 
re publication  des  Magiftrats ,  tous  les  fauteurs  &;  les  émif. 
fàires  de  Voetius  avoient  été  continuellement  occupez  à 
méJire  de  luy  dans  toutes  les  compagnies  ^  que  par  ce  moyen 
ils  avoient  tellement  animé  le  peuple,  qu'aucun  de  ceux  qui 
fçivoient  la  vérité,  &  qui  avoient  horreur  de  leurs  calomnies, 
ii'ofbit  rien  dire  à  fbn  avantag-e ,  fur  tout  après  avoir  vu 
le  traitement  qu'on  avoit  fait  à  M.  Regius.  Mais  que  néan- 
moins lors  qu'on  examinoit  toutes  les  chofes  que  ces  émifl 
fàires  debitoient  de  luy,  on trouvoit qu'elles  fe  rapportoient 
à  deux  points.  »  L'un ,  qu'il  étoit  difciple  des  Jéfuites  •  que 
c'étoit  pour  les  favonfer  qu'il  avoit  écrit  contre  le  grand 
défenfeur  de  la  Religion  Réformée  Gifbert  Voetius  •  6c 
que  félon  les  apparences  il  avoit  été  envoyé  par  eux  pour 
exciter  des  troubles  dans  ces  provinces.  L'autre  point  écoir 
qu'il  n'avoit  jamais  été  ofFenfé  de  Voetius  •  que  celuy-cy 
n'étoit  point  l'auteur  du  livre  écrit  contre  luy  ,  mats  Scho- 
ock-ius  feul  qui  le  trouvant  aufli  alors  dans  Utrecht  l'en  a- 
voit  entièrement  déchargé,  bc  vouloit  bien  en  retirer  liir 
luy  tout  l'honneur  ou  tout  le  blâme  qu'il  pourroit  produire. 
En  effet  il  paroilîbit  que  la  fentence  donnée  contre  luy  n'é- 
toit fon  ée  que  fur  ces  deux  points ,  s'il  eft  vray  qu'elle  fiic 
telle  qu'on  la  trouve  imprimée  dan^  le  libelle  an;  nyme,  où 

Bb*  ij  le 


V.  Ialctcr.de 
Dcfcaux  Ma- 
gi'.lrats  d'U- 
trcchr. 

*  Ces  témoi- 
gnages ont  c- 
té  imprimez 
Hatis  le  Re- 
cueil de  jeune 
Voetius,  in- 
titulé Aenge- 
vangen. 

Lettr.ou  Rcq. 
à   M.  de  la 
Thuilleric 
Mf.  &  tom,  î 
dcslcttr. 


Pag.  i  ,du 
et  j    vol    de& 
Icttr. 


Intit.  Aenge- 
vangen  Proce- 
dhtreu  ,  ^c. 


ï  643. 


»5 
>5 


initio. 


La  gloire  & 
rornement 
des  Eglifes 
Calviniftes 
des  Pais- bas. 
*  Sç.  les  Mi- 
nimes. Voyez 
cy-dcffus. 


Le  P.  3our- 
din. 


Pag.  i(î  du  ;. 
vol.  des  lettr 


1^6  La    Vie    D  e  M.    Descartes. 

le  jeune  Voetius  recueillit  les  procédures  faites  contre  M. 
Deicartes. 

Avec  ces  éclaircillemens  M.  Defcartes  crut  devoir  tra- 
vailler à  fa  juftification  ,  afin  de  faire  voir  fon  innocence  ôc 
l'équité  de  fa  caufe  à  touj  ceux  quipouvoient  en  avoir  con- 
çu une  opinion  defàvantageufe.    La  chofe  étoit  aiiëe  pour 
le  premier  point, lors  t]u'on  confidéroit  fon  païs  6c  fa  Reli- 
gion. "  Il  n'y  avoit  que  les  ennemis  de  la  France  ou  de  l'E- 
ojlife  Romaine  qui  puifent  luy  faire  un  crime  d'être  ami  des 
Jéfuites,  c' eft-à-dire ,  de  ceux  à  qui  nos  Roys  ont  coutume 
de  communiquer  le  plus  intérieur  de  leurs  penfées  en  les 
choifiilant  pour  confefTeurs.  Réflexion  qui  paroifToit  d'au- 
tant plus  remarquable,  que  le  Père  Dinet  qui   avoit  été 
choifî  depuis  peu  pour  être    ConfelTeur  de  Loiiis  XIII 
étoit  le  feul  auquel  on  luy  reprochât  d'avoir  écrit.  Les  zè- 
le Reliî^ionnaires  dévoient  d'ailleurs  trouver  moins  mau- 
vais qu'un  Gentil-homme  François  fut  de  la  même  Religion 
que  fon  Roy,  que  de  voir  le  Miniftre  Voetius,  unThéolo- 
o;ien  de  profeffion  ,  un  chef  du  clergé  réformé,  qui  afFectoit 
de  fè  faire  appeller  Ecclcfiarum  Bclgicarum  décris  ^  ornamen- 
tum^  chercher  néanmoins  à  ie  liguer  avec  quelques-uns  de 
nos  Religieux,  *  jufqu'à  les  appeller  les  défenfenrs  de  la  Vé- 
rité ,  pour  mieux  s'infinuer  dans  leurs  bonnes  grâces.    La 
malignité  de  Voetius  dans  les  reproches  qu'il  luy  faifoit  de 
l'amitié  qu'il  avoit  pour  les  Jéfuites,  étoit  encore  plus  évi- 
dente, lorsqu'on  confidéroit  que  l'Ecrit  qu'il  alléguoit  pour 
cela  étoit  compofé  contre  un  Jéfuite  même  avec  lequel  il 
s'étoit  reconcilié  depuis.    De  forte  que  ce  Miniftre  qui  ie 
déclaroit  l'ennemi  juré  des  Jéfuites  fembloit  néanmoins  s'ê- 
tre rendu  leur  nrocureur,  en  obtenant  des  Mag-iftrats  de  fà 
ville  la  condamiation  de  cet  Ecrit. 

Pour  ce  qai  efl  de  l'autre  point  concernant  le  véritable 
Auteur  du  livre  qui  portoit  le  nom  de  Schoockius,  il  en 
pouvoit  venir  aifément  à  bout  ,  en  nommant  A^^^  témoins 
qu'il  avoit  en  grand  nombre  pour  vérifier  le  fait.  Mais  il 
crut  que  le  chemin  le  plus  droit  étoit  de  s'adcirefTer  à  Scho- 
ockius, afin  qu'il  pût  être  puni  au  lieu  de  Voetius,  s'il  vou- 
loit  fe  charger  de  fon  crime  j  ou  que  s'il  n'avoit  point  afièz 
de  charité  pour  cela,  il  fût  au  moins  obhgé  de  découvrir 

la 


Livre  Vî.    Chapitre   XI.  197 

la  vérité  pour  mériter  le  pardon.  Il  prit  donc  le  party  de 
1-e  citer  à  Groningue  devant  fcs Juges  naturels,  avec  îtfqucls 
il  n'avoit  jamais  eu  la  moindre  habitude.  Quoique  Sclioockius 
les  eût  tous  pour  amis,  de  qu'il  fiit  même  actuellement  Rec- 
teur de  leur  Univerfîté  lorsqu'il  forma  fa  plainte  contre  luy, 
il  eut  pourtant  ailez  bonne  opinion  de  leur  intégrité  &  de 
leur  fuffifance  ,  pour  efpérer  qu'ils  ne  luy  rcfufcroientpas  la 
juflice  qu'il  leur  demandoit. 

Cette  afEiire  acheva  de  perdre  la  réputation  de  Voetius 
parmy  les  honnêtes  gens  de  fa  Religion.  Elle  couvrit  de 
confufion  les  Magiflrats  d'Utrecht,  dontplufieurs  tâchèrent 
de  s'excufer  fur  ce  que  n'ayant  pas  étudié ,  &  ne  fçachant  pas 
quels  pouvoient  être  les  difFérens  des  gens  de  Lettres,  ils  s'é- 
toient  crus  obligez  de  prendre  les  intérêts  de  leur  Miniftre 
de  de  leur  Théologien  contre  un  Cathohque  étran2;er ,  efti- 
mant  que  le  zélé  pour  leur  Religion  redifîeroit  fuffifam- 
ment  leur  ignorance  &  leurs  procédures  les  moins  régulières. 
Elle  fervit  aulîî  à  faire  connoître  la  multitude  des  amis  que 
M.  Defcartes  avoit  à  la  Haye,  à  Leyde  ,  à  Amfterdam,  6c 
généralement  par  toutes  les  Provinces-unies ,  6c  à  luy  en 
acquérir  un  grand  nombre  de  nouveaux ,  qui  blâmèrent  hau. 
tement  les  procédures  d'Utrecht ,  dés  quelles  devinrent  pu- 
bliques :  de  forte  que  la  principale  occupation  de  M.  Dell 
cartes  pendantles  moisd'Odobre  6c  de  Novembre,  fut  d'é- 
crire des  lettres  de  remercimens  par  centaines.  Divertiiîe- 
ment  moins  odieux,  mais  auffi  nuifîble  à  fes  occupations  que 
les  follicitations  de  ion  procez. 


1(^43. 


Lettr.  Mf.  a 
MeiT.  du  1 1 
de  Décembre 
1643. 


Lettr.  Mf.  i 
Picot  du  7. 
Novemb. 


B  b  iii 


CHAP. 


I  <3  4  3* 


Ï9S  La  Vie  de    M.  Descartes. 


CHAPITRE    XII. 

Z'Abbé  picot  quitte  M.  Defcartes  pour  retourner  en  France ,  ^ 
fait  un  voyay;  en  Touraine  four  acheter  une  terre.  Avis  que 
M.  Defcartes  luy  donne  là-deffus.  M.  de  Ville- Breffïeux  de-* 
mande  k  retourner  auprès  de  M.  Defcartes.  Raifms  de  le  dè^ 
tourner  devenues  inutiles.  Jl  demeure  avec  luy  jufqtiau  voya- 
ge de  France.  M.  Defcartes  fait  un  Ecrit  touchant  les  jets  à' eau. 
Il  reçoit  des  deffeins  de  jardins.  Invention  du  P.  Grand- Amy 
four  faire  une  aiguille  qui  ne  décline  point.  Nouveau  fuj  et 
d'eflime  de  M.  Defcartes  pour  M.  de  Roberval.  Af.  Defcartes 
reçoit  quelques  livres  nouveaux  ^quelques  expériences  ^dont  il 
dit  fon  fentiment,. 


L 


A  fuite  dans  laquelle  on  vient  de  voir  le  détail  des 

aiFaires  que  M.  Defcartes  a  eues  à  Utrecht  pendant 

tout  le  cours  de  cette  année  ,  étoit  nécelîaire  pour  ne  pas 
diflraire  l'efprit  du  lecbeur  à  qui  il  eft  toujours  pénible  de 
partager  ion  attention.  Dés  le  commencement  de  l'année, 
ou  fiir  la  fin  de  la  précédente  l'Abbé  Picot  qui  l'étoit  venu 
voir  avec  l'Abbé  deTouchelaye  Gentil-homme  de  la  ville 
de  Tours  ,  frère  de  fbn  amy,  Tavoit  quitté  pour  retourner 
en  France  :  &  fur  ce  qu'il  luy  avoit  communiqué  le  deiïeiii 
qu'il  avoit  de  faire  un  voyage  en  Touraine  pour  y  acheter 
une  terre  ^  M.  Defcartes  luy  récrivit  le  2  jour  de  Février  en 
"  ces  termes,  55  Je  /buhaite  que  vous  puiifiez  trouver  enTou- 
7  Février  '*  raine  une  terre  à  vôtre  contentement.  C'cfl;  un  beau  pais  r 
'^4j« ,  A.  »  mais  je  crains  que  la  menue  Nobleiïe  n^y  foit  importune, 
55  comme  elle  cft  prefque  par  toute  la  France.  Pour  mon  hu- 
53  meur,  je  choifirois  plutôt  d^icquérir  du  bien  en  un  mauvais 
55  païs  qu'en  u;i  bon  ,  à  caufe  que  pour  le  même  argent  j'au- 
53  rois  un»  étendue  de  terre  beaucoup-  plus  grande ,  &;  ainfî 
^55  je  ne  fèrois  pas  11  aifement  incommodé  de  mes  voilins.  Mais 
3^  c'efl:  d'ailleurs  une  grande  douceur  d'en  avoir  qui  foienc 
53  honnêtes  gens  :  &  je  vous  allégueray  pour  exemple  M.  de 
w  Touchelaye  ,  dont  le  voifinage  vous  feroit  fins  doute  fort  a- 
^5  gréabie.  Il  luy  communiqua  à  ion  tour  \qs  deiTeins  qu'il  a- 

vojc 


Lettr.  Mf. 
de  Defc 


Livre  VI.  Chapitk  E  XII.  199 

voit  de  faire  imprimer  premièrement  fa  Philofopliie,  c*eft-à-      16  4.1 

dire  fcs  Principes  de  Phylîqiic  pendant  l'année  qu'il  devoit   

pafTer  dans  la  maifon  qu'il  venoit  de  ioticr  à Egmond  du  Hoef  : 
&au  bout  de  l'an,  dont  le  terme  ponr  le  loiiage  devoit  ex- 
pirer le  I  de  May  de  1644,  de  venir  en  France,  pour  tâcher 
de  fortir  d'afFaire  avec  M.  de  Li  Bretailiiére  fon  frère  aîné, 
dont  Monfieur  Picot  connoiiToi:  les  diipoiitions  peu  favo- 
rables. 

M.  de  Ville-Breffieux  Médecin  de  Grenoble  ,  dont  nous 
avons  eu  déjà  occafion  de  parler,  fbllicitoit  fbn  retour  auprès 
de  M.  Defcartes,  dans  le  temsque  M.  Picot  prenoit  fès  me- 
ilires  pour  revenir  d'auprès  de  luy.  Il  liiy  en  écrivit  par  la     '^°™'  *•  <*** 
yoye  du  P.  Merfenne  dés  la  fin  de  l'année  précédente.  M.   ^""'  ^*  ^^  ' 
Defcartes  en  récrivit  à  ce  Père  en  ces  termes.    >î  Je  ne  fuis 
point  fâché  d'avoir  appris  des  nouvelles  de  celuy  dont  vous 
m'avez  envoyé  un  mot  de  lettre.  C'eft  un  homme  fort  cu- 
rieux, qui  étant  autrefois  avec  moy  fçavoit  déjà  quantité  de   ^ 
ces  petits  fècrets  de  Chymie  qui  fè  débitent  entre  les  gens   es 
de  ce  métier.  S'il  a  continué  comme  il  paroît  l'avoir  fait ,  il 
en  doitfçavoir  beaucoup  maintenant.  Mais  vous  f^avezque 
]e  ne  fais  aucun  état  de  tous  ces  fècrets.  Ce  que  j'eftime  en 
luy,  effc  qu'il  a  des  mains  pour  mettre  en  pratique  ce  qu'on   ce 
luy  pourroit  prefcrire  en  cela^,  &  je  le  connois  d'afîez  bon 
naturel.  Il  m'offre  de  venir  icy  :  mais  je  ne  le  fbuhaiterois 
pas  maintenant,  à  caufè  que  je  ne  veux  point  m'arrêter  à  fai- 
re aucunes  expériences, que  ma  Philofbphienefbit  imprimée. 
Mais  après  cela  ,  s'il  eft  vray  qu'il  foit  entièrement  libre,  de 
qu'il  n'ait  point  de  meilleure  fortune ,  je  ne  ferois  point  fâché 
de  l'avoir  pour  quelque  têms  avec  moy.  Je  vous  prie  néan- 
moins de  ne  le  luy  pas  dire  ,  car  il  peut  arriver  mille  ob- 
ftacles  avant  ce  têms-Ià  qui  pourroient  rempèchei*  :  &  je  ne 
voudrois  pas  luy  donner  fujet  de  fe  tromper  dans  fbn  conte, 
qui  eft  la  faute  des  Chymifles  la  plus  ordinaire.  Mais  fî  vous 
fçavcz  l'état  de  fli  fortune,  ôc  ce  qu'il  fait  maintenant,  je 
ne  ferois  point  fâché  de  l'apprendre  de  vous.  M.  de  Ville- 
Breflieux  tâcha  de  retenir  fà  pafïïon  pendant  prés  d'un  an  : 
mais  ayant  redoublé  fes  infiances  par  de  nouvelles  lettres, 
6c  par  d'autres  fbllicitations ,  M.  Defcartes  pria  le  P.  Mer-     utu.  Mf.  i 
fènne  de  luy  faire  fçavoir  qu'il  le  difpenfoit  de  ce  voyage,  ^^'^  •  «i- 

parcequ'il 


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l'a  II 
Dec    J64J. 


200  La  Vie  de  M.  Descartes. 

1643,      parcequ'il  devoir  aller  à  Paris  dans  quatre  ou  cinq  mois  pour 
fès  affaires  domeftiques.  Cette  raifon  ne  fut  pas  alfez  forte 


Bortii.  vit.    pour  arrêter  M.  de  Ville-Brelfieux.  Il  alla  trouver  M.  Def. 
comp.  pag.î.    ç^j.^Q^  Q^^  Nort-Hollande,  auprès  de  qui  il  demeura  jufqu'au 
voyage  de  France ,  où  il  l'accompagna ,  comme  nous  l'appre- 
nons de  fbn  ami  M.  Borel ,  qui  témoigne  qu'il  ne  le  quitta 
pas  même  dans  Paris. 

Comme  les  amufèmens  de  M,  Defcartes  n'étoient  point 
fans  quelque  motif  d'utilité,  &  que  fbuvent  ils  étoient  plus  im- 
portans  que  les  occupations  férieufes  de  plufieurs  autres,  nous 
ne  ferons  pas  difficulté  de  rapporter  icy  quelques-uns  de 
ceux  qui  contribuèrent  pendant-  cette  année  aie  divertir  du 
double  embarras  que  luy  caufbit  fon  procez  d'Utreclit,  &: 
Timpreffion  de  Ces  Principes  commencée  vers  le  milieu  de 
l'Eté.  Ce  fut  pendant  ce  têms  qu'il  envoya  à  M.  de  Zuytli- 
chem  fon  opinion  touchant,  les  jets  d'eau.  Il  en  fit  une  jufte 
dilîertation  à  la  follicitation  du  P ..  Merfenne ,  qui  s'écant  dé- 
fié de  fbn  propre  crédit  s'étoit  adreiTc  à  M.  deZuytUchem, 
dans  la  penfée  que  M.  Defcai'tes  feroit  plus  exact  éc  plus  ar- 
dent par  la  confîdération  de  ce  GentiLhomme ,  que  par  la 
Tom.z.p.jîo.   fienne.  Ce  qui  porta  M.  Defcartes  à  faire  la  leçon  à  ce  bon 
V.  l'Ecrit      Père  fur  fon  peu  de  confiance,  &:  à  luy  reprocher  Terreur 
ibid-  p.  ;4t.    011  il  auroit  été  de  croire  qu'il  fe  pût  trouver  quelque  autre 
de  fes  amis,  qui  eût  eu  plus  de  pouvoir  que  luy  fur  fbn  ef- 
prit.  Les  raifbnnemens  qu'il  avoit  employez  pour  étabhr  fbn 
opinion  dans  cet  écrit  luy  paroillbient  fi  vrays,  qu'il  mand.i 
à  M.  deZuythchem,  que  >»  s'il  penfbit  que  le  mouvement  per- 
paff.  504.   «   pètuel  d'Amfterdam  le  fût  autant ,  il  ne  c'.outeroit  pas  que 
ibid.  „   celuy  qui  en  étoit  l'Auteur  n'eût  bien-tôt  trouvé  les  quinze 

„   ou  vinp-  chetifs  millions  d'kus  dont  il  craignoit  qu'il  n'eût  en- 
,5   core  befbin  pour  l'achever. 

Ce  fut  aufîi  vers  le  même  têms  qu'il  reçût  les  defleinsdes 
Tom.  zdes  Jardins  des  Tuillerics  &  de  Luxembourg,  qu'il  avoitrecom- 
Ictir.p.  506.    n^andez  à  ce  Père  touchant  le  foin  de  choifir  d'habiles  def^ 
Item  p.  304.    finateurs,  en  luy  marquant  qu'il  ne  plaindroit  point  fept  ou 
cjuf.  aiom.     huit  fifioles  pour  chaque  defièin.  Il  en  avoit  encore  chargé 
de  nouveau  l'Abbé  Picot:  mais  fon  voyage  en  Touraine  fut 
caufe  que  M.  Hardy  Conf^iller  au  Chatelet  voulut  pren- 
dre le  foin  de  toute  cett,;  affaire  en  fon  abfence.    Ils  furent 

tirez- 


LivkeVI.  ChapitreXII.  lor 

tirez  par  les  Jardiniers  mêmes  de  ces  deux  jardins,  qui  s'é- 
toient  trouvez  les  plus  propres  ôcles  plus  habiles  pour  cela: 
^  M.  Defcartes  les  fit  prier  de  ne  pomt  prendre  d'argent 
d'une  autre  main  que  de  celle  du  P.  Merfenne,  à  moins  que 
l'Abbé  Picot  ne  Iqs  eût  payez  par  avance.    Ce  qu'il  avoit 
demandé  en  cette  occaflon  étoit  moins  pour  luy  que  pour 
un  de  Ces  amis,  qui  s'étoit  borné  à  ne  fbuhaiter  même  que 
ce  qui  regardoit  le  Luxembourg.  Il  en  avoit  écrit  plus  d'un 
an  auparavant  au  P.  Merfenne  en  ces  termes.  •»  J'ay  une 
prière  à  vous  faire  de  la  part  d'un  de  mes  intimes  amis.  C'efl 
de  nous  envoyer  lo  plan  du  jardin  de  Luxembourg,  &  mê- 
me auffi  des  bâtimens,  mais  principalement  du  j.rdni.   On 
nous  a  dit  qu'il  y  en  avoit  des  plans  imprimez.   Si  cela  eft, 
vous  m'obligerez  de  m'en  envoyer  un  ^  ou,  s'il  n'y  en  a  point, 
de  faire  en  forte  de  l'avoir  du  Jardinier  qui  l'a  fait.    Si  cela 
ne  fj  pouvoit,  je  vous  prierois  de  le  faire  tracer  par  le  jeu- 
ne homme  qui  a  fait  les  fig  iresde  maDioptrique  j  Scde  luy 
recommander  qu'il  obièrve  bien  toute  l'ordonnance  des  ar- 
bres &  des  parterres  :  car  c'eft  principalement  ce  dont  on  a 
affaire. 

M.  Defcartes  reçût  encore  dans  le  même  têms  l'inven- 
tion du  P.  Grand-amy  Jcfuite  y  pour  faire  une  aiguille  qui 
ne  décline  point.  Il  manda  au  P.  Merfenne  en  le  remerciant 
de  la  luy  avoir  envoyée,  que  «  laraifbn  luy  perfuadoit  que 
cette  aiguille  devoit  beaucoup  moins  déchner  que  1-S  autres, 
mais  non  pas  qu'elle  ne  dût  point  abfblument  décliner.  Il 
luy  témoigna  qu'il  feroit  fort  aife  d'en  apprendre  l'expé- 
rience, afin  de  voir  fî  elle  s'accorderoit  avec  fès  raifbns,  ou 
plutôt  fes  conjectures.  Sçavoir^»  Que  la  vertu  de  l'aiman 
qui  eft  dans  toute  la  mafîe  de  la  terre  fe  communique  en 
partie  fuivant  la  fuperficie  des  pôles  vers  l'équateur  ,  &  en 
partie  aufîî  fuivant  des  lignes  qui  viennent  du  centre  vers  la 
circonférence.  Or  la  déclinaifbn  de  l'aiguille  parallèle  a 
l'horizon  efl  caufee  par  la  vertu  qui  fe  communique  flii- 
vant  la  fuperficie  de  la  terre,  à  caufe  que  cette  fuperficie 
étant  inégale ,  cette  vertu  y  efi  plus  forte  vers  un  lieu  que 
vers  un  autre.  Mais  l'aiguille  qui  regarde  vers  le  centre  é- 
tant  principalement  tournée  vers  le  pôle  par  la  vertu  qui 
vient  de  ce  centre  ne  reçoit  aucune  déclinaifon  ^  6c  elle  ne 

Ce     *         décUneroic 


1643. 


ce 
ce 
ce 
ce 

Ci 

ce 
ce 

ce 

C( 


Pag.  510. 
tom.  1. 
Voyez  auflî 
et  p.307-  tom. 
1. 


202         La    V  I  E    DE    M.    Descartés. 

1643.  '5   décliiieroit  point  du  tout,  il  fa  vertu  qui  vient  de  la  fuperfî- 

^ .  53   cie  n'agiiloit  auffi  quelque  peu  contre  elle. 

Il  reçut  encore ,  mais  un  peu  plus  avant  dans  l'année ,  une 
belle  queflion  de  Géométrie  de  la  part  de  M.  de  Robervai, 
avec  fa  figure  èc  fa  démonflration.    Quoique  nous  ne  puiC 
.^  .    fions  dire  maintenant  quelle  étoit  cette  queftion,  nous  fom- 
Mcrf.  du  '    -mes  obligez  pour  l'honneur  de  M.  de  Roberval  de  rappor- 
II.  Dec.  ter  les  marques  de  l'eflime  qu'en  faifbit  M   Defbartes.  »  Il 

^^^^*        55   y  a  fortlong-têms,  dit-il  auP.Merfenne  ,  que  j'ay  reçu  la 
53   queftion  de  M.  de  Roberval  avec  la  figure,  éc  je  penibis 
33   vous  en  avoir  remercié  ,  &  vous  avoir  écrit  que  je  la  tiens 
33   pour  l'une  des  plus  belles  que  j'aye  jamais  vues.  Sa  démon . 
53   ftration  eft  extrêmement  jufte  &  ingénieufe.  J'ay  à  le  re- 
53   mercier  luy-même  du  favorable  jugement  qu'il  fait  de  moy 
53   à  la  fin  de  fa  lettre.   A  quoy  j'ajoute  ,  que  je  rends  grâces 
33   trés-humbles  à  M.  de  Carcavy  de  m' avoir  fait  la  faveur  de 
33   m'envoyer  cet  écrit  :  ce  que  je  n'avois  pd  faire  auparavant, 
33   parceque  vous  ne  m'aviez  point  mandé  qu'il  vint  de  luy.  Ce 
témoignage  mérite  de  devenir  public,  pour  faire  voir  que  fi 
l'amitié  de  M.  de  Roberval  avec  M.  Defcartes  étoit  chance- 
lante 6c  fujette  aux  révolutions  que  produifbient  les  mou- 
vemens  divers  du  cœur  de  M.  de  Roberval  ^  leur  eftime 
réciproque  étoit  au  moins  toujours  égale  ,  &  toujours  par- 
£ute. 

Outre  des  queftions ,  des  inventions,  Scdes  defTeins,  M. 
Defcartes  reçût  aufîi  quelques  livres  nouveaux  pendant  le 
cours  de  cette  année.  Les  principaux  furent  la  Perfpedive 
Lcttr.  Mf.  à     de  ]vi^  des  Argues  dont  nous  avons  parlé  ailleurs  3  les  Let- 
Dé^I'^ell!     ^l'^s  de  M.  GalFendi  3  èc  un  traité  de  l'usage  des  Orgues. 
On  voulut  auffi  luy  envoyer  quelques  manufcrits  de  Mon- 
iîeur  Hobbes,  fbit  pour  fatisfiire  ùi  curiofité,  fbit  pour  luy 
en  faire  dire  fa  penfée.  Mais  il  rappella  l'idée  que  la  ledure 
du  livre  de  Cive  luy  avoitlaiiTée  l'année  précédente  de  l'eC 
prit  de  M.  Hobbes  3  &  il  témoigna  au  P.  Merfenne  qu'// 
Pag.  yo7  du   n  étoit  p^i^  curieux  de  voir  les  écrits  de  cet  ^nglois.  Il  kiy  manda 
1.  tom.des      ^^|]^  qu'ayant  eu  chez  luy  les  Epîtres  de  M.  GafTendi  pen- 
^^  ^*  dant  quelques  jours, il  n'en  avoit  prefquelû  c^.iqV Index, c^\i 

fe  trouvoit  au  commencement,  d'où  il  avoit  appris  que  l'Au- 
teur ne  traitoit  d'aucune  matière  qu'il  eût  befbin  de  lire. 

Mais 


1^43- 


tom.  z  ,  & 
pag.  îo3. 


LivreVI.  Chapitre    XII.  203 

Mais  il  en  prit  occafîon  de  demander  à  ce  Père,  s'il  était  vray 
qae  M.  GafTendi  eût  la  bonne  lunette  de  Galilée,  comme  il 
Ven  avoit  alTuré  autrefois  ^  Ci  elle  étoit  aufli  excellente  que 
Galilée  avoit  voulu  fliire  croire  3  &  comment  paroifîbient 
pour  lors  les  fatellites  de  Saturne  par  fon  moyen.  Il  le  remer-  Pag,  ^ 08,^09, 
cia  par  la  môme  voye  de  l'expérience  de  l'air  pefe  dans  une  ^lo.duztom. 
arquebuze  à  vent,  lorfqu'il  y  efl;  condenfé  ;  croyant  néan- 
moins que  c'étoit  plutôt  l'eau  mêlée  parmi  l'air  ainfî  con- 
denfé qui  péfè  tant,  que  non  pas  l'air  môme.  Il  fitisfit  aufîî 
le  même  Père  fur  d'autres  expériences  concernant  le  mou- 
vement des  boules  de  mail  de  différentes  grandeurs  ;  du 
noyau  de  cerife  qui  fort  obliquement  des  doits  ^  mais  par- 
ticulièrement fur  l'expérience  du  poids,  qui  va  du  Midy  au 
Septentrion,  &  qui  s'accordoit  fort  bien  avec  fès  fpéculations 
touchant  le  flux  de  le  reflux  de  la  mer. 

Pour  le  traité  de  Tufige  des  Orgues  il  paroi t  qu'il  étoic 
fort  au  goût  de  M.  Defcartes,  quoique  l'ouvrage  fè  fût  at- 
tiré des  cenleurs.  Il  s'intérefla  beaucoup  à  fà  fortune,  &  il 
en  voulut  confbler  fbn  auteur  qui  étoit  de  fes  amis.  ?>  Je  ne 
m'étonne  plus,  dit-il ,  que  l'on  contredifè  à  mes  écrits,  &: 
que  mes  opinions  rencontrent  beaucoup  d'adverfaires  ,  puifl 
que  vôtre  innocent  traité  de  l'ufage  des  Orgues  qui  efl  plus 
doux  que  leur  harmonie  ,  &  que  je  ne  croyois  pas  moins 
puifîant  que  la  harpe  de  David  pour  chafîer  les  efprits  ma- 
lins ,  a  trouvé  des  amateurs  de  difcorde  qui  l'ont  attaqué. 
J'ay  pris  plaifîr  à  voir  à  la  fin  du  livre  que  vous  m'avez  fait 
l'honneur  de  m'envoyer ,  comment  la  feule  ombre  de  vôtre 
nom  peut  fulminer  &c  frapper  de  haut  ceux  qui  le  méritent. 
Vous  n'auriez  f(^û  choifir  une  meilleure  manière  de  répon- 
dre aux  impertinences  d'un  étourdy  :  &  pour  les  apoftilles  * 
que  j'ay  vues  au  commencement  de  ce  même  livre ,  je  veux 
croire  qu'elles  viennent  d'un  fc^avant  homme ,  mais  je  ne  vois 
pas  quelles  contiennent  aucune  démonflration.  Ilmefemble 
que  c'eft  vouloir  un  peu  trop  faire  le  pédagogue  ^  ou  le 
cenfèur  dans  des  matières  où  il  y  a  des  raifbns  à  dire  de 
part  de  d'autre,  que  d'entreprendre  de  s'oppofer  à  celles  qui 
ont  déjà  été  écrites  par  un  honnête  homme. 


Pag.  306. 

du  1 .  vol. 
des  Icttr. 


*  ou  NB. 

i.c.Net* 
beïiè. 


Ce 


* 


Ch  AE.. 


î645 


204  La    Vie   de  M.    Descartes. 


CHAPITRE     XIII. 

Libelle  diffamatoire  contn  lapcrfonne  (l;-  les  Méditations  de  M. 
Defcartcs^  forti  de  la  boutique  de  Voetlus.  Infiances  ou  Répliques 
de  M.  Gajjendi  à  la  Rèponfe  que  M.  Defcartes  avoit  faite  k 
•  fes  objeclions  fur  les  Méditations.  Intrigues  de  M.  de  Sorbiére 
pour  fervir  M.  Gajfendi  contre  M.  Defcartes ,  ^  pour  imprimer 
en  Mollande  ce  qu'il  avoit  écrit  contre  lui.  Douceur  de  M.  Gaf 
fndi  préjudiciable  a  la  bonne  caufe  de  M.  Defcartes,  Objec- 
tions de  M.  Caramuël  contre  les  Méditations  de  M,  Defcartes  y 
^  fon  commerce  avec  M.  Gaffendi.  Sorbiére  ^Bornius  décrient 
les  Méditations  de  M.  Defcartes ,  ^  ils  élèvent  M.  Gaffendi 
au  deffus  de  lui.  Préparatifs  du  voyage  de  M.  Defcartes  en 
France.  Difpute  fur  le  vuide. 


L 

ledeu 


Es  difficulrez  quekledure  des  Méditations  Métaphy- 

fiques  de  M.  Defcartes  faifoit  naître  dans  i'efprit  dQs 

ledeurs  n'avoient  pas  été  entièrement  épuifees  par  le  grand 
nombre  des  objeébions  qui  avoient  paru  avec  lès  réponlès. 
Quoique  l'Auteur  en  fût  allez  perfuadé  ,  il  ne  laillbit  pas 
d'efpérer  de  la  part  des  perfbnnes  raifbnnables  la  difpeniè 
de  répondre  dorénavant  à  celles  qu'il  plairoit  aux  Particu- 
liers de  luy  faire  dans  la  fuite.  Il  étoit  trés-jufte  qu'il  l'ob^ 
tint  pour  des  objections  de  la  nature  de  celles  qui  compo- 
(bient  le  libelle  in  pnmam  Philo fophiam  Carte fanam  JSJ'ota-)  auc- 
tore  Theophilo  Cofmopolita.^  imprimé  in  xvi  durant  l'été  de  cet- 
te année  fans  nom  d'Imprimeur  ,  fur  une  copie  qu'on  ^(^i- 
gnoit  avoir  été  imprimée  d'abord  à  la  Haye.  L'impoflure 
&;  la  calomnie  y  régnoient  depuis  le  titre  jufqu'à  la  conclu- 
fîon  du  libelle.  L'extravagance  du  ftile  &  la  groffiéreté 
ài'^s  injures  dont  il  étoit  rempli  refïembloit  fi  fort  à  celles  que 
M.  Regius  attribuoit  à  Voetius  dans  fa  clafïe&:  fes  conver- 
fations ,  qu'on  peut  raifonnablement  préfumer  que  de  tout 
ce  qui  pouvoit  appartenir  à  Voetius ,  il  n'y  avoit  que  fbii 
Lcttr.  Mff.  ^^"^  ^^  caché  dans  tout  ce  libelle ,  &  que  fon  efprit  s'y  pro- 
aj,  14 ,  de  duifoit  par  tout.  Voetius  n'en  ufoit  prefque  plus  autrement 
Regius  à       j^^5  iç5  écrits  diffamatoires  qu'il  avoit  foin  de  faire  répan- 

Defcartcs.  ^  •'■1 


LivreVI.  Chapitre  XIII.  Z05 

dre  contre  M.  Defcartes,  fouvent  fous  un  nom  emprunté,      1643. 
&  quelquefois  fous  un  nom  poRiche.  ' 

Ce  n'étoit  pas  à  des  libelles  de  cette  efpéce  q  ;i  périf- 
foicnt  dans  leur  naillance ,  mais  à  des  livres  de  la  force  &c 
de  la  bonté  de  ceux  de  M.  GalFcndi  que  M.  Defcartes  devoit 
répondre.  Il  en  convenoit  à  l'égard  des  premiers,  àc  il  au- 
roit  l'ouhaité  de  bon  cœur  qu'il  en  eût  été  de  même  à  l'é- 
gard des  autres.  Mais  M.  Gaflendi  l'obligea  de  rentrer  dans 
une  lice  d'oii  il  croyoit  être  Ib rti  avec  afîcz  d'avantage  par 
fes  réponfes  aux  cinquièmes  objections,  que  ce  fçavant  Piii- 
lofophe  avoit  faites  à  fes  Méditations.  M.  GalTendi  s'étoit 
laifle  aller  aux  perfuafions  de  M.  de  Sorbiére  &  de  quel- 
ques autres  de  fes  amis, qui  luy  avoient  repréfenté  l'impor- 
tance de  faire  des  Répliques  aux  Réponfes  de  M.  Defcar- 
tes. Il  avoit  employé  les  premiers  mois  de  l'année  1641a 
ce  travail,  pendant  que  M.  Defcartes  étoit  occupé  des  affai- 
res de  M.  Regius.  M.  de  Sorbiére  qui  regardoitcét  ouvra- 
ge comme  le  fruit  de  fes  foUicitions ,  s'étoit  chargé  de  préve- 
nir les  efprits  en  fa  fiveur ,  &;  d'en  établir  la  réputation  dans 
toute  la  Hollande  avant  qu'on  pût  le  voir.  Il  avoit  déjà  ob- 
tenu parole  d'Elzevier  pour  l'imprimer  à  Amfterdam  ,  de 
s'étoit  retenu  luy-même  pour  en  corriger  les  épreuves.  M. 
Gaflendi  de  fon  côté  pour  ne  point  négliger  fa  réputation, 
avoit  eu  foin  de  faire  fçavoir  ce  qu'il  faifoic  à  ceux  qu'il 
connoifîbit  n'être  pas  fort  afFedionnez  à  M.  Defcartes,  ôc 
il  leur  faifoit  paflèr  fon  Ecrit  de  main  en  main  pour  tirer 
quelque  avantage  de  leurs  mauvaifes  difpofitions. 

M.  Defcartes  en  fut  averti:  mais  n'ayant  pas  le  don  de     Sorbier  e- 
diflimulation,  il  alla  innocemment  découvrir  à  M.  de  Sor-  fcnd.^pacr^  ' 
bière  ce  qu'il  penfoit  d'une  femblable  conduite  :  ôc  ne  f(^a-   447.  col.  i. 
chant  pas  qu'il  parloit  à  l'efpion  de  M.  GafTendi,  qu'il  re-  Jfm-^-.oper. 
cevoit  chez  luy  comme  un  def^s  amis,  il  luy  déclara  un  peu 
trop  franchement  que  c'étoit  M.  Gaflendi  qu'il  avoit  dans 
la  penfée ,  lors  qu'il  s'étoit  plaint  de  certaines  gens  qui  don- 
noient  à  lire  fecrétement  à  fes  ennemis  ce  qu'ils  écrivoient 
contre  luy.    M.  de  Sorbiére  ne  laifTa  point  périr  cette  dé- 
claration :  &  après  l'avoir  envenimée  de  la  manière  qu'il  ju-  J- JJ"  jç''.*^'  ^ 
gecit  la  plus  propre  pour  blelFer  M.  Gaflendi ,  il  la  luy  en-,  pag^  s^s. 
voya,  en  luy  marquant  que  puifque  M.  Defcartes  trouvoit  686.  &c. 

Ce*  iij  mauvais 


20^  La    Vie  de  M.  Des  cartes. 

I  ($4  3.      mauvais- qu'il  tint  fès  In/J-anccs  ou  Répliques  cachées ,  il  de- 

* ■ voit  luy  donner  la  iatisfaclion  qu'il  luy  avoit  demandée  de 

les  voir  paroître  en  public. 

Il  luy  en  écrivit  encore  depuis,  pour  le  porter  à  luy  en- 
voyer Çow  manufcrit  en  Hollande  afin  de  le  mettre  fous  la 
prefîe^  &  il  employa  même  la  médiation  du  P.  Merfenne  , 
qui  ne  fit  point  difficulté  de  fe  joindre  à  luy  dans  la  perflia- 
fion  qu'il  s'acdfioit  de  rendre  quelque  fervice  à  M.  Defcar- 
tQs  de  au  public.    De  forte  que  M.  GalPendi  s'étant  laifie 
V.  Vit.  Gafl*.   vaincre  luy  envoya  fa  copie  le  9  jour  de  Juin  1643  avec  une 
peiSoiber.      lettre  d'excufè  fur  Ton  retardement,  dont  iLattribuoit  la 
^  °'  '  caufe  à  la  multitude  des  curieux  de  la  ville  qui  avoient  re- 

tenu ,  &  communiqué  même  fbn  Ecrit  dans  les  provinces  â 
d'autres  curieux.  Il  luy  en  abandonna  la  difpofition  avec  la 
liberté  d'en  fan-e  tout  ce  qu'il  jugeroit  à  propos  :  ^  il  ne  luy 
Epift.  Gaf-  impoia  point  d'autre  obligation  que  celle  de  fe  fouvenir  que 
fend,  ad  Soi--  f^^  Ectit  ii'avoit  été  fait  que  pour  ceux  de  leurs  amis,  qui 
fîx.  cdit.  Du-  11^  pouvoient  loufrrir  que  M.  Delcartes  \e  vantât  a  avoir  en 
bic.&inftant.  des  adverfaires.  C'efl-à-dire  que  M.  GafTendi  prétendoit 
prouver  par  fon  ouvrage  contre  M.  Defcartes ,  qu'il  n'étoit 
point  fbn  adverfàire.  En  quoy  il  ne  réulFit  ny  dans  l'opinion 
du  Public,  ny  dans  celle  de  M.  de  Sorbiére,  qui  ne  cher- 
choit  dans  toute  fa  conduite  qu'à  faire  un  illuftre  adverfàire 
•à  M.  Defcartes.  M.  de  Sorbiére  ayant  reçu.  l'Ecrit,  crut 
devoir  le  joindre  avec  les  premières  objedions  qu'il  avoit 
faites  aux  Méditations  Métaphyfiques  ,  &  faire  imprimer 
Tun  &  l'autre  ouvrage  avec  les  Réponfes  que  M.  Def^ 
cartes  avoit  déjà  publiées  à  la  fin  de  fes  Méditations.  Il  en 
fit  un  corps  de  compofition  ,  qu'il  divifà  par  parties  félon 
l'ordre  &  le  nombre  des  Méditations  de  M.  Defcartes.  Il  fou- 
divifà  chaque  partie  par  chapitres  ou  articles ,  à  la  tête  deC 
quels  il  mit  à  la  prière  de  l'auteur  des  titres  ou  fbmmaires  de 
fà  façon^  pour  la  commodité  des  ledeurs ,  qui  veulent  être 
prévenus  de  ce  qu'ils  vont  lire.  Il  fit  en  forte  que  chaque 
article  contint  premièrement  une  des  anciennes  objedions 
fous  le  nom  de  Dubitatio ^Qn  fuite  la  réponfe  de  M.  Defcar- 
tes ,  félon  que  les  unes  &  Iqs  autres  avoient  déjà  été  impri. 
mées ,  puis  la  réplique  à  cette  réponfe  fous  le  nom  àlnf- 
tantia  ^  qui  étoit  ce  qui^n'avoit  pas  encore  paru.  Il  y  fit  une 

manière 


Livre   VI.    Chapitre    XIII.  207 

manière  de  préface ,  dans  laquelle  il  fie  dire  au  Libraire  tout  ■"  "" 
ce  qu'il  voulut  ,  fans  s'expofer  ouvertement  au  chagrin  de  ^  "43- 
M.  Defcartes.  L'ouvrage  parut  l'année  ftii vante  in  îv°  à 
Amfterdam  fous  le  titre  de  Difquiftio  Metaphyfica ,  feu  Du- 
hitationes  ^  Inftanti^  adverfics  Renatt  Cartefii  Metaphyjîcam 
^  Refponfa  :  &  il  fut  r'imprimé  quatorze  ans  après  à  Lyon 
in  folio  au  troifiéme  volume  de  fes  œuvres. 

M.  de  Sorbiére* après  avoir  fuffifamment  maltraitté  M.  *sousicnom 

■r^    r  j  1  T  J  ^  1-    •  r     r  ■      r  ""    Libraire 

Delcartes  dans  la  prerace  de  cette  édition ,  ht  Içavoir  la  re-  paa.  iss.tom, 
tenue  &  fa  modération  à  M.  Gaflendi  ^  &  il  luy  manda  que   ^.op.Gaflentî. 
la  violence  qu'il  s'étoit  faite  pour  ne  pas  dire  plus  d'injures   Pag.46t.tom. 
à  l'adverfaire  ,  étoit  un  effort  qu'il  avoit  fait  pour  tâcher  p  °P^^'  ^^^" 
d'imiter  la  douceur  qui  paroiiToit  dans  fon  livre.  L'applica- 
tion qu'avoit  M.  de  Sorbiére  à  profiter  des  belles  qualitez 
des  grands  hommes  dans  leurs  converfations  ,   étoit  fans 
doute  fort  louable.    C'eft  dommage  qu'il  ne  s'avifât  point 
de  vouloir  joindre  à  la  douceur  de  M.  GafTendi  la  franchi- 
fè  de  M.  Defcartes,  ôc  cette  étonne  confcience  qu'il  avoit  tou- 
jours reconnue  en  luy,  &;  dont  il  témoignoit  avoir  eu  des  Pag.  <î5>î.dcs 
'preuves  convaincantes  ,  lors  qu'il  étoit  à  la  Haye  &  à  Eynde-   \"'^  f  °'^*^' 

n      -KK    ■     r         ce  >r-         >v  >  de  Sorb.  m 

geeft.  Mais  les  ertorts  n  ont  fervi  qu  a  nous  montrer  qu  au    ly. 
moins  la  douceur  de  M.  Gafîendi  étoit  inimitable  pour  luy. 
Aufh  étoit-elle  en  un  degré  où  peu  de  gens  puflent  fe  van- 
ter de  pouvoir  atteindre.  Elle  fe  faifoit  admirer  même  des 
Cartéfîens,  à  qui  M.  Defcartes  avoit  appris  par  la  pureté 
de  fes  maximes  à  s'attacher  non  à  fà  perfbnne  ou  à  Çqs  in- 
térêts, mais  à  la  vérité  &:  à  la  juftice,  quelque  part  que  l'une 
&;  l'autre  fe  trouvafîent.    C'eft  pourquoy  le  heur  Adrien 
J-îeereboord  Profefïeur  en  Philofophie  dans  l'Univerfité  de   Pag.  éss.des 
Leyde  ,  quoique  Cartéfien  déclaré  ,  ne  fît  point  difficulté   l^ttr.dcSorb. 
de  complimenter  M.  Gafîendi  fiir  la  modération  qu'il  avoit 
apportée  dans  cet  ouvrage.  11  loiiamême  la  facihté  du  flile,   tom^.^if  "^de^s 
rinduftrie^  le  jugement  qu'il  y  avoit  fait  paroître,  fans  an-  œuvres  de 
préhender  la  jaloufie  de  M.  Defcartes.  L'occahon  luy  pa-   ^^^^^"*^'- 
rut  favorable  pour  luy  demander  fon  amitié  ,  qu'il  croyoit   Lettr.  de 
avoir  méritée  par  l'eftime  qu'il  auoit  conçue  pour  luy,  de-    Î^"^^'^°°''L. 
puis  qu'il  avoit  lu  les  beaux  ouvrages  que  M.  GafTendi  avoit   1644. 
compofez  contre  les  fedateurs  d'Ariftote.  Le  langage  de  M. 
Regius  ,  qui  prétendoit  que  ce  gros  livre  à'Jnftances  étoit- 

rempli 


2o8  La    Vie    DE     M.   Descartes. 

,  rempli  d'aigreurs  àc  d'infultes,  étoit  fort  oppofë  à  celuy  de 

''  M.  Heerel^oord.  Mais  pour  les  concilier, il  fliffit  de  reinar- 

LccTr      MT  ^^^^^  ^^^^  ^'^^^^  parloit  de  M.  Gaifendi  à  M.  Gaflendi,  dans 

dcReg.  du  l'intention  de  captiver  fa  bienveillance  à  rinfçii  de  M.  Defl 

19.  Février  cartes  j  èc  que  l'autre  parloit  de  M.  GalFendi  à  M.  Defcar- 

^  '*^'  tes  rour  l'exciter  à  1 1  vengreance  co  nre  un  adverfaire  donc 

f  ^ 

le  mérite  luy  paroiflbit  fort  à  craindre  pour  le  fuccés  de  leur 
Piiilofophie. 

M.  Defcartes  fît  ce  qu'il  put  pour  méprifer  les  Inflances 
de  M.  Galîendi,  èc  pour  s'en  interdire  la  ledure,  par  la 
crainte  d'y  trouver  matière   de  réponfè  ,  2c  de  prolonger 
ainfi  une  querelle  dont  il  étoit  las.    Ses  amis  ne  purent  le 
vaincre  pour  lors  fur  les  difficultez  qu'il  fît  de  hs  lire  :  mais- 
il  apprit  au  moins  à  ne  pas  méprifer  ce  qui  n'étoit  nulle- 
ment méprifâble.    De  forte  que  pour  n'être  pas  le  feul  de 
fbn  fentiment,  il  voulut  bien  convenir  avec  ceux  qui  avoient 
iii  le  livre ,  qu'il  méritoit  une  réponfe  :  mais  fe  contentant  de 
la  promettre,  il  en  remit  l'éxecution  après  l'édition  de  fes 
Principes  qui  étoientfbus  la  prefîè,  fbn  voyage  en  France  ^ 
oc  fbn  nouveau  procez  de  Groningue  qui  devoit  fe  vuider 
à  fbn  retour.    Cependant  il  apprit  que  l'Imprimeur  Blaew 
préparoit  fâ  fonte  pour  mettre  fes  Méditations  avec  l'Ecrit 
de  M.  GafTendi  fous  Ces  prefTes.  Mais  il  luy  fît  donner  avis 
de  n'en  rien  faire ,  parce  que  (es  exemplaires  feroient  fàifîs 
en  France  en  vertu  de  fbn  privilège  a-U  profît  du  Libraire 
*  Soiy.  de  Paris  *  qui  en  jouïfToit.    Ce  n'efl  pas  qu'il  fè  fouciât 

?  Biacw.        beaucoup  de  l'intérêt  du  Libraire  de  FioUande  ^  :  mais  fé- 
lon qu'il  s'en  étoit  expliqué  au  Père  Merfenne  dés  le  mois 
de  Décembre  de  l'année  précédente  1643,  il  avoit  peur  que 
le  Libraire  de  Paris  ne  s'accordât  avec  celuy  de  Hollande 
par  des  moyens  préjudiciables  à  la  réputation  de  l'Auteur.. 
Defbrte  que  le  privilège  luy  paroiflbit  plus  nuifîble  qu'uti- 
Lcttr.  Mf.       Je  entre  les  mains  du  Libraire  de  Paris.  »  Si  Soly  ,  dit-il  à  ce 
en  u  Dé-  "   P^'*^  •>  ^  vendu  fon  édition  de  mes  Méditations ,  il  me  femble 
ccmb.  i^43.'»3   que  le  privilège  ne  devroitplus  être  à  luy  :  où  s'il  le  retient ,  il 
53   en  devroit  faire  une  nouvelle  avec  mon  confentement ,  à  la- 
„  quelle  j'ajoûterois  ou  j'ôterois  ce  que  je  jugerois  à  propos  , 
»  non  pas  en  foufFrir  une  pour  aider  à  vendre  les  mèdifmces 
«  de  mes  ennemis.. 

'  Cependant 


Livre   VI.     Chapitre    XIII.  109 

Cependant  le  fameux  M.  Caramucl,  que  M.  Delcartes      i  ^44. 

prenoit  pour  un  Bohémien    à    caufè  de  fon  furnom  de 

Lobko^x^ltz  ,  ôc  qui  ayant  été  nommé  à  l'Abbaye  de  Di-   Pag.  487. 
icmbere  le  jour  des  cendres  par  le  Roy  d'Eibao-ne  à  la  re-  tom.  é.  oper. 
commandation  de  la  Reine  Mère  Régente  en  rrance,  avoit   j  ^  ^^ 
quitté  nouvellement  le  féjour  de  Louvain  pour  venir  s'éta- 
blir au  bas  Palatinat  du  Rhin,  écrivit  à  M.  GafFendi  de 
Creuznach  où  il  avoir  choifi  fa  demeure,  pour  luy  faire  fça- 
voir  quelle  étoit  fa  difpofition  pour  luy  &z  pour  M.  Defcar- 
tes.   Il  luy  manda  en  Latin  comme  auroit  pii  faire  Balzac     f.^és,46èi 
en  Fran(^ois,  •>■>  que  la  curiofîté  l'ayant  fait  aller  à  la  foire    tom.  é.oper. 
de  Francford  pour  y  voir  quantité  d'Ecrivains  de  fà  con-   "  Gaflead.  , 
noi  fiance ,.  il  commençoit  à  regarder  fbii  voyage  comme  une   « 
expédition  inutile  &  malheureufe ,  lors  que  fur  le  point  de   «< 
Ion  retour ,,  il  luy  vint  à  la  rencontre  fans  qu'il  fbngeât  à  «* 
luy  au  lieu  de  ceux  qu'il  cherchoit  &  qui  le  fiiyoient.    La   <«- 
boutique  de  Blaew  ,  dit-il ,  a  fiit  une  fîmonie  civile  avec   ««' 
mon  ambition  dans  le  marché  de  vos  divines  &  céleftes  fpé-  «< 
culations  contre  M.  Defcar tes  :  6^  je  ne  puis  revenir  de  l'é-   « 
tonnement  où  j'ay  été,  de  voir  qu'on  y  ait  pu  mettre  un   « 
prix.    M.  Caramucl  rentrant  enfuite  dans  le  férieux  du  fti-   « 
le  ,  luy  déclara  qu'il  ne  connoifîbit  point  M.  Defîrartes  ; 
mais  qu'il  ne  laiiFoit  pas  de  l'aimer  pour  la  vivacité  de  fc)ii 
efprit ,  &  que  par  cette  confidération  il  le  plaignoit  de  s'ê- 
tre écarté  du  grand  chemin  où  tous  les  autres  avoient  cou- 
tume d'entrer.    L'on  ne  s'appercoit  point  jufques-hl  de  la 
médiocrité  du  jugement  d'un  auffi  grand  génie  qu'étoit  M. 
Caramucl  ;  mais  il  fè  trahit  en  ajoutant  qu'il  ne  manquoit  Aiuu  mtnti 
quune  queux  a  un  efprit  auffi  aiqiiifè  qu'étoit   celuy  de  M.   ^°^  Ae^^'^t, 
Defcartcs.,  comme  s'il  avoit  dit  qu'il  ne  manque  à  un  flam- 
beau ardent  que  le  feu  qui  efi:  nécefFiire  pour  l'allumer. 
M.  Caramuël  trouvoit  M..  Defcartcs  trop  indifférent ,  trop 
dédaigneux^  &  afFez  peu  civil  dans  les  manières  dont  il  en 
avoit  ufé  avec  M.  GafFendi.  Mais  foit  qu'il  devinât  que  M. 
de  Sorbiére  ou  M.  Gaflendi  même  luy  en  eufïent  donné 
quelque  fujet,  foit  qu'il  fe  prît  luy-même  pour  quelque  per- 
fbnnage  de  plus  grande  importance  que  M.  Gaflendi ,  foit 
enfin  qu'il  eût  defîein  d'employer  des  moyens  plus  doux  &c 
plus  honnêtes  en  écrivant  contre  ^^^  Méditations,  il  crut 

D  d  *  avoir 


1^4  4- 

Lettr.  de  Bor- 
nius  à  Gaf- 
fend.   pag. 
489.  tom.  6, 
op.  Gaflead. 


Lcttr.  Mf.  à 
Picot  du  18. 
Juillet  164;. 


InBibl.  Car. 
Vifch.  Cif- 
fterc.  pag. 
187. 


Pag.  470. 
tom.   6.  op. 
Gaffcnd. 

*  C'cft  dom- 
mage que 
Samfon  Jonf- 
fon  fût  relaps, 
&  qu'il    re- 
tourna  au 
Cartcfianifl 
nie  dé:  l'an- 
née fuivante. 
V.  le  tom,  1. 
des  lettr.  de 
Defc.  pag.7T. 

V.  aufll  la 
lettr.  Mf.  51 
de  Regius 
touchant 
JonlTon. 
*Pa<j^.688.des 
lettr,  dcSoxb. 
in  ly. 


210  La  Vie   de  M.  D  esc  art  es. 

avoir  lieu  d'efpérer  qu'il  en  feroit  craiccé  avec  plus  d'Iionnê- 
tecé  &  plus  de  conlidération ,  pourvu  qu'il  fçut  aufîî  bien 
vivre  que  penfèr.  Il  ne  fut  point  trompé.  Il  nt  un  gros  li- 
vre d'Objections  contre  la  Mctaphyfique  de  M.  Defcartes, 
mais  fans  fbrtir  des  terines  de  Teftime  &;  de  l'admiration 
qu'il  témoignoit  avoir  pour  luy.  Il  voulut  même  luy  écrire 
une  lettre  pleine  de  civilité  pour  le  prévenir  ,  &  luy  faire 
trouver  bon  qu'il  luy  envoyât  (qs  objections  avant  que  de 
les  rendre  publiques,  ajoutant  que  s'il  vouloit  les  honorer 
d'une  réponfè,  il  feroit  imprimer  le  tout  enfemble  avec  Ion 
confentement.  Le  tour  étoit  obligeant ,  &  il  plut  fî  fort  à 
M,  Defcartes,  que  malgré  la  réfolution  qu'il  avoit  prife  de 
ne  plus  faire  de  réponfès  à  de  femblables  objections ,  il  fe 
prépara  à  recevoir  celles  de  M.  Caramuël,  &  à  luy  donner 
toute  la  fatisfaétion  qu'il  fouhaitoit.  Mais  M.  Defcartes 
n'entendit  plus  parler  de  luy  ny  de  fès  objections.  Depuis 
ce  têms-là,  M.  Caramuël  a  prédit  que  les  opinions  de  M. 
Defcartes  fèroient  un  jour  toutes  communes,  &  univerfel- 
lement  reçues,  fi  Ton  en  retranchoit  trés-peu  de  chofes. 

M.  de  Sorbiére  ne  réuiîifToit  point  mal  à  brouiller  de 
plus  en  plus  M.  Defcartes  a/ec  M.  Gaifendi.  Il  avoit  grand 
foin  de  mander  à  celuy-cy  tous  les  miracles  que  fon  livre 
opéroit  dans  les  Provinces  unies  contre  la  fécte  du  Carté- 
fianifine.  Il  n'oublia  point  flir  tout  la  converfîon  du  Prédi- 
cateur de  la  Reine  de  Bohême  Electrine  Palatine,  nommé 
le  fîeur  S^m^onjonjfon  ^  qui  étoit  Cartéfien  outré  avant  la 
lecture  de  la  Bifquijïtion  de  M.  GafTendi  *.  De  forte  que 
félon  luy  les  Méditations  de  M.  Defcartes  étoient  coulées 
à  fonds  ,  &:  qu'il  feroit  obligé  d'en  refaire  de  nouvelles,  s'il 
continuoit  dans  la  penfée  d'établir  une  fecle.  Ce  n'étoit 
point  mal  fiire  fa  cour  à  M.  Gaflendi ,  qui  témoignant  au 
dehors  n'avoir  point  d'autre  ambition  que  celle  de  fe  ren- 
dre le  reftaurateur  de  la  fecte  d'Epicure ,  ne  renonçoit  pas 
à  la  gloire  de  devenir  chef  des  Epicuriens.  M.  de  Sorbiére 
fê  trouvoit  fécondé  dans  fon  zélé  pour  la  réputation  de  M. 
Gailendi  par  le  fieur  Henry  Bornius  d'Utrecht  ,  qui  avoit 
été  autrefois  difciple  de  M.  Reneri  en  Philofophie ,  mais 
qui  s'étoit  fait  GafTendifte  depuis  à  la  compagnie  de  M. 
GaUéndi,  quoique  M.  de  Sorbiére  *  femble  inllauer  qu'il  fe 

rendît 


Livre   VI.    Chapitre    XIII.  m 

rendît  Carcëfien  de  nouveau  depuis  ce  têms-Ià.  Bornius  fê 
mêlant  de  faire  imprimer  le  plus  qu'il  pouvoir  des  ouvrages 
de  M.  Gafîendi  en  Hollande ^  n'ëtoic  pas  moins  ardent  à 
luy  faire  f^avoir  le  mal  qu'il  entendoit  dire  de  M.  Defcar- 
tcs  dans  ces  Provinces  •  èc  il  luy  manda  un  jour  que  l'on  ne 
difoit  plus  ny  bien  ny  mai  de  Tes  Méditations  en  Hollande, 
&  que  (a  réfutation  en  avoit  fait  dilparoître  les  panégyriftes. 
Si  nous  en  croyons  cet  Auteur  ,  rien  n'étoit  plus  décrié 
dans  ce  pais  que  cet  ouvrage  de  M.  Defcartes,  depuis  qu'on  y 
avoit  vu  celuy  de  M.  GafTendi.  Les  difciples*  de  M.  Defcar- 
tes  en  étoient  allarmez  :  &  fur  les  inftances  qu'ils  luy  fai- 
fbient  de  vouloir  pour  l'amour  de  la  Pliilofbphie  réfuter  in. 
celîamment  cet  écrit,  il  s'étoit  contenté  de  leur  dire  froi- 
dement que  M,  Gaifcndi  n'avoit  pas  pris  fà  penfée  ^  que 
ion  gros  livre  ne  méritoit  aucune  réponfe  ^  qu'il  pourroit 
néanmoins  en  toucher  un  mot  en  leur  coniidération  dans 
l'édition  que  l'on  fàifbit  de  Ces  Principes,  de  que  fur  le  peu 
qu'il  en  diroit  un  enfant  de  cinq  ans  fèroit  capable  de  fou- 
dre les  plus  grolïes  difficultez  de  M.  Gaffendi.  Qu'au  refte 
il  luy  étoit  indifférent  d'être  eflimé  ou  méprilé  par  ceux  que 
de  fèmblables  raifbns  auroient  pu  perfiiader. 

Mais  rimprcffîon  de  fbn  livre  étoit  trop  avancée  pour 
faire  croire  que  fà  promeile  ne  fût  pas  une  défaite  ,  ou  fï 
l'on  peut  emprunter  le  langage  de  Cqs  ennemis ,  une  pure 
rodomontade.  S'étant  apperc^û  du  mauvais  effet  que  de  fcm- 
blables  difcours  commençoient  à  produire  dans  les  efprits 
de  ceux  qui  l'obfèrvoient,  il  prit  le  parti  contraire  ,  qui  é- 
toit  de  ne  plus  rien  promettre,  &  d'exécuter  néanmoins  la 
réfblution  où  il  étoit  de  réfuter  M.  GaiTendi.  Mais  il  falloit 
partir  pour  fbn  voyage  de  France.  Après  avoir  mis  fbn  pro- 
cez  de  Groningue  hors  d'état  de  pouvoir  luy  caufèr  aucune 
furprife,  il  quitta  le  Hoef  le  premier  jour  de  May  de  l'an 
1644,  ^  v^^"'^  ^^  lendemain  à  Leyde,  d'où  il  manda  à  l'Ab- 
bé Picot  qu'il  ne  choifîroit  point  d'autre  hôte  que  luy,  puis 
qu'il  le  fouhaitoit-  &:  qu'il  iroit  droit  à  la  rue  des  EcoufFes 
fe  loger  dans  fà  maifon.  Il  efpéroit  voir  la  fin  de  l'impref^ 
£on  de  fon  livre  avant  que  de  fortir  de  Hollande  ,  &:  en  ap^ 
porter  luy-même  les  exemplaires  qu'il  vouloit  diftribuer  en 
France,    Mais  les'  longueurs  de  ceux  qui  en  tailloient  les 

D  d  ij     *  figures 


1644. 


Pag.  480  & 
489.  torn.  6. 
op.Gaff. 

*Rcgii  Epift. 
Mf.  ad  Car. 
tcf. 

Pag.  480,  op. 
GaiT  ibid. 
Item ,  Répon- 
fe à  Clerfclier 
pag.  498  de 
la  trad.  des 
Médir. 


Egmo  nddu 
Hoef. 


Entre  la  rue 
du  Roy  de  Si- 
cile &   des 
Françs-bouf  • 
geois. 

Lettr.  Mf. 
Picot  du  1. 
May   1644, 


îii       La   Vie    De    M.     Descaktes. 

i  64.4..     figures  luy  firent  juger  qu'elle  ne  feroic  achevée  de  plus  de 
_____   deux  mois.  Ainfiil  abandonna  la  chofe  aux  foins  de  fes  amis. 


itcmpag.  10^  En  attendant  les  commoditez  nëceiîaires  à  ion  départ  ,  il 
<An  3.  vol.  des   ;Qcrea  à  ptoDos  de  faire  une  courfe  à  Amfterdam  pour  v  don- 
ner  les  ordres  convenables  a  1  Imprimeur  £lzevier.    Trois 
ou  quatre  jours  après  il  pafîa  à  fa  Haye  pour  y  prendre 
congé  de  fcs  amis.    M.  de  Sorbiére  qui  feignoit  d'être  de 
leur  nombre  l'y  attendoit  avec  les  armes  qu'il  avoit  deman- 
*  Le  18  d'A-   décs  *  à  M.  Gallcndi  quinze  jours  auparavant,  &  qu'il  avoit 
vnli644-        recrues  le  dernier  jour  d'Avril ,  pour  l'attaquer  fur  fbn  opi- 
Epiftoi.  Gain   nion  du  Vuiàe.  M.  Defcartesne  refufa  point  de  répondre  à 
Pg,i8«f,i87,   toutes  lés  difficLiltez  :  mais  il  avoit  affaire  à  un  homme  pré- 
occupé, qui  s'étoit  mis  dans  des  précautions  fufEfantespour 
ne  pas  ié  laiffer  perfuader.  Les  expériences  du  Vuide  que 
l'on  commençoit  à  faire  alors  de  toutes  parts  n'étoient  point 
capables  de  £iire  changer  à  M.  Defcartes  l'opinion  qu'il  a- 
Sur  la  Matié-  voit  de  l'impolTibilité  du  Vuide  ,  bc  il  prétendoit  que  cqs 
re  fubtiie.        expériences  mêmes  fervoient  à  établir  fon  fentiment.  Il  s'é- 
toit mocqué  dés  Pan  1638  de  la  crainte  ou   de  V horreur  du 
Vuide  dans  l'examen  qu'il  fît  du  livre  de  Galilée  ,  où  ce 
Tom.  1  des     grj-and  Philofophc  prétendoit  que  la  caufe  de  ce  que  les  partiei 
st^iiZ'\\^i      '^^^  ^'^^^^  continu  s' entretiennent  efi  la  crainte  du  Vuide.    Il  avoit 
fait  voir  que  ce  que  GaUlée  attribuoit  au  Vuide  ne  devoit 
être  attribué  qu'à  la  pefanteur  de  l'air  •  prétendant  que  fî 
c'étoit  la  crainte  du  Vuide  qui  empêchât  que  deux  corps 
ne  fe  féparaflent,  il  n'y  auroit  aucune  force  qui  fût  capable 
de  les  féparer.     M.  de  Sorbiére  ayant  ufé  toute  fà  poudre 
.contre  M.  Defcartes,  &  ne  pouvant  demander  de  nouveaux 
argumens  furie  Vuide  a  M.  Gafîendi,  tranfporta  fà  conver- 
fation  fur  d'autres  fujets,pour  ne  point  fatiguer  M.  Defl 
^ag.  4<;9  &     cartes  à  demi.   Il  luy  propofà  diverfes  queftions  fur  les  qua- 
1^7. tom.  6.     ]jj.£2,  de  la  moUefîe  ou  liquidité  &  de  la  dureté  des  corps, 
°^*    ^  '        fur  la  raréfaction  &  la   condenfation ,  s'appliquant  pliitôt 
à  trouver  de  quoy  objeéter,  qu'à  comprendre  ce  qu'on  luy 
répondoit.   Dés  le  lendemain  ,  qui  étoit  le  x  du  mois  de 
May,  il  prit  la  plume  pour  rendre  compte  de  fbn  expédi- 
tion à  M.  GafTendi,  &  il  ne  luy  parla  des  opinions  qu'il  a- 
voit  entendues  &;   des  réponfes  qu'il  avoit  reçues   de  M. 
I)efcartes  5  que  comme  d'autant  de  monftres  hideux  qu'il 

avoit 


Livre  VI.  Chapitre  XIV.  213 

avoit  vil  fbrtir  de  fà  bouche.  Il  l'aillira  en  même  têms  qu'il        , 
n'y  avoir  point  de  réplique  à  attendre  de  luy  contre  fê^  T>u-  ^  ^' 

bitations  êc  fès  /nuances ,  mais  qu'il  avoit  jugé  par  les  diC 
cours  que  l'éloignement  qu'il  faifoit  paroître  pour  répliquer 
ctoit  un  eiFet  de  fà  foiblelîe  ou  de  fa  prcibmption. 

CHAPITRE     XIV. 

TraduBion  latine  des  Effais  de  la  philofophie  de  M.  Defcartes^ 
c'efi-a-direy  du  Discours  de  la  Méthode ^  de  la  Jûioptnque  CT  des 
Météores ,  faite  far  M.  de  Courcelles  l'ancien.  Qui  était  M. 
de  Courcelles  :  Ses  ménagemens  entre  M.  Defcartes ,  ^  M, 
Gajjendi.  M.  Defcartes  revoit  cette  traduBion ,  ^  en  approu-- 
ve  l' imprejfîon.  Inquiétudes  ^  trifieffe  des  amis  de  M,  Def- 
cartes en  Hollande  au  fujet  de  fin  voyage  en  France.  Il  arri- 
■ve  à  Paris 3  oà  il  voit  peu  -'—"—-'-     //-.^  «-  r>...x v.^., 

^lois  ^  par  Tours ,  ou  il  v 
domefliques  avec  fis  frères ,  d 
vorable.  Il  revient  à  Paris. 

LE  fieur  Elzevier  voyant  avancer  fbn  impreffîon  des 
Principes  de  M.  Defcartes  vers  la  fin  ,  fît  folliciter 
l'Auteur  de  luy  permettre  d'imprimer  en  même  têms  la  tra- 
duction latine  de  fès  Efîais ,  après  laquelle  les  étrangers  qui 
n'avoient  point  Tufage  de  la  lanc^ue  Françoifè  afpiroient  de- 
puis la  première  édition  de  ces  Efîais.  Cette  Traduction  a- 
voit  été  faite  depuis  peu  de  mois  par  M.  de  Courcelles  l'an-  Efticnûc. 
cien  Miniftre  &  Théologien  François  ,  retiré  en  Hollande 
comme  M. Rivet,  M.Defînarets,  M.Blondel,  M.  de  Sau- 
maifè,  &  plufleurs  autres  fçavans  Calviniftes  de  France.  M. 
de  Courcelles  avoit  embrafFé  le  party  des  Arminiens ,  6c  a-  Bibiiothec» 
voit  même  donné  lieu  à  quelques  zélez  Gomariftes  de  le  Anti-Trinit 
ibupçonner  de  Socinianifîiie.  Il  étoit  originaire  d'Amiens 
€11  Picardie,  mais  il  étoit  né  à  Genève  le  2  de  May  i  5  8  <j. 
Après  avoir  été  quelque  têms  Miniftre  des  Réformez  en 
France,  il  avoit  pafTè  en  Hollande,  &  avoit  fuccèdè  à  Si- 
mon Epifcopius  dans  la  chaire  en  théologie  des  Remontrans 
à  Amfterdam  ,  où  il  eut  Arnaud  de  Poelenbourg  pour  fuc- 

Dd  *     iij         cefTcur, 


i644- 


Van  -  Lim- 
boich ,  lettr. 
Mf.  du    lo 
Mars  1^90. 
à  M.  Hartfo- 
eJtcr. 


214  La  Vie  de   M.    D  es  carte  s.. 

cefîeur,  6c  après  luy  Philippes  de  Limborch.  Il  mourut  à 
Amfterdam  le  12  de  May  de  l'an  1659. 

C'étoit  alors  la  mode  parmy  les  gens  de  Lettres  du  pre- 
mier ordre  de  briguer  l'amitié  de  M.  Defcartes  &;  de  M. 
Gaflèndi ,  ôc  l'on  ne  croyoït  pas  pouvoir  jfe  maintenir  dans 
la  réputation  de  bel  cfprit  ou  de  fçavant  homme,li  l'on  n'étoit 
connu  de  ces  deux  Piiiloibphes ,  ou  fi  l'on  n'avoit  au  moins 
quelque  relation  avec  eux.  M.  de  Courcellcs  étoitl'ami  parti- 
culier de  l'un  &  de  l'autre  ;  &  parce  qu'il  fc^avoit  que  M.  Def^ 
cartes  avoit  alors  le  cœur  u  Icéré  des  play es  que  les  livres,,  &  les 
EmiiFâires  de  M.  Gaffèndi  luy  avoient  faites  ,  il  ne  croyoit 
pas  pouvoir  fè  maintenir  dans  fês  bonnes  grâces ,  qu'en  difl 
iîmulant  ce  qu'il  étoit  à  M.  Gaiîèndi,  &  qu'en  faifant  quelque 
chofè  qui  put  luy  être  fort  agréable  ,  &:  l'éJoigner  en  mê- 
me têms  de  la  penfée  qu'il  fût  du  nombre  de  certains  ef- 
pions,  qu'il  croyoit  ne  s'approcher  de  luy  que  pour  le  livrer 
a  M.  GaiTendi.  C'étoit  fe  ménager  auprès  de  l'un  &:  de  l'au- 
tre avec  la  prudence  d'un  amy  équitable  &  fincére  :  mais 
c'étoit  connoître  afTez  mal  ce  cœur  ulcéré,  qui  ne  laiiToit  pas 
d'aimer  tendrement  tous  ceux  de  Ces  amis  de  France  ôc  de 
Hollande  ,  qui  fe  trouvoieut  engagez  dans  l'amitié  de  M. 
Gaflendi,  &  qui  n*étoit  pas  libre  même  au  milieu  de  fès  petits 
chagrins,  de  ne  pas  aimer  M.  Gaiïendi,  depuis  qu'il  avoit 
attaché  fon  afïèdion  à  Teftime  qu'il  avoit  conçue  pour  luy. 
M.  de  Courcelles  crût  donc  ne  pouvoir  rien  faire  de  plus  a- 
gréable  à  M.  Defcartes  ,  ni  de  plus  digne  d'un  Cartéfîeii 
auffi  zélé  qu'il  étoit ,  que  de  traduire  lesEiîais  de  fàPhilo- 
phie  en  une  langue  qui  pût  contribuer  à  rendre  toute  la 
terre  Cartéfienne.  Il  mit  en  Latin  le  Difcours  de  la  Mé- 
thode, la  Diop trique ,  8c  le  traitté  des  Météores.  Mais  il 
ne  toucha  point  à  la  Géométrie  ,  foit  qu'il  la  jugeât  au- 
deiïus  de  fa  portée ,  fbit  qu'il  eût  avis  que  M.  Schooten  fè  fût 
chargé  de  la  traduire. 

M.  Defcartes  ayant  donné  fon  confêntement  pourl'im- 
preflîon  de  la  tradudion  des  trois  traittez ,  fut  prié  de  la 
revoir  auparavant,  pour  jucher  de  ià  conformité  avec  fon  Ori- 
ginal. Il  ne  refafà  point d'ufer  de  fon  droit  d'Auteur,  àc  fe 
ièrvit  de  cette  occafîon  pour  y  faire  quelques  changemens, 
comme  nous  avons  remarqué  qu'il  fît  à.  (es  Méditations  flir 

la 


Livre  VI.  Chapitïle  XIV.  iij    • 

la  tradudion  françoifc  de  M.  le  Duc  de  Luyncs.  Ce  fut      1644. 

donc  fur  fès  propres  penfées  qu'il  fit  des  corredions ,  plu-   — 

tôt  que  fur  les  paroles  du  Traducteur  Latin,  à  qui  il  rendit 
le  témoignage  d'avoir  été  fidelle  &:  rcrupuleuxjjafqu'à  s'ef- 
forcer de  rendre  le  fens  de  l'Auteur  mot  pour  mot.  Ce  té- 
moignage de  M.  Defcartcs  en  faveur  de  M.  de  Courcclles 
fe  trouvant  à  la  tête  de  la  traduclion  latine  a  dû  fatisfaire 
toutes  les  personnes  raiibnnables ,  qui  auroient  été  en  peine 
de  f^avoir  la  raifon  des  différences  qui  fe  trouvent  entre  le 
Fran<^ois  &:  le  Latin  :  èc  il  peut  fervir  à  condamner  la  mau-  chuberg 
vaiiè  foy  du  fieur  Jacques  de  Rêves,  dit  Revins ,  qui  a  pré     Dcf,pag.  ç. 
tendu  faire  un  crime  d'infidélité  à  M.  de  Courcelles  de  tous 
ces  changemens,  &  qui  a  fait  injure  à  M.  Defcartes  en  fbû- 
tenant  que  tous  ces  endroits  n'exprimoient  point  fà  penfée. 

Cependant  la  nouvelle  du  voyage  de  M.  Defcartes  don- 
noit  de  l'inquiétude  à  Ces  amis  :  &c  ceux  d'entre  eux  qui  af- 
feéloient  d'être  les  plus  prévoyans  dans  les  accidens  qui  dé- 
pendent de  l'avenir^  appréhendoient  les  obftacles  qui  pour- 
roient  s'oppofer  à  fbn  retour.   Leur  inquiétude  pouvoit  être 
fondée  fur  quelque  ambiguité  pareille  à  celle  des  termes 
aufquels  il  avoit  écrit  à  l'Abbé  Picot  deux  mois  auparavant, 
îî  Je  fuis  réfolu,  luy  dit-il,  d'aller  voir  cet  Eté  à  Paris  ce       Lettr.Mfà 
qu'on  y  fait  :  &:  fi  j'y  trouve  l'air  afTez  bon  pour  y  pouvoir   et  ^.^vril'^^ 
demeurer  fans  incommodité,  je  feray  ravy  d'y  jouïr  de  vô-   ce 
tre  converfation  j  que  je   n'efpére  plus   en  ces  quartiers,   et 
Dailleurs,  ils  appréliendoient  que  le  relTentiment  des  indi-   Lcttr.  Mf.  à 
gnitez  commifes  à  fon  égard  par  les  Magiflrats  6c  les  Pro-   Meif.  1644. 
fefîeurs  d'Utrecht ,  ne  luy  fiflent  perdre  l'inclination  pour 
leur  païs  &;  le  defîr  d'y  revenir.  M.  Regius,  qui  quoique  fe- 
paré  d'intérêt  depuis  quelque  têms  d'avec  M.  Defcartes  par   Leitr.17  Mf. 
un  confentement  mutuel  pour  ne  pas  fè  nuire  l'un  à  l'autre   ^^^^o- 
dans  l'affaire  d'Utrecht  ,  n'étoit  pas  moins  attaché  à  luy 
qu'auparavant ,  ne  fentoit  pas  moins  vivement  cet  éloigne- 
gnement  de  fbn  cher  Maître ,  que  s'il  eût  été  queftion  de  la 
Icparation  de  fbn  ame  d'avec  fon  corps.  M. Defcartes  qui  a-   v.  ibid.  la 
voit  des  raifons  particulières  pour  le  détacher  peu  à  peu,   ^^"r.  du  15 

^      ■         ■    r  /*  j)    rr      1  i  '  \      '^  '     '      Février  i644- 

avoit  pris  les  melures  d  allez  loin  pour  le  préparer  a  cet  évé- 
nement ,  6c  fembloit  l'y  avoir  afTez  bien  difpofé  par  lettres, 
6c  de  vive  voix.  Néanmoins  toute  la  Philofophie  ne  fut  point 

'  capable 


1644- 


Lettr.  jo.Mf. 
de  Rcg.  du  4 
Juin. 


Fag.  106  du  î 
vol.  des  lettr. 


tnttic. 


Lipftorp,  pag. 

S4. 

Lcrtr.  5X.  Mf. 

de  Reg.     à 

Defc. 

Nécni;94, 


"De  Termina 

wts,  fat  ail. 


Tom.  I. 
des  Icttr. 
pag-    H  4. 
i5S- 


)5 


Beveiovic!us 
appJlc    M. 
Defcartes  lé 
R  fiaurAteur 
du  fciences. 


216  La   Vie   DH  M.  D  ES  CARTES, 

capable  de  luy  infpirer  la  confiance  nëcedàire  pour  fùppoF, 
ter  cette  réparation,  dont  il  nous  a  décrit  la  peine  en  des  ter- 
mes d'autant  plus  touchans  qu'il  fènibloit  moins  fe  fier  à  la 
promeflè  qu'il  luy  avoit  faite  de  revenir  en  Hollande.  Après 
luy  avoir  préfènté  les  vœux  de  fa  femme ,  de  fà  fille ,  de 
M.  le  Baron  de  Haeflrecht,  de  M.  le  ConfèilLer  Vanleew, 
de  M.  Parmentiers,  &:de  M.  Van. Dam  célèbre  Médecin 
d'Utrecht  dans  fa  lettre  d'adieu,  il  luy  protefla  que  fans  les 
engagemens  qui  le  lioient  avec  fà  femme ,  fes  enfans ,  &  fa 
profelîion,  il  le  fuivroit  par  tout,  &  s'attacheroit  à  fà  per- 
ibnne  de  la  manière  qu'il  efpéroit  l'être  à  fon  cœur  pour 
toute  fà  vie.  Enfin,  il  le  conjura  de  vouloir  adoucir  les  ri- 
gueurs de  lanècefTitéquile  retenoit,  en  continuant,  quelque 
part  qu'il  fût,  de  l'afîifler  de  ks  conleils  &:  de  (qs  inftruc- 
tions. 

La  belle  fàifbn  s^avançoit  fans  que  Tlmprimeur  &  le  Gra- 
veur des  figures  pufîent  finir.  M.  Defcartes  pour  ne  point 
laifîer  perdre  les  commoditez  du  voyage  qui  fc  préfentoir, 
fè  vid  obligé  de  partir  \qs  mains  vuides,  après  s'être  alFure 
de  l'afFec^ion  &:  de  l'induftrie  de  M.  Scliooren  ProfefTeur  des 
Mathématiques  à  Leyde  ,  qui  s'étoit  chargé  des  figures ,  &: 
avoir  laifîe  la  lifle  de  [qs  amis  de  Hollande  pour  qui  il  or~ 
donnoit  les  préfens  de  fon  livre.  Avant  que  de  s'embarquer 
en  Zélande  ,  il  vit  en  pafTant  le  fîeur  Jean  de  BeverwicK  ^ 
dit  Beverovicius  y  Gentil-homme  de  Dordrechr,  Conleiiler 
&  Médecin  ordinaire  de  cette  ville,  qui  faifoit  imprimer 
aduellement  à  Rotterdam ,  pour  la  quatrième  édition ,  le 
Recueil  de  Çqs  que/lions  épiflolaires  enrichi  d'un  grand 
nombre  de  pièces  nouvelles,,  dont  la  principale  étoit  celle 
q.ii  co:itenoitle  fentiment  de  M.  Defcartes  fur  la  circulation 
du  Sang.  M.  Beverovicius  luy  avoit  écrit  dés  l'année  prècè-:- 
àQntQ  pour  luy  témoigner  la  paflion  qu'il  avoit  de  voir  ces 
Dèmon^lrations  Méchaniques,  par  lefqiieîlcs  M.  Defcartes 
établifîbit  fî  nettement  la  circulation  dufang,  q  l'ilne  refloit 
plus  aucun  fujet  de  doute  fur  cette  dod:rine.  M.  Defcartes 
s'étoit  rendu  à  fes  infiances  d'autant  plus  volontiers  qu'il  a^ 
voit  remarqué  plus  d'infidélité  dans  la  conduite  du  fieur 
Plempius  Médecin  de  Louvain,  qui  avoit  eftropiè  &  cor^ 
rompu  les  réponfès  qu'il  avoit  faites  à  Ïqs  objedions  fur  la 

même 


Livre    VI.    Chapitre    XIV.  217 

mcme  matière  en  les  mettant  au  jour.  Nous  avons  cette  ex-     i  64.4. 

plication  du  fentiment  de  M.  Defcartes  ilir  Ja  circulation    1 

du  fang  conforme  à  celuy  de  Harvée,  &;  fur  le  mouvement  C'cftlatxxvi, 
du  cœur  différent  de  celuy  du  même  Anglois  au  premier  ^^S*  ^^^' 
volume  de  Ces  lettres  par  manière  de  rëponfe  à  Monfîeur 
Bévérovicius. 

M.  Defcartes  n'arriva  à  Paris  que  vers  la  fin  du  mois  de 
Juin.  Sa  réfolution  étoit  de  ne  voir  peribnne  qu'après  fon 
retour  de  Bretagne  ôc  de  Poitou.  Mais  il  ne  pût  empêcher 
les  vifites  de  ceux  à  qui  l'Abbé  Picot  avoit  donné  avis  de 
fon  arrivée.  La  maifon  de  cet  Abbé  ne  fut  pas  l'unique  ren- 
dez-vous de  tant  d'amis  qui  fe  preifoient  d'aller  embrafïer 
un  amy  qu'ils  n^avoient  vu  depuis  prés  de  quinze  ans.  On 
ralloitauifi  chercher  au  Palais  des  Tournelles  chez  fon  illu- 
ftre  amy  M.  Mydorge ,  de  on  le  trouvoit  encore  quelque- 
fois les  matins  aux  Minimes  de  la  Place  Royale  chez  le 
P.  Merfcnne.  Ce  Père  ne  s'ètoit  pas  contenté  de  marquer 
fon  addrefîe  à  leurs  amis  communs,  il  avoit  encore  averty  plu- 
lîeurs  de  ceux  qui  afpiroient  après  l'honneur  de  le  connoî- 
tre,  &c  d'en  être  connu.  De  ce  nombre fè  trouva  M.  Méliatiy 
qui  {iir  l'avis  du  Père  alla  le  xi  de  Juillet  aux  Minimes  rendre  ^çj^^  ^ç^  jg 
vifîte  à  M.  Defcartes,  qui  le  reçut  avec  joye  au  nombre  de  MéiianauP. 

fcs  amis.  î^uUknM4. 

Il  partit  dés  le  lendemain  de  Paris  pour  Orléans ,  &  de- 
là il  décendit  à  Blois  chez  M.  de  Beaune  Confeiller  au  Prè- 
fidial,  qui  avoit  compofé  fur  la  Géométrie  les  excellentes 
Notes  dont  nous  avons  eu  occadon  de  parler  ailleurs.    Il 
trouva  cet  amy  aflez  incommodé  de  la  goutte.   Son  mal  è- 
toit  allez  grand  pour  luy  interdire  les  fon(5lions  de  dehors  : 
mais  il  n'étoit  pas  fuffifant  pour  luy  ôter  l'ufage  de  la  Phi- 
lofbphie,  de  des  Mathématiques  dans  fa  chambre,  ^s  II  n'a-   ^j  Leur,  w 
voit  pas  encore  abandonné  le  travail  des  lunettes ,  &:  il  en   „  à  Picot  d 
montra  quelques-unes  à  M.  Defcartes ,  dont  les  verres  è-   „  *^J"^ 
toient  Sphériques,  &  qui  fe  trouvoient  ailez  bonnes. 

De  Blois  il  paffa  à  Tours ,  où  il  fut  reçu  par  le  frère  puîné 
de  M.  de  Touchelaye  avec  tout  l'accueil  qu'il  auroit  pu  ef^ 
pèrer  d'un  amy  très-intime  ,  &  acquis  par  une  longue  con- 
verfation.  Il  devoit  cela  aux  recommandations  &  à  la  bien-   u  ^^^^-  "t 
veillance  de  fon  aîné ,  quin*avoit  pu  fe  rendre  à  Tours  com-  <t  "^*' 

E  e    *         me 


1-^44- 


Ilcniu»mcn- 
ta  le  nombre 
depuis. 


*  Jeann« 
Defcartcs. 


*  Anne  Dcf- 
^aiies. 


IIctoîtiKet:- 
Icau  le    I  4 
d'Août,  où  il 
paHa  quelque 
contrat  avec 
fes  frères. 


ii8  La  Vie  De  M.  Descartes. 

me  il  Tauroit  Ibuhaitë.  Ce  Gentil-homme  ne  luy  permit  pas 
de  prendre  un  logement  ailleurs  que  chez  iuy  pendant  le 
têms  qu'il  s'arrêta  dans  cette  ville ,  &  il  n'y  vid  que  ilx  per- 
fbnnes  outre  luy,  qui  étoient  M.  le  Préfident  le  Blunc^  M. 
de  la  Barre  Prélident  au  bureau  des  finances  de  Tours  qui 
vit  encore  aujourd'huy  ,  M.  Sain  {on  coufui  fils  de  fà  Mar- 
raine, &  trois  Feiiillans  ,  dont  nous  ignorons  les  noms.  Ils 
avoient  déjà  tous  oiiy  parler  du  hvre  de  fes  Principes  comme 
d'un  ouvrage  imprimé ,  de  fbrti;  que  M.  Defcartes  ne  pûtfe 
difpenfèr  d'en  faire  envoyer  pour  eux  une  demie  douzaine 
d'exemplaires  en  cette  ville,  avec  une  douzaine  pour  Nan- 
tes ,  loriqu'il  en  fut  venu  de  Hollande. 

De  Tours  il  alla  droit  à  Nantes ,  où  il  ne  trouva  perfbnne 
de  ceux  qu'il  y  cherchoit.  C'eft  ce  qui  le  fit  pafT^r  à  Rennes 
fans  s'arrêter.  Il  y  vid  {qs  deux  frères  Confeillers  au  Parle- 
ment ,  l'aîné ,  qui  étoit  M.  Defcartes  de  la  Bretalliére  -,  l'au- 
tre ,  qui  étoit  du  fécond  lit,  &s'appelloit  M.  deChavagnes. 
Il  partit  avec  eux  le  xxix  de  Juillet  pour  aller  au  Crevis  à 
douze  lieues  de  Rennes  chez  M.  Rogier  leur  beau  frère,  Sei- 
gneur da  lieu  ,  qui  étoit  veuf  de  la  fœur  *  aînée  de  nôtre 
Philofbphe,  6c  Garde-noble  des  deuxenfans  qu'elle  luy  avoit 
laiflèz.  Toute  la  famille  s'y  étant  rafTemblée ,  hormis  une 
fœur,  qui  étoit  Madame  *  DuBois-d'Avaugour,  puînée  de 
M.  de  Chavagnes ,  ôc  quidcmeuroit  auprès  de  Nantes  ,  on 
travailla  conjointement  à  l'accommoiement  des  affaires  do- 
mefliques  quifaifbient  tout  le  fujet  du  voyage  de  nôtre  Phi- 
lofophe  en  France.  Il  eut  tout  lieu  de  fe  louer  de  M.  de  Cha- 
vagnes ,  Se  de  fès  beaux-fréres  :  mais  il  eut  de  la  peine  à  trou- 
ver autant  d'équité  &;  de  railôn  dans  fon  aîné  qui  fémbloit 
n'avoir  jamais  eu  beaucoup  de  confidération  pour  luy.  Ce 
peu  de  fèntiment  pour  un  frère  qui  méiitoit  encore  toute  au- 
tre chofè  que  ce  que  la  nature  pouvoit  exiger,  auroitlaiffé 
une  tache  au  nom  de  M.  Defcartes  de  la  Bretaillière ,  fi  ce  dé- 
faut n'avoit  été  avantageufèment  réparé  par  fes  enfans ,  qui 
rendent  avecufure  à  la  mémoire  de  leur  Oncle ,  ce  qu'il  fém- 
bloit que  leur  père  luy  avoit  refufé  de  fbn  vivant. 

M.  Defcartes  du  Perron  (  c'eft  ainfl  qu'il  faut  nommer  nô- 
tre Philofbphe  tant  qu'il  fera  dans  fon  pais ,  &  parmy  fa  pa- 
renté, pour  le  diftingver  de  fon  aîné  ,  )  aimoit  véritable- 
ment 


Livre  VI.  Chapitr  E  XI V.  219 

ment  Tes  proches  ,  &  il  avoit  certainement  pîus  d'indifFc-     1644. 
rence  qu'eux  pour  la  polleffion  des  biens,  du  partage  defquel^»  ■  ■ 

il  s'agillbit  entre  eux.  C'eft  ce  qui  le  porta  à  leur  faire  ter- 
miner les  afïciires  plus  promtement  qu'il  n'auroit  dû  ,  s'il  y 
avoit  cherché  fon  avantage.  Il  en  récrivit  le  xviii  d'Août  à 
l'Abbé  Picot,  auquel  il  avoit  déjà  faitfc^avoir  toute  la  route 
de  ion  voyage  en  partant  de  Rennes  pour  le  Crcvis ,  ôcluy     Rucdcycr. 
avoit  marqué  M.  de  la  Sebiniére  à  Nantes  pour  l'addreiTè  '^""' 
des  lettres  qu'il  luy  écriroit  de  Paris  durant  fon  iejour  en 
Bretagne.  Il  manda  à  cet  Abbé  qu'il  avoit  par  la  grâce  de 
Dieu  expédié  la  principale  affaire  qu'il  eût  en  ce  pais  là ,  non 
pas  à  la  vérité  fî  bien  qu'il  auroit  pu  délirer,  mais  mieux  fans 
doute  que  s'il  avoit  été  obligé  de  plaider.  Il  efpéroit  ache- 
ver les  autres  de  moindre  importance  èc  toutes  fès  vifites  a-  / 
vant  l'hyver,  &  iê  rendre  vers  le  milieu  du  mois  d'Octobre  ' 
à  Paris ,  où  il  prétendoit  ne  relier  que  cinq  ou  fîx  jours.  L'a- 
mour defà  chère  fbliaide  de  Nord-Hollande  s'étant  réveillé 
dans  fon  cœur  luy  avoit  déjà  fait  prendre  les  meflires  de  fon 
retour ,  &  l'embarras  des  affaires  domeftiques  avoit  beau- 
coup augmenté  fon  impatience.  Plufîeurs  de  fes  amis  s'é- 
toient  fiatté  de  l'efpérance  de  luy  voir  prendre  un  établifîe-  «^^^"-  ^^-^ 

\    T\         ■  o       ^  •       -1  V        I  •      1  A  Picot  du  18. 

ment  a  Pans ,  &  a  ne  point  mentir  il  en  louhaitoit  luy-meme  aoûc  1^44. 
les  occafîons.  Mais  l'expérienceluyfàifoit  remarquer  de  jour 
en  jour  qu'il  vaut  fbuvent  mieux  fè  faire  fbuhaiter  de  loin, 
que  de  fè  laifîer  pofTéder  avec  trop  de  facilité  à  des  perfon- 
nes  dont  il  feroit  ficheux  d'éprouver  enfuite  les  dégoûts.  Luy 
même  s'appercevoit  que  plus  il  étoit  proche  des  objets,  moins 
il  fe  fentoitde  pafîîon  pour  eux  j  &  qu'il  avoit  encore  plus 
de  ^goût  pour  la  France  &  pour  Paris ,  lorfqu'il  étoit  en 
Hollande  &  à  Egmond,que  lorfqu'il  étoit  en  France  &  à  Paris. 
Ce  fut  au  Crévis  qu'il  apprit  que  les  exemplaires  impri- 
mez de  fes  Principes  étoienr  enfin  arrivez  de  Hollande  à 
Paris  :  &  M.  Picot  luy  manda  qu'il  n'avoit  point  trouvé  d'ex- 
pédient plus  propre  à  fe  confbler  de  fon  abfènce,  que  la  tra- 
duction rrançoife  de  cet  ouvrage,  qu'il  avoit  commencée  dés 
fon  départ  de  Paris  fur  l'exemplaire  imparfait  *  qu'il  avoit  *  Sansfîgu^ 
apporté  par  avance  de  Hollande  dans  fa  vahfe.  Il  demeura  ^^^' 
au  Crévis  jufqu'â  la  Fête  de  S.  Loiiis  ,.fans  pouvoir  vacquer 
à  autre  ciiofe  q^ti'aux  vifites  de  la  noblelTe  voifine,  &:  aux 

Ee  ij;    *  honnêtes 


iio  La   Vie   de    M.  Descartes. 

1644.  honnêtes  pafTc-tcms  que  luy  procuroicdt  McHleurs  Rogier, 
— —  père  &  fils.  Il  fallut  aller  enfuicc  à  Chavagnes  au  territoire 
de  Nantes  p  jur  fatisfaire  le  Seigneur  du  lieu,  qui  l'y  retint 
plus  long-tcms  qu'il  n'auroit  foahaitc  dans  des  amufèmens 
fèinblables  à  ceux  dont  on  l'avoit  diverty  au  Crévis.  Il  écri- 
vit à  Chavagnes  le  xi  de  Septembre  à.  l'Abbé  Picot  qui  luy 
avoit  mandé  dans  fa  dernière  qu'il  avoit  déjà  traduit  les  deux 
préi^iiéres  parties  de  fes  Principes ,  &  il  luy  marqua  que  pour 
luy  il  n'avoit  pas  encore  fçd  trouver  depuis  Ton  départ  de 
Paris  le  tcms  de  lire  la  traduction  franc^oile  de  les  Médita- 
tions faite  par  M.  le  Duc  de  Luynes^  qu'il  avoit  apportée  dans 
la  penfée  de  s'en  faire  uneoccjpation  agréable  dans  le  cours 
de  fon  voyage. 

Il  partit  lejeudy  fuivant  pour  aller  en  Poitou  après  avoir 
acquité  les  vifites  qu'il  avoit  à  rendre  dans  la  ville  de  Nantes 
aux  perfonncs  les  plus  qualifiées.  Il  ufa  de  toute  la  diligence 
pofiible  pour  abréger  les  affaires  6c  les  vifites  qu'il  devoir 
dans  cette  province,  afin  de  ne  pas  manquer  à  la  parole 
qu'il  avoit  donnée  de  fe  trouver  à  Paris  vers  le  milieu  d'Oc- 
tobre. Au  fortir  de  la  ville  d'Angers  fe  trouvant  dans  la  pa- 
*  René  Ma-  roifTc  de  Saint  Mathurin  fur  le  point  de  pafTer  la  Loire  ,  il 
rion.  fit  venir  un  Notaire  *  de  la  ville  de  Beaufort,  de  pafTa  une 

Procur.  Mf.      procuration  nouvelle  à  M.  du  Bouëxic  delà  Vllcneuve  le  xix 
du  19  Sept.      jg  Septembre,  pour  pouvoir  vendre  ôc  aliéner  tous  les  con- 
^'^'  trats  de  conflitution  de  rentes  qui  luy  éroient  ducs  par  la 

ccffion  de  M.  de  la  Bretallicre  fon  frère  aîné. 


Livre    VIL 


L  A    V  I  E 

M^  DE  S  CAR  TE  S 

LITRE      S  EPTIE  AI  E. 

Contenant  ce  qui  s'efl:  pafTé  depuis  l'édition  des  Principes 
de  fà  Philo/bphie  ju/qua  fa  mort. 


CHAPITRE    PREMIER. 

£6llnon  des  Principes  de  laPhilofophle  de  M.  Defcartes.  Différence  de  cet 
ouvrage  d'avec  [on  cours  phllofophlejjue  mis  en  théfes  ,  &  [on  traité  dn 
Monde.  Dlvlfion  du  traité  des  Principes,  ce  ofull  contient.  Conformité 
de  ces  principes  avec  ceux  d'Arlfiote  expliquez,  d'une  manière  particu- 
lière. En  cjuoy  conftfïe  la,  nouveauté  de  [es  opinions.  M.  Defcartes  a 
épargné  les  Scholajilcjues  en  confidératlon  des  Je  fuites  Ces  amis.  Diffé- 
rence de  fa  Phllofophle  d'avec  celle  de  Dèmocrlte,  Qu.elle  certitude  peu- 
vent avoir  les  explications  <ju  il  a  données  aux  chofe s  naturelles.  Il  a 
fournis  fes  Ecrits  a  l" autorité  de  l'Egllfe  catholique.  Comment  fa  Phy- 
fique  efl  achevée.  Ce  ejul  y  manque  encore  pour  la  rendre  complète  ,  & 
dont  II  mm  efi  refié  des  fragmens. 

O  N  S  I  E  u  R  Defcartes  arrivant  à  Paris  trou-     i  <j  4  4. 

va  l'Abbé  Picot  &  le  P.  Mcrfenne  occuoez   

du   foin   d'envoyer   dans    les   provinces  \ùi   Lettr.  Mf.  du 
Royaume  les  exemplaires  de  fes    Principes   p^J"'''''^  ^ 
deilmez  pour  les  amis  de  dehors  :  mais  qui 
attendoient  l'Auteur  pour  luy  laidèr  la  fitis- 
faclion  de  faire  luy  même  ks  préfens  à  ceux  de  la  Ville. 


n'f^'^-^j^^'^m 


Ee  iij 


L'ouvra ;e 


Le  P.  Mcrfen- 
ne  é  oie  fur  le 
point  de  fiirc 
ion  voyage. 


211  La    Vie   de   M.    Descartes. 

I  <?4  4.  L'ouvrage  ëtoit  forti  très- bien  conditionné  de  la  pre{îè  de 

Louis  Elzevier  avec  le  privilège  du  Roy  &  c?Iay  les  Etats 

Tom.  1.  des    Généraux  dés  le  x  jour  de  Tuillet.  L'iaioreiîîoa  avoir  duré 

leur.  pag.îi(j.  ^-  ^      ^    v  r    "^j       £r  ^  i  1 

'^  °        un  an  entier ,  tant  a  caule  des  figures  que  pour  la  traduc- 
;  tion  latine  des  ElTiis  dont  on  vouloit  l'accompagner.  Il  eft 

Pag.  i(f3.  du  à  propos  que  l'on  fqûche  que  l'AutJur  n'avoit  coaimcacé  la 
^  ^°^'  compofition  de  cet  ouvrage  qu'en  l'année  1641  :  mais  qu'en- 

core qu'il  l'appelle  qjelqaefjis  ù  Philofophie ^  ce  n'étoit  ny 
le  Cours  de  fa  P  iiilofophie  ,  qu'il  avoit  écrit  par  ordre  en  forme 
de  théfes  fur  la  fin  de  l'an  1640  &  le  commencement  de  la  fui- 
vante  3  nv  fon  fameux  traité  du  M:jnde  ^  qui  n'a  jamais  vu 
le  jour  ,  fî  ce  \\q^  après  avoir  été  réduit  e  1  fort  petit  abré- 
gé, qui  parut  pour  la  première  fois  l'an  16(34  d'une  manière 
Il  a  été  depuis   très-impar£iite  fous   le  titre  du  Monde  ou  Traité  de  la  Zu~ 
cmTeaemcnt'  ^^^ére.  Depuis  que  l'accident  de  Galilée  l'eût  porté  à  la  fap- 
àia  fia  de  la    preffiou  de  ce  traité  ,  il  avoit  été  fbuventfbllicité  de  repren- 
X.  imprcffion    ^^^  j^^  premières  réfolutions  qu'il  avoit  eues  auparavant  de 

du  traite  de  i  i-        t-      i    '      •    r  /T'  J>  ri      •         v  i. 

l'homme ,  par  Ic  publier.  Et  il  ctoit  lou vent  paiie  d  une  relolution  a  l  autre, 
les  foins  de  felon  quc  la  force  des  raifbns  &;  Tautontéde  fèsamis  avoienc 
en  l'année  '"  balancé  fou  efprit  contre  les  conjonctures  des  affaires  du  têms, 
1^77.  ou  fes  autres  occupations.  Il  avoit  crii  mê;ne  en  dernier  lieu 

que  les  guerres  icholaftiques  qui  s'ètoieat  élevées  en  divers 
Pag.  Î07  du  çî^ji-oits  entre  les  partilàns  de  l'ancienne  &  de  la  nouvelle 
Philofbphie  depuis  la  publication  de  iès  Méditations  étoient 
une  occa/ïon  favorable  pour  donner  fon  Monde.   Et  il  l'auroic 
doiné  au  plûtard  en  1643,  s'il  n'avoit  jugé  à  propos  de  le 
faire  paroître  en  Latin  ,  &.  de  luy  faire  porter  le  titre  de 
Pag.  j^os.  ,^  Summa  philofophia  .^  afin  qu'il  pût  être  admis  plus  aifément 
'  J5   dans  la  converfation  des  gens  de  l'Ecole,  q.  u  le  perfécutoienc 

«  fur  fa  feule  réputation ,  &  qui  tâchoient  de  l'étouffer  avant 
?5  (à  naifTance,  auiïî  bien  que  les  Minières  Proteftans  &  quel- 
»  ques  autres  de  {i^s  ennemis.  Mais  la  parefle  de  fe  traduire 
luy  même  jointe  à  la  crainte  de  fè  voir  obligé  de  retoucher 
l'ouvrage  en  trop  d'endroits ,  le  porta  à  s'imaginer  que  le 
Public  fe  contenteroit  d'avoir  fèulem^ntles  Principes  de  fà 
Philofophie,  dont  il  coniîiéjroitrexpolition  comme  un,  tra- 
vail afTwZ  borné. 

Qjoiq  l'il  ne  s'étudiât  pas  moins  à  la  brièveté  qu'a  la  clar- 
té dans  la  compofition  de  ce  nouvel  ouvrage ,  il  tâcha  pour-. 

taac 


Livre   VII.    Chapitre    I.  213 

tant  de  ne  rien  omettre  de  tout  ce  qu'on  pouvoit  exiger  de      1^44. 

Juy  en  matière  de  Pliyfîque,  afin  de  ne  plus  laiiïer  d."  pré- 

texte  aux   plaintes  de  ceux  qui  pourroient   regretter  Ton  ^f*"''"-^  ^^'- 
gros  traité  du  Mondée  Ton  Cours  de  Philo fophi e ^  qui  bien  que  cu-fnt phdo^ 
trés-difFerens  entre  eux,  fè  trouvent  aujourd'iiuy  réduits  à  fophicus .  zn- 
la  même  fortune.  &:  condamnez  par  leur  fuppreirion  à  d'c-  J;*"*^"^  ^^^ '«' 

II  ''iT  •';  -1  'tri        titres  de  ces 

ternelles  ténèbres.  Le  traite  des  Privcipes  qui  leur  a  ete  lub-  deux  ouvia- 
ftitué  fè  trouve  divilé  en  quatre  parties  ,  dont  la  première  S^*- 
contient  les  Principes  de  la  connoiflance  humaine  ^  qui  eft 
ce  qu'on  peut  appeller  la  Première  Philofophie  ou  laMéta- 
phyfique.  Ainfi  pour  bien  entendre  cette  première  partie  , 
il  eft  à  propos  de  fè  munir  auparavant  de  la  leéture  àQs 
Méditations  de  M.  Deicartes ,  parce  qu'elles  regardent  \qs 
mêmes  fiijets  concernant  le  doute  général  &;  hy^-othètique 
de  toutes  choies,  la  diflinélion  de  la  flibflance  qui  penfè  ou 
de  l'Ame  d'avec  le  Corps,  l'exiftance  de  Dieu  ,  &  tout  ce 
qui  peut  dépendre  de  ces  premières  véritez. 

La  féconde  contient  ce  qu'il  y  a  de  plus  général  dans  la 
Phyfique,  fçavoir,  l'explication  des  premières  loix  de  la 
Nature,  ^  des  principes  des  chofès  matérielles,  les  pro- 
priètez  de  la  fiibllance  corporelle  ou  du  corps,  de  l'eipace, 
du  mouvement  ^c, 

La  troifiéme  contient  l'explication  particulière  du  fyftême 
du  monde ,  6c  principalement  de  tout  ce  que  nous  enten- 
dons par  les  cieux  &les  corps  céleftes.  La  dernière  enfin  com- 
prend tout  ce  qui  concerne  la  Terre. 

Il  femble  que  M.  Defcartes  ait  voulu  nous  donner  dans 
cet  ouvrage  plus  de  chofes  qu'il  n'afFedoit  de  fliire  ef- 
pèrer  dans  le  titre ,  puifque  fous  le  /èul  nom  de  principes  de 
Philofophie,  il  nous  a  donné  l'explication  de  tous  les  phé- 
nomènes généraux  de  la  Nature.  Pour  expliquer  lefyRême 
du  monde  il  fuit  nettement  l'hypothéfe  de  Copernic,  quel- 
que raffinement  qu'il  y  ait  apporté ,  pour  jetter  de  la  pouffiére 
aux  yeux  des  Inquifiteurs  Romains  ,  comme  s'il  eût  eu  à 
craindre  la  perfécution  qu'ils  avoient  fait  foufFrir  au  pauvre 
Galilée.  Il  rend  les  raifons  naturelles ,  qui  peuvent  iervir  à 
établir  cette  hypothèfe  :  après  quoy  il  décend  dans  le  dé- 
tail du  monde  vifible,  &  il  montre  comment  les  aftres  ont 
pu  fe  former  au  centre  de  chaque  tourbillon  :  comment  les 

planètes 


224  ^^    Vie    de    m.    Descartes. 

I  644.     pla-nétes  êc  les  comètes  fe  font  engendrées,  comment  elles 
^____^^__^  îè  font  placées  dans  les  tourbillons  où  elles  font  décenduës , 
&  quelles  font  les  raifbns  des  mouvemens  réguliers  &  irré- 
guliers qui  paroiflent  dans  les  unes  &  dans  les  autres.    Il 
pafTe  enfuite  à  ce  qui  nous  touche  de  plus  prés.    Il  expli- 
que en  quoy  confifte  la  nature  de  ce  que  nous  appelions 
vulgairement  les  quatre  Elémens ,  leurs  différences  ,  leurs 
effets  :  fur  tout  ^  il  examine  attentivement  tout  ce  qui  fe  peut 
dke  de  la  nature  du  feu ,  &c  des  merveilleux  effets  qu'il  pro- 
duit ,  ôc  ce  que  rinduflrie  des  hommes  invente  tous  les  jours 
par  fon  moyen.  Il  explique  par  des  manières  toutes  nou- 
velles ce  que  c'eft  que  la  pefanteur  &c  la  légèreté  ^  la  dure- 
té &  la  mollefîè  ou  liquidité.  Il  s'étend  principalement  fur 
la  nature  de  la  lumière.  Il  fait  voir  en  quoy  elle  confiftej 
comment  elle  fè  communique  en  un  inftant  -,  comment  elle 
fe  répand  de  tous  cotez  &c  traverfè  les  corps  les  plus  durs  ^ 
comment  elle  fe  rompt  en  pafîant  par  divers  milieux.     Il 
montre  que  les  couleurs  ne  font  que  les  différentes  modifi- 
cations de  la  lumière.    Il  enfeigne  de  nouveau  la  manière 
èc  les  figures  des  verres  des  lunettes  de  longue  vûë  &  des 
microfcopes»  En  un  mot  il  y  exphque  le  flux  èc  le  reflux  de 
la  mer ,  èc  toutes  les  propriètez  de  l'ayman  d'une  manière 
qui  paroît  fî  naturelle  &  qui  répond  fî  bien  à  fbn  fyflême  , 
que  ces  deux  rares  èc  merveilleux  effets  de  la  Nature  peu- 
vent fèrvir  beaucoup  à  nous  perfùader  de  fa  vérité.    Mais 
ce  qu'il  y  a  de  bien  remarquable  dans  M.  Defcartes ,  efl 
qu'après  avoir  premièrement  établi  la  diflindion  qui  fe  trou- 
ve entre  l'efprit  &  le  corps,  après  avoir  pofé  pour  tous  prin- 
cipes des  chofès  corporelles,  la  grandeur ,  la  figure,  &  le  mou- 
vement local ,  qui  font  toutes  chofès  fî  claires  &  fî  inteUigi- 
blés,  qu'elles  font  re<^ûësde  tout  le  monde,  il  afçù  exphquer 
prefque  toute  la  Nature,  &  rendre  raifon  de  Ces  eflTets  les  plus 
ètonnans  fans  changer  de  principes ,  6c  fans  fe  démentir  en 
quoy  que  ce  foit. 
Prineipior.         Il  femble  que  M.  Defcartes  eût  voulu  raffûrer  les  efl 
part.  4.  num.    pj-jj-^  ^^  ^-^^^^^  q^j  appréhcndoieiit  pour  la  Philofbphie  ré- 
gnante des  collèges,  lors  qu'il  a  voulu  leur  perfùader  que 
Item  tom.  3     fès  principes  n*étoient  point  contraires  à  ceux  de  l'école, 
des  lettr.  „  ]>ay  tâché .  dic41 ,  d'exphquer  toute  la  nature  des  chofès 
P*S'>07.       -^   ^  matérielles 


Livre    VIL     Chapitre     L  215 

matérielles  de  telle  manière ,  que  je  n'ay  abfolument  pofé  «  1^44. 

aucun  principe  qui  n'ait  été  admis  par  Ariftote  &  par  tous   ce 

les  autres  Philofophes  de  tous  les  fîécles  précédens.  De  u 
forte  que  la  Piiilofbphie  que  je  viens  de  propofèr ,  loin  d'ê-  c< 
tre  nouvelle ,  comme  elle  paroîtra  peut-être  fur  fes  appa-  c< 
rences  ,  peut  paiïer  pour  la  plus  ancienne  de  toutes  celles  « 
qu'on  ait  jamais  introduites  dans  le  monde,  &c  pour  la  plus  « 
vulgaire  qu'on  y  ait  enfeignée.  Car  je  me  fliis  contenté  de  « 
confîJérer  les  figures  ,  les  mouvemens ,  de  les  grandeurs  des  c* 
corps  :  après  quoy  j'ay  examiné ,  ielon  les  loix  de  la  mécha-  c< 
nique,  confirmées  par  des  expériences  journalières  èc  cer-  et 
taines ,  ce  qui  doit  luivre  du  concours  réciproque  ou  de  la  ce 
rencontre  de  ces  corps.  Or  qui  a  jamais  douté  que  les  corps  tt 
ne  fè  meuvent  j  qu'ils  ne  foient  grands  ou  petits  ^  qu'ils  ne  ce 
fbient  différemment  figurez  j  que  leurs  mouvemens  ne  chan-  a. 
gent  félon  la  diverfité  de  leurs  grandeurs  &  de  leurs  figures  -y  ce 
6c  que  de  leur  choc  mutuel  il  ne  fe  fafîe  plufieurs  divifions  et 
ou  réparations  entre  eux ,  de  divers  changemens  dans  leurs  ce 
figures?  '      ce 

Une  de  fès  précautions  principales  dans  cet  ouvrage  a  été 
d'éviter  de  tout  fon  polîîble  les  faux  préjugez  de  ceux  à  qui 
il  fuffifbit  de  fçavoir  qu'il  n'eût  pas  fuivi  le  flile  ordinaire 
des  fc h olaftiques  pour  en  concevoir  une  mauvaife  opinion. 
L'événement  a  fait  voir  s'il  a  tout  à  fait  réiifiî  à  leur  per- 
fliader  que  fous  cet  air  de  nouveauté  il  ne  cachoit  aucune 
opinion  nouvelle ,  àc  qu'il  n'admettoit  aucun  principe  qui  n'eût  ^^^'  ^^'^^ 
été  re(^u  par  Ari[iote  ^  far  tous  ceux  qui  fe  fuffcnt  jamais  mèiez^ 
de  philo fopher.    Il  a  eu  au  moins  le  plaifir  de  tromper  ces   Etpag.  n©^. 
Mefîîeurs ,  qui  s'étoient  imaginez  que  fbn  delfein  étoit  de  ^  ^  * 
réfuter  les  opinions  recrues  dans  les  écoles ,  &  de  leur  don- 
ner un  tour  ridicule,  afin  de  les  rendre  méprifables  en  les 
faifànt  tomber.   Car  il  a  affrété  de  n'en  parler  non  plus  que  ce 
s'il  ne  les  eût  j.amais  apprifès.  ee 

Au  refte,  fi  M.  Defcartes  a  fait  plaifir  aux  fcholaftiques 
de  les  avoir  épargnez ,  il  faut  qu'ils  f^achent  qu'ils  en  ont 
toute  l'obligation  aux  Pérès  Jéfûites ,  à  la  confidération  def- 
quels  ils  doivent  attribuer  jfa  réferve  ôc  fon  filence.  Il  eft 
bon  de  l'entendre  parier  luy-même  à  l'un  de  fes  amis.  Je  fuis  Tom.  i  des 
un  peu  ilirpris ,  dit-il,  d'apprendre  que  ce  qui  pourra empê-  ^"J"  P^o- 

F  f    *  c'ier 


126         La     Vie    de    M.    Des  cartes. 

1^44.  "  cher  mes  principes  d'être  reçls  dans  l'école,  eft  >»  qu'ils  ne 

.  •>î  font  pas  aiîez  confirmez  par  l'expérience  ,  &  que  je  n'ay 

>î   point  réfatc  les  raiions  des  autres.  Je  croyois  avoir  démon- 

>5  tré  en  particulier  prefque  autant  d'expériences  qu'il  y  a  de 

»3  lignes  dans  mes  écrits.    Ayant  rendu  généralement  raifon 

»5  dans  mes  principes  de  tous  les  phénomènes  de  la  Nature, 

î3  j'avois  tâché  d'expliquer  par  le  même  moyen  toutes  les  ex- 

55   périences  qui  peuvent  être  faites  touchant  les  corps  inani- 

)î   m:z.  Mais  ce  que  je  remarque  de  plus  furprenant,  efl:  qu'en- 

»   core  que  l'on  n'en  ait  jamais  bien  expliqué  aucune  par  les 

jj  principes  de  la  Philofophie  vulgaire,  ceux  qui  la  fuiventne 

53   lailFent  pas  de  m'objeéter  le  défaut  d'expériences. 

>î       Je  trouve  encore  aiTez  étrange  que  ce  fbient  principal e- 

))   ment  ces  Meilleurs  qui  défirent  que  je  réfute  les  argumens 

>j  de  l'école.  Car  je  crois  que  Ci  je  l'entreprenois,  je  leur  ren- 

«   drois  un  mauvais  office.  Je  vous  avoue  qu'il  y  a  long-têms 

53   que  la  malignité  de  quelques-uns  m'a  donné  fti  jet  de  le  faire  : 

5t    éc  ils  pourront  bien  enfin  m'y  contraindre.  Mais  parce  que 

53   ceux  qui  y  ont  le  plus  d'intérêt  font  les  Pérès  Jéfuites  ,  la 

33   confidération  du  Père  Charlet ,  qui  el1:  mon  parent,  de  qui 

33   eft  maintenant  le  premier  de  leur  compagnie  depuis  la  mort 

35   du  Général  duquel  il  étoit  Afîiftant ,  celle  du  Père  Dinec 

55   qui  a  été  Provincial  puis  Confefleur  du  feu  Roy,  &  celle 

33   de  quelques  autres  Pérès  des  principaux  de  leur  corps,  leC 

33   quels  je  crois  être  véritablement  mes  amis,  a  été  caufe  que 

53  je  m'en  fuis  abftenu  jufqu'icy  :  &  même,  que  j'ay  tellement 

33   compofé  mes  principes ,  qu'on  peut  dire  qu'ils  ne  font  point 

33   du  tout  contrairçs  à  la  Philofophie  commune  ,  mais  feule- 

53   ment  qu'ils  l'ont  enrichie  de  plufieurs  chofes  qui  n'y  étoient 

33   pas.    D'ailleurs  fî  Pon  reçoit  dans   les  écoles  une  infinité 

53   d'autres  opinions  qui  font  contraires  les  unes  aux  autres  :  je 

33   ne  vois  pas  trop  pourquoy  l'on  ne  pourroit  pas  aufîi  bien  y 

35   recevoir  les  miennes.  Mais  je  ne  voudrois  pas  les  en  prier  : 

35   parce  que  fî  elles  font  faufles  je  ferois  fâché  qu'ils  Riflent 

33   trompez  ^  6c  fi  elles  font  vrayes,  ils  ont  plus  d'intérêt  à  les 

33   rechercher  que  je  n'en  ay  à  les  recommander. 

ifnucl  Bill-  llavoit  à  cœur  de  détromper  aufTi  ceux  qui  s'étant  jet- 

tez  dans  des  extrémitez  oppofées  s'étoicnt  perfliadez  qu'il 

n'avoic  fait  que  renouveller  la   Philofophie   ancienne  de 

Démo  cri  te. 


iuldus  &  alii. 


Livre    VIT.    Chapitre     I.  iiy 

Dciiiocritc.ij  Ilcft  vray  que  Démocricc  avoir  ima2;ini  au^Ij     1(^44. 

des  corpLifcLiles  qui  avoienc  diverfès  figures,  divcrfès  gran-   c.  ■ 

dcurs,  êc  des  mouvemens  diffërens.de  raflcmblasje  dcfquels  ci  f/''^-  ^- 
fê  formoient  félon  luy  rous  les  corps  fenfîbles  ^  ëc  qu'avec  u  nmij.ij,,. 
tout  cela,  (a  manière  de  philofopher  eft  rejettëe  commune-  «c 
ment  de  tout  le  monde.  Mais  ce  n'eft  point  parce  qu'elh  et 
admettoit  des  corpufcules  fî  menus  qu'ils  pudent  échapper 
à  nos  fens,  &  qui  ne  lailTaiFent  point  d'avoir  leurs  gran- 
deurs, leurs  figures, &:  leurs  mouvemens  difFcrcns:  puifque 
perfbnne  ne  peut  rcrieufement  douter  qu'il  n'y  en  ait  beau- 
coup de  cette  nature,  après  ce  qu'en  a  dit  M.  Defcartes. 
La  Philo(bphie  de  Démocrite  n'efl  rejettëe  que  parce  qu'- 
elle fuppofoit  que  ces  corpufcules  ëtoient  indivifibles  ,  eu 
quoy  M.  Defcartes  la  rejette  comme  les  autres  ^  parce  qu'elle 
admettoit  au  tour  de  ces  corpufcules  un  vuide  réel,  dont  M. 
Defcartes  a  démontre  la  nullité  -,  parce  qu'il  attribuoit  à  ces 
corpufcules  une  pefanteur  ou  gravité  que  M.  Defcartes  ne 
reconnoît  en  aucun  corps  confidéré  feul  ,  mais  feulemenc 
par  rapport  à  la  fituation  &  au  mouvement  des  autres  corps 
dont  il  femble  dépendre  ^  enfin  ,  parce  qu'il  ne  montroic 
pas  la  manière  dont  chaque  chofè  pouvoit  naître  du  feul 
choc  ou  concours  des  corpufcules ,  ou  que  s'il  la  montroic 
en  quelques-unes ,  fès  raifons  n'avoient  aucune  fuite  ny  liai- 
fon  entre  elles  ou  avec  fes  principes,  en  quoy  confîfte  une 
des  principales  différences  de  fa  Philofophie  d'avec  celle  de 
M.  Defcartes ,  qui  efl  toute  fuivie. 

Après  tout,  M.  Defcartes  n'avoit  point  la  préfomption 
de  croire  qu'il  eût  expliqué  toutes  les  chofes  naturelles , 
fur  tout  celles  qui  ne  tombent  pas  fous  nos  fens  de  la  manière 
qu'elles  font  véritablement  en  elles-mêmes.  Il  croyoit  faire 
beaucoup  en  approchant  le  plus  prés  de  la  vray-femb lance , 
à  laquelle  les  autres  avant  luy  n'ètoient  point  parvenus,  6c 
en  faifànt  en  forte  que  tout  ce  qu'il  avoit  écrit  répandit  exac-    Num.  104: 
tement  a  tous  les  phénomènes  de  la  Nature .    C'eft  ce  qui  lay  pa-    f.^"'  ^-  ^^^'*- 
roifToitfufHfant  pour  l'ufage  de  la  vie,  dont  l'utilité  femble   ^'^* 
être  l'unique  fin  que  l'on  fe  doit  propofer  dans  la  Médeci- 
ne, la  Méchanique,  &  dans  tous  les  autres  arts  qui  peu- 
vent fe  perfedionner  par  les  fecours  de  la  Phylique.  Qu'A-    Aiiftot.  Mé- 
jiflote  avec  toute  la  bonne  opinion  qu'il  avoit  eue  deTûy-  t^o'^iogi^S'' 

-^  T-r  ••       ^  '■  I.  cap.  7. 

Fi  1]     "*=.         même 


iî8  La   Vie  de  m,  D  bs  cartes. 

1  64.4..     mcmc  n'avoit  jamais  prétendu  aller  au  delà,  &  qu'il  avoir 

.=»__-.   crû  qu'à  l'égard  des  chofès  qui  ne  nous  font  point  fenfibles, 

c'étoit  afTez  qu'il  apportât  des  raifbns  probables  pour  faire 

voir  qu'elles  pouvoient  être  de  la  manière  qu'il  les  expli- 

quoit. 

Mais  on  peut  dire  à  la  gloire  de  la  Vérité  à  laquelle  M. 

Num.  lo^      Defcartes  a  toujours  été  difpoië  de  tout  facrifîer,  que  de 

part.  4-  Prin-  foutes  les  chofes  qu'il  a  expliquées,  il  n'y  en  a  point  qui  ne 

^*^*  paroiifent  au  moins  moralement  certaines  par  rapport  à  l'u- 

i  iâge  de  la  vie,  quoy  qu'elles  foient  incertaines  par  rapport 

Leur,  Mf.  31.   à  la 'puiilance  abfoluë  de  Dieu.     Ceux  qui  conlidéreront 

4eReg.  l'addrelTe  avec  laquelle  il  rappelle  à  un  fort  petit  nombre 

de  principes  clairs  &:  intelligibles   une  multitude  prefque 

infinie  de  choies  trés-cachées,  quand  même  ils  croiroient 

qu'il  n'auroit  pofé  ces  principes  que  par  hazard  &  fins  rai- 

fon,  ne  laifîeront  pas  de  reconnoître  qu'il  n'eft  prefque  pas 

poiïible  que  tant  de  chofes  pulFent  fe  trouver  iî  naturelle. 

ment  fuivies  &  fi  heureufemenc  liées ,  fi  les  principes  d'où 

elles  font  déduites  étoient  faux. 

On  efi:  même  obligé  d'avouer  qu'il  y  en  a  plufieurs  qui 
font  abfolument  &  plufque  moralement  certaines  ,  telles 
que  font  les  démonftrations  mathématiques ,  &  les  raifonne- 
mens  évidens  qu'il  a  faits  fur  l'exiftence  des  chofes  maté- 
rielles. Mais  il  a  eu  afi!ez  de  modefiiie  pour  ne  fe  donner 
nulle  part  l'autorité  de  décider,  &:  pour  ne  jamais  afiiirer 
rien  :  de  l'on  peut  dire  qu'il  n'a  jamais  rien  fait  de  plus  loua- 
ble ny  de  plus  digne  de  la  grandeur  de  fon  génie ,  que  de 
Num.  107.  foumettre  tout  ce  qu'il  a  écrit ,  premièrement  à  l'autorité 
part.  4.  Prin-  jg  l'Eglife  catholique ,  6c  enfuite  au  jugement  de  toutes  les 
perfonnes  raifonnables ,  ne  prétendant  exiger  de  la  créance 
des  hommeSj  que  ce  que  la  raifon  leur  pourra  perfuader  com- 
me évident  &c  invincible. 

M.  Defcartes  prévoyoit  que  ceux  qui  ne  pourroient  trou- 
ver rien  à  redire  à  ce  qu'il  avoit  donné,  n'en  uferoient  pas 
de  même  à  l'égard  de  ce  qu'il  n'avoit  pas  donné  j  ôc  qu'ils 
ne  manqueroient  pas  de  luy  .objecter  que  fa  Phyfique  étoic 
défedueufe  j  qu'il  n'y'parloit  ny  des  animaux  ,  ny  des  plan- 
tes ,  ny  de  plufieurs  autres  chofes  importantes  que  les  au- 
tres Phyficiens  ont  coutume  de  traiter,  mais  qu'il  fembloic 

s'être 


P' 


Livre   VIT.    Chapitre    I.  n^ 

î>*etre  borné  mal  à  propos  aux  corps  inanimez.  Pour  prcve-       i  6  4.4. 

liir  une  fcmblable  objedion  ,  il  avertit  un  Pcre  Jéfuite  de _ 

leur  faire  remarquer  que  toutes  ces  chofes  qu'il  avoir  omi- 

fes  n'étoient  nullement  nécefîaires  pour  l'uitelligence  de  ce 

qu'il  avoit  écrit  ^  &  que  nonobflant  la  brièveté  de  fon  trai-   xom.  3  des 

té  il  n'avoir  pas  laifle  d'y  comprendre  tout  ce  qui  pouvoit   kttr.p.ios, 

regarder  les  matières  qu'il  avoit  entrepris   d'y  traiter  ,  de 

forte  c]u'il  ne  croyoit  point  avoir  jamais  befoin  d'en  écrire 

davantage. 

Mais  quoique  ce  qu'il  avoit  eu  intention  de  donner  fous 
le  titre  de  I'ri??ci_pes  de  Philo fophie  fut  achevé  de  telle  maniè- 
re qu'on  ne  fût  point  en  droit  de  rien  demander  de  plus 
pour  la  perfè(5tion  de  fon  deflein ,  il  ne  laillbit  pas  de  faire 
eipérer  à  fes  amis  l'explication  de  toutes  les  autres  chofes , 
qui  faifoient  dire  que  fa  Phyfique  n'étoit  point  complète. 
Il  fe  promettoit  d'expliquer  de  la  même  manière  la  nature 
des  autres  corps  plus  particuliers  qui  appartiennent  au  glo- 
be terreflre ,  comme  les  minéraux ,  les  plantes ,  les  animaux 
&;  particulièrement  l'Homme.  Après  quoy  il  fe  propofbit 
fur  la  mefure  des  jours  qu'il  plairoit  à  Dieu  de  luy  donner, 
de  traiter  avec  la  même  exaèlitude  de  toute  la  Médecine, 
de  toute  la  Méchanique ,  &  de  toute  la  Morale ,  pour  donner 
un  corps  de  Philofophie  entier.  Il  n'étoit  pas  encore  fî  âgé, 
&:  il  ne  luy  reftoit  point  tant  de  chofes  à  connoître  ,  qu'il 
n'eût  pu  achever  {^s  grands  defTeins  avec  le  fuccés  qu'il  en 
pouvoit  efpérer,s'il  eût  eu  la  commodité  de  faire  les  expérien- 
ces dont  il  auroit  eu  befoin ,  &  fî  la  mort  ne  l'avoit  furpris  au 
delîbus  de  plus  de  trente  années  de  vie  qu'il  iembloit  pou- 
voir encore  vivre.  Son  traité  des  Pallions ,  les  pièces  poftu- 
mes  qu'on  a  publiées  après  fi  mort ,  êc  quelques  écrits  qui 
font  reliez  font  des  marques  de  la  folidité  de  fes  promef- 


F  f  iij    '*'         Chap. 


2.30 


La    Vie   de  M.    Descartes. 


1644 


CHAPITRE      II. 


M-  Bcfcartes  dédie  fes  Pri.icipes  à  la  princefjc  Palatine  Eliz^heth 
de  Bohème  fa  difciple.  Abrégé  de  l'hifioire  de  cette  Prince ffe  avec 
celle  de  fes  frères  g^  de  fes  fœurs  depuis  la  ynort  de  fon  père  Fré- 
déric K.  Application  particulière  de  la  Princejfe  Eltxabeth  aux. 
fciences  les  plus  profondes ,  aux  Mathématiques  ^  k  la  Philo- 
fophie  ,  fous  les  inftruclions  (^  la  conduite  de  M,  Dcfcartes. 
De  quelle  manière  cette  Princcffe  pouvoit  être  la  feule  qui  pût 
avoir  une  intelligence  parfaite  des  écrits  de  M.  Dcfcartes.  Ecole 
Carte  fie  nne  établie  a  Hcrvordcn  par  cette  Princejfe.  Affliclion 
ou  elle  tombe  par  la  converfon  du  Prince  Edouard.  M.  Defcar^ 
tes  la  confie  par  des  raifonnemens  humains  tirez^feulement  de 
la  jbTaturc  ^d^de  la  prudence  du  fiécle. 

UN  ouvrage  d'auffi  grande  importance  qu^étoit  celuy 
des  Principes  de  M.  Defcartes  ne  pouvoir  êcre  dédié 
à  uiie  perfonne  qui  fît  alors  plus  d'honneur  à  fa  fecte  que  la 
fërénifTime  Princefle  Palatine  Elizabeth  de  Bohême.  Cette 
PrinceiTe  Philofbphe  faifoit  pour  lors  le  fujet  de  Tadmiration 
de  l'Univers.  Nonobstant  ce  que  nous  avons  dit  de  k  curio- 
llté  &  de  l'attache  de  quelques  Dames  Parifiennes  pour  la 
Philofophie  de  M.  Defcartes ,  elle  n'a  point  laifTë  d'être  con- 
fî-iérée  comme  la  première  diiciple  de  nôtre  Philofbphe.  Et 
parceque  la  fupërioiité  de  (on  génie  la  f.iit  regarder  com- 
me le  chef  des  Cartéfiennes  de  fon  féxejileft  eirentieliemenc 
du  defTein  de  l'hiftoire  de  M,  Defcartesde  faire  icy  un  abré- 
gé de  la  fienne. 
lîk  éxoh  née  La  Princeiîe  Elizabeth  étoit  Taînée  des  filles  de  Frédé- 
kzfideDé-  rie  V.  Eledeur  Palatin  du  Rhin  élu  Roi  de  Bohême  donc 
nous  avons  rapporté  la  deftinée,  ôcd'Elizabeth  de  la  Grand- 
Bretagne,  û\\q  ^  fœur,  &  tante  de  Rcys  d'Angleterre  de 
la  maifon  de  Stuart.  Elle  étoit  iœur  de  Madame  l'Abbefl 
iè  de  MaubuifTon ,  de  Madame  la  DuchefTe  de  Hanovre, 
de  Madame  la  Princeïïe  de  Tranfilvanie ,  de  Madame  la  Prin- 
cefle d'Anhalt.  Elle  étoit  tante  de  Madame  belle-fœur  da 
Roy,  ^  de  Madame  la  PrincelFe  d'aujourd'huy.  A  peine  vid 

elle 


Livre    VIL  Chapitre  IL  231 

elle  le  jour,  qu'elle  fe  trouva  la  compagne  des  avantures  &;     jC  y,j 

xies  adverfitez  de  ion  pé;e,  jufqu'à  ce  que  ce  Prince  eût  en-  

Rn  trouvé  une  retraite  paillble  à  la  Haye  pour  fà  famille,   "  ^ 

compofée  dans  la  fuite  des  années  de  quatorze  enfans ,  de 
/èpt  garçons  &  de  iept  filles,  dont  un  garçon  feulement  & 
deux  filles  moururent  en  bas  a  re.  Frédéric  ayant  été  em-  ^'^"  i  6 ^z. 
porté  de  la  pefte  à  Mayence  âgé  feulement  de  36  ans,  com- 
me nous  l'avons  rapporté,  fa.  veuve  confcrva  jufqu'à  la  fin 
de  fes  jours  le  titre  ae  Reine  de  Bohê  ne,  &  demeura  juC 
qu'à  fa  mort  à  la  Haye ,  où  elle  établit  une  petite  Cour  pour 
les  Dames  du  païs.  L'aîné  des  frères  de  nôtre  Princcfîe  Phi-  Lettr.  Mf.  de 
lofbphe  fut  noyé  dans  le  Zuvderzée  par  le  c^oc  d'un  vaif.   w.'^t '^^^'!^ 

r  ■  riN  -1  ivriTi  ^  M.Lcgrand, 

leau,  qui  venant  mr  luy  a  toutes  voues  coula  a  ronds  la  bar- 
que où  il  étoit,  iàns  qu'on  put  le  garantir  de  ce  maLieur. 
Charles  Loiiis  fbn  fécond  frère  qui  fat  depuis  Electeur  ,  de 
Robert  fbn  troifiéme  frère  pafTérent  en  Angleterre  auprès 
du  Roy  Charles  leur  Oncle  maternel  -,  &  ils  furent  fuins 
peu  de  tèms  après  de  deux  autres  frères  plus  jeunes  Edouard 
&  Maurice.  Il  ne  refla  auprès  de  la  mère  que  le  dernier 
des  garçons  nommé  Philippes  avec  les  filles,  qui  fè  trouvèrent 
i)ien-tôt  réduites  au  nombre  de  cinq  par  la  mort  de  deux 
d'entre  elles ,  puis  au  nombre  de  trois  par  le  mariage  de  deux 
autres  avec  le  Prince  de  Tranfîîlvanie ,  &  avec  le  Prince 
d'Anhalt. 

Elizabeth  fut  recherchée  par  Uladiflas  I V  Roy  de  Po- 
logne après  la  mort  de  Renée  Cécile  d'Autriche  fa  première 
femme.  Mais  l'amour  de  laPhilofbphie  dentelle  étoit  déjà 
toute  pofTèdée,  6c  qui  fembloit  avoir  prévenu  toute  autre 
palîion  en  elle  fut  affez  ingénieux  pour  luy  fuggérer  une 
honnête  défaite  ^  &  de  toutes  les  offres  que  luy  fit  faire  le 
Koy  de  Pologne  ,  elle  ne  voulut  accepter  que  fbn  eftime. 
Après  cette  épreuve  elle  fe  fortifia  dans  la  génèreufe  réfb- 
lution  de  demeurer  fille,  pour  vacqueravec  plus  de  liberté  à 
laPhilofbphie  de  M. De/cartes,  qu'elle  avoit  adoptée  par  un 
choix  que  la  raifon  avoir  réglé  fur  l'inclination  qu'elle  avcit 
pour  la  véritable  façefïe.  Pour  mieux  préparer  fbn  efprit  à 
jcette  importante  étude,  elle  avoit  eûfbin  de  le  cultiver  dés  fa 
plus  tendre  enfance  par  la  connoifîance  d'un  grand  nombre 
ie  langues*,  Ôc  de  tout  ce  que  l'on  comprend  fous  le  nom    *  iir? en». 


231  La  Vie  DE  M.    Des  carte  s; 

I  (54  4.      cle  belles  Lettres  qu'elle  poiTédoit  parfaitement  fans  en  être 

• —    embarrafTée ,  &:  dont  elle  iifoit  avec  une  délicatefîè  qui  é- 

f/méleavèr    ^^^^  ^^  ^^^^^^  ^'^^'^^  éducation  aufTi  polie  que  celle  qu'elle  a- 
les  PriiicciTes     voit  reçûë  de  la  (gavante  Reine  fà  mère.    L'élévation  &  la 
fes  fœurs.        profondeur  de  fon  génie  ne  permit  point  qu'elle  s'arrêtât  à 
ces  connoifllmces  ,  où  ont  coutume  de  fe  borner  les  plus 
beaux  efpritsdefbn  fëxe,qui  fe  contentent  de  vouloir  briller. 
Elle  voulut  pafîer  à  celles  qui  demandent  la  plus  forte  ap- 
plication des  hommes ,  &  elle  fe  rendit  habile  dans  la  Phi- 
^  lofophie  èc  les  Mathématiques ,  jufqu'à  ce  qu'ayant  vu  les 
Eflais  de  la  Philofbphie  de  M.  Defcartes ,  elle  conçut  une  fi 
forte  pafîîon  pour  fàdodrine, qu'elle  voulut  bien  conter  pour 
rien  tout  ce  qu'elle  avoit  appris  jufques-lâ,  de  fè  mettre  fous  fa 
difcipline ,  pour  élever  un  nouvel  édifice  fur  fes  principes. 
Après  s'être  informée  de  ce  qui  pouvoit  regarder  l'Auteur 
au  Burggrave  de  Dhona ,  à  M.  de  Zuytlichem,à  M.  PoUot, 
èc  à  tous  ceux  qui  fè  déclaroient  Ces  amis  6c  feclateurs  de 
^  fà  Philofophie  ,  elle  le  fît  prier  de  la  venir  voir ,  afin  qu'elle 

pût  puifèr  la  vraye  Philofophie  dans  fa  fource.  Le  defir  de  la 
fèrvir  de  plus  prés  ôc  avec  plus  d'aiïîduité  avoit  été  l'une  des 
principales  raifbns  qui  avoient  fait  préférer  à  M.  Defc.  le  fe- 
jourdeLeydeSc  d'Eyndegeeffcaux  lieux  les  plus  retirez  de  la 
Hollande.  Jamais  maître  ne  profita  mieux  de  la  docilité,  de  la 
pénétration  ,  &;  en  même  têmsde  lafolidité  de  l'efpritd'un 
Tom.  j.  des     difciple.    L'ayant  accoutumée  infenfiblement  à  la  médita- 
tom.  u^"^"^   tion  profonde  des  plus  grands  myfléres  de  la  Nature,  dc 
l'ayant  exercée  fuffifàmment  dans  les  quefli  jns  les  plus  ab- 
ftraites  de  la  Géométri^  &  les  plus  fubhm  s  de  laMétaphy- 
fîque ,  il  n'eut  pi  as  rien  de  caché  pour  elle  3  &:il  ne  fît  point 
difficulté  d*a vouer  en  luy  dédiant  fes  Principes,  qu*il  n'avoic 
encore  trouvé  qu'elle  q^>i  fut  parvenue  à  une  intelhgence 
parfaite  des  ouvrages  qu'il  avoit  pu  bhez  jufqu'à  lors.  Cette 
k^n-  *^&^'df "    réflexion  faite  dans  toute  la  fîmplicité  de  fon.  cœur ,  &  fans 
jai  iv°.  aucune  éxaggération  n'a  point  laiiîe  de  donner  heu  à  la  mau- 

vaifèplaifanteriedu  fîeurde  Sorbiére,  qui  repréfèntoit  dans 
lès  difcours  M.  Defcartes  publiant  qu'il  n'^y  avoit  dans  le 
monde  qu'un  homme  qui  étoit  le  Médecin  Regius  ,  &c  une 
fîlle  qui  étoit  la  PrincefTe  Elizabeth ,  qui  entendiflènc  fâ 
Philofophie.  M»  Defcartes  par  ce  témoignage  qu'il  rendoit 

â 


Tom.  j.des 


^g- 


C( 

ce 
es 


Livre    VII.    Chapitrï     II.  233 

  la  capacité  extraordinaire  de  laPrincefle  Ce  contentoit  de       ^  ^ 
la  vouloir  diftinguer  de  ceux  qui  n'avoient  pu  comprendre         '  '^  '^^ 
fà  Métaphyfique,  quoiqu'ils  en(rentrinteHî2:ence  delâGéo-   r  7777. 
metrie ,  &  de  ceux  qui  n  avoient  pu  entendre  la  Geome-   Piincip. 
trie,  quoiqu'ils  fufTent  fort  exercez  dans  les  véritezMétaphy- 
fîques.  î3  L'expérience ,  dit-ii  à  la  PrincelTe  en  une  autre 
occallon,  m'a  fait  connoître  que  la  plupart  des  efprits  qui   "  ^''"''-  P 
ont  de  la  facilité  à  entendre  lesraiibnnemensdelaMétaphy-   " 
fique  ne  peuvent  pas  concevoir  ceux  de  l'Algèbre  j  &  réci- 
proquement que  ceux  qui  comprennent  ceux-cy  [ont  d'or- 
dinaire incapables  des  autres.  Etjene  voy  que  ceîuy  de  vô- 
tre Altelîè  auquel  toutes  chofes  font  également  faciles.  C'eft 
une  des  plus  grandes  raretez  de  ce  monde  de  pouvoir  heu- 
reufèment  allier  une  connoiilance  parfaite  de  l'Algcbre ,  & 
de  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  abftrait  dans  les  Mathématiques 
avec  celle  des  cliofès  Métaphyfiques.    L'intelligence  par- 
faite des  écrits  de  M.  Defcartes  dépend  néanmoins  de  cette 
heureufe  union  de  chofès  extrêmes,  qui  paroifïent  incompa- 
tibles enfcmble  dans  les  efunts  du  commun.  C'efl  ce  quire- 
Laulîe  infiniment  le  mérite^^îla  PrincelTe,  &;  quiiêrt  à  juC 
tilier  le  jugement  qu'en  faifbit  M,  Defcartes. 

La  Pnnceiïè  continua  de  Philofopher  de  vive  voix  avec  Ce  n'eft  pas 
M.  Defcartes ,  jufqu'à  ce  qu'un  accident  l'obligea  de  quitter  ^"'')s  "^  s'é- 
le  léjour  de  la  Hollande.  Mais  afin  que  fon  éloignement  y^^r^^Xl 
d'auprès  fbn  cher  Maître  ne  luy  fût  point  préjudiciable ,  el-  puis  que  m. 
le  chan2;ea  fes  habitudes  en  un  commerce  de  lettres,  par  le  ^^^"ites  a-, 

1  .  voit   Quitte 

moyen,  duquel  elle  trouva  dequoy  s'inftruire  de  plus  en  plus  Eyndegccft 
dans  la  recherche  de  la  Vérité,  &  dequoy  fe  confolerdans  pouiEgmonj 
fes  difgraces.  Mais  pour  faciliter  l'intelligence  de  ces  lettres,   f^^^.^^i  Jeg 
qui  fè  trouvent  dattées  de  divers  endroits  de  l'Allemagne  ^  lettr. 
&  de  celles  que  M.  Defcartes  luy  a  écrites  de  fbn  côté  dans 
les  dernières  années  de  fa  vie ,  il  efl  à  propos  de  continuer 
l'abrégé  que  nous  avons  commencé  de  l'hiltoire  de  cette 
Piinceflè. 

Elle  demeura  en  Hollande  jufqu'à  la  mort  du  fleur  d'Efl 
pinay  Gentil-homme  François  .  qui  avoit  été  obli2;é  de  fe   ff*^^' ^^'^'  f^ 
retirer  de  Ion  pais  pour  éviter  les  errets  de  la  jaloulie  a  un  ^  M.Lcgrand. 
grand  Prince  qu'il  férvoit  ,  au  fujet  d'une  Demoifelle  de 
Tours ,  qu'il  précendoic  époufer.    Ce  Gentil-homme  avoit 

G  g  *  beaucoup 


134  ^^    Vie    de    M.   Descartes. 

1644.     beaucoup  de  ces  qualitez  de  l'efprit  &  du  corps  ,  qui  fer- 
1  vent  à  gagner  rcftime  6c  TafFedion  des  autres  :  &;  il  ne  fut 

pas  long-cêms  en  Hollande  fans  s'attirer  de  nouvelles  jalou- 
iies,  qui  le  firent  aflafllner  en  plein  jour  à  la  Haye  dans  le 
marché  aux  herbes  pai  le  Prince  Philippes  cadet  de  toute 
la  maifbn  Palatine.  Le  bruit  courut  alors  qu'une  adion  fi 
noire  avoit  été  concertée  fur  les  confèils  de  la  Princefle 
Elizabeth.  La  Reine  fa  mère  ,  qui  prenoit  beaucoup  de  parc 
à  cette  affaire  ,  en  conçut  tant  d'horreur ,  que  fans  Te  don- 
ner la  patience  d'en  examiner  le  fonds ,  elle  chaflà  fa  fille 
avec  fbn  fils  de  chez  elle,  &  ne  voulut  jamais  les  revoir  de 
fà  vie.  Le  Prince  Philippes  fè  retira  à  Bruxelles  j  èc  s'é- 
tant  attaché  au  fervice  ci'Efpagne  ,  il  fut  tué  à  la  bataille 
de  Rétel  étant  à  la  tête  d'un  régiment  de  cavalerie.  La 
PrincefTe  Elizabeth  fe  retira  à  Grollen  auprès  de  i'Electrice 
douairière  de  Brandebourg  fa  parente  ,  où  elle  demeura 
pendant  un  têms  aiTez  confidérable ,  ne  s'occupant  guéres 
que  de  la  Philofophie  dont  elle  faifoit  fes  plus  profondes 
méditations.  Elle  vivoit  avec  la  fille  de  la  douairière  ,  qui 
étoit  la  fôeur  du  jeune  Eledeur  de  Brandebourg  Frédéric 
Guillaume ,  &  qui  fut  mariée  depuis  au  Lantgrave  de  HefTe- 
CafTel  Guillaume.  Durant  ce  féjour  elle  fe  fit  un  plaifir  de 
former  l'efprit  &  le  cœur  de  cette  jeune  Princefîe  ^  &:  elle 
l'inflruifit  avec  tant  de  fùccés,  qu'elle  en  fit  une  perfbnne 
d'un  très-grand  mérite.  Le  mariage  qui  fè  fit  enfuite  entre 
l'Eledeur  de  Brandebourg  6c  la  fille  du  Prince  d'Orange 
Frédéric  Henry  ,  avec  laquelle  nôtre  Princeile  Philofbphe 
avoit  eu  d'étroites  liaifbns  pendant  tout  le  têms  de  ù  de- 
meure à  la  Haye,  luy  donna  de  fréquentes  occafions  d'aller 
à  Berlin  chez  les  nouveaux  mariez,  6c  d'y  faire  d'afFez  longs 
fëjours,  mais  toujours  à  la  compagnie  de  la  douairière  mère 
de  l'Eledeur, 

La  paix  de  l'Allemagne  heureufcment  conclue  à  Munfler 
ayant  rétabli  tout  le  monde  dans  fes  Etats ,  nôtre  Princeflè 
alla  demeurer  à  Heidelber^  avec  l'Eledeur  Charles  Loitis 
♦PércdcMâ-  fbn  frère  *.  Elle  y  pafîa  quelques  années,  jufqu'à  ce  que  la 
^*™  r.  Mon-  nies-intelligence  qui  fe  mit  entre  ce  Prince  6c  i'Eledrice  fà 
fieur  frcre  u-  femme  Charlotte  de  HefTe  vint  à  rompre  leur  ménage  6c 
nique duRoy.  leur  fociétè  conjugale.  La  broiiillerie  étant  montée  jufqu 'au 

point 


Livre  VII.     Chapitre    II.  235 

point  de  les  rendre  infiipportables  l'un  à  l'autre,  l'Electrice     i  (j  4  ^, 
fous  prétexte  d'une  partie  de  chafTe  fè  retira  à  CafTel  chez   ——»».« 
le  Lantgrave  fon  frère ,  par  le  moyen  de  plufieurs  relais  qui 
avoient  été  difpofez  à  cet  effet  :  &:  elle  ne  revint  à  Heidel- 
bero;  qu'après  la  mort  de  fbn  mari  arrivée  le  -^^  Septembre 
de  l'an  léSo.    La  Princefîè  Elizabeth  s'etant  jettée  dans  le 
parti  de  fa  belle-fœur  contre  celuy  de  TElecleur  fon  frère, 
elle  fut  obligée  de  fè  retirer  enfuite  du  Palatinat ,  &c  prit 
auffi  la  route  de  Caflèl.   Le  Prince  Robert  leur  frère,  qui 
avoit  embraffé  les  mêmes  intérêts  ,  fut  obligé  de    fe   re- 
tirer en  Angleterre  ,  où  fon  cadet  le  Prince  Maurice  *  *   Maurice 
étoit  au  fèrvice  du  Roy  Charles  1 1  leur  coufin  germain.  Pfj^^  ^"^J« 
Cette  divifion  dans  la  maifon  Palatine  a  duré  jufqu'à  la  qacparun^^ 
fin  de  la  vie  des  uns  6c  des  autres.  La  Princefle  Elizabeth  ouragan  qui 
paiïa  plufieurs  années  à  Caflel  de  la  manière  du  monde  la    ""^  a^^'V- 
plus  douce  &  la  plus  agréable  qu'elle  eût  pu  fouhaiter  eadic   que 
avec  l'Eledrice  fa  belle-  fœur  ôc  fon  amie  intime,  qui  é-   ^°gT"|!*"/°^^ 
toit  fœur  du  Lantgrave  Guillaume  ,  &  avec  fon  ancienne  frërc,pour en- 
élève  fœur  de  l'Elcdeur  de  Brandebourg-    qui  étoit  deve-  lèvera laflotc 
nuë  la  femme  du  Lantgrave,  Se  qui  par  fes  vertus  morales   takw'krr"- 
Eiifoit  les  délices  de  la  Cour  ôc  des  peuples  du  Lantgraviat  cheflcs  qu*ei, 

de  HefTe.  L^Et- 

Enfin  nôtre  Princefîe  Philofophe  accepta  flir  la  fin  de  fes  riemaksf  °" 
jours  l'Abbaye  de  Hervorden  ville  Hanféatique  de  la  Weft- 
phalie  dans  le  Comté  de  Ravenfperg.    Le  bénéfice  étoit 
d'environ  vingt  mille  écus  de  rente  r  èc  ce  fut  pour  lors 
qu'elle  commen(^a  enfin  à  goûter  la  fatisfadion  que  l'on  a 
d'être  chez  Iby,  &  dans  un  repos  alfûrè.  Elle  fit  de  cette 
Abbaye  une  Académie  philofophique  pour  toutes  fortes  de 
perfonnes  d'eiprit  &  de  Lettres,  fins  diftindion  de  féxe  ny 
même  de  Religion.  Les  CathoHques  Romains,  les  Calvi- 
niftes,les  Luthériens  y  étoient  également  reçus, fans  en  ex- 
clure même  les  Sociniens  &  les  Déiftes.  C'ètoit  affez  pour 
y  être  admis  que  l'on  fût  philofophe ,  &  fur  tout  amateur 
de  la  Philofophie  de  M.  Defcartes.   La  vertu  de  fon  cher   y  |^  j^^^j.^ 
Maître,  qu'elle  témoignoit  avoir  reconnue  Ik.  honorée  très-  Mff.   de   la 
particulièrement ,  ne  luy  permettoit  pas  de  ne  pas  efbimer  J"g^"^^'^*^' 
la  Relii2;ion  catholique ,  dont  elle  luy  avoit  vu  faire  les  exer- 
cices. Les  engagemens  de  fa  naiflànce  &  les  préjugez  de  fa 

Gg  i)  *         première 


13^        La    Vie     De     M.     Descaktes. 

164.4..     pi'cmiëre  éducation  la  retenoient  arrachée  à  la  Religion  de 
__  fa  famille,  qui  écoit  le  Calvinifme  donc  elle  fit  profelFion  au 

moins  extérieurement  juf qu'à  la  mort.  Son  dernier  établiL 
femenc  l'engap-eoic  à  s'accommoder  au  Luthéranifme ,  ayant 
à  vivre  dans  une  Abbaye  de  conftitution  Luthérienne,  &  à 
gouverner  des  Rehgieufes  qui  en  faiibient  profelhon.  Cet- 
te Abbaye  fut  confîdérée  comme  une  des  premières  écoles 
Cartéliennes ,  mais  elle  ne  fubUfta  que  jufqu'và  la  mort  de 
Elle  étoit  née  Jq^  prioccfTe ,  qui  arriva  vers  le  mois  de  Mars  de  l'an  lé'SQ 
cembrc^éi^s'  ^^p^^s  plus  de  foixante  &:  un  ans  de  vie. 

Les  habitudes  fpirituelles  de  cette  Princefïè  avec  M.  Def- 
cartes  donnèrent  encore  occalion  à  quelques  relations  qu'il 
Fag.  71 ,  f ^ ,   eut  avec  les  deux  autres  Princslîes  îqs  fœurs  par  rapport  à 
du  î  vol  des"    ^^^^5  ^^^'^^  parce  que  le  devoir  &:  la  bienféance  l'obligeoienc 
îeur.  de  rendre  fes  hommages  à  leur  naifîance  lors  qu'il  alloic 

voir  fi  difciole ,  que  parce  que  dans  un  âge  plus  avancé  el- 
les voulurent  fervir  de  médiation  6c  de  concours  à  la  com~ 
munication  de  leur  aînée  avec  nôtre  Philofophe,  en  fouf-. 
frant  que  les  lettres  mutuelles  de  l'un  à  l'autre  paflafïènc 
par  leurs  mains.  La  Princefle  Sophie  qui  étoit  la  puînée  de 
toutes  fe  retira  de  Hollande  quelque  têms  après  la  paix 
de  Munller,  èc  paifa  à  Heidelberg  prés  de  l'Eleéteur  fon, 
frère  ^  où  elle   demeura  jufqu'à  fon  mariage  avec  Erneft 
Aug-îlle  de  Brunfvvick-Lunebourg  Adminiflrateur  d'Ofiia^ 
bruck ,  6c  depuis  Duc  de  Hanovre  après  la  mort  de  Jean 
Frédéric  ion  frère ,  qui  n'avoit  lailTè  cpe  d<zs  filles  de  ion 
mariage  avec  leur  nièce  Bénédide  Palatine  fœur  de  Mada- 
me la  PrinceiTe  de  Condè.  Mais  pour  Madame  la  PrincelFe 
*  ii!e  étoit    Zomft  HoEandine  *  filleule  du  Roy  Louïs  X  H I ,  à  laqueL 
vrUik^i.    "  1^  M.  Defcartes  prenoit  la  liberté  d'écrire  plus  fouvent ,  eL 
Noas  avons     ^^  avoit  voulu  demeurer  à  la  Haye  auprès  de  la  Reine  de 
trois  de  fes      Boliémc  _ia  mère  :  jufqu'à  ce  que  celuy  qui  fit  ibrtir  Abra- 
letties  acctte  j^^     de  ioii  païs  &  dc  fa  parenté  l'appellât  à  un  eenre  de 

Princefle  im-       .         ,  ^  -^  ^  ^      y-       ■  \      r         ■  r<    ■ 

psàmées  au  i.  Vie  pliis    pur  par  un  eriret  tout  extraordinaire  de  la  miieri- 
volumc.  corde.    Son  ame  s'étant  trouvée  tout  d'un  coup  éclairée 

d'une  manière  iurnaturelle,  6c  ion  cœur  ne  pouvant  réfifter 
aux  mouvemens  de  l'Efprit  qui  la  conduiibit,  elle  partit  lans 
prendre  congé  de  la  Reine  ia  mère,  feignant  une  fimple 
promenade  à  Skéveling  au  bord  de  la  mer ,  pour  ne  luy 

point 


Livre  VII.  Chapitre    IL  137 

point  donner  de  foupçons.    Là  le  Prince  Edouard  fbn  frd-      i  ^44. 

rc ,  marié  en  France  avec  Anne  de  Gonzagues  fille  de  Char- 

les  Duc  de  Mancouë  ôc  fœur  de  LouïTe  Marie  Reine  de   ^/^^  ^^  ^'^■ 
Pologne  vint  la  prendre  avec  une  rregate ,  oc  1  amena  en   ceiic  d'au-  ' 
France  où  elle  fè  fît  Catholique  :  &  pour  s'engager  encore  i»uid'huy. 
plus  étroitement  à  la  pratique  des  confèils  de  l'Evangile  les  En  idjs. 

Î)lus  difficiles  ,  elle  voulut  embrafTer  la  vie  Religieulè  fous 
a  régie  de  S.  Bernard.  Elle  fut  depuis  établie  Abbefle  à  En  15^4, 
MaubuifTon  prés  de  Pontoifè ,  d'où  elle  regarde  les  tempê- 
tes de  ce  monde  avec  une  tranquillité  profonde.  Nôtre 
Princefîe  Philofophe  ne  parut  point  afTez  foumife  aux  or- 
dres de  Dieu ,  dans  la  vue  de  cette  heureufè  révolution  ar- 
rivée à  fà  fœur.  Comme  elle  l'avoit  toujours  aimée  tendre- 
ment, elle  fèntitfon  éloignement  jufqu'aû  vif. 

Mais  M.  Dîfcartes  n'étoit  plus  au  monde  pour  calmer 
{on  efprit ,  àc  pour  luy  faire  reconnoître  le  doit  de  Dieu 
dans  ce  coup  extraordinaire  de  fà  Providence ,  comme  il  a- 
voit  fait  plulieurs  années  auparavant  au  fujet  de  la  conver- 
fion  du  Prince  Edoiiard  leur  frère.  Ehzabcth  n'avoit  pas 
trouvé  mauvais  que  ce  Prince  paffât  de  rAiigleterre  en 
France  3  &  qu'il  y  fit  quelque  alliance  capable  de  donner 
de  l'appuy  à  la  maifon  Palatine,  dont  le  rétabliiîemcnt  luy 
tenoit  au  cœur.  Mais  elle  n'avoit  pu  digérer  fbii  change- 
ment de  Religion.  Le  chagrin  qu*elle  en  eut  fît  de  telles 
impreffions  fur  fbn  corps ,  qu'elle  en  tomba  malade  :  6c  peu 
s'en  fallut  que  cette  converiîon  ne  la  fit  murmurer  contre 
la  miféricorde  de  Dieu  pour  fon  frère.  M.  Defcartes  fè 
trouva  obligé  de  travailler  tout  à  la  fois  à  la  guénfbn  de  fon 
efprit  &  à  la  juflification  de  la  conduite  de  Dieu  dans  la 
jettre  de  confolation  qu'il  luy  en  écrivit.  Mais  parce  qu'il 
n'avoit  jamais  remarqué  en  elle  beaucoup  de  di/pofirion 
pour  examiner  la  vérité  de  nôtre  Religion,  il  crut  devoir 
n'employer  que  des  raifbns  purement  humaines  &  propor- 
tionnées aux  fèntimens  qu'elle  en  avoit  pour  la  refondre , 
&:  pour  fbumcttre  fon  efprit  aux  ordres  éternels,  laiiîant  à 
Dieu  même  le  foin  de  luy  toucher  le  cœur  en  éclairant  f -a 
efprit,  &  de  la  prévenir  des  mêmes  grâces  qu'il  avoit  faites 
au  Prince  catholique. 
Je  ne  puis  nier,  luy  dit-il,  que  je  n'aye  été  furpris  d'ap-  «t 

Gg  iij  *         prendre 


238  La   Vie   de   M.    Descartes. 

1644.»  prendre  que  vôtre  Altefle  ait  eu  du  déplaifir  jufqu^à  s*en 

Tom  i.dcs  '5  trouver  incommodée  dans  fa  fànté ,  pour  une  chofè  que  la 

icttr.  pag.  ,5  pjyj  grande  partie  du  monde  trouvera  bonne ,  &  que  plu- 

^^  '^°'      »  fleurs  fortes  raifbns  peuvent  rendre  excufable  envers  les  au- 

>5  très.   Tous  ceux  de  la  R.eJigion  dont  je  fuis ,  qui  font  fans 

»  doute  le  plus  grand  nombre  dans  l'Europe ,  font  obligez  de 

M  l'approuver ,  'quand  même  ils  croiroient  y  voir  des  circonfl 

»  tances  6c  des  motifs  apparens  ,  qui  ne  leur  parufîenr  pas 

>5  entièrement  louables.  Car  nous  croyons  que  Dieu  fè  fèrt  de 

îî  divers  moyens  pour  attirer  les  âmes  à  fby  j  &  que  tel  efl  en- 

M  tré  dans  le  cloître  avec  une  intention  qui  pouvoit  n'être  pas 

»  afièz  pure,  lequel  y  a  mené  dans  la  fuite  une  vie  fort  fàinte. 

>3  Pour  ceux  qui  font  d'une  autre  créance,  s'ils  en  parlent  mal, 

»  on  peut  récufer  leur  jugement.  Car  comme  dans  toutes  les 

53  autres  affaires  touchant  lefquelles  il  y  a  div<?rs  partis  ,  il  efl 

}>  impofTible  de  plaire  aux  uns  fans  déplaire  aux  autres ,  s'ils 

»  confîdérent  qu'ils  ne  feroient  pas  de  la  Religion  dont  ils  fbno 

î3  préfèntement ,  fî  eux ,  ou  leurs  pères,  ou  leurs  ayeuls  n'a- 

33  voient  quitté  la  Romaine  ,  ils  n'auront  pas  fujet  de  railler 

33  ou  d'accufèr  d^inconftance  ceux  qui  quittent  la  leur.    Pour 

33  ce  qui  regarde  la  prudence  du  fîécle ,  il  efl  vray  que  ceux 

Raifon  de  33  qui  Ont  la  fortune  chez  eux,  femblent  avoir  quelque  raifbn 

fion'^dcs'   "  ^^  demeurer  autour  d'elle ,  éc  de  joindre  leurs  forces  enfèm- 

cnfans  de  '3  ble  ,  pour  cmpêcher  qu'elle  n'échappe.     Mais  ceux  de  la 

Il  maifon   „  rnaifon  defquels  elle  efl  fugitive ,  ne  font  point  mal ,  ce  me 

55  fèmble,  de  s*accorder  à  fuivre  divers  chemins ,  afin  que  s'ils 

33  ne  la  peuvent  trouver  tous ,  il  y  en  ait  au  moins  quelqu'un 

33  qui  la  rencontre.  Cependant  par  ce  qu'on  croit  que  chacun 

33  d'eux  a  plufieurs  refïburces ,  ayant  àes  amis  en  divers  partis, 

33  cela  les  rend  plus  confîdérables  que  s'ils  étoient  tous  enga- 

33  gez  dans  un  feul.  C'efl  ce  qui  m'empêche  de  croire  que  ceux 

»  que  vous  fbupçonnez  d'avoir  été  auteurs  de  ce  confèil ,  ayenc 

»  en  cela  voulu  nuire  à  vôtre  maifon. 


Ih 


Chap4 


LivreVII.  Chapitre  III. 


^9 


CHAPITRE      III. 


i6  4.4.. 


Jtetour  de  M.  Defcartes  à  Pans  y  où,  il  void  les  Je  fuite  s ,  renou^ 
velle  Ces  amitiez^  avec  eux  ,  ^  farticuliérement  avec  le  P. 
JSourdinfon  ancien  adverfaire.  Jl  rentre  dans  de  nouveaux  cha- 
:grins  contre  quelques  autres  Pères  de  la  Compagnie  qui  parlaient  \ 

mal  de  fes  Ecrits.  Entrevues  ^  amitié x^  avec  M.  Clerfelier 
é*  M.  Chanut  qui  le  mène  chez^M.  le  Chancelier ^  ^  travaiL 
le  inutilement  pour  luy  procurer  unepenfion  du  Roy.  Il  void  le 
chevalier  d'Jgby  fon  ancien  amy ,  avec  lequel  il  a  des  confé- 
rences. Jugement  de  Thomas  Anglus.  M.  Defcartes  void  M. 
de  Roberval.  Carafière  de  l^effrit  ^  des  amitiex^  de  cet  hom- 
me. Le  P.  Merfenne  va  en  Italie ,  ^  M.  Defcartes  retourne 
en  Hollande.  Il  efi  arrêté  a  Calais  3  oà  il  lit  la  verjton  de  fes 
principes, 

SUr  les  mefiires  que  M.  Defcartes  avoit  prifès  à  fbn  re- 
tour du  Poitou  pour  fë  rendre  en  Hollande  avant  les 
glaces,  il  s'étoit  réduit  à  la  nécefîîté  de  ne  pouvoir  point 
pafler  plus  de  dix  ou  douze  jours  à  Paris.  Il  les  employa  en 
des  vifites  continuelles,  qu'il  rendit  à  Tes  anciens  amis,  qu'il 
n'avoit  vus  depuis  le  fîége  de  la  Rochelle  ,  oc  à  ceux  que 
fà  réputation  luy  avoit  faits  pendant  fon  ablence.    L'un  de 
(qs  premiers  foins  fut  de  voir  les  Jéfiiites  du  Collège  de  Tom.  i.  des 
Clermont,  où  fè  firent  les  dernières  cérémonies  de  fa  ré-   i^ttr.  pag.  ij. 
conciliation  avec  le  Père  Bourdin,  en  préfence  de  leurs  a-  item  pag. 
mis  communs  delà  Compagnie.  Ce  Père  ne  prétendit  point  \^^  u'°  &c, 
s'en  tenir  à  de  fimples  embralîèmens ,  ou  à  des  témoigna- 
ges vulgaires  d'une  amitié  ftérile  :  il  voulut  la  rendre  agifl 
iante  par  tous  les  fervices  qu'il  fèroit  capable  de  rendre  à 
M.  Defcartes  j  &  il  s'établit  fon  correspondant  pour  les  let- 
tres qu'il  auroit  à  envoyer  aux  Pérès  de  fà  Compagnie  dans 
les  provinces ,  &  pour  celles  qu'il  auroit  à  recevoir  d'eux. 
Il  fît  prcfent  du  nouveau  livre  de  fès  Principes  à  ceux  d'en- 
tre eux ,  qui  étoient  de  (es  principaux  amis ,  &  leur  en  en- 
voya encore  une  douzaine  d'exemplaires  pour  ceux  qui  n'é- 
toient  point  à  Paris.  Il  y  en  avoit  deux  pour  le  Père  Cliar- 

let 


140  La   Vie    de   M.  Descartes. 

1(3  4  4.     1^^  Afîîfîiant  duP.  Général  à  Rome  -,  deux  pour  le  P.  Diner, 
c]ui  depuis  la  mort  du  Roy  Louis  XI 1 1  *  dont  il  venoit  de 


*  Arrivée  le   rccuëillir  les  circonftances  édifiantes  pour  Tufage  du  Public, 

ccnfion  14  de    ^^^^^  ^^^  retenu  pour  être  auiîi  le  Confefleur  du  Roy  Loiiis 

May  1^43-      XIV    par  la  Reine  régente  fa  mère  ^  un  pour  le  Père  F. 

(  c'étoit  peut-être  le  P.  Jean  François)  fon  ancien  maître  j 

un  pour  le  P.  Vatier,  un  pour  le  P.  Fournier ,  un  pour  le  P. 

Pag.  108,10^,    Meiland,  un  pour  le  P.  Grand~Amy,  &c.    Il  accompagna 

ut  lupr.  ^^^  préfens  de  lettres  pour  être  envoyées  avec  les  livres  :  &c 

de  celles  qii  ibnt  venues  jufqu'à  nous,  il  n'y  en  a  aucune  qui 

Tom.  5  pag.    ne  fût  remplie  des  marques  de  fà  vénération  pour  leur  vertu^ 

305, 106,107,   ^g  ^Q^^  eftime  pour  leur  fçavoir .  de  fà  reconnoiilance  pour 
108,109,110,    „,j  V]    ,  ?        j  '       ,  r  •       o     1    1   ^ 

jii  ,&c.  1  éducation  qu  ils  iuy  avoient  donnée  autrefois ,  &  de  la  con- 

fiance avec  laquelle  il  fè  flatoit  qu'ils  feroient  valoir  fa  nou- 
velle Pliilofôphie.  Mais  cette  confiance,  qui  ne  fut  pas  entiè- 
rement vaine  à  l'égard  des  Pcres  que  nous  avons  nommez, 
Tom.  1  pag.    devint  fiifpede  de  quelque  préfbmption  à  plufieurs  autres  je- 
îi,  i^9, 378.    /iiiccs,  qui  ne  connoifibientpas  le  fonds  de  fbn  cœur.  Parceque 
lanaïvetédesAnciensn'étoitplusàlamode  dans  l'art  d'écri- 
re, quelques-uns  voulurent  cenfurer  celle  qu'il  faifoit  paroi- 
Tom.  I.  pag,    tre  dans  la  bonne  opinion  qu'il  témoignoic  avoir  pour  les  ou- 
4^2-,  511.         vrages.  Ils  fe  mocquérent  dés-lors  de  la  prédidion  tacite  qu'il 
Tom.  3.  pag.    faifbitque  fès  écrits  pourroient  êtreunjourfubftituezà  ceux 
58,  !9,  èo.       qu'on  dictoit  dans  les  écoles  publiques'^  &  ils  travaillèrent  de 
bonne  heure  à  le  rendre  faux  Prophète  :  en  ouoy  l'on  auroic 
tort  de  fe  plaindre  qu'ils  eulîentmal  réiiilijufqu'à  préfènt. 
On  Iuy  donna  fur  la  conduite  de  ces  derniers  des  avis 
qui  penfèrent  le  brouiller  de  nouveau  avec  quelques-uns 
p     jjifoj„    de  cette    Compagnie  ,    qu'on    pretendoit   répandre    dc^ 
3.  bruits  fort  peu  obligeans  touchant  fà  Philofbphie,  Il  fentic  , 

i-:em  la  lettre  renaître  les  penfees  qu'il  avoit  eiiës  autrefois  de  réfuter  celle 
Mf  à  fon  pé-  qu'ils  enfeisinoient.  Il  vint  à  bout  néanmoins  de  les  étouffer. 
Il  IToaoLc  ^^  ^^  P^*^^  même  pour  la  confidération  de  ceux  de  cette  Com- 
3640,  pagnie  qui  étoient  véritablement  les  amis.  Car  il  empêcha  un 

autre  de  Cqs  amis,  qui  n'étoitpas  des  leurs ,  de  publier  un 
traité  qu'il  avoit  compofë  pour  le  vanger  de  tous  leurs  diù 
cours  delavantageux ,  &  pour  mettre  en  parallèle  hs  défauts 
de  la  Philofophie  qu'ils  enfeignoient  dans  leurs  écoles ,  avec 
les  avantages  de  celle  qu'il  avoit  pubhée  dans  fes  écrits. 

-  Il 


LïVRE    VIL     Chapitre  ÎIÎ.  241 

II  fècrut  obligé  durant  Ton  féjour  de  Paris  d'aller  aufîi  ren-     1^4 

dre  vifice  à  Monficur  le  Duc  de  Luyiies,qui  Juy  avoic donné   - . 

des  marques  fi  éclatantes  de  fon  eftime  par  l'honneur  qu'il 
luy  avoit  fliit  de  traduire  fès  Médlt.^tio^s ,  &c  de  lu  y  abandon- 
her  ia  traduclion  avec  la  liberté  d'en  faire  ce  qu'il  jugeroit  à 
propos. 

1 1  vid  auiTi  M .  Clerfclicr  Avocat  en  Parlement^qui  avoit  tra-  Chade= 
duit  les  objeétions  faites  contre  fes  Méditations  avec  fé:;  ré- 
ponfès  à  cQs  objections.  C'étoit  un  homme  d'une  probité  in- 
jfigne,  qui  ayant  borné  toutes  fes  vues  aux  avantages  d'une 
vie  privée  &  tranquille,  n'avoit  point  eu  d'autre  ambition  que 
de  rendre  la  vertu  floriilante  dans  fà  famille  ,  &  de  cultiver 
les  fciences  avec  un  nombre  choili  d'excellens  amis.  Il  avoit 
pour  beau-frére  M.  Chanut^  qui  n'étoit  encore  alors  que  Pré-  Pierre, 
Hdent  des  Tréfoners  de  France  en  Auvergne,  oC  qui  fat  de- 
puis Ambafladeur  en  Suéde  ,  Plénipotentiaire  en  Allema- 
gne, Ambaifadeur  en  Hollande,  êc  Confêiller  d'Etat  ordi- 
naire.  Mais  comme  ce  vertueux  homme  palîe  maintenant 
pour  le  fécond  auteur  du  Cartéflanifine,  ta.nt  par  la  révifîon 
ôc  la  publication  des  ouvrages  de  M.  Dcfcarres,  que  par  la 
compofition  de  fes  propres  écrits,  il  cfljufte  d'en  donner  une 
connoiilance  un  peu  plus  particulière  a  ceux  qui  aiment  cette 
Philofophie.  M.  Clerfelier  étoit  né  le  xxi  de  Mars  de  l'an 
1614^  &  avoir  eu  pour  père  Claude  Clerfelier,  Confêiller 
Secrétaire  du  Roy ,  dont  il  portoit  le  nom  ,  Se  pour  mère 
Marguerite  l'Empereur.  N'étant  encore  âgé  que  de  fcize 
ans  il  avoit  été  trés-richement  marié  le  5  de  Novembre  de 
Tan  1630  avec  Anne  de  Virlorieux  âgée  de  xx  ans  ^  qui  étoïc 
^\q:  du  Greffier  en  chef  du  domaine  de  Bonrbonnois,  &: 
qui  luy  apporta  aulli  une  dot  conlidérable.  Elle  donna  à  M, 
Clerfelier  quatorze  enfans,  dont  la  plupart  moururent  tort 
jeunes.    Il  eut  feulement  deux  filles  mariées  ,  5c  un  fils  qui 
efl:  mort  fans  enfans.  La  prémdére  des  filles  nommée  Cathe- 
rine avoit  époufé  M.  de  la  Haye  *  Maeftre  de  camp  d'un  *  Mûm 
Régiment  de  Cavalerie.  Il  donna  l'autre  nommée  Geneviève  c/?«r,»7. 
à  un  Provincial  de  Picardie  nommé  Jacques  Rohauli  ,  d'à  (fez 
médiocre  mais  de  fort  honnête  fimille.    Tous  Ijs   piren.s 
de  la  Demoilelle,  hors  ion  père,  eurent  beaucou  '>  djdéplai- 
fo  de  cette  mes-alliance  :  6c  le  nouveau  gendre  même  s'étant 

H  h     *  ran^é 


3.41  La  Vie    DE  M.  Descartes. 

164.4..  rangé  de  leur  party  avoit  tâché  de  s'en  excufèr.  Mais  rien 
-«—,=—*»  ne  pût  vaincre  M.  Clerlélicr,  qui  trouvant  ià  fille  toute  dif. 
pofée  à  luy  obéir  ,  &  très  contente  de  ce  party ,  voulut  ab- 
solument ce  mariage  pour  la  coniidération  feule  de  la  Phi, 
loibphie  de  M.  Deicartes,  dont  il  prévoyoit  que  Ton  gendre 
devoit  êire  un  puillant  appuy.  L'événement  a  juftifié  Ton 
choix  fort  avantageufement,  &  le  célèbre  M.  Rohault  paC 
fera  toujours  pour  l'un  des  principaux  ornemens  de  la  fa- 
nulle  dés  Clcrfèliers.  îl  ne  refte  plus  aujourd'huy  que  deux  en. 
fins  de  M.  Clerfelicr ,  dont  l'un  ell:  M.*  Clerfèlier  Deiiioyers, 
*  Fi-ançois.  qui  n'eft  ponit  marié,  6c  qui  s'eft  retiré  du  fervice  après  avoir 
porté  les  armes  pendant  vingt  ans  en  qualité  de  Capitaine 
d'infonterie  &de  Dragons.  L'autre  eft  Mademoifélle  Anne 
Marie  Clerfèlier,  qui  efl:  mamtenant  majeure,  mais  qui  n'a 
jamais  voulu  écouter  aucune  proportion  de  mariage,  quel- 
que avantageulè  qu'elle  ait  pu  être.  Voilà  en  quoy  confiftoit 
cette  heureufè  famille  qui  partageoit  les  foins  &  les  délices 
ce  M.  Clerfèlier  avec  la  Pnilofophie  Cartéfienne,  Il  mourut 
dans  la  réputation  de  l\ui  des  plus  pieux  Philofophes  de  ion 
têms  le  xni  d'Avril  1684  âgé  de  70  ans,  &  fut  enterré  à  fàint 
Barthélémy  dans  la  Chappellede  (àinte  Catberme,  où  l'on 
void  fon  Epicaphe.  La  paiTion  qu'il  avoit  connue  pour  la  Phi^ 
lofophie  8c  les  Ecrits  de  M.  Defcartes  fe  communiqua  telle^ 
ment  à  fà  perfonne ,  que  tous  les  intérêts  de  l'un  devinrent 
les  intérêts  de  l'autre.  M.  Defcartes  mit  l'acquifition  d'un  tel 
amy  au  nombre  des  meilleures  fortunes  de  la  vie.  Il  luy  dé- 
couvrit les  fecrets  les  plus  intimes  de  fon  cœur  :  Se  Ton  peut 
hardiment  conter  leur  union  parmy  les  exemples  qu'on  allè- 
gue pour  prouver  que  la  vraye  amitié  ell  plus  forte  que  la 
mort. 

M.  Clerfèlier  fît  entendre  à  M.  Defcartes  qu'il  avoit  en- 
core un  excellent  amy  dans  fà  famille  dont  il  étoit  déjà  très- 
connu  ,  &  qu'il  feroit  fort  aifcde  connoître  réciproque  aient, 
C'étoit  fon  beau-frère  M.  Chanut ,  perfonnage  d'un  mérite 
fort  extraordinaire,  qui  s'étoit  déjà  fait  une  belle  réputation 
Voyez  un  (^ans  le  monde  par  rintégrité  de  fès  mœurs ,  par  fi  doètrine, 
pias  ample  é-   ^         £  capacité  daus  les  affaires,  qui  le  faifoit  re2;arder  à  la 

I ocre  de   M.        ^-^  r  ^  ,  i       v    ,>^^  r  i      a /r    r-.i 

Chanut  cy-     Cour  commeun  homme  utile  a  1  Etat.  Le  nom  de  M.  Ciia^ 

^f'^^s-      ,     nut  n'étoit  pas  inconnu  à  M.  Delcartes:  U  deux  ans  aupa- 
Tom,i.dc$  X-  ^^^^^^^ 


Ne  î'e  11.  Fé- 
vrier 1601. 


Livre  V  1 1.  C MAP  I  T  R  E    III.  243 

ravaiit  le  P.  Merfènnc  luy  en  avoir  écrit  comme  d'un  hom-     J  <^4  4.. 
me  qui  çftimoit  fès  écrits,  &  qui  jugeoit  trés-avanta^^eafè- 


mentdeluy.  Cettcfavorable  prévention  que  le  P.  Mer/ènne  ^^""^  ï^^-i^^' 
luy  avoit  donnée  luy  fît  regarder  la  faveur  que  luy  fit  M.  Cler- 
felier  de  le  mener  chez  M.  Chanut  comme  le  fèrvice  le  plus 
{îgnalé  qu'il  pût  attendre  de  leur  nouvelle  amitié.  Celle  qu'il 
jura  avec  M.  Chanut  ne  fut  pas  moins  étroite  :  6c  l'on  peut 
dire  que  l'unique  défaut  qu'elle  avoit  d'être  un  peu  trop  ré- 
cente par  rapport  à  leur  âge^  le  trouva  il  bien  réparé  par  ion 
ardeur,  qu'elle  parut  préférable  à  beaucoup  d'autres  plus  an- 
ciennes, 6c  comparable  à  celle  des  Merfennes,  des  Mydorges 
bc  des  Hardis.  C'eft  un  témoignage  que  M.  Chanurluy  ren- 
dit quelque  têms  après  en  ces  termes.  »  Je  vous  écris  avec       ^""-  ^^• 
tant  de  confiance,qu^il  lembleroit  à  qui  ne  me  connoîtroit  pas,  a  ^^^^^  ^^^l 
ou  qu'une  étroite  amitié  de  quarante  années,  ou  que  quel-   et  Aoûti^4$» 
que  égalité  ou  reilemblance  dans  les  inclinations  m'auroit  et 
donné  cette  liberté.  Pour  ce  dernier,  j'avoue  qu'il  y  a  une  ce 
fi  grande  diflance  de  vos  penfées  aux  miennes,  6c  que  je  me  et 
fèns  fî  foible  auprès  de  vous,  que  Ton  feroit  trompé  de  penfer  a 
que  vous  m'aimaiîîez  par  reilemblance.  Quaiità  l'autre,  je  « 
ne  vous  puis  plus  celer  que  mon  cœur  eft  tellement  porté  c< 
à  vous  aimer  èc  à  vous  reljDeder ,  que  fi  je  n'ay  les  mérites   et 
d'une  longue  afFeclion ,  j'en  ay  au  moins  la  chaleur  6c  la  fer-  «t 
meté,  avec  l'efpéranceque  le  têms  me  donnera  cefèulavan-  « 
tage  qui  me  manque  pour  vivre  avec  vous  comme  je  le  defire.  et 
M.  Chanut  pour  commencer  à  donner  à  M.  Defcartes  des 
preuves  folidss  de  fon  amitié  naiilante  voulut  le  mener  chez. 
Monfieur  le  Chancelier  qui  reçût  nôtre  Philofophe  avec 
tous  les  témoignages  d'eftime  qu'on  pouvoit  attendre  d'un 
Magiffcrat  qui  étoit  homme  de  Lettres,  fauteur  des  Sçavans,6c  Reiar.  MC..dc 
qui  avoit  connu  le  mérite  de  M.  Defcartes  parla  leéture  des   PoiUei. 
Eilais  de  fa  Philofophie ,  lorlqu'il  fut  quefHon  de  luy  accor- 
der le  privilège  de  l'imprefiion.    M.  Chanut  ne  crue  pas  de- 
'Voir  s'en  tenir  à  ces  premières  démarches  :  il  voulut  encore 
employer  le  crédit  qu'il  avoit  auprès  de  Monfieur  le  Chan- 
celier, 6c  même  celuy  que  [es  amis  avoient  fur  Tefpnt  du 
-Cardinal  Mazarin  pour  procurer  à  M.  Defcartes  une  pen- 
îîon  duRgy,  qui  pût  le  mettre  en  état  de  faire  de  grandes 
expériences,,  6c d'augmenter Jes  connoiiTances  qu'il  avoit  de 

Hh    ij     *    .    h 


i44  La    Vie    de    M.  Descaktes. 

"  '  '  la  Nature.  La  chofe  ne  réiiffit  pas  au  gré  de  M.  Chanut;  6c 
'"^^'^  -jyj^  Defcartes  étant  fur  fon  départ  pour  retourner  en  HoL 
lande  fut  obli'j^é  de  le  conloler  en  luy  marquant  qu'il  ne  re^ 
chsrchoit  point  ces  fortes  de  fecours ,  6c  que  s'étant  fait  une 
mrxime  c'e  fe  contenter  de  ce  qu'il  avoir  plu  à  Dieu  de  luy 
donnner,  il  croiroit  avoir  rcnîply  tous  fcs devoirs,  s'il  confà- 
croit  à  l'utilité  publique  tout  ce  qui  dépendoit  de  luy  ,  c'eft, 
à-dire,  tous  lès  tajens  èc  tout  fon  patrimoine,  fans  fe  fbucier 
d'y  employer  le  bien  d'autruy. 

On  prérend  que  pendant  ce  peu  de  jours  qu'il  avoit  à 

Rcîat.  Mf.  lie  palîer  à  Paris  il  hanta  fbuvent  les  Pérès  Théatins  nouvelle- 

M.  Macquets   j^giit;  établis  Cil  Francc  ,  qu'il  alla  prefque  tous  les  jours  en- 

tendre  la  melie  chez  eux,  qu  il  ht  amitie  particulière  avec 

plufieurs  de  leurs  Pérès ,  6c  nommément  avec  le  Père  Chajf^ 

fuys. 

Ce  fut  auiïî  en  ce  voyage  qu'il  ma  le  Lord  Kénelme  Comte 

nmourBtl'an   d'/g-^j/ ,  Seigneur  Anglois,  Catholique,  Chevalier  de  la  jar- 

î^6y.  reticre ,  Chancelier  de  la  Reine  d'Angleterre,  6c  fon  Ré^ 

fidentà  Rome ,  trés-connu  en  France  par  'ÎQ'i  habitudes  6c 

L'ouvMgene  fes  écrits.  Le  Chevalier  d'îgby  venoit  a'achever  lacompo- 

fut  imprimé     ç^xiow  dc  fon  erand  livre  de  (immortalité  de  l'Ame ,  ^  il  eut 

prés  la  mort    de  iongucs  6c  de  fréquentes  conférences  avec  M,  Defcartes 

aeivi  Dcfc.      j^y  collège  de  Boncourt,  où  ils  s'étoient  donnez  le  rendez- 

;Voyezenics   yoiis.  Quoiqu'ils  ne  puiîent  s'accorder  fur  quelques  points 

Viuiil'^'^^'   de  Métaphyhque  touchant  la  nature  6c  l'état  de  l'Ame,  ils 

Réir.t.  de      ne  laillbient  pas  de  s'eflimer  beaucoup  l'un  6c  l'autre,  Ils  fe 

Shc«^uecs.       traitoient  avec  des  honnccetez  iL  à.Qs  déférences  réciproques, 

qui  charmoient  les  témoins  de  leurs  conférences.  C'étoient 

Aq^  fruits  d'une  amitié  qui  étoit  ancienne  de  plus  de  fixans, 

quoiqu'ils  ne  fefuflent  point  encore  vus  jufqu'alors  ,  à  moins 

que  Ton  ne  fuppofe  un  voyage  de  ce  Chevalier  en  Hollande. 

Tom.  %.  c?es    j)^^  p^j^  j^^g    y{^  d'îgby  s'étoit  déclaré  le  dérénfcur  à^s 

ati.pag.3  z,  ,^^j,-j,^  2^  jç  1^  réputation  de  M.  Defcartes,    En   1641  M. 

Tom.  i.  pao-.   Defcartes  s'étoit  fort  intéreflé  à  la  détention  6c  à  Télargiiîe- 

îoî.  °    ment  de  M.  dlgby  :  6c  quoiqu'il  ne  nous  paroiile  pas  qu'ils 

Tom.  X.  pag.    s'écrivifîcnt  dans  le  têms  de  leur  éloignement ,  leur  amitié 

"^^-  n'en  étoit  pas  moins  bien  Ibdtenuë.  M.  d'îgby  la  continua 

Tom.  j.  des     aprés  la  mort  de  M.  Defcartes ,  en  la  faifant  pafîer  à  là  mé- 

&i9<,.  moire  qui  luy  parut  toujours  cnere,  6ca  les  leclatcurs  qu  il 

honor^^ 


Livre  VII.  Chapitre  II I.  145 

honora  de  Ton  eflime.  Ce  Seigneur  avoit  prés  de  liiy  le  fa-      1^44. 

meux  Thomas  An^lus  Gencil-homme  Anglois  ,  Prêtre  ca- 

thohque  d'une  des  plus  anciennes  maifons  d'Angleterre ,  re- 
vêtu d'un  extiricur  Hibernois,  vivant  dans  une  grande ,  mais 
volontaire  pauvreté.  Son  vray  furnom  étoit  White ,  qu'il  a-      Albius  étolt 
voit  coutume  de  dëguifcr,  tantôt  en  Candidus,  tantôt  en  Al-    équivoque  à 
hius  j  quelquefois  en  Bidrxhi^  quelquefois  en  Richvvorth  :  mais    &  j»^^/^"^^  '"'* 
il  n'ëtoit  prefque  connu  en  France  que  fous  le  nom  de  Tho- 
fjias  Anglus.  C'ctoit  un  Péripatéticicn  encore  plus  extraor- 
dinaire que  M.  le  Chevalier  d'Igby,  &  il  le  furpalToit  apu- 
rement  pour  l'obicurité  de  {bs  conceptions ,  &  pour  l'in- 
compréhenlibilité  de  les  penfëes.    Il  étoit  du  relie  l'un  des 
Philofophes  les  plus  fubtils  de  fon  têms,  &  il  s'étoit  affran- 
chy  del'airujettiiîementde  laSchciaftique,  qui  retient  la  plu- 
part des  Péripatéticiens.  M.  Defcartes  qui  l'appelloit  ordi- 
nairement Monfcur  Vitus  avoit  conçu  de  l'eftime  pour  luy 
{îir  les  témoignages  avantageux  que  M.  d'Igby  luy  en  avoir 
rendus.  Il  fou IFiit  volontiers  que  Thomas  Anglus  luy  fît  des 
objections.  La  nature  de  fes  objections  &  la  haute  idée  que 
M.  d'Igby  luy  avoit  donnée  de  fon  efprit  luy  firent  elpérer 
de  le  voir  bien.tôt  rangé  parmy  les  fèctateurs  de  fa  Philofo- 
phie.  Mais  ^événement  fit  voir  qu'il  préfumoit  un  peu  trop 
de  la  docilité  de  Thomas  Anglus.  Celuy-cy  fe  laifîa  brouil- 
ler la  cervelle  dans  les  queftions  épineufès  de  la  prédeflina- 
tion,  de  la  liberté,  &de  la  grâce,  qui  commençoient  à  trou- 
bler les  faculrez  Théologiques  de  Louvain  ,  &:  de  Paris» 
Perfuadé  que  M.  Defcartes  n'etoit  point  appelle  de  Dieu 
pour  luy  donner  les  fôlutions  néceflairesà  ces  difficultez  tou- 
tes furnatureiles ,  il  aima  mieux  recourir  aux  lumières  d'A- 
Tifrote  pour  percer  ces  ténèbres  myftérieufes.  Ce  qu'il  en  a 
écrit  avec  cette  afliflance  ne  refïemble  point  mal  à  des  ora- 
cles pourl'obfcurité  :  &c'eft  peut-être  ce  qui  l'a  rendu  inin-     Decrct.facr. 
telligible  à  Meffieurs  de  la  Congrégation  Romaine  de  1'//?-    ^{^^^'  ^°^' 
dex  ,  &  qui  l'a  fiit  regarder  par  les  Jéluites  comme  un  Théo- 
logien fauvag?.  M.  Defcartes  s'étoit  tellement  réduit  à  la    Labbcodiâns 
connoifTa'  ce  des  choies  naturelles ,  que  loin  de  jamais  envi-   ^^^''"i^/*'*''- 
fager  avec  d'autres  yeux  que  ceux  de  la  Foy  aveugle  ôcfou- 
mife  les  matières  fublimes  que  Thomas  Anglus  prétendoic 
pénétrer,  jl  ne  voulut  pas  mêine  entrer  en  parallèle  av:c 

Hh  iij    *  M. 


'24^  La   Vie    de    M.   Descartes. 

164.4..     ^*  ^^  Chevalier  d'Igby  pour  la  comioiffance  de  l'état  flir- 

r  -      naturel  de  nos  Ames  dans  Tautre  vie,  après  tout  ce  qu'il  a- 

voit  écrit  de  leur  diftinclion  d'avec  nos  Corps  dans  fes  Me- 

xiirations.    Je  ne  fçay  fi  c'étoit  par  modeftie  ou  autrement 

qu'il  en  écrivit  en  ces  termes  à  la  Princeiîe  Elizabeth.  's  Pour 

Tom.  j.     ,j   ce  qui  eft  de  l'état  de  l'Ame  après  cette  vie,  dit-il ,  j'en  ay 

des  leur.     ^^   [y^Q^-^  moins  de  connoifiance  que  Monfieur  dlgby.  Car  lait 

^  ^'     '     ,5  ûnt  à  part  ce  que  la  foy  nous  en  enfeigne,  je  confelTe  que  par 

„   la  feule  raifbn  naturelle  nous  pouvons  bien  faire  beaucoup  de 

„   conjectures  à  nôtre  avantage  ,  Se  avoir  de  belles efpérances  : 

yj  mais  non  point  en  avoir  aucune  alfurance.  Cette  réflexion 

de  M,  Defcartes  ne  peut  manquer  d'être  fort  utile  à  ceux 

qui  entreprendront  de  lire  le  gros  livre  de  M.  le  Chevalier 

d'l2;by  touchant  riminortalité  de  l'Ame. 

Quoique  M.  Defcartes  s'attachât  principalement  durant 
fbn  féjour  de  Paris  à  voir  ceux  de  Ces  amis  qu'il  n'avoit  ja- 
mais vus,  le  nombre  en  étoit  trop  grand  ,  èc  le  t:rme  qu'il 
avoit  prefcrit  à  fbn  féjour  étoit  trop  court,  pour  pouvoir  leur 
Tom.  5.  des  donnera  tous  la  fatisfadion  qu'il  auroit  fbuhaitée.  Mais  il 
îettr.  pag.       fe  crut  obligé  fur  tous  les  autres  de  ne  pas  oublier  M.de  Ro- 
^  ^*  berval.,  Il  voulut  rafiurer  de  fbn  eflime,  luy  offrir  de  nou- 

veau fon  amitié,  de  luy  déclarer  de  vive  voix  que  toutes  les 
imprefîions  de  leurs  petits  démêlez  étoient  parfaitement  effa- 
?âg.  44t  diî     cées  de  fbn  efprit.  M.  de  Roberval  fît  ce  qu'il  put  pour  bien 
wièmc  tome,    j-épondrc  à  l'honneur  que  luy  faifbit  M.  Defcartes ,  &  il  pro- 
tefla  deladifpofitionoù  il  étoit  de  luy  rendre  ce  qu  il  devait 
à  fon  mérite  ^  à  fa  condition^  Mais  le  peu  de  liaifon  que  M. 
Defcartes  remarqua  dans  fès  entretiers  luy  fit  aifément  re- 
connoître  la  vérité  de  l'idée  qu'il  s'étoit  formée  de  fon  efprit  : 
?ag.  514,4^8,  '^c  il  luy  fut  aifé  de  juger  que  l'amitié  de  ce  grand  Géomc- 
jzo,  &  les  fm-  xre  étoit  un  bien  trés-périfTable.  Il  luy  fit  pourtant  la  juftice 
qu'à  J24  441,   de  croire  qu'ily  avoit  moins  de  malice  ou  d'afFedation  que 
&  fuivamcs     de  naturel  &.  de  tempérament  dans  fes  manières  peu  poHes 
«cc.du  3  toi».   ^  defobligeantes  :  &  il  reçut  fon  amitié  telle  qu'il  la  pouvoir 
donner  ,  fans  l'obliger  à  la  garantir  plus  folide  6c  plus  du-^ 
rable  qu'elle  n'étoit. 

Après  la  fête  de  faint  Simon  ,  le  P.  Merfènne  délivré  de 
l'ïmprellion  du  gros  recueil  de  pièces  Phyfîques  &  Mathéma- 
tiques <^u'ii  intitula  Cogicata  PhyficO'Maphematica ,  2c  n'ayant 

plus 


Livre  VII.  Chapitele  III.  147 

plus  rien  au  départ  de  M.  Dcfcartcs  qui  pût  le  retenir  à  la     i  (^  4  4. 
Ville  ,  partit  pour  un  voyage  de  huit  ou  neuf  mois  qu'il  avoit  . 

à  faire  en  Italie  :  6c  M.  Defcartes  ayant  lailîe  le  refle  des 
exemplaires  de  fcs  Principes  fous  la  difpofition  de  l'Abbé 
Picot  chez  la  veuve  Pelé  Libraire  de  la  rue  S.  Jacques  ^ 
prit  la  route  de  Calais  pour  retourner  en  Hollande.  Il  fut  Lmr.  à  Picot 
arrêté  par  les  vents  dans  cette  ville  pendant  prés  de  quinze  ^^'^^  ^■^°- 
jours,  où  il  ne  put  s'occuper  d'autre  chofe  que  de  la  ledu-  ^*^"^  "  ^^^'^'■ 
re  de  la  verfîon  françoife  que  l'Abbé  Picot  fbn  hôte  avoit 
faite  de  ion  livre  des  Principes ,  &  dont  il  avoit  apporté  les 
deux  premières  parties  avec  luy.  Il  en  écrivit  au  Traducteur 
le  VIII  de  Novembre  ,  pour  luy  marquer  qu'il  la  trouvoit 
excellente,  dc  qu'il  ne  pouvoit  la  ibuhaiter  meilleure.  L'Ab-  '^°^-  h  des 
jbé  Picot  ne  luy  envoya  la  troifiéme  partie  que  dans  le  mois  Jj""'  J^^; 
de  Février  de  l'année  fuivante  ,  de  il  n'en  parut  pas  moins  Févr.  iiem 
fatisfiit.  L'Abbé  l'ayant  accompagnée  de  quelques  diÔîcui-  ^""-Mf-dc 
tez  dont  il  demandoit  l'explication ,  M,  Defcartes  en  luy  du  ^Févr?' 
envoyant  cette  explication,  luy  manda  que  ces  difficultez  ^^^^' 
mêmes,  de  la  manière  dont  il  les  luy  avoit  propofées,  fai- 
foient  honneur  à  fà  traduction  ,  de  montroient  n  que  le  Tra- 
ducteur entendoit  parfaitement  la  matière  ^  parce  qu'elles  « 
ri'auroient  pu  tomber  dans  l'efprit  d'une  perfonne  qui  ne  « 
l'auroit  entendue  que  fuperfîciellement.    Pour  la  quatrié-  «  Lettr.  Mf. 
me  partie  de  cette  veiilon  elle  ne  fut  achevée  de  plus  de  fxx  «  ^  ^'^°'  ^^ 
mois  après,  «  J^J^^  " 


Chap^ 


24^  La  Vie  De  M.  Descartes. 


164.4. 


CHAPITRE     IV. 

Arrivée  de  M.  Defcartes  en  Hollande.  Mort  de  M.  Bannm^f 
prêtre  HoUandois  fon  amy.  Réjouiffances  de  [es  amis  d'être cht 
pour  fbn  retour.  Jl  fonge  à  pourfuivre  fon  froccz^de  Groningue 
contre  Schoock'-us.  jffu'e  de  celuy  d'Vtrecht  contre  Voetitis.  Pro- 
cédures de  ce  luy  de  Groningue  devant  le  Sénat  Académique  :,  ce  fi- 
a-dire 5  les  Profejjeurs  de  l'IJniverfité.  Sentence  rendue  contre 
Schoockius  en  faveur  de  Aï.  De  [carte  s, 

R  Defcartes  à  fon  arrivée  en  Hollande  ,  qui  fut  le 
XV  du  mois  de  Novembre,  apprit  de  M.  Bloemaerc 
la  mort  le  leur  intime  ami  le  fîeur  Jean  Albert  Bannius  Prê- 
tre de  Harlem,  l'un  des  premiers  Maficiens  du  fiécle.   Cet- 
te mort  ëtoit  furvenuë  environ  fix  femaines  après  fon  départ 
de  Hollande:  &  le  Père  Merfenne  luy  en  avoit  déjà  donné 
l'avis  à  Paris  fur  les  nouvelles  qu'il  en  avoit  reçues  de  M, 
Chriftbnus      Huyghens  fils  de  M.  de  Zuytlichem  ,  par  une  lettre  écrite 
"geniws-       \q  xîv.  d'Août  au  camp  de  l'armée  du  Prince  d'Orange  de- 
vant le  Sas  de  Gand.    M.  Bannius  avoit  été  fbudamement 
emporté  d'un  catarrhe  ,  fuivi  d'une  défaillance  qui  l'avoic 
furpris  la  nuit  dxins  un  état  de  convalefcence.  Cet  accident 
Lcttr.  M.f.dc  avoit  été  précédé  d'une  afièz  lono-ae  maladie.-  &:  fè  croya^nti 
nr.  i^uyg-    hors  de  tout  danser,  il  avoit  renvoyé  le  iour  d'avant  fa  mort 

hens  a  Mer-  ^  ^.    ,  '    .  .     K  ^     ^        ^,  ,      .  , 

fennc  du  i«     ^ous  les  parens  qui  etoient  venus  le  vidter.    C  etoit  un  nom- 
Août  i^44,      me  d'une  conduite  irréprochable,  également  aimé  des  Ca- 
tholiques &  à^s  Réformez  de  fon  païs^  confîdéré  de  tous 
les  Sçavans  de  fon  têms.    La  Mufique  fur  toutes  les  autres 
fciences  perdit  infiniment  à  fà  mort ,  au  jugement  de  M^ 
Huyghens  &  du  P.  Merfenne.   Il  y  avoit  dans  i^^  principes 
des  chofes  trés-confidérables  pour  la  théorie,  principale- 
ment depuis  qu'il  avoit  embrafTc  la  Philofophie  de  M.  Def 
eartes,  quoique  la  pratique  ne  réiiHit  pas  iî  bien  entre  'iQS, 
mains  ,  comme  M.  Defcartes  l'avoit  remarqué  long -têms 
avant  M.  Huyghens. 
l°m   aà*^"         ^'  ^^^c^'^'tes  alla  droit  en  Nord-Hollande  fj  retirer  à 
iîein3^4.'"'  EgHiOiidde  Biiinen ,  dans  la  réfolucjon  de  fe  renfermer  plu^ 

profondémeiAt 


Livre  VII.   Chapitre  ÎV.  249 

profonc^ément  que  jamais  au  fonds  de  fbn  ancienne  fblicude,     j  g  4. 4., 
&  de  s'appliquer  loin  des  iinportunitez  de  fes  voifins  fSc  des   ____^ 
vifîtes  de  fès  amis  à  la  connoiflance  des  animaux,  des  plan- 
tes, 6c  des  minéraux.  Cependant  fes  amis  d'Qcrecht  écoienc 
encore  dans  de  grandes  inquiétudes  pour  fbn  palîage ,  de- 

Î>uis  les  fâcheufes  nouvelles  qu'ils  en  avoicnt  reçues  de  Ca- 
ais.  Plufîeurs  iè  trouvèrent  le  xvn  de  Novembre  chez  M. 
de  Haeftrecht,  où  M.  F^egius  s'étoit  rendu  à  la  compagnie 
d'un  Gentil-homme  fort  quaUfié  &  fort  ami  de  M.  Defcar- 
tes  nommé  yîntoiwj  Studler  van  Zureck  fèigneur  de  Berghen 
en  Kennemerlandt,  à  qui  M.  Defcartes  avoit  coutume  de 
faire  fès  emprunts  pour  l'argent  dont  il  avoit  befôin.    Pen~ 
dant  cjue  l'on  difcouroit  des  dangers  de  fbn  voyage  ,  plus  ou 
moins  grands  par  mer  ou  par  terre,  ils  virent  arriver  un  au- 
tre Gentil-homme  nommé  Coraclis  van Hooghelande  ^ç^m  ve- 
noit  vifiter  M .  de  Haeftrecht  &  le  fbulager  de  fès  incommodi-  Ce  Gcotit- 
tez  de  la  pierre  par  fes  remèdes ,  ^  par  Theureufe  nouvelle  ^).°^^^  ^^^-, 
du  retour  de  leur  ami.  il  le  montra  aulh  a  propos  que  le  Dteu  ^gj, 
qui  fort  de  la  m j chine  pour  délivrer  la  compagnie  de  fes  in- 
quiétudes.   Il  leur  fit  voir  une  lettre  de  la  main    de  M. 
Defcartes ,  qui  changea  leurs  appréhenfîons  en  une  joye  tou- 
te extraordinaire.  M.  Regius  en  porta  aulîî-tôt  la  nouvelle  !-««•  ^^'  ^^ 
À  tous  leurs  amis  de  la  ville  ,  &  il  écrivit  dés  le  lendemain  ^^^^^\^^,' 
une  lettre  de  commune  réjoùiflance  en  leur  nom  à  M.  Def-  1644. 
cartes.  Elle  étoit  remplie  de  vœux  ,  pour  demander  au  ciel 
qu'il  ne  les  expofat  plus  au  danger  de  perdre  le  bien  qu'ils 
venoient  de  recouvrer  ^  &  que  celuy  qu'ils  appelloient  la 
lumière  éclatante  de  leur  pats  ne  cefîât  plus  de  les  éclairer, 
La  lettre  fut  addrefTée  à  M.  de  Hooghîandt  avec  une  belle  î^ctt  Mf.  37. 
réponfè  à  celle  que  ce  Gentil-homme  avoit  écrite  en  parti-  Hoo2hdaa«tc 
cuHer  à  M.  Regius,  qu'il  ne  croyoit  pas  devoir  trouver  che-i  du  is  No- 
M.  de  Haeftrecht.  vcmbrc:644* 

M.  Defcartes  pour  fe  procurer  le  repos  nécefTaire  a  (es 
études  ,  fbngea  d'abord  à  terminer  le  procez  qu'il  avoit  â 
Groningue  contre  le  fieur  Martin  Schoockius  ProfeiTifur  & 
Recteur  de  TUniverfité  du  lieu,  &  qui  étoit  un  démembre^ 
ment  de  celuy  qu'il  avoit  fallu  foûtenir  à  Otrecht  les  années 
précédentes  contre  le  fieur  Gilbert  Voetius.  Celuy-cy  s'é-  -^^^^  ^^  ^^^ 
toic  enfin  terminé  à  fbn  avantage ,  ou  du  moins  à  fon  bon-  lettr.  pag. 


ip  La    Vie    de   M.    D  e  s  c  a  r  t  e  s. 

t  ^4  4.     neur ,  malgré  toute  la  mauvaifc  volonté  des  Ju  les  corrompus 

. par  Voetius  :  &c  l'irrégularité  de  leurs  procédures ,  telles,  que 

L«tr.  Mf.  de  iiqi^s  les  avoHS  rapportées,avoit  tourné  toute  à  leur  conruilon. 
du  n  Déccra-  ^cs  Etats  de  kl  proviuce  d'Utreclit  indignez  de  la  mauvaifê 
brc  1643.  conduite  des  Magiftrats  de  la  ville,  avoient  éii  obligez  de 
Let'.r.  Mf.  du  prendre  le  parti  de  M.Defcartes  coitreeux.  Ils-,âv<jiient  ar- 
I  Avril  1644.  j-êt;é  leurs  procédures  :  &:  pour  faire  un  exemple  public  de 
'*^°^'  l'affront  que  méritent  des  Juges  qui  abufènt  de  l'autorité  6c 

de  la  faintcté  des  loix ,  ils  avoient  contraint  ces  Magiftrâts 
de  révoquer  certains  privilèges  ou  pouvoirs  qu'ils  avoient 
donnez  à  leur  Umverfité  en  cette  occafion.  Plufieurs  de  ces 
Magiftrats  revinrent  enfuite  de  leur  égarement:  6c le  regrec 
qu'ils  témoignèrent  d'avoir  fuivi  trop  aveuglément  la  paC 
(ion  de  leur  Miniftre,  6c  de  s'être  mêlé  de  l'affaire  de  M. 
De(cartes,ne  lèrvit  pas  peu  aux  Juges  de  Groningue  pour 
régler  leurs  démarches  dans  le  jugement  qu'ils  avoient  à  ren- 
dre entre  leurProfelîeur  Schoockius  &  M.Dc/cartés.   L'af- 
faire étoit  pendante  au  Sénat  Académique  ou  Conleil  de 
^^  A'hl^fc'   l'Univcrfité  ,   qui  étoit  le  Tribunal  légitime  où  dévoient 
de  Védition ,'  naturellement  reffortir  les  caulès  de  Schoockius  :  &  il  s'agif- 
&c.  foit  de  réparation  publiq  e  des  injures  atroces  de  des  ca- 

T001.  5.  des  lomnies  dont  étoit  compofé  le  livre  Latin  intitulé  Ph/lo- 
Lettr.pag.iy.  J^p^i^  Cartcfiana  ou  Admiranda  Methodris  ^  &  publié  par 
*  Cette  lettr.  Voetius  fous  le  nom  de  Schoockius  qui  s'en  déclaroit  l'au- 
en  Franc. 'par-  ^^^^^  ^  P^^  confjqueiit  la  caution.  M.  de  la  TliLÙUerie  Am- 
miies  MfT.  de  bafladeur  de  France  à  la  Haye,  que  M.  Defcartcs  avoitfol- 
^^^^'  licite  de  nouveau  par  une  lettre  latine*  en  forme  de  Requê- 

Lettr.  à  Picot  te  OU  il  luy  cxpofoit  toute  fon  hiftoire,  avoir  écrit  dés  le 
*"44.  '^^  "^^^^  ^^  Mars  1644  '■^"^  lettre  *de  recommandation  à  MeC 
^  ç,  fleurs  de  Groningue  tenant  les  Etats  de  la  province ,  pour 

4ei'Ambafl'a-   l^s  prier  de  veiller  fur  cette  affaire,  &  ne  paslaiffer  périr  le 
deurefi:  parmi   bon  droit  par  l'iiicapacité  ou  la  prévention  des  Juges,  com- 
"      '  me  il  fcroit  arrivé  à  Utrecht  fans  fon  intervention.   M.  Def. 

cartes  jugeant  que  Schoockius  fa  partie  &  Voetius  qui  fe 
faifoit  fblliciteur  pour  luy  ne  s'eiidormiroient   pas  pendant 
Cette  lettre     fon  voyage  de  France ,  &  tâcheroient  de  prc  fîter  de  fon  ab- 
cft^Lât.&Fr.  ^gj^ce,  avoir  écrit  le  27  de  May  à  un  Profeflèur  de  Gronin- 
2;ue  nommé  le  fieur  Tobie  d'André:,  qu'il  n'avoit  vu  qu'une 
feule  fois  de  ià  vie,  mais  en  qui  il  avoit  remarqué  allez  de 
\.  ^.  bonne 


Livre   VII.    Chapitre   IV.  251 

bonne  volonté  pour  le  fervir.  Il  avoir  prié  ce  ProfefTèur  de     1644. 

luy  donner  avis  de  tout  ce  qui  fè  paileroit  par  Paddrcfîe  de   — 

M.  de  Hooghlandt  fbn  correipondant  à  Leyde  pendant  qu'il 
fèroit  hors  des  Provinces  unies. 

A  fon  retour  de  France  il  trouva  cette  affaire  arrêtée  flir 
le  même  degré  où  il  l'avoit  mifè  avant  fbn  départ  :  &  l'in- 
difFérence  qu'il  avoir  pour  fa  pourfùite  le  fit  fonger  à  toute 
autre  cnofê  pendant  les  mois  de  Décembre  6c  de  Janvier 
1645,  regardant  fesdeux  procez  d'Utrecht  &  de  Groningue 
comme  deux  pan  les  d'échecs  ,  dont  le  gain  ou  la  perte  n^étoit   ^.^"'^-  ^^-  * 
pas  capable  de  le  toucher  ny  de  le  rendre  plus  ou  moins   (i>Avrii  1^4^, 
heureux  qu'il  n'étoit.    Néanmoins  l'envie  de  n'avoir  plus 
d'autres  afïliires  que  fès  études,  le  fît  fouvenir  d'en  deman- 
der des  nouvelles  au  fîeur  Tobie  d'André,  qui  ne  luy  avoir 
donné  avis  de  rien  depuis  prés  de  neuf  mois  qu'il  luy  avoir   Peut- être  par- 
écrir  pour  fe  faire  informer  de  routes  chofès.    Sur  la  lettre   "un^de'sTue,c&. 
qu'il  luy  en  écrivit  le  vu  de  Février,  les  juges  citèrent 
SchoockiuSj  &  firent  les  procédures  néceffaires  avec  toute 
la  diligence  &  toute  l'attention  pofîîble.    Plufieurs  d'entre 
eux  avoient  lus  les  livres  de  M.  Defcartes  ,  de  forte  qu'il 
n'étoit  pas  poflîbie  aux  calomniateurs  de  leur  impofer  ou  de 
les  furprendre  comme  les  Magiflrats  d'Urrechr  rouchanr  les 
dogmes  d'arhéifme  &  de  fédirion  qu'ils  impuroienr  à  M. 
Defcartes.  Après  avoir  donc  examiné  le  procez  avec  toute   ,^^  ^^"^  ^^ 

I  exactitude  6c  toute  1  intégrité  qui  leur  avoit  ete  recomman-  cicur  étoitaux 
dée  par  les  Etats  de  la  province  à  la  prière  de  l'Ambafladeur   Etats  de  la 
de  France,  ils  rendirent  leur  fèntence  le  xiour  d'Avril  con-  P'^o^"^"''^ 

j  non  âux  ivlâ— 

tre  Schoockius  leur  collègue  en  fiveur  de  M.  Defcartes.  gjftratsde  la 

II  efl  bon  d'en  donner  icy  la  copie  en  nôtre  langue  ,  pour  viiie> 
fàtisfaire  la  curiofité  de  ceux  qui  aiment  les  aétes  publics. 

Sentence  rendue  dans  le  Sénat  Académique  far  l'TJniverjiié  de 
Groningue  ^  des  Oommelandes  en  la  caufc  de  Meffîre  René  Def- 
cartes Seiyfieur  du  PerroUyContre  Maître  M.artin  Schooik  Profep 
feur  en  Liditc  'Vniverfté. 


U  dans  le  Sénat  Académique  les  lettres,  de  Mefîire  c<  Nobiiiffî- 
René  Defcartes  du  xvii  de  Février,  dû  il  réitère  fes   et  ÎTi^Ocfcar 


Y     René  Defcartes  du  xvii  de  Février,  dû  il  réitère  fes   et  ÎTi^Ocfcar- 
plamtes  contre  Maître  Martin  Schoock  Profeiîèur  en  Phi-  «  ces. 

Il  i)    *  lofophie. 


fïiinum 


151  La   Vie  de    M.    Descartes. 

ï  6  4  5.  "  lofopîiie  dans  cette  Univerfité ,  Icfquelles  ont  été  portées 

"fckrinf-     '*  aux  trés-illuftres  &  trës-puiflans  feigneurs  les  Etats  de  cette 

main  Do-  „  province  pat  Ion  Excellence  Monfeigneur  de  la  Thuillerie 

^'^^''>y  Anibafladeur  du  Roy  trés-chrêrien  ,  6c  où  ledit  (leur  DeC 

•»5  cartes  demande  réparation  des  calomnies  6c  des  injures  a-  > 

î3  troces  à  luy  faites  par  Maître  Martin  Schoockius  dans  le  I 

•Jï  libelle  qu'il  a  publie  fous  le  titre  de  Philo fophia  Cartefiana  ,  M 

•5  &:  qu'il  a  reconnu  pour  Ton  ouvrage  afin  de  faire  plùfir  au  ^ 

\->  fieur  Voetius  fon  ami ,  comme  il  efl:  plus  amplement  porté 

53  dans  la  Requête  que  ledit  iîeur  Defcartes  a  préièntée  à  fa^ 

5>  dite  Excellence  Monfeigneur  l'Ambafladeur,  dont  copie  a 

55  été  repréfentée  &  lue  dans  ce  Sénat,  d'une  part.    Et  oiiy 

5î  de  l'autre ,  Maître  Martin  Schoock,  qui  a  non  feulement 

îî  coïifenti ,  mais  demandé  que  cette  affaire  fut  terminée  dans 

5>  cette  Univerfité  ,  perfuadé  que  Meffieurs  les  Curateurs  le 

M  trouveroient  bon.   Après  avoir  examiné  tout  ce  qu'il  a  dit, 

«  produit  &;  rapporté  de  vive  voix  &;  par  écrit  pour  fa  jufti, 

5>  iication  Ôc  (qs  défenfes.  Le  Sénat  Académique  auroit  mieux 

îî  aimé  n'avoir  point  eu  connoiiîance  de  cette  caufè  ^  ne  pou- 

>5  vant  voir  qu'avec  peine  que  deux  fçavans  hommes  foienc 

î5  tombez  dans  de  telles  conteftations ,  quoique  la  Philofophie 

»  dont  ils  font  profeffion  dût  leur  infpirer  des  fentimens  tout 

>3  contraires  :  &  qui  plus  efl,  auroit  fouhaitté  que  ledit  Schoock 

5)  ne  fe  fut  pas  mêlé  d'écrire  ce  libelle ,  &  eût  laifTé  vaider  à 

V3  Meffieurs  d'Utrecht  un  démêlé  qui  les  regardoit^  6c  où  il 

j)  ne  devoit  prendre  aucune  part.  D'autant  plus  qu'on  n'étoit 

>5  pas  encore  aflèz  informé  pour  lors  des  fentim.ens  diidit  fîeur 

53  Defcartes  touchant  la  Philofophie  j  qu'il  n'efl:  pas  honnête 

«  de  méprifer  &;  de  rejetter  avec  injures  ce  que  les  grands 

»  hommes  tAchent  d'inventer  pour  rémbellifTement  &  la  per- 

»  fedion  des  fciences  ^  6c  qu'enfin  ce  n'a  point  été  jufqu'icy 

53  l'inclination  ny  la  coutume  de  nôtre  Univerfité  de  fè  mêler 

î3  àQS  difFerens  d*autruy.    Néanmoins  pour  tâcher  de  réta^ 

>3  blir  la  paix  6c  l'union  entre  les  S<^avans ,  ^  pour  faire  droit 

33  fur  les  plaintes  dudit  fieur  Defcartes  ,  vu  principalement 

5î  qu'on  ne  peut  prouver  par  de  bonnes  confequences  tirées 

vi  de  fès  Ecrits,  qu'il  enfeigne  les  maximes  d'une  nouvelle  Sec- 

33  te  qu'on  luy  impute,  ny  Pathéifine ,  ny  aucun  àQs  autres 

î*  crimes  dont  ii  efl  chargé  dans  le  Hbelle  dudit  Schoockius. 

Le 


LivRK    VU.    Chapitre    IV.  155 

Le  Sénat  Académique  a  prononcé  ôc  jugé  que  ledit  fieur  c<    1^45. 

Defcartes  de  voit  fe  contenter  des  proteftations  &  déclara-  <c 

tions  volontaires  dudit  fleur  Schoock ,  &  acquiefcer  à  la  diC  « 

pofition  où  il  eft  de  les  confirmer  par  ferment.  Ces  protefl  ce 

cations  .dudit  fieur  Schoock  font.  <c 

I.  Que  ce  n'a  point  été  entièrement  de  fon  propre  mou-  « 

vement  qu'il  a  écrit  contre  le  iîeur  Defcartes,  dont  il  n'a-  «< 

voit  jamais  été  ofFenfë  perfonnellement  :  mais  qu'il  y  a  été  et 

poufle  principalement  &  animé  par  le  Dodeur  Voetiui ,  « 

t^ui  avoit  feul  intérêt  qu'on  réfutât  ce  qui  le  regarde  dans  la  « 

lettre  dudit  fieur  Defcartes  au  P.  Dinet,  Se  qui  luy  a  four-  «t 

ni  pour  cet  effet  beaucoup  de  faits  perfonnels,  &  entre  au-  «« 

très,  ce  qui  regardoit  l'athëifine  prétendu  dudit  fieur  Def-  « 

cartes ,  éc  le  long  Se  odieux  parallèle  qu'il  en  a  fait  avec  «< 

Vanin.  « 

I  I.  Que  le  libelle  intitulé  Philofophia  Carte  fiana  qu'il  avoit  «  ^^^f^^li 

compofé  pour  la  plus  grande  partie  à  Utrecht,  où  il  l'avoit  <»  theàns. 

lailîe  pour  y  être  imprimé ,  étoit  ibrti  de  la  preile  autrement  c< 

qu'il  ne  l'avoit  écrit  :  mais  que  contre  tout  droit  &  raifbn  « 

on  y  avoit  ajouté  lans  fà  participation  la  plupart  des  cho-  «c 

lès  <\m  font  \qs  plus  injurieufes  &  les  plus  énormes,  qu'il  ne  « 

pouvoir  pourtant  pas  Ipécifier  ,  parce  que  ceux  qui  avoient  <c 

fait  ces  additions  avoient  eu  tant  de  foin  d'en  fiipprimer  les  ce 

minutes,  qu'il  luy  avoit  été  impoffible  de  les  recouvrer.   Et  c« 

même  que  contre  fa  déiênlè  exprelle  ils  avoient  exprimé  fbn  «< 

nom  dans  le  livre  ou  dans  la  préface,  afin  de  faire  plus  fîx-  et 

rement  retomber  fur  luy  tout  ce  qu'ils  y  avoient  inféré  de  «t 

plus  odieux,  &  dont  ils  étoientles  iêujs  coupables.  <« 

I  I  L    Qu'il  ne  peut  pas  dire  bien  pofitivement  qui  eft  ci  sous  p.é. 

le  fcélérat  qui  s'efl  donné  la  licence  de  faire  ces   chan-  <i  texte  qu'il 

gemens  dans  fbn  livre  :  mais  qu'il  en  avoit  laiiFé  le  foin  de  «  voeau?.^"^ 

rimpreflîon  à  un  certain  étudiant  nommé  Lambert  vanden  <t 

j'Waeterlaet  *  ,  qui  étoit  de  tous  les  confeils  du  fieur  Voetius  <i  *  c'cft  le 

6c  fon  confident,  &  qui  depuis  fon  retour  à  Groningue  l'a-  «  fut^^J!  t'" 

voit  importuné  prefque  toutes  les  femaines  pour  exiger  de  ci  de  vcetiu«:, 

luy  ce  qui  reftoit  du  livre.  Et  il  ne  le  demandoit  pas  feule-  *'  ^  '^  prétr n. 

ment  en  fon  nom,  mais  comme  il  l*a  toujours  déclaré  luy-  .et  ^  p^rodro- 

même  au  nom  de  Voetius,  qui  luy  avoit  envoyé  enfuite  par  «  mus  dont 

ce  même  "Waeceriaet  la  copie  du  témoienasre  dont  il  fera  «♦  "°"^  *^°"* 

Il  uj     *  parle 


254  L-^    Vie  de  M.  Des  cartes. 

,1645.  )5    parle  Gv-apres.  De  forte  qu'il  avoit  jufte  raifon  de  foupçoiîl 
'  "   ncr  ledit  fîcur  Voetius  d'avoir  autant  cantribué  à  toute  l'e- 
»   dition  du  libelle  que  (on  difciple  Waeterlaet,qui  avouoit  qu'il 
»    n'en  avoit  jamais  vu  une  feule  page. 

"        IV.  Qu^'il  reconnoît  que  Touvrage  qu'on  luy  attribue  ,  de 

»    la  manière  qu'on  l'a  mis  au  jour,efl:  écrit  avec  trop  d'aigreur  Sc 

"    de  malignité  :  &  qu'il  avoit  une  grande  averfîon  pour  ce  gen- 

"    re  d'ëcrire;,qui  étoit  véritablement  fort  différent  du  fîenj&qui 

»    ne  convenoit  nullement  à  un  honnête  homme  ny  à  un  vray  fça- 

>5   vant. Qu'il  ne  prétend  en  aucim  fens  que  le  lieur  Defcartes  fut 

>3   directement  ou  indirectement  Athée ,  ny  aucunement  fèm- 

»    blable  au  fugitif  Caïn  ou  à  l'impie  Vanin  ,  ou  qu'il  eût  ja- 

>3    mais  rien  dit,  fait  ou  écrit  qui  méritât  la  moindre  des  ca- 

53    lomnies  ou  les  reproches  horribles  qui  luy  étoient  faits  dans 

>3    ce  libelle.   Mais  qu'au  contraire  il  le  tenoit  pour  un  homme 

"    de  probité  &:  d'honneur ,  &:  pour  un  fçavant  perfonnage  :  ne 

»    prétendant  nullement  qu'il  fallût  prendre  à  la  lettre  ou  com- 

»3    me  véritable  ce  qu'il  avoit  dit  des  maximes  ou  loix  de  Sec- 

"    te  qu'il  avoit  attribuées  audit  fîeur  Defcartes  &  à  fe&  difci- 

»>    pies,  puis  qu'il  n'àvoit  jamais  fçû  fî  ledit  fîeur  ou  {qs  diici- 

"    pies  avoient  di6té  ou  inventé  de  telles  maximes. 

«        V.  Q^efbn  intention  n'a  voit  jamais  été  d'excufer  Voetius 

>3   touchant  l'impreffion  de  fon  premier  livre,  ny  même  de  fe 

«    l'attribuer  comme  s'il  en  eût  été  le  véritable  ou  l'^unique 

»    auteur:  puis  qu'au  contraire  il  avoit  dit  en  termes  généraux 

«    dans  fbn  fécond  Ecrit  qu'on  avoit  inféré  beaucoup  de  cho- 

«    fes  dans  le  premier  qui  n'étoientpas  de  luy.  Q^e  ce  fécond 

-»5    Ecrit  qu'il  auroit  volontiers  avoiié  pour  fîen  avoit  été  com- 

»5    mencé  à  Utrecht  :  mais  qu'à  fbn  grand  regret  il  y  avoit  été^ 

yy  fupprimé ,  &  que  cela  luy  avoit  donné  lieu  de  rompre  pref^ 

1-i    que  entièrement  avec  le  fîeur  Voetius. 

M         VI.  Que  lors  qu'il  étoit  à  Utrecht  dans  la  plus  grande 

i>    chaleur  des  dilFérens  furvenus  entre  le  fîeur  Defcartes  &  le 

»    fîjur  Voetius  ,  ayant  été  fbllicité  &  vaincu  par  les  importci- 

«   nitez  de  ceux  qui  crai2;noie'it  que  l'affaire  ne  tournât  autre- 

M    ment  qu'elle  n'a.fait,  il  s'étoit  déclaré  en  général  Auteur 

55    du  livre  pour  ce  qui  regardoit  l'ordre  des  fèctions  &  des 

îj   chapitî  es.    Mais  qu'il  avoit  fbuvent  fouhaité  l'être  juridi- 

.^3  quement  interrogé  touchant  les  particularitez  ,  afin  d'en 

/      -  pouvoir 


LivKE    VIL    Ghaî^itre     IV.         155 

pouvoir  décharger  faconfcicncc  par  fes  déclarations.  Qj^'e-   ce   164  ^. 
"tant  encore  à  Groningiie,  le  fleur  Voetiiis  luy  avoit  envoyé    «  ^» 

par  "W^acterlaet  le  projet  d*iin  témoignage  écrit  de  fà  main,  ce 
(  &  dépt  fe  dans  le  Sénat)  pour  le  figner  dans  les  formes,  ce 
Ce  qu'il  avoit  refufé  défaire  pour  ne  pas  bleflér  fâ  confcien-  ce 
ce,  ne  voulant  pas  pour  l'amour  de  luy  rendre  un  faux  té-  « 
j"noiG:nage.  Mais  que  le  fieur  Voetius  luy  en  avoit  envoyé  c< 
depuis  un  autre  plus  conforme  à  la  Vérité  ,  qui  pour  cette  ce 
raifbn  ne  fervit  de  rien  à  l'afFaire  qu'on  traitoit  alors.  C'eft  ce 
pourquoy  le  S^  DematiusProfefleur  enThéoIogieàUtrecht  et 
amy  &  aflbcié  de  Voetius  dans  cette  affaire  l'avoit  encore  ce- 
extraordinairement  foUicité  de  retrancher  &  de  changer  ce 
beaucoup  de  chofes  dans  ce  dernier  témoignage  qui  avoit  et 
cté  préfenté  à  Meffieurs  les  Sénateurs.  c< 

Ce  qui  étant  ainfi  félon  la  déclaration  fincére  que  le  fieur   ce 
Schoockius.en  a  faite  avec  les  preuves  (uffifàntes  devant  le  ce 
Sénat  Académique,  ledit  Sénat  affemblé  légitimement  juge  et 
que  le  (leur  Départes  y  doit  acquiefcer,  &c  s'en  tenir  fàtis-   ce 
fait.  Qje  pour  plus  grande  fàtisfaétion  on  luy  envoyeroit  les   ce 
copies  êc  les  formules  du  témoignage  drefïe  par  le  fieur  Voe-   et 
tiusque  le  fieur  Schoockius  avoit  refufë  de  figner  ^  comme   c« 
aufîî  la  copie  du  billet  du  fieur  Dematius  ,  d'où  il  fera  évi-   et    CcBîiicc 
dent  &c  confiant  que  la  fimple  déclaration  qu'avoit  faite  le   et  ^^^^"'*" 
lieur  SchoocKius  n  ayant  ete  extorquée  qu  a  force  de  prières   et  veau  }  vol. 
&;  d'importunitez,  a  toujours  eu  fes  exceptions  &  fes  reflri-   et  «i"  leur.  p. 
clions  fous-entendu€S.  FaitàGroningue  dans  le  Sénat  ilca-   et  ^^* 
démique  de  TUniverfité,  le  x  d'Avril  1645.  ce 

Cette  Sentence  lue  &  relilë  en  plein  Sénat  en  préfence  ce 
du  fieur  Schoockius,  fut  approuvée  &  acceptée  par  luy  ce 
avec  témoignages  de  remercimens  pour  les  Juges..  ce 


CHAP, 


ié45. 


Lettr.  cîa  f 
May  i^4j'» 
UC. 

*  Deux  de  ces 
Curateurs  de 
rUnivcrfité 
àc  Grotringue 
fç.  Heinfius 
&  Nievcnius 
étoicnt  con- 
nus de  M. 
Defcartes. 

Avec  les  co- 
pies  du  faux 
témoignage 
de  Yonius, 


15^        La    Vie    de    M.    Descartes. 


CHAPITRE    V. 

Surprife  de  M.  Defcarus  de  fe  v-oirjugé  en  [on  ahfence  ^  ^  avOTti 
la  froàuïlion  de  fes  pièces:  ce  qu  il  prit  pour  un  effet  de  l'évi" 
dence  de  la  bonté  de  fa  caufe,  Jl  envoyé  les  aïies  du  jugement 
de  Groningue  aux  Magifirats  d'^trecht^qui  fe  contentent  de  dé" 
fendre  rimpreffïon  ^  le  débit  de  tmt  ce  qui  étoit  pour  ou  contre 
Defcartes.  Contrarvention  des  deux  Voetius  à  cette  défenfe.  Exa- 
men du  Tribunal  iniquum,  ou  du  libelle  diffamatoire  fait  par 
le  jeune  p^aetius  contre  la  Sentence  de  Groningue.  Voetius  le  père 
i élève  contre  les  Chanoines  réforme::^  d'^trccbt,  il  intente  un 
procexjontre  fon  difciple  Schoock ius y  pour  avoir  déclaré  la  yérité 
enjufiice,  Ùefcartes  efi  difpofé  à  fe  réconcilier  avec  Schootkius 
^  Voetius.  Jlfùt  un  Manifefte  hifiorique  ^  apologétique  de 
toute  fon  affaire  aux  Ma^rats  d'I^trecht, 

MR  Defcartes  ne  f^avoit  rien  de  tour  ce  qui  fe  paiîbit 
à  Groningue  touchant  fbn  affaire.  De  forte  que  trois 
fèmaines  après  U  Sentence  rendue  en  fa  faveur,  l'iaquiétude 
le  fit  écrire  fecrëtement  aii  (leur  Tobie  d'André  ,  pour  luy 
marquer  qu'ayant  conflitué  le  fils  de  M.  Camerarius  ou  De 
la  chambre  ,  pour  ion  Procureur  ou  fbn  Agent  en  fon  ab- 
fènce ,  il  n'avoit  pas  prétendu  le  charger  luy-même  du  foin 
de  fès  affaires.  Il  vouloit  feulement  fe  fèrvir  ou  du  jeune 
Camerarius,  ou  de  quelqu'un  de  Meffieursles  Curateurs*  ,, 
ou  de  toute  autre  perfonne  indifférente  pour  préfenter  au 
Sénat  Académique  les  lettres  qu'il  luy  addreiîbit  en  forme 
de  Requête ,  afin  de  prier  Iqs  Juges  de  ne  pas  fouffrir  que 
Schoockius»publiât  de  nouvelles  cilomnies,  dont  il  avoit  oùy 
dire  qu'il  avoit  rempîy  leFaclumou  l'Apologie  qu'il  vouloit 
imprimer  pour  fbutenir  les  vieilles.  Mais  fà  lettre  6c lès  inquié- 
tudes furent  inutiles  :  &  il  fut  furpris  d'apprendre  quelques 
jours  après  que  la  diligence  des  Juges  de  Groningue  Tavoit 
prévenu  de  vingt-cinq  jours  en  le  mettant  hors  de  procez. 

Meilleurs  de  Groningue  pour  toute  réponfe  luy  firent 
envoyer  la  copie  de  la  Sentence  :  6c  l'ayant  trouvée  toute 
à  fon  avantage ,  quoique  fort  indulgente  ^l'égard  de  Schooc- 

Kius 


ce 

c« 


Livre   VII.    Chapitre    V.  257 

kitts ,  il  récrivic  le  xxvr  de  May  au  fieur  Tobied'An-  ^^4  5- 
dré  po.ir  le  remercier  en  fon  particulier  de  Ces  bons  offices,  èc  """"—— 
pour  le  prier  de  préfènter  en  fbn  nom  les  trés-humbles  adions 
de  grâces  aux  Juges,  Voyant  qu'on  avoit  traité  fort  douce- 
ment fbn  adverfàire  quoique  puniflàble  de  la  peine  des  ca- 
lomniateurs, il  jugea  qu'il  luy  avoit  été  facile  de  profiter  de 
fà  négligence,  le  criminel  ayant  eu  tout  lieu  de  fe  juftifîer 
&  de  défendre  fà  caufe  en  l'abfencede  fbnaccufàteur  ^  &  de 
fléchir  des  Juges  qui  étoientfes  amis ,  fes  collègues  ,  Se  qu'il 
avoit  demandez  luy-méme  pour  connoîtredefàcaufè.  Maisii 
ne  laifTa  point  de  reconnoîrre  que  les  Juges  luy  avoient  don- 
né toute  ia  fatisfidion  qu'il  avoit  fbuhaitée  ,  èc  qu'il  pou- 
voit  légitimement  prétendre.  "  Car  ,  dit-il  aux  MagiArats 
d'Utrecht,  les  Particuliers  n'ont  aucun  droit  de  demander  le  c<  des  jè«r', 
iàng,ou  l'honneur,  ou  les  biens  de  leurs  ennemis.  C'eft  uP*^^. 
afïez  qu'on  les  mette  hors  d'intérêt  autant  qu'il  eft  pofîible 
aux  Juges.  Le  refte  ne  les  touche  point ,  mais  feulement  le 
public.  Or  le  principal  intérêt  de  M.  Defcartes  dans  toute 
cette  affaire  étoit  que  la  faufTeté  des  accufations  hiiQs  con- 
tre luy  par  le  Miniil:re  d'Utrecht  fut  découverte.  C'eft  pour- 
quoy  les  Juges  de  Groningue  n'avoient  pii  luy  refafer  les 
Ades  fèrvant  à  cet  efFwt,  après  que  Schoockius  les  leur  eue 
mis  entre  les  mains. 

M.  Defcartes  envoya  incontinent  ces  Actes  aux  Magiftrats 
d^Utrecht ,  fans  prétendre  néanmoins  leur  reprocher  leur     Avec  cmq 
mauvaife  conduite,  ou  fe  rendre  partie  contre  Voetius  ôc  ^^'"•^^Y^'^- 

^  dus  âti  i  crc 

Dematius,  mais  pour  voir  s'ils  feroient  quelques  démarches  Mnfenne. 
en  réparation  du  pafTé.  Leur  confufion  augmenta  fans  dou- 
te à  la  nouvelle  du  Jugement  renda  à  Groningue ,  mais  elle     î-ettr.  Mf.  à 
fe  tourna  en  une  mauvaife  honte  qui  ne  produifit  autrecho-  Jrf'dn^s' 
fe  qu'une  efpéce  de  mépris ,  avec  un  Ade  qu'ils  publièrent  juillet  1^45. 
peu  de  jours  après  pour  fè  délivrer  de  cet  embarras.  Ils  en 
envoyèrent  la  copie  à  M.  Defcartes,  6c  l'Ade  étoit  conclu 
en  ces  termes. 

De  la  Jufbice  de  la  ville  d'Utrecht.  Il  efl  defFendu  très-  « 
rigoureufement  à  tous  Imprimeurs  &  Libraires  dans  cette  « 
ville  &  franchife,  d'imprimer,  ou  fiire  imprimer^  de  ven-  « 
dre  ,  ou  faire  vendre  aucuns  hbelles  ,  ou  autres  ce  its ,  tels 
i^u'ils  puifTent^être,  pour  ou  contre  Defcartes  ,.  fous  correc- 

Kk    *        noa 


C6 


25S  La   Vie    de    M.  De  se  a  kt  es. 

I  (^  4  5.  >5  non  arbitraire.  Fait  le  xi  de  Juin  1645 ,  &  fîgné  C.  de  RU 

M.  Defcartes  ayant  reçi  cet  Acte  crut  que  les  Magiflrats 
vouloient  entiéreinent  alFoupir  l'affaire.    Mais  il  apprit  en 
même  têms  que  Voetius  defcfpcré  de  ce  qui  s'ëtoit  paiTé 
à  Groningue,  avoir  un  libelle  contre  luy  fous  la  prelTe.  C'é^ 
Tom.  3  des   toit  une  lettre  au  nom  de  SchoocKius  dont  il  faifoit  achever 
ktir,  pag.  18.   l'i:npreffion  contre  le  gré  de  l'auteur  qui  la  defavouoit ,  afin 
de  tâcher  de  nuire  à  SchoocKius ,  ^  de  publier  de  nouvelles 
calomnies  contre  M.  Defcartes.  Il  étoit  tellement  accoutu- 
mé à  régenter  la  Magiilrature  même  ,  &  à  brider  les  Dévots 
de  la  Réformation,  qu'il  n'avoit  rien  à  appréhender  de  leur 
part,  pourvu  qu'il  fè  fèrvît  du  prétexte  de  la  plus  grande 
2;loire  de  Dieu ,  où  de  la deftrudion  dç  l'Antechrift  Romain, 
Voyex  cy.de-   Il  venoit  CHCore  de  fignaler  fon  zélé  contre  les  Chanoines 
vanc  liv.  5,      rcformez  de  la  Ville ,  comparant  leurs  biens  Eccléfiaftiques 
touciat't^ceV    ^"^^^  ^^  larcin  d'Achan  ,  dont  il  efl  parlé  au  chap.  7  de 
Chanoines.      Jofué.    Lcs  Etats  de  la  province  avoient  été  obligez  de  s'en 
plaindre  aux  Magiftrats  de  la  Ville,  pour  faire  juftice  de  ce 
Lettr.  Mf.  de   pétulant  Prédicateur  :  8c  les  Minières  Tes  confrères ,  dont  il 
d'A^nd^eTiïé    ^v°^^  imploré  le  fecours  avec  promclîè  de  partager  la  dé^ 
vrier  1^45.      pouillc  avcc  cux,  étoicot  encore  aduellement  occupez  avec 
Et  tom.  3  des   luy  à  le  juftifier ,  &  à  prouver  que  les  Chanoines  étoient 
Jcttr.  impf ,      obli2;ez  çn  confcience  d'abandonner  leurs  revenus  aux  Mi~ 
niltres. 

Le  jeune  Voetius  marchant  d'un  pas  hardy  fur  les  traces 
de  fon  père  ne  s'accoûtumoit  pas  à  déférer  plus  que  luy  aux 
ordres  des  Magiftrats,  Malgré  leur  ordonnance  du  xidejuiii 
il  ne  laiffa  pas  de  faire  imprimer  divers  libelles  faits  indirede., 
ment  contre  M,  Defcartes ,  voulant  peut-être  prendre  droit 
fur  les  termes  de  la  défenfc  qui  u'exprimoient  que  les  Impri- 
meurs &  les  Libraires.  L'un  des  plus  infolens  de  ces  Ubeliesiuc 
celuy  qu'il  pubha  contre  Meffieurs  de  Groningue,  fous  le  ti^ 
tre  de  Tribunal  iniquum,  dans  lequel  il  le  donna  la  hcence  de 
déchirer  les  Juges  qui  avoient  terminé  Paffaire  de  SchoocKius 
fans  que  les  Magiftrats  d'Utrecht  ayent  fait  connoître  qu'ils 
s'en  miffent  en  peine. 

M.  Defcartes  ne  fut  pas  auiîî  indifférent  qu'eux  à  défen- 
dre rhonneur  de  iès  Juges  j  ^  il  prit  la  liberté  de  leur  faire 

une 


Livre  VII.  Chapitre  V,  159 

une  îc^ére  remontrance  fur  leurs  devoirs,  en  fè contentant      i  <j  4  f. 

de  réfuter  quelques-uns  des  principaux  points  du  Tribunal • 

iràquum  du  Calomniateur.  Leicune  Voetiusfeicrnantdcvou-       v.iaitrtr. 
loir  prouver  l'injuftice^c  la  nullité  dr.  r  il  accufoit  la  {ènten-  ^  VoW'And 
cède  Groningue  ,  rcprochoit  d'abord  l'incompétance  aux  du  ks  juiikc 
Juges.  Mais  la  caufe  de  M,  Dcfcartes  avo^t  été  addreflee  par  '^^'^^• 
rAmbafîadeur  de  France  aux  Etats  de  la  province  de  Gro-  P^g.  t7(iuîc' 
ningue,  où  étoit  le  Profelîeur  Schoock  dont  il  fe  plaignoit:  tom.deslctir. 
&elle  avoit  été  décidée  par  les  autres  ProfeOèurs,  qui  félon 
les  privilèges  de  leur  Univerfité  étoient  les  îu^cs  légitimes 
de  SchoocK  j  outre  que  leur  jugement  avoitete  revu,  exami- 
né ,  &  confirmé  par  les  Curateurs  de  la  méma  Univerfitéj 
qui  étoient  membres  àç.s  Etats  de  la  province.  Un  autre  re-  r.       „  % 
proche  du  jeune  Voetius  etoit  que  ion  père  n  etoitpas  de  la  j  tom, 
jurifdidion  de  Meffieurs  de  Groningue,  qu'on  ne  l'avoit  pas 
cité ,  qu'on  n'avoit  pas  debatu  la  caufè  avec  luy.    Reproche 
d'autant  plus  déraifbnnable,queron  père  n'étoit  ny  deman- 
deur ny  défendeur  dans  cette  affaire.  Auffi  n'avoit-on  rien 
jugé  contre  luy:  on  avoit  feulement  reçu  les  dépofîtions  de 
Schoock  comme  on  fiit  dans  tous  les  procez  criminels  lorfl 
que  ces  dépofîtions  peuvent  fcrvir  pour  excufer  le  crime  de 
celuy  qui  efl  accufe.   Le  jeune  Voetius  fè  plaignoit  encore  Page  i^: 
que  le  procez  n'eût  pas  duré  afïèz  long-têms  à  fon  gré  •  que 
M.  Defcartes  n'eût  agi  que  par  une  lettre  ,  fans  avoir  pris 
Avocat  ny  Procureur  ^  &  enfin,  qu'on  n'eût  pas  ufé  de  toutes 
les  formalitez  que  la  chicane  a  inventées  pour  rendre  les 

f)rocez  immortels.  Mais  ces  formalitez  ne  font  requifès  que 
orfque  le  droit  efl  douteux.  C'efl  l'ordinaire  dans  toutes  les 
Cours  de  Juflice  que  lors  qu*une  des  parties  a  fî  mauvais 
droit  qu'on  void  par  fbn  propre  plaidoyé  qu^elIe  doit  perdre 
ïdi  caufè,  on  ne  prend  pas  la  peine  d'oiiir  les  répliques  de 
Tautre.  Ainfion  avoit  donné  à  ScIioock  autant  de  ioifir  qu*il 
en  avoit  fbuhaité  pour  confulter  fbn  affaire,  &  pour  la  dé--  -= 
fendre  :  il  ne  fè  plaignoit  point  qu'on  lay  eût  fait  aucun  tort 
en  cela  :  il  n'avoit  point  lieu  de  dire  ,  que  l'éloquence  des 
Avocats  de  M.  Defcartes ,  ou  la  fubtilité  de  fes  Procureurs, 
eût  fiirpris  fes  Juges  :  la  feule  évi  ience  du  bon  droit  de  M. 
Defcartes  avoit  plaidé  pour  kiy,  fars  s'être  vu  obligé  d'em- 
ployer d'autres  moyens.  Mais  la  niédifànce  commune  des 

Kk  ij    *        EmifTau-cs 


2^0  La  Vie  DE  M.   Descautfs. 

I  <î  4  5.     Emillaires  de  Vcetias  publioic  deux  chofès  qui  auroient  pu 

=• — ~  donner  atteinte  à  la  validité  de  la  Sentence ,  fî  elles  avoienc 

été  prouvées^  &  qui  n'auroient  pas  manqué  d'être  alléguées 
par  le  jeune  Voetius  r;ns  le  Tribunal iniquum  fi  elles  avoient 
eu  quelque  apparence.  La  première,  que  le  fieur  Defmarêts 
Profeireur  en  Théologie  â  Groningue,  quiavoit  préfîdé  à 
ce  j'jgemenr,  étoit  devenu  l'ennemyde  Voetius  depuis  l'af- 
Eiire  de  la  confrairie  de  Nôtre-Dame  de  Bofleduc  que  nous 
avons  rapportée  ^   6c  qu'il  étoit  récufable  dans  l'efprit  de 
ceux  qui  le  croyoient  capable  de  relîentiment  &:  de  ven- 
geance. La  féconde,  que  Schoockius  étoit  irrité  contre  Voe- 
Lcttr.  Mf. de  tius,lbr  ce  v]u'il  avoit  refuie  de  le  recommander  pour  la 
?And^7u°?^.  chaire  de  Théologie  à  Utrecht  vacante  dés  Pan   i  64 4,par 
jtiiiicc  1^45.    la  mort  de  Mainard  Schotanus  ^  &  qu'on  pouvoit  le  ibup- 
conner  d'avoir  voulu  le  vanger  dans  lès  déportions.  Maison 
Içavoit  allez  que  Schoockius  étoit  déjà  tout  difpofé  à  décla- 
rer toutes  choies  avant  qu'on  eût  donné  la  chaire  de  Théo- 
logie à  perfonne  ,  &;  qu'il  en  avoit  écrit  à  M.  Defcartes.  A 
l'égard  de  M.  Defmarêts, M.  Defcartes  avoit  affecté  de  ne  luy 
^  point  recommander  fon  affaire ,  craignant  de  donner  lieu  de 

le  foupçonner  d'avoir  voulu  tirer  avantage  de  leur  amitié, 
&:  du  refroidiffement  de  celle  de  Voetius  avec  Defmarêts 
depuis  l'affaire  de  Bofleduc. 

Tandis  que  le  vieux  Voetius  occupoit  la  plume  de  fbnfîls 
pour  fe  vanger  de  Meflîeurs  de  Groningue ,  il  concerta  en- 
core avec  Dematius  Ion  collègue  les  moyens  de  punir  l'in- 
gratitude de  Ion difciple  Schoockius.  C'efb  ainlî  qu'il  traitoic 
l'obligation  qu'avoit  eue  celuy-cy  de  préférer  la  vérité  au 
menlbnge  devant  le  tribunal  de  t(i^  Jî-iges.  Mais  parcequ'il 
V.  saiacnus  n'étoit  pIus  Ibus  la  férule,  ils  luy  intentèrent  un  procezd'in- 
<^  i»  F-  3iv  jm-^^s  ^  comme  s'il  les  avoit  calomniez  ,  Ibus  prétexte  de  ne 
vouloir  pas  fe  rendre  ablblument  l'efclave  de  leur  palfion. 
Schoockius  fut  donc  appelle  enjuftice  à  Utrecht,  où  il  fut 
aifé  à  ceux  qui  de  les  protecteurs  étoient  devenus  {q^  adver- 
faires  de  l'opprimer,  parcequ'il  n'y  avoit  jamais  eu  d'autre 
crédit  que  le  leur  dans  le  têms  qu'il  étoit  leur  complice,  êc 
que  tout  ce  qu'il  pouvoit  avoir  d'induftrie  étoit  beaucoup 
Tom.  3  des  au-deffous  de  leurs  intrigues.     Le  procez  ne  lailla  point  d'ê- 
&"i«  ^'  ^^     tre  dcbatu  au  commencement  i^vec  alFez  d'ardeur  de  parc 


Livre  VIT.  Chapitre    V.  z6i: 

&c  d'antre.  Voetius  fît  même  publier  par  avance  qu'il  Ta,, 
voit  déjà  gagné ,  quoy  qu'il  n'eût  encore  que  l'cfpér?ncc 
que  luy  donnoit  fbn  crédit.  Mais  Schoockius  avec  toute  fa 
foiblefîe  ne  put  paroître  aux  Juges  aulîî  coupable  que  Voe- 
tius Tauroit  fôuhaité.  De  forte  que  le  procez  ne  tournant 
pas  trop  à  l'avantage  de  Voetius  fur  fa  fin  ,  fut  arrêté  tout 
d'un  coup  lors  qu'il  étoit  prefque  en  état  d'être  jugé.  Ils 
ceflerent  l'un  &  l'autre  de  le  pouriuivre,  après  s'être  réci- 
proquement menacez  qu'ils  découvriroient  les  fècrets  l'un 
de  l'autre  :  dc  la  crainte  qu'on  ne  connût  ces  myftéres  les 
obligea  de  fe  rallier,  quoy  qu'il  n'ait  point  paru  qu'ils  fè 
foient  pardonné  férieufement  l'un  à  l'autre  dans  la  fuite  des 
têms. 

Il  n'en  étoit  pas  de  même  des  difpofitions  de  M.  Defcar- 
tes  à  leur  égard.  La  tempête  finie,  il  ne  fit  aucune  difficulté 
de  découvrir  fon  cœur.  Il  fut  afièz  généreux  pour  vouloir 
prévenir  ceux  à  qui  il  appartenoit  de  faire  les  premières  dé^ 
marches  de  la  réconciliation, fans  exiger  d'eux  aucune  fatisfac- 
tion  particulière  3  fe  contentant  de  celle  qui  luy  avoit  été 
rendue  par  l'autorité  publique  des  Juges.  Voicy  ce  qu'il  en 
écrivit  au  fîeur  Tobie  d'André.  »  De  quelque  naturel  que 
foit  Schoockius ,  je  fliis  tout  à  fait  perfuadé  que  vous  ne  de- 
fapprouverez  pas  que  j'offre  de  merèconciher  avec  luy.  Il 
n'y  a  rien  de  plus  doux  dans  la  vie  que  la  paix  :  &  il  faut  fè 
fouvenir  que  la  haine  du  plus  petit  animal,  ne  fùt-il  qu'u- 
ne fourmi,  efl  capable  de  nuire  quelquefois  ,  mais  qu'elle 
ne  fçauroit  être  utile  à  rien.  Je  ne  refaferois  pas  même  l'a- 
mitié de  Voetius,  fî  je  croyois  qu'il  me  l'offrît  de  bonne 
foy. 

Voetius  &;  fbn  fils  raifbnnoient  autrement  à  fon  fujet.  Ils 
continuèrent  leurs  mauvaifès  pratiques  avec  tout  le  coura- 
ge 6c  toute  la  perfévèrance  qu'on  puifTe  fuppofèr  dans  des 
ennemis  irrèconciUables.  Ils  fe  vantèrent  comme  aupara- 
vant d'avoir  obtenu  une  Sentence  des  Magiflrats  d'Utrecht 
contre  luy  ,  àc  de  garder  encore  une  Adion  contre  luy  dont 
ils  pourroient  fe  fervir  en  fon  têms.  C'efl  ce  qui  porta  M. 
Defcartes  à  drefler  un  Manifefte  Apologétique  pour  les  Ma- 
giflrats d'Utrecht,  afin  de  pouvoir  enfevelir  une  bonne  fois 
route  cette  afKiire,  de  de  la  bannir  abfolument  de  fà  mè- 

Kk  iij   *  moire 


I  ^4  y. 


Item  pag.  31. 
ibid. 


Lettre  Mf« 
à  Tob. 
d'André 
du  lé. 
May  liiS* 


C'eft  h  pre- 
mière pièce 
du  3  voiume 
des  lettres  Je 
Defcartes. 


i6i  La   Vie    de    M.  Des  cartes. 

1^45.      moire  s'il  etoit  pofîible.    Il  leur  fît  ui  abrégé  hiftorique  & 

^      raiibiinë  de  ce  qui  s'ëcoit  pailc  dans  leur  ville  depuis  l'an 

1659  touchant  fa  Pliilofophie  &  fa  Perfbnne.  Il  leur  expofà 
toute  la  juftice  de  fa  caufe  ôc  rinjuftice  de  fes  ennemis ,  pour 
les  porter  à  luy  faire  raifon  du  tort  qu'ils  avoient  fait  à  fà 
réputation  par  la  faveur  qu'ils  avoient  donnée  à  Voetius. 


CHAPITRE     VL 

M.ivei  quoique  Carte  fie  n^  n  entend  pas  les  livres  de  M.  Defcar^ 
tes.  Il  excite  M.  Gaffcndi  à  écrire  contre  fes  Principes.  Àf^ 
Gaffendi  s'en  excufe  ^  fe  contente  de  dire  quelques  injures  à 
iVf.  Defccirtes.  Les  Jéfuite s  %  témoignent  vouloir  fe  ranger  du. 
far  à  de  M.  Defcartes.  Différence  de  la  conduite  du  P.  Bour-. 
din  d'avec  celle  de  M.  Gaffendi  à,  regard  de  M.  Defeartes. 
Le  P.  Mefland  va  aux  Mi.fJîons  de  l'Amérique.  Sentimens 
de  M.  Defcartes  fur  cette  réfolution.  Thé  fes  Carte fiennes  fou-^ 
tenues  à  Leyde.  De  ceux  qui  paffentpour  les  premiers  Poètes 
Cartéfiens.  Heereboord profeffe  la  Philo fophie  Canéfiennek  Lcy^ 
de.  M.  Regius  commence  a  s  écarter  de  la  doctrine  de  fon  Maître  y 
^  veut  devenir  Auteur  d^  une  Philo  fophie  particulière,  il/.  Def^ 
cartes  luy  fait  de  vaines  remontrances  fur  fes  erreurs.  Regius 
fe  révolte^  forme  fon  fchifme  contre  fon  Maître  ^Q'  luy  frit  in- 
fuite  dans  une  lettre.  Ingratitude  c^  infolence  avec  laquelle  il 
traite  M.  Defcartes  ^  dont  il  fefit  Plagiaire  après  fa  mort. 

CEpendant  la  publication  des  Principes  de  la  PKilofb- 
phie  de  M,  Defcartes  commençoit  à  produire  (qs  ef- 
fets ,  mais  d'une  manière  conforme  à  la  difpofîition  différen- 
te où  les  efprits  fè  trou  voient  à  l'égard  du  Philoibphe.  Tout 
le  monde  fe  picquoit  de  vouloir  lire  fbn  livre:  mais  tout  le 
monde  n'etoit  pas  aulFi  fincére  que  M.  Rivet  fur  rintelligen- 
€e  qu'on  en  avoit.  Cet  homme  faifoit  profefTion  d'être  ami 
de  M.  Defcartes  •  il  avoit  pris  fbn  parti  contre  Voetius  Çox\ 
confrère  dans  l'affaire  o'Utrecht  ^  il  s'étoit  joint  à  M,  de 
Zuytlichem  ôc  à  M.  Pollot  pour  Ty  fèrvir  ^  &  il  ne  faifbit 
point  difficulté  de  fe  déclarer  feâ:at_^ur  de  fa  Philolbphie  ,, 
pour  imiter  piufleurs  Cartéfiens  avec  lef(juels  il  avoit  à  vi- 
vre. 


LivKE   VIL    Chapitre   VI.  iS^ 

vre.  Mais  quoy  qu'il  file  au  rang  des  Scavans  &;  d^s  bons  ef-      164.^ 

prits  du  (îëclc  ^  quoy  qu'il  eut  ëcc  long-tcms  Profeiîeur  dans   — ____^ 

rUniverfité  de  Leyde ,  Mmiftre  de  l'Eglife  Françoife  ,  6c 

qu'il  fut  encore  aduellement  Confciller  de  Théologien  du 

Prince  d'Orange  à  la  Haye,  cela  ne  Tempecha  pas  d'avouer 

humblement  qu'il  ne  comprenoit  rien  dans  les  principes  & 

les  raifbnnemens  de  M.  Defcartes.    Il  étoit  trop  tard  à  un 

vieillard  de  73  ans  de  vie,  occupé  du  fpirituel  de  toute  une 

Cour  ,  de  vouloir  le  remettre  à  l'étude  de  la  Philofophie  , 

èc  de  jetter  de  nouveaux  fondemens.    M.  de  Sorbiére  qui 

luy  rendoit  quelquefois  viiite  furvint  alfez  à  propos  lors  qu'il 

en  étoit  à  la  ledure  de  ces  Principes,  non  pas  pour  luy  en 

donner  l'intelligence  ,  mais  pojr  l'en  délivrer  par  les  diC 

cours,  &par  un  préient  qu'il  luy  fît  aux  étreines  de   l'an 

1645  du  traité  que  M.  GalFendi  avoit  fait  contre  les  Médi-  Epift.  adcaf. 

tations  de  M.  Defcartes.  M.  Rivet  le  recrût  comme  un  gage  de  ^^"'^-  ^°'°-  ^* 

l'amitié  de  M.  GafTendi,  à  qui  il  crut  pouvoir  faire  fa  cour  aux  485/     ^' 

dépens  &  à  rinf(^û  de  M.  Defcartes,  avec  lequel  il  n'avoit 

pas  de  liaifbn  immédiate.   Il  manda  donc  dés  le  lendemain 

à  M.  Gailéndi  après  les  remercimens  qu'il  luy  faifoit  de  fou 

beau  préfent,  que  le  Public  n'attendoit  rien  moins  de  luy 

contre  les  Principes  de  M.  Defcartes  ,  que  ce  qu'il  avoit 

donné  contre  fes  Méditations,  Le  fîeur  Bornius  d'Utrecht 

avoit  déjà  fait  les  mômes  foUicitations  à  M.  GafTendi  dés   Pajr.  4S0. 

qu'il  eût  vu  fbrtir  ces  Principes  de  la  prefle  d'Elzevier  j  èc  ^P'^-  Henr, 

elles  avoientété  fuivies  de  celles  de  plufieurs  autres  perfon-  f}°l^'^^^ 

nés, qui  croyoicnt  que  ce  feroit  une  chofe  curieufe  &  utile 

de  voir  aux  mains  les  deux  premiers  Philofophes  du  fié- 

£le. 

M.  GafTendi  s'en  excufa  principalement  à  M.  Rivet ;,  ftir 
la  crainte  qu'il  avoit  de  renouveller  une  playe  qu'il  croyoit 
fermée,  ne  jugeant  pas  qu'il  fut  honnête  d'aller  attaquer  de 
gayeté  de  cœur  un  homme  qui  le  laifTbit  joiiir  de  fbn  re- 
pos, &  qui  s'étoit  abftenu  d'inférer  dans  fbn  dernier  livre  ce 
qu'il  avoit  promis  d'y  mettre  contre  {es  Infiances.  Après  ce 
qui  s'étoit  pafTé  entre  eux ,  M.  Gafîendi  croyoit  qu'il  ne  lui 
étoit  plus  libre  d'écrire  contre  M.  Defcartes  fans  fe  rendre 
fufped  de  reffentiment  ou  de  jaloufîe.  Mais  cette  confidé-  CafT.  epift. 
iration  ne  l'empêcha  pas  de  décharcrer  fon  cœur  à  M.  Rivet  ^^  ï^'^^fp'5- 

i-  i^  O  117.  tom.  6. 

avec   opcr. 


2<?4        La   Vie     De     M.     Descartes. 
I  6  4-  5.      avec  une  ouverture,  qui  a  fait  juger  que  c'etoit  moins  la  vo- 
lonté que  les  forces  qui  luy  ma  îquoient.  •»  Le  travail  ,  dit- 


jugement  „  il  ^  dont  VOUS  voudricz  que  je  me  chargeaile  feroit  alTez  in- 
S"^,.^^^:    ,5  utile,  parce  qu'il  me  paroît  que  l'ouvraee  mourra  devant 

fendj  fait  ■»  r  1  .r  T  ■     P  j     i     i- 

desPnnci-  "  lo'i  autcur.  Je  ne  vois  pcrfonne  qui  ait  le  courage  de  le  lire 
pes  de  M.  ,j  jufqu'à  la  fin,ricn  n'eft  plus  ennuyeux,  il  tue  fon  lecteur,  &  on 
^^  ^"  «  s'étonne  que  des  fadailès  ayent  tant  coûté  à  celuy  qui  les  a 
Calomnies  „  inventées.  Quant  à  moy  ,  j'appréhende  fort  pour  la  témé- 
la'kurau'^  "  ^^^^  ^'^^^'^  hommc  qui  entreprend  par  ces  voyes  de  détrôner 
p.  Dinet,  >5  Ariftote  des  Ecoles  pour  fe  mettre  à  fa  place  ,  &  de  faire 
&  lesRép.  „  m^^  nouvelle  Théoloirie  pour  lafubftituer  à  l'ancienne.  On 
aaud.  "  doit  être  larpris  qu  un  aulli  excellent  Géomètre  que  luy  aie 
«  ofé  débiter  tant  de  fonges  &  tant  de  chimères  pour  des  dé- 
>5  monftrations  certaines. 

Ce  jugement  que  M.  GaflenJi  fèmbleroit  avoir  pronon- 
cé de  fang  froid  lur  les  Principes  de  M,  Defcartes ,  trahifl 
fbit  un  homme  qui  n'étoit  peut-être  rien  moins  que  ce  qu'il 
vouloit  paroître.    Il  n'en  étoit  pas  de  même  de  celuy  que 
les  Jéfuites  failoientde  cet  ouvrage.   lien  reçût  des  témoi- 
gnages trés-avantageux  des  principaux  de  leur  Compagnie, 
jufqu'à  lui  donner  des  afTûrances  que  toutleurc  jrps  étoit  pour 
lettre  Mf.      luy  &  pour  fà  Philofophie.ïjJ'ay  reçu,  dit-il  à  l'Abbé  Picot , 
du  9  Févr.  ,5  Jes  lettres  du  Père  Charlet,  du  Père  Dinet,  du  Père  Bour- 
^^^^'        »   din,  &  de  deux  autres  Jéfuites ,  qui  me  font  croire  que  la 
Voyez  CCS  „   $cc  été  vcut  être  de  mon  parti.  Il  n'étoit  rien  de  plus  glorieux 
ii°ift"re  Mf     ^"  ^^  P^^^^  confolant  pour  M.  Defcartes  que  les  éloges  que 
à  Picot.         deux  perfonnes  d'aulîî  grande  confidération  qu^étoient  le  P. 
Charlet  &  le  P.  Dinet  donnoient  à  ks  ouvra2;es  dans  leurs 
lettres.   Mais  en  conddérant  les  marques  d'eftime  ^  d*ami- 
rié  dont  celles  du  P.  Bourdin  étoient  rempHes,  on  ne  peut 
s'empêcher  d'oppoiér  ce  Père  à  M.  Gallcndi,  qui  s'eft  trou- 
vé Çon  inférieur  en  matière  de  retour  &:  de  réconciliation , 
quoy  qu'il  eût  eu  beaucoup  moins  fujet  de  s'ofïe  ifèr  que  ce 
Père.    Aulîi  faut-ila'ouër  que  le  Père  Bourdin  n'avoit  pas 
de  Sorbiére  qui  l'irritât  continuellement  contre  M.  Defcar- 
tes, &;qui  le  mit  en  danger  de  perdre  la  qualité  du  plus  doux 
à^ts  hommes,  que  l'on  n'auroït  point  dû  difputer  à  M.  GaC 
fen-'i  fuis  ces  fàche^fès  épreuves. 

La  joye  qu'eut  M.  Defcartes  d'apprendre  qu'il  fût  fi  par. 

Eiitemejiit 


Livre   VIT.     Chapitre    VI. 


1(55 


fliitemcnt  uni  de  fèntimens  &  d'alïeclioii  avec  les  JcfLiites , 
fut  un  peu  troublée  par  le  dernier  adieu  que  luy  die  fbn  in- 
time ami  le  P.  Mcfland,  qui  avoit  obtenu  fà  miiïioii  pour 
aller  en  Amérique  travailler  à  la  converfion  des  Infî.ieiles. 
L'affliclion  que  luy  donna  cette  triPce  nouvelle  ne  luy  ôta 
point  la  liberté  de  raifbnner  fur  larélblutionde  ce  Père,  & 
fiir  la  conduite  môme  defès  Supérieurs.    Il  luy  en  récrivit 
en  ces  termes.  »  J'ay  lu  ,  dit-il ,  avec  beaucoup  d'émotion 
l'adieu  pour  jamais  que  j'ay  trouvé  dans  vôtre  lettre  :  &c  il 
m'auroit  touché  davantage,  fî  je  n'étois  icy  en  un  païs  où  je 
vois  tous  les  jours  plufieurs  perfbnnes  qui  font  revenues  des 
Antipodes.   Ces  exemples  ii  ordinaires  *  m'empêchent  de 
perdre  entièrement  l'efpérance  de  vous  revoir  quelque  jour 
en  Europe.  Encore  que  vôtre  defïein  de  convertir  les  Sau- 
vages foit  trés-généreux  &;  trés-iaint,  toutefois  parce  que 
je  me  perfùade  que  pour  l'exécuter  on  a  feulement  beibin 
de  beaucoup  de  zélé  &c  de  patience,  &  non  pas  de  beaucoup 
d'elprit  &  de  fçavotr  ;  il  me  fcmble  que  les  talens  que  Dieu 
vous  a  donnez  pourroient  être  icy  plus  utilement  employez 
à  la  converfion  de  nos  athées ,  qui  fe  picquent  de  bon  ef- 
prit,  ôcqui  ne  veulent  fe  rendre  qu'à  l'évidence  de  la  raifon. 
C'effc  ce  qui  me  fait  efpérer  qu'après  que  vous  aurez  fait 
quelque  expédition  aux  lieux  où  vous  allez ,  èc  conquis  plu- 
sieurs milliers  d'ames  à  Dieu,  le  même  Efprit  qui  vous  y 
conduit  aujourd'huy  vous  ramènera ,  de  je  le  fouhaite  de  tout 
mon  cœur. 

M.  Defcartes  recevoit  de  fréquentes  nouvelles  des  grands 
fruits  que  failoit  la  lecture  de  fon  dernier  livre  à  Paris ,  où 
on  l'afluroit  que  perfonne  ne  s'étoit  encore  élevé  contre  fa 
dodrine.  Ses  prosirez  n'étoient  pas  moindres  en  Hollande: 
&  dès  le  mois  de  Février  M.  deHooghelandluy  avoit  envoyé 
trois  théfes  différentes  foûtenuës  depuis  peu  à  Leyde  ,  & 
ne  contenant  que  {es  opinions.  Ces  diccés  le  firent  fbnger 
à  faire  imprimer  les  traductions  Françoifes  de  fes  Médita- 
tions &  d:  fes  Principes.  N'ayant  pas  remarqué  toutl'em- 
preffement  pofîible  dans  Elzevier  pour  ces  éditions  en  nôtre 
langue,  il  prit  des  mefuresavec  M.  Clerfelier  &  M.  Picot 
pour  les  faire  faire  à  Paris.  Mais  la  verfion  des  Principes 
u'étoit  pas  encore  achevée .. 

Ll  *  Ce 


1645. 


Lettr.  Mf. 
u  de  Defc  aa 
P-Mclland. 


*  Le  P. 

Chailet 
fon  parent 
en  étoir  re. 
venu  &  a- 
voit  été  de. 
puis  Pro- 
vincial & 
Afliftant 
du  Géné- 
ral. 


Lctt.  Mf.  à 
Picot  du  9> 
Févr.   I64Î. 
Lettr    UC.    à 
Clerfelier  du 
même  jour. 

Elzevier  fe 
plaignoit   du 
peu  de  dcbir 
des  Principes,, 
comme    le 
Maire    s'é- 
toit plaintau 
fujct  des  Ef- 
fais. 


164.5- 

Moment*  de- 
fultoria. 

V.   la  lettre 
Latine  de  M, 
Defcartes  à 
Henry    Bni- 
non,  in  Refcr. 
prarliminarib. 
de  Moment, 
defult. 


*    Appelle 
maintenant 
Enguien. 
V.  fon  Char-K 
îemagne  pag. 
68  &  fuivan- 
îes  ,  où.   l'on 
fait  débiter  le 
Carte  fianifiBC 
à  un  Ange  , 
&c. 

In  Rcfcript 
de  Mo-       55 
ment.  De- 
fultor.pra;-  " 
îimin.  53 

Î5 
»3 
» 


Kenry  Louis 

Habert  Sei- 
gneur de 
Montmort  & 
de  la  Brofle 
de  l'Acadé- 
înic  Françoi- 
fe. 


iC6  La  Vie  de   M,    Descartes. 

Ce  fut  vers  le  même  têms  qu'il  reçut  le  préfent  que  M. 
de  Zuytlichem  luy  fit  de  Tes  Poëfies.  Elles  avojent  pciru  dés 
l'année  précédente  fous  le  titre  à! Heures  perdues  :  &  l'Auteur 
avoit  donné  commiffion  pendant  fon  abfence  au  Heur  Hen- 
ry Brunon  d'en  faire  tenir  un  des  premiers  exemplaires  à 
M.  Defcartes,  qui  étoit  alors  en  France,  mais  qui  ne  le  re- 
çût que  quelques  mois  après  fon  retour  en  Hollande.  Par- 
mi les  belles  pièces  du  Recueil  fe  trouvent  celles  qu'on  y  lit 
fur  les  Principes  de  la  Philofophie  de  M.  Defcartes,  fur  fon 
axiome  Je  pcnfe  donc  je  fuis  :,  fur  fon  nom ,  fur  fon  portrait  ;  &: 
ce  qu'il  aajoiité  depuis  fur  fa  mort.  En  général  tout  ce  qu'il 
y  a  de  philofophique  dans  ces  poëfies  ne  roule  que  fur  la  doc- 
trine de  M.  Defcartes.  De  forte  que  M.  de  Zuytlichem  a 
ôté  à  M.  le  Laboureur  Bailly  de  Montmorency  *  la  gloire 
que  plufieurs  luy  donnent  en  France ,  d'avoir  été  le  premier 
Poëte  Cartéfien  qui  eût  paru  dans  le  monde.  Le  Père  Mer- 
fonne  dans  le  remerciaient  de  l'exemplaire  qui  luy  avoit  été 
donné,  témoigne  à  M.  de  Zuytlichem  qu'il  auroit  fait  en- 
core autre  choie  fi  Dieu  l'avoit  fait  Poëte  comme  ce  Gen- 
tiî-homme.  ^î  Je  vous  alTùre,  dit  ce  Père,  que  fi  j'avois  au- 
tant de  génie  pour  la  Poëfie  que  vous ,  je  mettrois  toute  la 
Phyfique  de  M.  Defcartes  en  vers ,  comme  Lucrèce  a  fait 
celle  de  Démocrite.  Mais  je  le  ferois  avec  plus  de  grâce  que 
luy,  car  je  vous  imiterois  :  c'eft-à-dire  que  j'en  ferois  une 
partie  en  vers  héroïques,  une  autre  en  fipphiques ,  une  au- 
tre en  iambiques,  &c.  félon  le  caprice  qui  me  prendroit. 

Mais  ce  bon  Père  ne  fçavoit  pas  encore  alors  que  la  Pro- 
vidence préparoit  la  veine  de  l'un  des  plus  lUuières  Magif 
trats  du  Royaume  pour  donnera  la  Philofophie  de  M.  Def- 
cartes plus  que  Lucrèce  n'avoit  donné  à  celle  de  Démocri- 
te. Ce  Magiftrat  étoit  Monfieur  de  Montmor  Maître  des 
Requêtes ,  univerf.^llement  connu  pour  fon  fçavoir,  fon  ef- 
prit,  &  fa  vertu.  Il  avoit  une  eftime  infinie  pour  la  Philofo- 
phie &  la  perfonne  de  M.  Defcartes  ,  qu'il  foUicitoit  par 
plus  d'une  forte  d'artifices  de  prendre  un  établifiTement  à 
Paris  ou  dans  le  voifinage.  Comme  il  avoit  de  beaux  talens 
pour  la  poëfie,  il  n'eut  pas  plutôt  lu  le  hvre  des  Principes 
de  M.  Defcartes,  qu'il  voulut  fe  donner  leplaifir  de  \ç.s  met- 
tre en  vers.    Le  Poëme  latin  qu'il  en  fit  avoit  pour  titre 


"  pag.  371- 

(C 


LivreVII.  Chapitre   VI.  2(37 

De  rerum  Isfaturà:  &  M.  de  Sorbiére  prétendoit  que  -^-iles      1645. 
penfées  de  M.  Dcfcartesy  éioimî plus  aifécs  à.  entendre  que  dans   ^^  iG  4.^. 
les  écrits  de  leur  Auteur.  Il  ne  pouvoir  comprendre  comment  j,  sormerc 
ce  Pocte  avoit  pu  trouver  des  mots  dans  la  latinité  ancien-  ^^  ',^^"-.*^ 
ne  pour  les  expliq  'er,parceque  ,  félon  luy,  c'étoient  toutes      ^'  '^'  '"  ^^ 
penfées  n  uveiles,  qu'on  n'avoit  pas  même  eues  en  fbnge 
du  tcms  des  Romains.  Le  Public  joùiroit  mauitenant  de  ce 
beau  Poëme  Cartëfi^n,  lî  M.  de  Montmor  avoit  eu  autant 
de  confîdëration  pourluy,  que  le  Chancelier  de  l'Hofpital , 
le  Préfident  de  Thou  ,  &  les  autres  illustres  Poètes  de  la 
Robe.  Mais  pour  revenir  aux  Poëfîes  de  M.  de  Zuytlicliem, 
il  eft  bon  de  remarquer  que  la  ledure  des  pièces  de  (ow  Re- 
cueil, qui  regardent  la  Philofophie  de  M.  Defcartes,  étoit 
une  eipéce  de  préparatif  à  celle  de  les  Principes  qui  com^ 
mencérent  à  paroître  incontinent  après.    Le  fleur  Adrien  ^^i^- ?«%» 
Hecreboord  Prof.^fFeur  en  Pliilofbphie  dans  l'Cjuverfité  de  moments,  dt 
Leyde  &  fous-principal  du  collège  théologique ,  ne  trou-  M*»""^  w«- 
va  point  de  meilleur  compliment  à  faire  à  M.  de  Zuytlichem,  ^^n^w""/» 
qu'en  luy  marquant  qu'il  avoit  pafîe  des  amufemens  de  Çqs  vtroYummetxi. 
Poëfies,  aufquelles  il  avoit  donnfé  Tes  heures  perdues,  à  Têtu-  '^^^ff^pHl^r^' 
de  férieufe  des  Principes  de  la  Philofophie  de  M.  Defcar-  phu  PrincipUs 

fg5  evolvend'.s.  Et 

venimfdtehor, 


Ce  M.Heereboord  eftceluy  qui  a  introduit  la  Philofophie  obftupefc 


co  ,  ttet 


Cartéfienne  dans  l'Univerfité  de  Leyde  à  la  faveur  de  M.  Naturamuni- 

Heydanus  Mi.iiftre  &  Prédicateur  célèbre,  de  M.  Golius,  Z^ZTJL 

de  M:  Schooten,  5c  de  quelques  autres  Profefïeurs  qui  s'è-  cruùs,  ftntDeo 

toient  rendus  eux-mêmes  fèctateurs  de  cette  nouvelle  Phi-  nofirordtriîu- 

lofophie.  Le  zèle  de  M.  Heereboord  dans  fes  premières  le-  TLtumhuno- 

(^ons  n'étoit  peut-être  pas  ardent  au  même  degré  de  chaleur  i^if  i»cem  iijfui. 

que  celuy  de  M.  Regius  à  LTtrechttmais  il  pouvoit  être  plus  ^HrherTcar- 

circonfped  &  mieux  réglé.  En  effet  lors  que  M.  Defcartes  ufio,  pro  quo 

trouva  de  nouveaux  Voetius  dans  l'Univerfité  de  Leyde  en  f'* ^'""'^/^'^S" 

1  r  i>  Ti        •  iï         --1-1    •    1        1-  -^       1-  "^  verffUt  vt- 

ia  perlonne  d  an  Revius  &  d  un  Triglandius ,  on  peut  dire  demtur  omms 

que  M.  Heereboord  ne  gâta  rien  :  &  il  continua  fis  leçons  ^nteh^tcThUo* 

Cartéfiennes  avec  fuccès ,  parce  qu'il  lesfaifoit  fans  bruit  &  H  Refcrint. 

fans  fafte ,  &  qu'il  avoit  eu  l'induftrie  de  ne  point  fè  laifler  de  Moment. 

mêler  dans  la  paffion  des  Théoloc^iens.  ?^^a  u^' 

Il  auroit  ete  a  fouhaiter  pour  M.  Defcartes  que  M.  Re-  soibiéickttr. 

eius  eût  gardé  la  même  conduite  à  Utrecht,  ou  qu'il  eût  &diic.  imv 

T  1   ••  *  r'    '  ^  pas-  6SS. 

Ll  ij  perle  ver  e  ^  ° 


2é8 


La    Vie    de    M.   Descartes. 


1645. 

€^od  homofit 
ens  per  acci- 
dem ,  (^c. 

§luod  anitnn 
rationalis  fit 
modus  cerporis. 


Tora.  I.  des 
kttr.pag.431. 


Lettr.  J3.Mr. 
de  Reg.  du  6. 
Juillet  i<Î4j. 


peiTévcré  du  moins  dans  fa  première  docilité  à  l'égard  de 
fon  Maître.  Depuis  qu'il  s'etoit  hazardé  à  do2;matifer  de 
Ton  chef  liir  l'union  de  l'Ame  humaine  avec  le  Corps,  ^fur 
quelques  autres  points  délicats  ,  il  avoit  donné  beaucoup 
d'exercice  à  M.  Deicartes,  qui  par  fes  exhortations  parti- 
culières ôc  par  les  corrections  qu'il  avoit  faites  à  fes  théles  ôc 
ci  /es  autres  écrits ,  avoit  tâché  de  retenir  fbn  efprit  dans  fes 
bornes.  M.  Regius  s'étoit  infenfiblement  écarté  depuis  ce 
têms  :  &:  foit  qu'il  fût  enfin  retourné  à  fbn  premier  génie  , 
foit  qu'il  cherchât  quelque  milieu  pour  fe  racommoder  avec 
{qs  ennemis  d'Utrecht,  &  s'afTiirer  la  paifible  pofTefîîon  de 
fà  chaire,  il  avoit  pendant  le  voyage  de  M.  Dcfcartes  en 
France  drefTé  des  EfTais  d'une  Philofbphie  à  fà  mode ,  aux- 
quels il  prétendoit  donner  le  titre  de  Fondeynens  de  Phyfique. 
L'expérience  qu'il  avoit  des  bontez  de  M.  Defcartes  luy  fit 
croire  qu'il  luy  pafTeroit  cet  ouvrage  de  la  manière  qu'il  Ta- 
voit  compofe.  Il  le  luy  envoya  pour  l'examiner ,  plutôt  pour 
ne  pas  laifTèr  périr  fa  coutume  tout  d'un  coup  ,  que  pour 
profiter  véritablement  des  leçons  de  fon  Maître.  M.  Def^ 
cartes  n'eut  point  la  complaifànce  dont  il  s'étoit  flaté.  Il 
trouva  dans  ce  dernier  écrit  plus  de  licence  qu'il  n'en  avoit 
remarqué  dans  tous  les  autres  :  &  au  lieu  d'envoyer  à  M. 
Regius  les  corrections  des  endroits  qui  en  avoient  befoin  , 
comme  il  l'avoit  pratiqué  jufques-là,  il  luy  manda  nette- 
ment qu'il  ne  pouvoit  donner  une  approbation  générale  à 
cet  ouvrage,  &:  qu'il  renfermoit  diverfes  chofes  qui  ne  luy 
plaifbicnt  pas.  Il  ajouta  que  s'il  étoit  alTez  amoureux  de  i(^s 

r        ■  ^         ■       y-  r  ■  1         •  >i  1  1 

lentimens  particuhers  pour  ne  pas  luivre  i'avis  qu  il  luy  aoïv-^ 
noit  de  fiipprimer  ou  de  réformer  entièrement  fbn  ouvrage, 
il  fèroit  obligé  de  le  defavouër  publiquement ,  &;  de  détrom- 
per le  Public  ,  qui  avoïc  crû  jufqu'alors  qu'il  n* avoit  point 
d'autres  fèntimens  que  les  fîens. 

M.  Regius  qui  avoit  déjà  pris  fbn  parti ,  &  qui  s'étoit  for- 
tifié contre  toutes  fortes  de  remontrances,  ne  laifïa point  de 
remercier  M.  Defcartes  de  {.o.^  avis  :  mais  au  lieu  de  les  fui^ 
vre  comme  auparavant,  il  fe  mit  en  devoir  d'excufèr  fon  ou- 
vrage 3  &  d'en  faire  voir  l'œconomie  &  les  beautez  à  fon 
Maître ,  comme  fi  ces  chofes  eufTent  échappé  à  {^^s  réflexions. 
Il  luy  fit  valoir  fur  tout  fa  méthode  d'Analyfe ,  6c  fa  belle  ma- 

ni  ère 


Livre  VII.    Chapitre  VI.  2^9 

niére  de  définir  &  de  divifcr.  Il  luy  promit  feulement  dere-       164.^ 

mëdier  à  quelques  obfcuritcz,  quoiqu'elles  puflent  fcrvir  à    -= 

afÎLijettir  davantage  un  ledeur ,  &  à  le  rendre  plus  attentif 
aux  difficultez.  Et  pour  éviter  les  inconvéniens  dont  M.  Deil 
cartes  Tavoit  averty ,  il  luy  envoya  ce  modèle  d'avertiflcment 
au  lecteur  ,  pour  être  mis  au  bout  de  fa  préface.  Four  dé- 
tromper ceux  qui  s'imagineroient  que  les  chofes  qui  font  contenues 
dans  cet  ouvrage  feroicnt  les  fentimens  purs  de  M.  De  [cartes ,  je 
fuis  bien  aife  d'avertir  le  Public  quil  y  a  ejfecHvement  plujîeurs 
endroits  ou  je  fais  frofejjïon  de  fuivre  les  opinions  de  cet  excellent 
homme  3  mais  qiiil  y  en  a  aujjî  di  autres  ou  je  fuis  d'une  opinion 
contraire ,  ^  d'autres  encore  fur  lefquels  il  n'a  pas  juge  a  propos 
de  s' expliquer  jufqu  icy .  C'e(}  ce  qu'il  fera  aifé  de  remarquer  à  tous 
ceux  qui  prendront  la  peine  de  lire  les  écrits  de  ce  grand  homme ^  ^ 
de  les  confronter  avec  les  miens.  Pour  tâcher  de  prévenir  le  def. 
aveu  public  dont  il  croyoitque  M.  Defcartes  le  menaçoit,  il 
luy  fît  oiïre  d'ajouter  encore  dans  fa  préface  tout  ce  qu'il 
jugeroit  à  propos ,  parcequ'il  appréhendoit  ce  defaveu  com- 
me une  réfutation  de  fbn  ouvrage,  capable  de  l'étouffer, 
ou  de  le  décrier  dans  fa  naifïance.  Mais  il  ne  parla  point  de 
retoucher  au  fonds  de  fbn  ouvrage. 

M.  Defcartes  luy  manda  qu'il  approuvoit  fort  la  manière    xom.  i  des 
de  traiter  la  Phyfique  par  définitions  &;  divilîons ,  pourvu,    lettr,  pag. 
qu'il  y  ajouta  les  preuves  néceffaires.   Mais  il  luy  fît  connoî-    ^^^  '  '^^'' 
tre  en  même  têms  qu'il  ne  luy  paroifîbit  pas  encore  afïez 
verfé  dans  la  Méthaphyfique ,  ny  dans  la  Théologie  ,  pour 
entreprendre  d'en  publier  quelque  chofè  :  &  que  s'il  étoit 
abfblument  déterminé  à  l'impreffion  de  fes  fondemens  de 
Phyfîque  ,  il  devoir  au  moins  retrancher  ce  qui  regardoit 
l'Ame  de  l'Homme,  &  la  Divinité  ,  &  ne  rien  falfîfier  de  ce 
qu'il  empruntoit  de  luy  :  en  un  mot,  qu'il  luy  feroit  piaifir 
de  ne  le  pas  rendre  participant  de  '^o.s  égaremens  dans  la 
Métaphyfique,ny  de  {^s  vifions  dans  la  Phyfîque  ôcla  Mé- 
decine. Cette  dernière  lettre  fît  enfîn  lever  le  mafque  à  M. 
Regius  :  &:  réfolu  de  facrifîer  l'honneur  de  {ov\  Maître  au 
fien,  il  renonça  tout  de  bon  à  fa  difciphne  par  u-e  lettre 
affez  cavalière,  écrite  du  23  de  Juillet  1645,  dans  l^qj-ielleil 
voulut  fe  décharger  une  bonne  fois  en  ces  termes. ,.  Je  ne    ^^  schifmcde 
vois  pas  que  j'aye  grand  flijet  d'appréhender  pour  mon  opi-    ^^  Regius. 

L  iij     *  nion 


rjo  La   Vie   de    M.    Descartes. 

1645.   *'  nion  qui  regarde  l'Homme ,  donc  vous  voudriez  pourtant  me 

•  w  faire  un  crime.  Car  je  ne  vous  en  ay  dit  autre  chofe,  (înon 

M^^'de^*  "  4^'^^  ^^  ^^^^^  par  l'Ecriture  fainte  que  l'Ame  raifonnable  effc 
Regius.  »  une  fubftance  immortelle  :  mais  qu'on  ne  peut  le  prouver 
53  par  aucune  raifon  naturelle  ,  &  que  rien  n'empêche  qu'elle 
Erreur  que  „  j-jg  Çq[^  ^\xÇÇ\  bien  uu  mode  du  corps  qu'une  fubffcance  qui  en 
cenfuiW.  "  feroit  réellement  diftinguée.  C'eft  en  quoy  je  crois  avoir  af- 
îî  fermy  l'autorité  de  l'Ecriture  en  ce  qui  dépendoit  de  moy  : 
»  au  lieu  que  ceux  qui  prétendent  fe  fervir  des  raifons  natarelles 
»  en  cette  occalîonîemblent  ie  défier  de  cette  autorité  divine^ 
»  &  n'alléguant  que  de  foibles  raifons  trahilîent  la  caufè  de  l'A- 
»>  me  &;  des  faintes  Ecritures ,  par  leur  indilcrétion  ou  par 
"  leur  malice.  Ce  n'eft  pas  que  je  ne  puile  pour  l'amour  de 
>î  vous  retrancher  de  ce  fentiment  ce  que  vous  jugeriez  à  pro- 
•>•>  pos  :  mais  au  refte  vous  vous  feriez  peut-être  plus  de  tort 
>5  qu'à  moy  ^  fi  vous  alliez  publier  par  écrit  ou  de  vive  voix^ 
>3  que  vous  avez  touchant  la  Métaphyfique  des  fèntimens  éloi- 
55  gnez  des  miens.  Car  l'exemple  d'un  homme  comme  moy ,  qui 
>5  ne  pafie  point  pour  un  ignorant  dans  vôtre  Pailofophie,  ne 
"  fervira  qu'à  confirmer  plufieurs  perfonnes  qui  ont  déjà  des 
»  fèntimens  fort  difFérens  des  \  ôtres  fur  ces  matières  :  &;  ils  ne 
«  pourront  me  refufèr  la  qualité  d'homme  d'honneur  voyant 
i>  que  mes  engagemens  pafiez  avec  vous  ne  m'empêchent  pas 
>5  de  m'éloigner  de  vos  fèntimens  lorfqu'ils  ne  font  pas  railbn- 
>3  nables. 

w       Vous  ne  ferez  pas  furpris  de  ma  conduite,  lorfque  vous 

w  fi^aurez  que  beaucoup  de  gens  d'efprit  &  d'honneur  m'ont 

«  fbuvent  témoigné  qu'ils  avoienttrop  bonne  opinion  de  l'ex- 

«  cellence  de  vôtre  efprit,  pour  croire  que  vous  n'eufiîez  pas 

>5  dans  le  fonds  de  l'ame  des  fèntimens  contraires  à  ceux  qui 

»>  paroifi^ent  en  pubhc  fous  vôtre  nom.   Et  pour  ne  vous  rien 

ïnfultc    ^j  diilimuler ,  plufieurs  fè  perfuadent  icy  que  vous  avez  beau- 

confronter  »  coup  décrédité  vôtrc  Philofophie  en  publiant  vôtre  Meta- 

avec  le  ju-  „  phyfique.  Vous  ne  promettiez  rien  que  de  clair,  de  certain, 

quM 'avoit  "   ^  d'évident  .•  mais  à  en  juger  par  ces  commencemcns ,  ils 

porté  au-    «  prétendent  qu'il  n'y  a  rien  que  d'obfcur  &  d'incertain  ,  6c 

"5fj.'^^"   ->•>  les  difputes  que  vous  avez  eues  avec  les  habiles  2;ens  à  l'oc- 

Méditat.  r        j  ^  r  >v        ^1       i-       i 

dcM-Defc.  »  caiion  de  ces  commencemens  ne  fervent  qu  a  multiplier  iqs 
»î  doutes  &  les  ténèbres.  U  efl  inutile  de  leur  alléguer  que  vos 

raifonnemens 


Livre    VII.    Chapitre   VI.  171 

raifônnemens  fe  trouvent  enfin  tels  que  vous  les  avez  pro-  c<    1^345. 

mis.  Car  ils  vous  répliquent  qu'il  n'y  a  point  d'enthouLafte,   ce  ■ — 

point  d'impie  ,  point  de  bouffon  qui  ne  pût  dire  la  môme  « 
chofe  de  fès  extravagances  &;  de  fès  folies.  Encore  une  fois,  u 
je  confentiray  que  l'on  retranche  de  mon  Ecrit  ce  qui  peut  «c 
vous  y  déplaire  ,  fi  vous  le  jugez  à  propos  :  mais  après  tout,  et 
je  n'y  vois  rien  qui  puiiTe  me  fiire  honte  ,  ou  que  je  doive  et 
me  repentir  d'avoir  écrit.  Ainfi  rien  ne  m'oblige  à  refufèr  et 
l'imprelTion  d'un  ouvrage  de  l'édition  duquel  on  peut  efpé-  « 
rer  quelque  utihté.  Pour  vous,  Monficur,  à  qui  j'ay  déjà  des  c< 
obligations  infinies ,  vous  me  permettrez  de  vous  remercier  et 
de  la  bonté  que  vous  avez  eue  de  Hre  mon  livre ,  ou  pour  « 
mieux  parler,  vôtre  livre  ,  puifqu'il  eft  véritablement  fbrty  u 
de  vous  ^  &;  de  la  fincérité  avec  laquelle  vous  m'en  avez  dit  et 
vôtre  ientiment.  Vous  agréerez  aulîî  la  liberté  avec  laquelle  « 
je  viens  de  vous  expliquer  les  miens  ,  puifque  cette  liberté  « 
n'eft  que  le  fruit  de  l'amitié  dont  vous  m'honorez.  et 

Peut-être  Ariftote  n'avoit-il  jamais  porté  plus  loin  l'in- 
gratitude envers  fon  maître  Platon.    Peut-être  Maxime  le 
Cynique  n'avoit_il  jamais  traité  fon  maître  Grégoire  de  Na- 
zianze  avec  plus   d'infolence,    L'ingratitude  de  l'infblence 
ontfbuvent  été  la  récompenfe  dont  les  meilleurs  Maîtres  ont 
été  payez  parleurs  Difciples  dénaturez.  Mais  il  falloit  que 
parmy  la  corruption  du  genre  humain  M.  Regiusvint  don- 
ner encore  l'exemple  de  l'infulte,  qui  certainement  efl:  plus 
rare  que  les  deux  autres.  Auffi  falloit-il  qu'il  fe  diftinguât  dans 
fa  nouvelle  révolte  contre  M.  Defcartes  d'avec  les  autres 
difciples,qui  n'ont  rien  foufFert  pour  ladodrine  qu'ils  avoient 
apprifè  des  maîtres  qu'ils  ont  abandonnez  enfuite.   M.  Re- 
gius  avoit  été  au  hazard  d'être  le  premier  martyr  de  la  doc-   Tom.  j.  des 
trine  de  fon  maître  ,  mais  contant  pour  rien  la  perte  de  la    """P"  ^*  " 
gloire  acquife  par  fes  dangers  &  fes  fbuffrances ,  il  voulut  fi- 
2;naler  fon  Schifine  par  des  outrages.  Il  fit  plus  enjoignant 
î'injuftice  à  la  rébellion.  Car  après  avoir  retenu  la  plus  gran- 
de partie  de  la  doclrine  de  fon  maître  pour  s'en  faire  tou- 
jours le  même  honneur  qu'auparavant ,  il  la  défigura  &;  la  Lcttr.  Mr.  de 
corrompit  dans  la  fuite  comme  il  luy  plut  :  &  fous  prétexte   JJçj?'^^^*  ^ 
que  M.  Defcartes  refufa  tant  qu'il  vécut  de  la  reconnoître   oaob.i64<î. 
pour  fienne  fous  cet  extérieur  étranger ,  il  s'en  fàifit  après  fà 

mort 


172         La    Vie    de    M.    Descartes. 

1645.  mort  en  fiioprimant  même  fon  nom  avec  tant  d'indignité 

. que  plu  (leurs  ne  le  regardent  pas  moms  comme  le  premier 

B^-ecKinaa  plagiaire  de  M.  Defcart.s  ,  que  comme  le  premier  rebelle 

ayant  fait  lef-  (^»e.-jrj.£  [^^  difciples ,  OU  le  premier  fchifinatique  d'entre  (es 

îiait'é  de  la  fedateurs.  M.  Defcartes  répondit  aux  inilikes  de  M.  Re- 

Mufique  de  gm^  ^y^^  une  douccur6c  une  fageire,  qui  auroit  été  capa- 

îi^éto'It^  plus  Sle  fîule  de  fcUre  l'Apologie  de  Tes  fentimens  &  de  fa  con- 

piagiaire  de  duïte  j  6c  il  ne  voulut  finir  fon  commerce  avec  cet  ingrat, 

M.Dcfcaites.  q^'g^-^  i^y  clonnant  les  avis  les  plus  falutaires  qu'on  put  ac- 

Tom.  3  des  T                /                                  o     J'            '   •      i  1                             ^ 

ictti".  p.  431,  tendre  d  un  bon  maître  &c  d  un  véritable  amy. 
453. 


CHAPITRE      VIL 

Traité  de  M.  Defcartes  fur  la  nature  des  Animaux.  Il  s'ap^ 
pli^ue  de  nouveau  aux  opérations  anatomiques,  Qf^cUe  était  la 
bibliothèque  ^  l'étude  de  M.  Defcartes.  il  s'élève  une  difpuie 
fameufe  fur  la  quadrature  du  cercle  entre  les  M^athématiciens 
du  fîécle.  2if.  Defcartes  efl  engagé  d'y  prendre  part,  il  efiime  la 
quadrature  du  cercle  impo^ljîhte.  Jugement  qu'il  fait  du  livre  de 
Grégoire  de  faint  Vincent.  Jtf.  Cbanut  va  en  Suéde  en  qualité 
de  Réjtdent,  M.  Defcartes  le  void  en  pajfant.  Amitié  de  M, 
Porlier  avec  M.  Defcartes.  Preuves  de  la  Religion  ^  de  la 
probité  de  M.  Defcartes.  Il  répond  aux  inftances  de  M.  Gaf- 
fendi  3  ^  fait  fon  traité  des  Pa^ljîons.  Dcffeins  ^projets  de 
la  Philo fophie  Morale  de  M.  Defcartes,  il  fe  dégoûte  du  tra- 
vail: il  fait  réfolution  de  ne  plus  rien  imprimer  .^  ^  de  ne  plus 
étudier  que  pour  luy. 

MR  Regius  réiôlu  de  pouffer  fa  pointe  pour  Pimpref- 
fion  de  fon  livre ,  tckha  de  ne  poiat  s'écarter  de  la 
dodine  de  M.  Defcartes,  à  la  Métaphyfique  près.  Pour 
conferver  encore  une  ombre  de  liaifon  avec  luy  ,  il  voulut 
retoucher  le  livre  avant  que  de  le  mettre  fous  la  prefTe,  non 
pour  en  retrancher  ce  qui  déplaifoit  à  M.  Defcart'S  ,.  mais 
pour  l'enrichir  des  obfervations  nouvelles  que  fon  maître 
avoit  faites  depuis  peu  fur  la  nature  des  Animaux.,  Il  avoit 
eu  communication  des  mémoires  que  M.  Defcartes  avoit 
drelTez  depuis  l'édition  de  k^  Principes ,  dans  le  deiTein  de 

faire 


Livre  VII.  Chapitre  VII.  273 

£iire  un  jufte  traité  des  Animaux.    Mais  on  peut  dire  que      i  64  5. 

ce  que  M.  Regius  voulut  mettre  en  œuvre  n'étoir  qu'une • 

ébauche  fort  imparfaite  de  ce  que  M.  De/cartes  méditoitfur 
ce  flijet.  Apres  le  gain  de  ion  procez  de  Gromngue ,  le  de- 
Rr  d'exécuter   fon  grand  deflein  l'avoit  fut  remettre  aux 
opérations  anatomiques  avec  une  application  nouvelle.   Ce  Lcttr.  Mf.  do. 
fut  où  il  borna  toute  fa  dépenfè  &  toutes  Ces  facultez  pen^  ^^  juillet 
dant  cette  année.    Hors  un  voyage  de  quelques  lemaines   d'Aadré> 
qu'il  fit  à  Leyde  6c  à  la  Haye  fur  la  fin  de  Juin  de  le  com- 
mencement de  Juillet ,  il  ne  fortit  point  de  la  maifon  d'Eg- 
niond ,  où  il  iê  faifbit  apporter  d' Alcmaer  &  des  autres  en- 
droits de  Ion  voiHnagc  toutes  fortes  d'animaux  propres  à  la. 
dilTection. 

Ce  f[it  durant  le  têms  de  ces  occupations  qu'il  fut  vifité, 
non  pas  à  Alcmaer  comme  l'a  cru  M.  Borel ,  mais  à  Egmond,  Sorb.  lettr.  & 
par  un  Gentil-homme  des  amis  de  M.  de  Sorbiére  qui  luy  ^gj^VI^o^.' 
demanda  à  voir  fi  bibliothèque  ,  &:,qui  le  pria  de  luy  dire 
quels  étoient  les  livres  de  Phyfîque  qu'il  eftimoit  le  plus,  &: 
dont  il  avoit  fait  là  lecture  la  plus  ordinaire  M.  De/cartes 
pour  fàtisfairc  la  curiofité  du  Gentil- homme  le  conduifit  fur 
le  derrière  de  fon  logis ,  où  étoit  uneefpéce  de  gallerie  ou- 
verte par  dedans  la  cour ,  &  tirant  le  rideau  il  luy  montra  un 
veau  à  la  diiTeclion  duquel  il  alloit  travailler,  p^oi là,  luy  ait-  comp.p.  ié, 
il,  ma  bibliothèque  i  voila  l'étude  a  laquelle  je  m  applique  le  plus 
maintenant.  Cette  réponfe  ne  renfermoit  rien  de  contraire  à 
la  vérité, ny  à  l'idée  qu'il  vouloit  donner  à  ion  hôte  pour 
répondre  à  fà  penfée.  Elle  n'avoit  aufîi  rien  d'indigne  de 
J'état  de  M.  Defcartes.  Mais  comme  je  ne  voudrois  pas  la 
mettre  au  rang  àcs  plus  admirables  &  des  plus  rares  apo- 
phthegmes  avec  M.  Borel,auiîî  fèrois-je  trés-éloigné  de  pren- 
dre une  repartie  fî  innocente  &:  fî  naïve  pour  un  témoigna- 
ge de  la  vanité  de  M.  Defcartes  ,  comme  a  fait  M.  de  Sor- 
biére, à  qui  il  plaifbit  alFez  rarement  de  prendre  en  bonne 
part  les  chofes  qu'il  trouvoit  les  plus  indifférentes  dans  nô- 
tre Philofbphe  ,  lors  même  qu'il  n'étoit  pas  queftion  défaire 
fa  cour  à  M.  GafTendi.  De  la  connoiilance  des  B.tes,  M.. 
Defcartes  pafîa  à  celle  du  Corps  humain  par  les  mêmes  fe- 
cours  de  l'Anatomie  &  de  ks  autres  expériences:  &  il  com- 
mença dés  l'automne  de  cette  année  fon  traité  féparé  de 

Mm     *         V  Homme 


174         ^A   V  i^   DE  M.    De  s  CARTE  s. 

ï  /j  4  5.       V Homme ,  6c  même  celuy  de  la  formation  du  Fœtus ,  quoiqu'il 
I  n'eût  pas  achevé  celuy  des  Animaux,  La  fin  de  toutes  ces  eta- 

Tom.  I  des      des  étoit  de  trouver  les  moyens  de  conferver  la  fanté  du  corps 
ktu-.pag.r56.   humain  ,  &;  de  la  rétablir  lorfqu'elle  fe  perd. 

Il  fit  une  petite  diverfion  à  cette  étude  par  l'engagement 
où  il  fè  trouva  avec  les  premiers  Mathématiciens  de  l'Euro- 
pe ,  de  prendre  part  au  fameux  différent  qui  s'éleva  en  cet- 
te année  entre  Zongomontanus  èc  Vcllius  touchant  la  Qi^a- 
drature  du  cercle.  Longomontanus  dont  le  nom  étoit  Chrif- 
ilctoitnccn  tianus  Sévérini  Danois  de  nation  étoit  un  vieillard  de  qua- 
1562.,  &  mou.   tre- vingts-trois  ans,  à  qui  il  ne  reftoit  plus  que  vingt  ou  vingt- 
^^'    deux  mois  de  vie.    Il  étoit  encore  actuellement  Profeflèur 
des  Mathématiques  dans  l'Univerfité  ou  collège  royal  de 
Coppenhague.  lls*étoitfait  un  nom  confidérable,  première- 
ment par  l'honneur  qu  il  avoit  eu  d'être  le  difciple  du  célè- 
bre Tyco  Brahé ,  6c  par  l'avantage  qu'il  avoit  eu.  de  travail- 
ler fous  luy  aux  obfèrvations  aftronomiques  dans  le  fameux 
laboratoire  d'Uranienbourg  ,  6c  enfuite  par  l'édition  d'un 
livre  qu'il  avoit  publié  l'an  1612  ^  Ibus  le  titre  à' Aftronomia. 
Danica.   Le  bon  homme  ne  voulant  pas  fè  contenter  de  la 
gloire  qu'il  y  a  de  connoître  les  aftres ,  afpiroit  encore  à 
celle  de  paroître  Géomètre  :  6c  pour  s'y  fîgnaler  d'une  ma- 
nière plus  éclatante ,  il  avoit  entrepris  de  démontrer  la  Qua- 
drature du  cercle,  qui  eft  l'écuëil  où  les  plus  grands  génies 
ont  échoué  jufqu'icy.  En  quoy  il  ne  ïdt  pas  plus  heureux 
que  les  autres ,  malgré  la  bonne  opinion  qu'il  avoit  de  ion 
travail.  Le  fieurjean  PellAnglois  Profeflèur  des  Mathéma- 
tiques au  collège  d'Amfterdam ,  y  remarqua  d'abord  beau- 
vit.  Hob-      coup  de  paralogifmes  :  6c  voyant  que  le  point  de  la  difficulté 
bian.  au^u«.   confiftoit  dans  la  preuve  d'un  fêul  théorème ,  il  en  fît  pré.- 
^^°'    '       *   mièrement  la  démonftration  par  luy-même,  6c  il  voulut  pro- 
poser la  chofe  à  tout  ce  qu'il  connoifloit  d'habiles  Mathé- 
maticiens pour  leur  en  demander  leur  fèntiment.  Ceux  qui 
Lipftorp.  fpc-  examinèrent  la  chofê  ôc  qui  luy  envoyèrent  leurs  démon- 
cim.  PhiioC     fixations  furent  M.  de  Roberval,  M.  le  Pailleiy: ,  M.  Carcavi, 
anc .  p.  I  .    ^  Mydorge ,  6c  le  P^  Mericnne  revenu  de  fon  voyage  d'Ita- 
lie dés  le  commencement  de  Juillet  -,  Milord  Candiche  ou 
Cavendish,  6c  M.  Hvobbes d'Angleterre  jjean  Adolphe Taf- 
fiu5  Mathématicien  de  Hambourg  j  Jean  Loiiis  Wolzogen 

libre 


Livre    VIT.    Chapitre    VII.        275 

libre  Baron  d'Autriche  ,  GcntiLhoiTiiTie  de  la  chambre  du     i(^ 4 y. 
Rôy  de  Poloî^ne,  Cartëfîen  d'études,&:  Socinien  de  Religion  j   — — _^^ 
le  Père  Bonaventure  Cavaliëri  Italien  Profeiïèur  des  Mathé- 
matiques à  Boulogne  j  M.  GoUus  Profefîèur  à  Leyde,  &c 
quelques  autres  Mathématiciens  de  Hollande.    M.  Defcar- 
tes  envoya  aufTi  à  M.  Pell  une  courte  démonftration  fur  le 
même  fujet,  qui  fervit  à  autorifèr  merveilleufement  ce  qu'il 
avoit  avancé  contre  Longomontanus.    Il  y  a  voit  longtêms 
que  M.  Defcartes  étoit  convaincu  que  la  Quadrature  du  cer-  Lipftorp; 
cle  étoit  impoflible ,  &c  depuis  qu'il  en  avoit  fait  la  preuve   ^^*^'- 
par  le  moyen  de  fa  Méthode  Se  de  fon  Analyfe,il  s'étoit  ab- 
ftenu  de  cette  opération  comme  d'une  chofe  impraticable  &: 
inutile.  Les  plus  grands  Géomètres  du  fîécle  avoient  recon- 
nu auffi  la  même  choie  avec  le  lîmple  fècours  de  l'Analyfè 
de  Viéte.   Mais  un  confèntement  fî  général  ne  fut  point  ca- 
pable d'épouvanter  le  P.  Grégoire  de  iaint  Vincent  Jéfuite 
de  Flandre,  qui  nonobflant  le  mauvais  fuccés  de  Longomon- 
tanus ne  laifla  pas  de  travailler  à  la  Quadrature  du  cercle 
avec  toute  l'afTiirance  d'un  homme  qui  devoit  réiifîîr.  A  dire   i^ïp^orpi 
le  vray,  il  y  employa  une  méthode  qui  parut  allez  belle,  èc      ^  * 
tout-à-fiit  nouvelle  à  quelques  Sçavans  du  Nord  :  &:  ily  ap- 
porta tant  de  travail  éc  de  foins  qu'il  en  fit  un  fort  gros  li- 
vre imprimé  deux  ou  trois  ans  après  in  folio.  Cela  renouvella 
la  curiofîté  des  Mathématiciens.  On  examina  l'ouvrage  du 
Père.  M.  de  Roberval  fut  l'un  de  ceux  qui  s'y  portèrent  Tom.  j.  <ics- 
avec  le  plus  d'ardeur  ,  &  il  en  fit  une  cenfure  encore  plus  T^ol^iJ^  ^' 
vigoureufè  que  n'avoit  été  celle  de  M.  Pell  contre  Longo- 
montanus.   Il  flit  fuivy  du  P.  Merfènne  qui  fe  trouva  plus 
hardy  après  luy  à  dire  ion  fentiment  iùr  cet  ouvrage.  Le 
plus  grand  éloge  que  ce  Père  crut  devoir  donner  à  l'Auteur, 
étoit  ai  avoir  compofé  un  grand  livre ,  ^  d'avoir  cherché  cette  Qua- 
drature par  des  chemins  fort  lonp  ^  déjà  connus.  Mais  il  y  avoit 
dans  l'ouvrage  d'autres  choies  aiîèz  nouvelles  6c  dignes  de 
quelques  louanges ,  dont  néanmoins  le  P.  Meriènne  ièm- 
bloit  avoir  afFeéié  de  fe  taire.    Le  jeune  M.  Huyghens  fils 
de  M.  de  Zuytlichem,  qui  s'étoit  rendu  trés-habile  dans  les 
Mathématiques  fous  M.  S chooren  bc  M.  Pell,  examina  auiïï   Lipftorp.fpc^ 
l'ouvrage,  &  trouva  que  l'auteur  avoit  exécuté  fon  deiîèin  cim.  Cart.. 
avec  plus  de  fubtilité  que  de  Jfuccès.  Enfin  ,  l'on  voulut  que  P*  ^^° 

Mmij    !       M.  Defcartes, 


Pag.  458 


r7'(î  La   Vie  de  M.  Descarte  s. 

ré  4  5.      M.  Defcartes  en  ditfon  avis  comme  les  autres ,  &;il  fallut  que 

M.  Schooten  fou  ami  luy  envoyât  le  livre  du  P.  Grégoire 

Pag.  614 ,  du  de  faint  Vincent  pour  le  lire.  11  fè  trouva  conforme  de  fen- 
j  tom.  des  timent  avec  M.  de  Koberval.  I)  en  iLitjufqu'à  ce  qu'il  eût 
^'"*  remarqué  quelques  paralogifines  dans  la  Quadrature  préten- 

due du  cercle ,  &:  il  ne  trouva  dans  tout  ce  qu'il  en  lut  que 
Pag.  ^17 ,  &    des  proportions  Ci  fimples  &  fi  faciles,  qu'il  jugeoit  que  l'Au- 
éis.ibid.         ^ç^j.  avoit  plus  perdu  de  têms  à  les  écrire,  qu'il  n'avoit  ac- 
quis de  gloire  à  les  inventer.  Il  femble  que  ce  Père  eûtvou- 
Pag.444.ibid-  lu  fonder  M.  Defcartes  quelques  années  auparavant  fur  ce 
delîein  :  &:  celuy-cy  avoit  fait  réponle  à  un  amy  commun 
qui  s'en  étoit  mêlé ,  qu'  «  encore  que  les  proportions  du  Pé- 
)5  re  Jéfuite  qu*il  luy  avoit  envoyées  fuifent  trés-vrayes ,  il 
i.  tom.     ^^  n*efpéroit  pourtant  pas  qu'il  en  pût  déduire  la  Quadrature  du 
M  cercle  comme  il  fèmbloit  le  prétendre.  Le  P.  Grégoire  de 
faint  Vincent  parut  prendre  en  bonne  part  le  jugement  que 
M. Defcartes  èc  les  autres  firent  de  fon  ouvrage,  6c  il  témoi- 
Pâg.  Tï4-Rc-  gna  quelques  années  après  à  M.  de  Sorbiére  que  ce  qu'il  a- 
lac.dcSorb.m  ^^j^.  Jebit^  (J^ns  fon  gros  ouvrage  avec  tant  d'étendue  étoit 
plutôt  pour  exciter  ceux  qui  viendroient  après  luy  à  mieux 
faire  que  par  aucune  penfée  qu'il  eût  eu  de  n'avancer  que 
des  propofitions  tout  à-fait  démontrées.  Mais  il  trouva  mau- 
vais que  le  P.  Merfenne  eût  enchéri  iûr  M.  de  Roberval,  ôc 
PiCT.  614 ,  &   qu'en  rapportant  le  mal  qu'il  en  avoit  oiiy  dire  à  celuy-cy, 
4îi"        '       il  le  fût  abftenu  d'en  dire  d'ailleurs  le  peu  de  bien  qu'il  pou- 
voit  y  avoir  remarqué  :  conduite  qui  ne  luy  paroillbit  pas 
conforme  à  Tefprit  de  charité ,  qui  eft  l'ame  &  la  devifè  de 
la  profeifion  religieufe  des  Minimes.  Il  écrivit  contre  ce  Pè- 
re, &  répondit  en  peu  de  mots  au  jugement  qu'il  avoit  por- 
Pag.4pau     té  de  fon  livre:  mais  il  ne  fit  paroître  fon  écrit  que  fous 
3  tom.  des     jg  j^Qj^  ^Q  Yyj^j^  ^Q  Çq^  écoliers,  comme  nous  l'apprenons  de 

lettr.dc  Defc.     ,  ^    ^  ■  ^  ^ 

M.  Carcavi. 

Pendant  que  M.  Pell  agitoitdans  Amllerdam  laqueftion 
de  la  Quadrature  du  cercle ,  il  arriva  à  M.  Defcartes  une 
occafion  agréable  de  quitter  fà  fblitude  pour  fe  rendre  en 
cette  Ville.  M.  Chanut  fon  amy  avoit  été  nommé  par  le  Roy 
pour  aller  en  Suéde  en  qualité  de  Réfident.  Etant  arrivé  â 
Amflerdam  avec  fa  famille  au  commencement  d'Octobre,  il 
écrivit  à  Egmond  le  iv  du  mois  pour  informer  M.  Defcartes 

de 


Porlicr. 


Livre    VII.   Chapitre   VIL  277 

de  cequileregardoit,  &;  pour  liiy  demander  de  Tes  nouvelles.     1645. 

M.  Defcarces  quitta  tout  pour  venir  embraflér  un  ami  de  cet-  . 

te  importance,  &  voir  toute  fa  famille,  particulièrement  Ma- 
dame Clianut  fœur  de  M.  Clcrfèlier.  Il  ne  les  quitta  point  pen- 
dant leurféjour  en  cette  ville  :  ôc  ce  fut  dans  cétintervale  que 
M.  porlier  qui  étoit  du  voyage  de  Suéde  à  la  compagnie  de 
M.  Chanut  vid  M.  Defcartes  qu'il  n'eut  jamais  occafion  de 
revoir  une  féconde  fois  de  fa  vie.  M.  Porlier  qui  s*ëtoit  fènti 
Cartéfîen  àis  la  première  ledure  de  fcs  ouvrages,   s'entre- 
tenoit  depuis  long-têms  du  defîr  d'en  connoître  l'Auteur. 
Il  l'étudia  exadement  dans  {qs  converfations  ,  comme  il  a-  RcUt.  Mf.de 
voit  fait  dans  {as  livres  ^  &:  avec  toute  fon  application  il  ne 
put  y  remarquer  rien  qui  luy  parût  fufped  de  cet  athéifîne 
6c  de  cette  irreligion  prétendue  ,  dont  Voetius  avoit  répan- 
du la  calomnie  jufqu'en  France.  Enfin  pour  ne  s'en  rappor- 
ter ny  à  {es  livres  ny  à  {es  converfations ,  il  en  voulut  cher- 
cher de  nouveaux  éclairciflemens ,  par  le  moyen  de  quelques 
perfonnes  à  qui  M.  Defcartes  fut  entièrement  indifférent, 
•&  qui  euflènt  néanmoins  d'afTez  grandes  habitudes  avec  luy 
pour  le  connoître  au  naturel.  Il  trouva  un  Maître  d'armes, 
qui  s'étant  venu  rendre  fur  le  bord  de  M.  le  Réfident  pour 
pafTer  en  Suéde,  parut  furpris  de  rencontrer  dans  le  porc 
•M.  Defcartes,  qu'il  fe  vantoit  de  connoître  mieux  que  per- 
fbnne  ,  pour  l'avoir  hanté  fbuvent  en  différens  endroits  de 
la  Hollande.    M.  Porlier  fe  joignit  au  Maître  d'armes ,  dans 
le  deflein  de  le  faire  parler  flir  tout  ce  qu'il  fçavoit  de  nôtre 
Philofophe  fans  précaution  ,  oc  avec  toute  l'ouverture  d'un 
homme  qui  ne  fe  méfie  de  rien.   Le  Maître  d'armes  débuta 
par  dire  ,  que  M.  Defcartes  étoit  un  homme  de  beaucoup 
de  Religion ,  d'une  grande  droiture  de  cœur  ,  généreux  à 
fîncére  dans  fèsamitiez,  libéral  &;  charitable  dans  {es  aumô- 
nes, exemplaire  &;  exad  dans  les  exercices  de  fa  Religion, 
pafTant  par  toute  la  Hollande  pour  un  homme  qui  faifbit 
beaucoup  d'honneur  à  l'Eglifè  Romaine,  &:  qui  édifioit  les 
Proteftans  du  païs.  M.  Porlier  fut  ravi  intérieurement  d'ap- 
prendre que  la  calomnie  de  l'irréligion  parût  fî  mal  fondée 
&;  fî  peu  re^ûc  dans  les  lieux  mêmes  où  on  l'avoit  fait  naî- 
tre ;  &:  voulant  profiter  de  la  belle  humeur  où  il  voyoit  le 
Maître  d'armes  pour  raconter ,  il  l'engagea  infènfiblement 

Mm  iij     *  à 


lyï  La  Vie  DE  M.  Des  CARTES. 

jg  V  f      à  continuer  le  récit  qu'il  luy  fit  de  plufîeurs  particularitez 
,.«...,1— .   de  la  vie  que  M.  Delcartes  menoiten  Hollande,  &  ^^vd  é- 
toient  toutes  preuves  différentes  de  la  bonne  confcienci^  de 
de  la  probité  de  ce  Philofophe  chrétien.    Il  luy  dit  entre  au- 
tres chofès,  que  M.  Defcartes  étoit  un  homme  de  bon  con- 
feil  touchant  la  diverfité  des   ReUgions  pour  quantité  de 
peribnnes  qui  chancelioient  depuis  les  révolutions  du  païs  ,^ 
&  qui  étoient  en  peuie  de  résoudre  le  parti  qu'ils  dévoient 
prendre.    Il  luy  fit  Thifloire  d'un  honnête  homme  ,  lequel 
quoique  élevé  dans  la  Religion  catholique ,  s'étoit  trouvé 
fort  ébranlé  par  le  changement  général  d^  Ton  païs ,  &  par 
le  fâcheux  exemple  de  diverfes  perfonnes  de  ià  connoiiîan- 
ce.  Cet  homme  defiroit  fur  toutes  chofes  de  ne  point  per- 
dre fbn  ame,  mais  il  étoit  fort  embarraiîé  fur  les  moyens  de 
la  con{èrver.   Les  doutes  dont  il  fe  vid  accablé  le  firent  ad^ 
drefîèr  à  M.  Defcartes,  qu'il  ne  connoiffoit  que  comme  une 
perfbnne  que  l'on  confultoit  volontiers  fur  ces  matières.  M-, 
Defcartes  fans  le  faire  entrer  dans  la  difcuffion  des  dogmes 
fe  contenta  de  luy  demander  s'il  croyoit  TEglife  Protellan- 
te  fort  ancienne ,  èc  s'il  en  connoifïbit  les  commencemens  j 
s'il  avoit  oiiy  parler  de  la  conduite  &  des  motifs  des  nou- 
veaux Réformateurs,  de  leur  miflîon  ^  de  leur  autorité  &c 
des  mayens  qu'ils  avoient  employez  pour  étabhr  la  réfor- 
mation i  s'il  avoit  remarqué  dans  les  nouveaux  Réformez 
plus  de  charité  &;  plus  de  condeicendance  chrétienne  ,  plus 
de  patience,  d'humilité,  &  de  Ibumiflion  aux  ordres  de  Dieu. 
La  perfonne  qui  n'étoit  point  déjà  trop  édifiée  de  plufieurs 
effets  fcandaleux  de  la  nouvelle  réformation  en  reconnut 
aulîî-tôt  l'illufion,  6c  fur  les  conclufions  que  M.  Defcartes 
luy  fit  tirer  de  tout  ce  qu'il  luy  avoit  fait  avouer  ,  il  remit 
ion  ame  dans  les  voyes  dufalut.   M.  Porlier  n'oublia  point 
cette  hifloire  ,  eftimant  M.  Defcartes  heureux  d'avoir  été 
calomnié  pour  la  Vérité.  Il  fiât  admis  dans  fon  amitié  en  pré- 
fènce  de  M.  Chanut,  &  il  luy  déclara  que  l'une  des  princi- 
pales raifons  qui  l'avoient  rendu  fedateur  de  fa  Philofophie, 
étoit  qu'elle  donnoit  félon  luy  de  grandes  ouvertures  pour 
expliquer  tous  les  myftéres  de  nôtre  Reh^ion  d'une  maniè- 
re qui  n'eft  ni  dure  ny  forcée.    M.  Porlier  fe  conferva  tou- 
jours depuis  dans  cette  amitié,  tant  parfes  lettres  que  par 

celles 


1(^4  5- 

Toi 

110. 


Livre  Vil.  Chapitre  VIT.         179 

celles  de  M.  Clerfelier  ami  de  l'un  &  de  l'autre.  Il  fit  même 
dans  la  fuite  des  objedions  à  M.  Defcartcs,  pour  luv  faire 
voir  combien  il  avoit  de  Poiit  &  de  pénétration  pour  fa  Phi-   /°"'   ;  f'^'S 

j    r  1      r     ■    r    r-  .1  1  ■      r-  no.  &Iuiv. 

lolophie:  ôc  la  latisraction  quil  en  rcqut  luy  avoit  nie  con-  p^^ 
cevoir  le  defîèin  de  compofer  un  livre  en  faveur  de  cette  ibi3. 
Philofbphie ,  auquel  il  auroit  donné  pour  titre  antiqua  Fi- 
des  Theoloqia  nova ,  pour  montrer  que  les  principes  de  M. 
Defcartes  font  plus  commodes  que  ceux  dont  on  fe  fert  vulgai- 
rement pour  expliquer  les  myftércs  de  la  Religion  chrétienne. 
Maiscedeflein  a  été  traverfe  par  une  vocation-de  Dieu  plus 
preiîante  à  d'autres  emplois  :  6cle  têms  qui  auroit  été  deuiné 
à  la  compofition  de  cet  ouvrage ,  s'eft  trouvé  employé  au  fèr- 
vice  des  Pauvres  dans  l'adminiflration  de  l'Hôpital  général. 

M.  Defcartes  fut  quatre  jours  avec  M.  Chanut  dans  Am-   Lctt.  MC  da 
fterdam  :  &:  l'ayant  lailTé  le  Lundy  au  foir  9  du  mois  d'Oc-   ^^^^i^t- 
tobre  dans  le  navire  où  il  s'étoit  embarqué  pour  la  Suéde,    Lettr.  Mf.  de 
il  s'en  retourna  fort  fatisfait  à  Egmond,  où  il  pafTa  l'hyver ,   oaobrci/4ç, 
oui  fut  fort  rude  cette  année,  à  deux  petits  ouvrages  de  pur  _ 
palic-tems ,  parce  que  les  plantes  de  ion  jardin  n  etoienc  lettr.  pag. 
pas  encore  en  état  de  luy  fournir  les  expériences  qui  luy  100 • 
ëtoient  iiécefTaires  pour  continuer  fa  Phyfique. 

Le  premier  de  c^s  ouvrages  étoit  la  Réponfe  qu'il  avoit 
filons^-têms  refufëc  au  livre  des  Inftances  de  M.  Gaflendi. 
Il  la  fit,  non  pas  fur  le  livre  de  M.  Gailendi  qu'il  avoit  lut   Bcsrnii  Epif^. 
avec  un  peu  trop  de  nég-lieence,  ôc  dans  la  réfolution  de  n'y  P^S-  +*'•  ®' 
rien  trouver  qui  eut  belom  de  reponle  ^  mais  lur  des  extraits   [^^  ^ 
fidelles  que  quelques  amis  communs  avoient  faits  des  en- 
droits qui  méritoient  le  plus  d'être  réfutez.    Il  envoya  cet-  \^:]^^'  ^**' 
te  Répon/e  à  Monfieur  Clerfelier  ,  qui  préparoit  une  édi- 
tion fran<^oife  de  fes  Méditations  avec  les  Objcdions  ôc  les 
Réponfes  tant  de  la  tradudion  de  M.  le  Duc  de  Luynes 
que  de  la   fienne.    Sa  lettre  d'envoy  étoit  dattée  du  u  de 
Janvier  de  l'an  164.6 :  6c  fur  la  connoiilance  qu'il  avoit  de  la 
manière  dont  Monfieur  Clerfelier  en  ufbit  avej  M.  Gafien- 
di  qui  étoit  aufiî  de  fès  amis,  il  voulut  le  prévenir  far  quel- 
ques termes  qui  pourroient  luy  paroître  un  peu  durs.    Il  le  ^^"'■-  ^'^  ^^ 

*    .      j  r\'  >-i     >  ■       \         ■  r      ^    \         r-  i  'i^-  Janvier 

pria  de  conliderer  qu  il  n  avoit  pu  traiter  Ion  adveriaire  plus   16^6,  i  cicr. 
civilement  après  les  injures  de  (on  gros  livre  d*Jnfiances  j  6c  qu'il   ^^^ler. 
auroit  pu  faire  encore  toute  autre  chofè,s'il  n'avoit  eu  le  def 

fein 


1  6  4t  ]' 
1  646. 

Lcctr.  Ml.  da 
^o.  Dccembr. 
Î64;, 

înftant.  Gaf- 
fciid.  adverf. 
Caicef. 


Ces  Inftanccs 
avoient   été 
irapriinées 
chez  Blaew 
avec  fes  Dif- 
quifitions  ou 
Objeûions. 

Lettr.  Mf.  de 
DefcàClerf. 
du  10.  Dé- 
ccmb.  164Î  , 
&  du  II  Jan- 
vier 164^. 


Lcttr.  Mf.  du 
13.  Fcvr. 


Tom.  ï.  des 
lcttr.  p.  lox. 


Le  1  j  de  Juin 


280  La   Vie   de  M.  Descartes. 

/cin  àc  Tépargner.    Il  luy  recommanda  fur  toutes  chofes  de 
ne  laifTer  trlilTer  le  nom  de  M.  Galîendi  en  aucun  endroit  !e 
la  nouvelle  édition  qu'il  entreprenoit  ,ny  dans  ce  qu'il  luy 
envoyoit  contre  i^Qs  Inftances^  afin  de  luy  ôter  tout  fujet  de 
le  plaindre  qu'on  l'eût  voulu  deshonorer.    Il  changea  aufîî 
de  fèntiment  touchant  les  Objedions  de  M.  Gaiîeadi,  qu'il 
n'étoit  point  d'avis  d'abord  qu'on  imprimât  avec  les  Médi- 
tations fi'ançoifès ,  parce  que  M.  Galîendi  avoit  o-rondé  de 
ce  qu  on  l:s  avoit  imprime  mené  en  Latin  chez  hlzevier, 
comme  lî  c'eût  été  contre  fbn  gré,quoique  le  P.  Merfènneluy 
en  eût  alors  communiqué  les  feuilles  de  l'avis  de  M.Defcartes 
àmefure  qu'on  les  imprimoit.   Mais  M.  Clerielier  avant  bien 
voulu  prendre  la  peine  de  traduire  auiîî  ces  Objections  &  la 
dernière  Réponfe  de  M.  Defcartes,  lé  chargea  de  faire  trou- 
ver bon  à  M.  Galîendi  qu'on  imprimât  le  tout  enfemble.  Ce 
qui  fè  fit  à  l'exception  des  Inftances  ou  Répliques  qui  paru- 
rent trop  grolîes  pour  la  forme  du  volume.  Mais  la  Réponlè 
de  M.  Defcartes à  ces  Inftances  étoit  iî, courte,  qu'on  jugea 
à  propos  de  l'ajouter  A  la  Réponfè  faite  an  premier  Ecrit  de 
M.  GaiîènJi.  M.  Clerfelier  obtint  encore  depuis ,  que  non 
feulement  le  nom  de  M.  Galîendi  paroîtroit  par  tout   par 
fa  permilîîon  j   mais  qu'il  adouciroit  dans  fa  traduction  çer. 
tàiDs  termes  de  M.  Defcartes ,  qui  bien  que  tolérables-  en 
Latin  ,  auroient  été  capables  de  choquer  en  notre  langue 
M.  Gafîcndi,  qu'il  vouloit  racommoder  pour  une  bonne  fois 
avec  M,  Defcartes.  Ce  fécond  fèrvice  fut  eflimé  ce  qu'il  va- 
loit  par  M.  Defcartes,  qui  par  une  lettre  du  23  de  Février 
1646  remercia  M.  Clerfelier  de  vouloir  bien  être  tout  à  la 
fois  fbn  Tradudeur,  fbn  Apolo2;ifle,  &fon  Médiateur. 

L'autre  ouvrage  qui  occupa  M.  Defcartes  durant  l'iiyver 
de  cette  année  au  défaut  de  [qs  expériences  de  Botanique, 
étoit  un  petit  traité  de  la  nature  des  PalFions  de  l'Ame.  Son 
defïein  n'étoit  pas  de  faire  quelque  chofe  de  fini  qui  méritât 
de  voir  le  jour,  mais  feulement  de  s'exercer  fur  la  Morale- 
pour  fà  propre  édification ,  6c  de  voir  ii  fa  Phyfîque  pour- 
ront luy  férvir  autant  qu'il  l'avoit  efpéré,  pour  étabhr  des. 
fondemens  certains  dans  la  Morale.  C'eft  ce  qu'il  manda 
quelq  îes  mois  après  à  M.  Chanut  ,  qui  luy  répondit  Je 
Stockl:iolm  en  ces  termes.  >î  J'ay  eu  beaucoup  de  joye  de 

voir 


Livre   Vîï.    Chapitre  VI ï.  iSi 

voir  dans  vôtre  lettre  un  cban2:cmcnt  de  ce  dégoût  que  vous  ,.  i  ^  a.6. 

me  témoignâtes  à  Amflerdam.  Pviifque  vous  avez  écrit  quel-    «c  --— • 

que  chofe  des  Paffionsde  l'Ame  ,  vous  n'êtes  plus  en  colère   t,  Lett.xMfde 
contre  nous  :  vous  ne  vous  tiendrez  pas  de  nous  faire  encore   ^  chanut  du 
plus  de  bien.   Car  je  crois  que  je  raifonne  bien ,  jugeant  qu'il   ^^  ic'^6. 
n'ejft  pas  polîibîe  que  ces  adions  les  plus  communes  de  l'A-   ;,  Djpen.iin- 
me  fbient  exactement  connues  ^  qu'on  n'ait  donné  une  i^ran-   ^^  ce  de  la 
de  atteinte  à  la  nature  de  l'Ame  même,  &:  à  faliaifon  avec  le   ,,  Î^T'^lf,*^ 
corps,  qui  font  des  myftércs  jufques  à  préfent  fort  cachez.   ^^  ck^uz. 
Ce  dégoût  dont  M.  Defcartes  avoit   entretenu  M.  Clia-  Tom.  5.  des 
mit  à  Ton  palFage  de  France  en  Suéde  ,  regardoit  é;2;alement  iettr.pag.511? 
la  compoiition  ^cla  publication  de  (qs  ouvrages.  C'étoit  un   Tom.  1.  des 
efFet  de  la  contradiction  qu'on  apportoit  à  fès  écrits  en  les   ^'^^"^■P-  ^^4. 
lifant,  ou  de  TindifFérence  qu'on  avoit  pour  les  lire.  Tamais  7°"^*  '"  '^^ 
il  iiimprima  un  livre  dont  il  ne  le  repentit  enluite,  n étant   103, 104  & 
plus  en  état  pour  cette  fois  de  fè  vanger  de  l'ingratitude  de  ^?- 
fes  ledeurs ,  ny  de  remédier  A  la  négligence  des  autres  :  & 
pour  combler  fi  mortification ,  les  Libraires  n'étoient  point 
honteux  d'infulter  encore  à  fes  chagrins ,  &  de  fe  plaindre 
qu'ils  n'avoient  pas  le  débit  de  les  h'vres.    Nous  avons  vu 
que  dés  la  première  impreffion  de  les  Efîiiis  il  détella  fa  qua-   v.  cy.dcïïus, 
lité  d'Auteur  qui  luy  coûtoit  la  tranquillité  de  la  vie.   Lors 
qu'il  revenoit  de  fes  déplaifirs ,  6c  qu'il  écoutoit  d'un  lens 
plus  rafîîs  ce  que  fa  confcience  &  fi  raifjni  luy  dicloient ,  il 
ne  fe  repentoit  plus  d'avoir  imprimé  ce  qui  étoit  palFé  :  mais 
il  prenoit  de  fjrtes  réfblutions  ilir  l'avenir  pour  n'y  plus  re- 
tourner j  jufqu'à  ce  que  quelque  ami  vint  luy  remontrer 
qu'il  ne  devoit  pas  regarder  fès  difciples  ou  fes  ledl^urs  par 
leur  nombre,  ny  refufer  de  faire  du  bien  à  ceux  qui  étoient 
bien  difpofez  pour  punir  les  autres.  Depuis  que  M.  Chanut 
lity  eût  remis  le  courage  à  Amfterdam  ,  il  étoit  retombé 
dans  foii  premier  découragement  après  avoir  fait  fà  derniè- 
re Réponfe  à  M.  GalFendi  &  fon  petit  traité  des  Pallions, 
Pour   s'excufer  du  travail    il  avoit  déclaré  à   cet    excel-  Png.  loi.  &; 
lent  ami  ,  qu'encore  qu'il  eût  perdu  toute   envie  de  plus   103- du  tom. 
rien  mettre  au  jour,  il  auroit  pourtant  été  et  humeur  a  écrire  ^   ^'  "^^  ^"'^- 
Jï  le  dc'^oât  qu'il  avoit  de  voir  combien  peu  de  perfonnes  daiqiioicnt 
lire  fes  écrits  ne  le  rendoit  négligent.  M.  Chanut  s'étant  rendu 
l'avocat  de  ce  feu  de  £erfonnes ,  ne  vint  à  bout  de  le  vaincre 

Nn    *        qu*à 


iSi  La   Vie  de    M.    Des  car.  te  s. 

1646.     qiiM  force  de  raifonnemens  &  de  prières.  Et  pour  le  dédom- 
^  mager  du  petit  nombre  de  ies  lecteurs  par  le  mérite  &l  la 

qualité  de  fes  dilciples,  il  luy  acquit  la  Reine  de  Suéde,  à 
qui  il  lit  naître  Tcnvie  de  lire  fes  ouvrages ,  &  de  le  connoî. 
tre.  M.  Deicartes  ne  fut  point  infenilble  à  tant  de  bons  of- 
fices. Il  en  récrivit  en  ces  termes  à  fon  ami.  »  Je  n'ay  jamais 
*  LaRci-  ,j   eu  alîèz  d'ambition  pour  defîrer  que  les  perfbnnes  *  de  ce 

fie  de  Sué-  r  '^  nr     ^  o  ^  r*    •>         •       '    r    r     1 

^„  ->«  rang    içulient  mon  nom  :  de  même  ,  h  j  avois  ete  feule- 

j^^  ^  «  ment  auiîi  fage  qu'on  dit  que  les  Sauvages  fe  perfuadenc 
des  lettr.  >'  que  foHt  les  Singes  ,  je  n'auroïs  jamais  été  connu  de 
pa^.io4.  >j  qui  que  ce  Ibit  en  qualité  de  faifèur  de  livres.  Car  on  die 
»  qu'ils  s'imaginent  que  les  Singes  pourroient  parler  s'ils  vou- 
îî  ioient  j  mais  qu'ils  s'en  abftiennent,  afin  qu'on  ne  les  con- 
«  traigne  point  de  travailler.  Et  parceque  je  n'ay  pas  eu  la, 
ïî  même  prudence  à  m'abftenir  d'écrire ,  je  n'ay  plus  tant  de 
«  loifir  ny  tant  de  repos  que  j'aurois ,  fî  j'eulles  eu  l'eiprit  de 
»  me  taire.  Mais  puifque  la  faute  eft  commife,  ôcque  je  fuis 
?5  connu  d'une  infinité  de  gens  d'école,  qui  regardent  mes  é- 
55  crits  de  travers,  &:  y  cherchent  les  moyens  de  me  nuire :j'ay 
)5  grand  fujet  de  Ibuhaiterauffi  de  l'être  des  perfonnes  de  plus 
>?  grand  mérite,  dont  le  pouvoir  dc  la  vertu  me  puillent  pro- 
«  téger.  J'ay  oiiy  faire  tant  d'eftime  de  cette  Reine ,  qu'au  lieu 
î?  que  je  me  fliis  fouvent  plaint  de  ceux  qui  m'ont  voulu  don- 
5»  ner  la  connoilîance  de  quelque  Grand ,  je  ne  puis  m'abfbenir 
î5  de  vous  remercier  de  ce  qu'il  vous  a  plu  luy  parler  de  moy. 
»  Mais  j'ay  peur  que  les  écrits  que  j'ay  publiez  ne  méritent 
î5  pas  qu'elle  s'arrête  à  les  lire,  &  qu'ainh  elle  ne  vous  fçache 
»  point  de  gré  de  les  luy  avoir  recommandez.  Si  j'avois  traité 
îî  de  la  Morale ,  j'aurois  peut-être  lieu  d'efpérer  qu'ils  pour- 
ra roient  luy  être  plus  agréables  :  mais  c'eft  dequoy  je  ne  dois 
«  pas  me  mêler  d'écrire.  MelTieurs  les  Régens  de  collèges 
"  îbnt  fi  animez  contre  moy  à  caufe  desjnnocens  principes  de 
»  Phyiique  qu'ils  ont  vus ,  6c  tellement  en  colère  de  ce  qu'ils 
î5  n-y  trouvent  aucun  prétexte  pour  me  calomnier ,  que  fi  je 
î3  traitois  après  cela  de  la  Morale,  ils  ne  me  laifïeroient  aucun 
?.Boui-din.  53  repos.  Car  puis  qu'un  Père  Jéiliite  a  cru  avoir  allez  de  fu- 
«  jet  pour  m'accuier  d'être  fceptique  de  ce  que  j'av  réfaté  les 
G.Voctms.  „  Sceptiques  ^  &  qu'un  Minidre  a  entrepris  de  perfuader  que 
>i  j'etois  athée  fans  en  alléguer  d'autres  laifons ,  finon  que  j'ay 

tâché 


Livre  VIL  Chapitre  VIL  2S3 

tacîiÀ  de  prouver  rexiftence  de  Dieu  :  Que  ne  diroient- 
ils  point,  fî  j'entreprenois  d'examiner  quelle  eil  la  jrfte  va- 
leur de  toutes  les  chofes  qu'on  peut  defirer  ou  craindre  j 
quel  fera  l'état  de  l'Ame  après  la  mort  -,  jufqu'où  nous  de- 
vons  aimer  la  vie  ^  &  quels  nous  devons  être  pour  n'avoir 
aucun  fujet  d'en  craindre  la  perte.  J'aurois  beau  n'avoir  que 
les  opinions  les  plus  conformes  à  la  Religion  ,  6c  les  plus  u- 
tiles  au  bien  de  l'Etat,  ils  ne  laiiTeroient  pas  de  me  vouloir 
faire  croire  que  j'en  aurois  de  contraires  à  l'un  de  à  l'autre. 
Ainfi  je  penfe  que  le  mieux  que  je  puiiTe  £nre  dorénavant 
fera  de  m'abftenir  de  faire  des  livres  :  &  ayant  pris  pour  ma 
devifè  7^i  mors  gravis  incubât ,  qui  notus  nimis  omnibus  ^  iyiotm 
moriturfihij  de  n'étudier  plus  que  pour  m'inflruire  -,  &  ne 
communiquer  mes  penfées  qu'à  ceux  avec  qui  je  pourray 
converfèr  en  particulier. 


16  ^6. 

Projet  de 
la   Morale 
deM.DcCc. 


CHAPITR  E    VIIL 

%es  Je  fuites  3  quoique  Véripatkicicns  ^  attache^  à  la  Scholafti^ 
que  ^  font  com.p  liment  à  M.  De  fartes  fur  fa  Philo  fophie.  Vai- 
ne appréhenfion  de  M.  T)e fartes  fur  îcurfujct ,  à  l'occafion  du 
JP.  Kirchery  qui  devint  enfuite  fon  ami.  Amitié  avec  le  P. 
Mo  ël  Je  fuite.  Son  fentim^nt  touchant  le  livre  de  JV^ndelinus  fur 
la  pluie  rouge.  Difpute  fur  les  Vibrations  avec  M.  Candi fhc 
j4nglois  ^  M.  de  Koberbal,  Af.  De  fartes  en  belle  humeur 
contre  ce  dernier ,  entreprend  de  cenfurcr  fon  Arifiarque.  Exercl^ 
ces  entre  M.  De  fartes  ^  la  Princeffe  Eliz^beth  aux  eaux 
de  Spa  fur  la  vraye  félicité  de  ce  monde  ^  fur  le  livre  de  Sénéque 
de  Vitâ  beatâ,  ^  fur  divers  autres  points  de  Morale.  Edi- 
tion du  livre  d.e  Regius  intitulé  Fondemens  de  Phyfique.  Su- 
jets de  mécontentement  quen  a  M.  Defcartes.  Mauvaife  con- 
duite de  Regius  3  fur  tout  après  la  mort  de  M,  Defcartes  dans 
la  féconde  édition  de  fon  livre. 

Dieu  ne  lailïà  point  M.  Defcartes  fans  quelque  confo- 
lation  au  milieu  des  d épiai fîrs  qu'il  avoit  de  voir  fès 
écrits  {i  mal  reçus  parmi  ceux  qui  étoient  préoccupez  des  Tom.  i.  des 
opinions  de  rçcole»  »  Il  reçût  pendant  toute  l'année  des  ^'^^"'  P^»-  ^^'- 

Nn  ij  !        compliniens 


I ^4 ^*  " 


55 


lettr.  Mf.  du 

à  Picot. 

Lettr.  Mf.  du 
4.  May  1646. 


Tom.  I.  des 
îettr.  VA'A.  au 
P.  Merfenne, 
variorum. 
pag.  104. 

Invent,  des 
pièces  MIT. 

Et  tom.  X.  des 
kttr.  p.  ^6l„ 


Tom.  3.  des 

lettr.  pag.  58. 
&  lettr.  Ml',  à 
CLcifelier  de 
laiîade  164^. 


284  La  ViE  De  M.  Descartes. 

compiimens  des  Pérès  Jéruices ,  qu'ii  avoit  toujours  crû  être 
ceux  qui  le  fentiroient  les  plus  intéreilèz  dans  la  publica- 
tion d'une  nouvelle  Philofopiiie ,  de  qui ,  félon  luy ,  auroienc 
dû  le  luy  pardonner  le  mouis  ,  s'ils  avoient  crû  pouvoir  y 
bldmer  quelque  chofe.  Ces  nouveaux  témoignages  des  Jé~ 
fuites  le  tirèrent  de  l'inquiétude  où  il  avoit  été  flir  la  fin  de 
Tannée  1645  tt>uchant  leurs  difpofitions  à  fon  égard.  Sur 
le  rapport  que  M.  Naudé,  un  peu  avant  fon  retour  de 
Rome,  avoit  fait  à  M.  Picot  de  la  manière  peu  obligeante 
dont  le  P.  Kirche^  'jéixnte  Allemand  avoit  parlé  de  fa  Philo- 
fopiiie dans  un  nouveau  livre ,  où  il  la  confondoit  mal  à  pro* 
pos  avec  celle  de  Démocrite  ,  il  s'étoit  imaginé  trop  lé^-é^ 
renient  que  les  jéfuites  d'Allemagne  èc  d'Italie  ne  luy  vou^ 
droient  pas  de  bien  ;  &  toute  la  bonne  opinion  que  les  Jé- 
fuites de  France  &c  des  Pays-bas  faifoient  paroître  pour  elle 
n'avoit  point  été  capable  de  luy  ôter  cette  penfée.  Il  en  a- 
voit  écrit  le  xxix  de  Décembre  de  Tan  ié'45  ^  ^-  Picot, 
pour  tacher  d'avoir  des  éclaircifîemens  là  defliis,  &  de  fe 
fortifier  contre  toute  fâcheuie  aventure.  Mais  il  fçût  depuis 
que  Kircher  n'avoit  point  parlé  au  nom  des  autres  j  êc  il 
jugea  par  la  manière  dont  on  luy  marqua  les  études  &  les 
qualitez  de  ce  Père,  qu'il  ne  devoit  pas  avoir  l'efprit  fort 
propre  à  examiner  une  choie  qui  auroit  requis  beaucoup 
d'attention ,  comme  il  croyoït  qu'en  dpmandoient  fçs  écrits. 
Le  Père  Kircher  ne  fut  pas  long-têms  làns  changer  de  fen- 
timent  à  l'égard  de  M.  Defcartes ,  dont  il  rechercha  l'ami- 
tié parla  médiation  du  P.  Merfenne  :  &  M.  Defcartes  outre 
des  comphmens  ôc  des  recommandations  de  luy,  recrût  en- 
core ce  qu'il  avoit  écrit  de  la  nature  &  des  effets  de  l'ay- 
man ,  6c  y  fit  quelques  obfervations  qui  fe  font  trouvées  après 
là  mort  parmi  lès  papiers, 

Ce  fut  fur  la  fin  de  la  même  année  que  le  Père  Eftienne 
2\^oeI  Recleurdu  collège  de  Clermontà  Paris  voulut  l'alTû^ 
içr  de  Ion  amitié  &  de  fon  ellime ,  par  le  prélènt  qu'il  luy 
fit  de  deux  nouveaux  livres  de  fa  compofition.  L'un  avoit 
pour  ptre  u4phorifmi  Phyfici ,  feu  ,  Phyjic^  peripatetic^  prtnc'- 
pia  breviter  ^  dilucidè  propojita.  L'autre  s'appelloit  Sol  fl.im- 
?na  ^  feu  tralbatus  de  foie  utflamma  eft  ^c'pifque  pabi.lo.  Ce  der- 
xiier  luy  fut  rendu  avant  l'autre  par  M.  de  T-uytlichcm  ,  i 

qui 


LivfiEVII.   Chapitre   VIII.  285 

'qui  le  P.  Merfcnnc  i'avoit  adreflc.  Il  ne  fit  point  infenfiblc     1  6  4.6. 

au  plaifir  qu'il  eut  de  s'y  voir  citer  avec  éloge,  &  il  a^  fut  — 

point  fâché  de  connoître  par  la  lecture  qu'il  en  fit,  que  les  v.aurniaict- 

r»  '         J     1      ^       ^         ■     J     ^  r  >  1  ^  tre    Mf.  de 

Itères  de  La  Compd'^me  de  je  Jus  ne  s  attachent  fas  tant  aux  an-   Defc.à  McrC 
tiennes  opinions ,  quils  rien  ofent propofer  auffi  de  nouvelles.    Le  du  15.  No- 
Pére  Noël  ,  quoique  Péripatéticien  de  profjffion ,  n'étoit  vembici64^, 
pas  fort  éloigné  des  fentiinens  de  M.  Dcfcartes.    C'eft  ce 
qu'il  a  donné  lieu  de  croire  par  divers  autres  ouvrages  qu'il 
a  publiez  depuis  fïir  les  rapports  différens  de  la  Pliyfique 
nouvelle  avec  l'ancienne  ^  îur  la  comparaifbn  de  la  pefan- 
teur  de  l'air  avec  la  pefanteur  du  vif-argent-,  fur  le  Plein  de 
la  nature  contre  l'opinion  du  Vuide.  C'eft  au  fujet  de  cet- 
te dernière  opinion  qu'il  eut  difpute  avec  M.  Pafcal  le  jeu-  j.^^^^.  j^^  ^^ 
ne  en  faveur  de  M.  Defcartes  d'un  côté,  &  des  Péripaté-  bi,  Pafcaian 
ticiens  de  l'autre.  Ils  s'écrivirent  plus  d'une  fois,  le  P.  Noël  \-  ^^-  Noël 
pour  prouver  qu  il  n  y  a  point  d  elpace  qui  ne  ioit  un  corps,  ,^^7^ 
M.  Pafcal  pour  nier  l'impoiTibilité  du  Vuide  :  tous  deux  en 
des  termes  pleins  de  civilitez  l'un  pour  l'autre ,  &  d'eftime 
pour  M.  De/cartes,   Le  Père  Noël ,  Lorrain  de  naiflance  , 
ëtoit  pour  lors  âgé  de  65  ans,  &  il  flirvéquit  plus  de  neuf  ans 
à  Ai.  Defcartes.   Ils  s'étoient  apparemment  connus  à  la  Flè- 
che, où  le  P.  Noël  avoit  régenté  avant  que  d'y  être  Rec- 
teur ,  &  où  il  retourna  pour  y  mourir  après  avoir  été  enco- 
re Redeur  ailleurs,  &  vice-Provincial  de  fa  province. 

Cefutauffi  vers  le  même  têms  que  M.  Defcartes  reçit  le  DeFiuvjdpur^ 
nouveau  livre  de  la  JPluye  rouge  ou  fanglante  qui  étoit  tom-  ^l'^fui^m 
bée  à  Bruxelles  de  la  part  de  fbn  Auteur   ,  qui  étoit  du  8°. 
nombre  de  ces  amis  avec  lefquels  il  avoit  peu  de  communi- 
cation ,  mais  qu'il  ne  laifîbit  pas  d'eflimer  beaucoup.    Cet 
Auteur  étoit  le  fleur  Godefroy  Wendelin  Curé  de  Herck 
&  Chanoine  de  Condé ,  dont  nous  avons  déjà  eu  occafion 
de  parler.    M.  Defcartes  récrivit  en  ces  termes  à  celuy  qui 
avoit  pris  la  peine  de  luy  faire  tenir  le  livre ,  &  qui  I'avoit 
prié  de  luy  en  mander  Ion  fentiment.  ^  L'obfervation  que 
contient  le  livre  de  Pluvia  purpureà  cfl:  belle  :  ôc  ayant  été  «* 
faite  par  M.  Wcndelinus,  qui  efl  homme  fçavant  aux  Ma-  «t 
thématiques  &  de  très- bon  efprit ,  je  ne  fais  point  de  doute  « 
qu'elle  ne  /bit  vraye.  Je  ne  vois  rien  aufTi  à  dire  contre  les  « 
raiions  qu'il  en  donne;,  parce  que  dans  cts  fortes  de  matières,  « 

N  n  lij    t        dont 


iS6 


La   Vie   de    M.  Descarte j. 


1646, 


*  Arrivé 
en  Juillet 
164  j.  car  ce 
rére  retourna 
encore  rjii  ver 
fuivant  en 
Italie,  d'oLi  il 
ne  revint  qu'- 
au comm'en- 
cement  de 
Septembre 


Tom 

•  3-  d 

es 

ïettr. 
H87. 

&c. 

>5 

Pag-'iî'i.  ibid. 


donc  on  n'a  pas  plufieurs  expériences ,  c'eft  afiez  d'imariner 
une  cau(e  qui  puifïe  produire  reîTecpropofé,  quoiqu'il  puif- 
ie  auffi  être  produit  par  d'autres ,  &  qu'on  ne  fçache  point 
la  vraye.  Ainfi  je  crois  facilement  qu'il  peut  fortir  des  exha- 
laifons  de  divers  endroits  de  la  terre,  &  particulièrement  de 
ceux  où  il  y  a  du  vitriol ,  qui  fè  mêlant  avec  l'eau  de  la 
pluie  dans  les  nues  la  rendent  rouge.  Mais  pour  afTûrer 
qu'on  a  juftement  trouvé  la  vraye  caufê,  il  me  femble  qu'il 
faudroit  faire  voir  par  quelque  expérience ,  non  pas  com- 
ment le  vitriol  tire  la  teinture  des  rofes,  mais  comment  queL 
ques  vapeurs  ou  exhalaifons  qui  fbrtent  du  vitriol  jointes  â 
celles  qui  Ibrtent  du  bitiune  fe  mêlant  avec  celles  de  l'eau 
de  pluie  la  rendent  rouge  :  èc  ajouter  pourquoy  les  mêmes 
mines  de  vitriol  &;  de  bitume  demeurant  toujours  aux  mê>^ 
mes  lieux  proches  de  Bruxelles ,  on  n*a  cependant  encore  ja- 
mais remarqué  que  cette  ièule  fois  qu'il  y  fbit  tombé  de  la 
pluie  rouge. 

Depuis  le  retour  du  P.  Merfenne  en  France*  ,  M.  de 
Roberval  oubliant  peu  à  peu  la  réfolution  qu'il  avoit  prife 
de  vivre  en  bonne  intelligence  avec  M,  Defcartes  après 
l'honneur  qu'il  avoit  reçu  d'une  de  fes  vifites  à  Paris ,  re- 
tournoit  i  ilenfiblement  à  fbn  génie  inquiet ,  &  parloit  de  ce 
que  M.  Defcartes fçavoir,  ou  ne  fçavoit pas, avec  afîèzpcir 
de  précaution.  M.  Defcartes  en  Rit  averty  par  des  gens  qui 
luy  rendirent  peut-être  M.  de  Roberval  plus  criminel  quH 
n'étoit ,  fans  confidérer  qu'il  y  avoit  plus  de  foibleiïè  natu- 
relle que  de  malignité  dansfès  manières.  On  luy  donna  avis 
dés  le  commencement  de  l'an  1646  de  deux  principaux  points^ 
fur  lefquels  M.  de  Roberval  {e  vantoit  de  pouvoir  luy  fiire 
de  la  peine.  Le  premier  re^ardoit  la  queftion  de  Pappus^ 
dont  nous  avons  déjà  été  obligez  de  parler  ailleurs  :  l'autre 
Goncernoit  les  Vibrations  ,  ou  la  grandeur  que  doit  avoir 
chaque  corps  de  quelque  figure  qu'il  jfbit  étant  fufpendu  en; 
l'air  par  Tune  de  iès  extrémitez ,  pour  y  faire  {^^  tours-  &:  re- 
tours égaux  à  ceux  d'un  plomb  pendu  à  un  filet  de  longueur 
donnée,  La  quefi:ion  des  Vibrations  luy  fat  propofée  pre- 
mièrement par  le  P.  Merfenne,  auquel  il  fit  deux  réponfes, 
rune  le  ir  de  Février  ,  l'autre  le  1  de  Mars  j  &  enfuite  par 
M.  Candifche^  qui  écoit  pour  lors  d  Paris.  Il  envoya  la  folu- 

tion. 


tiVKE   VIL    Chapitre  VIÎI.  iS7 

tion  de  la  qucftion  à  ce  Seigneur  le  xxx  de  Mars,iuy  mar-     i  ^^  (,. 
quant  la  crainte  de  pouvoir  encore  moins  le  fatisfairc  que   ».  ,   - — 

,1  ,  .  i  ^    ^  .  r  T  1  M.  Oelcàitcs 

les  autres  navoient  pu  taire,  parceque  les  railonncmensne  ctoitau/iia- 

s'accordoient  pas  avec  les  expériences  que  ce  Seigneur  a-  i*'y  tresparti- 

voit  pris  la  peine  de  luy  envoyer.    Il  le  pria  d'attribuer  au  Mar^qms"dc- 

zéle  qu'il  avoit  pour  luy  obéïr,  la  hardieile  qu'il  avoit  eiië  puis  Duc  de 

de  déterminer  ainfi  des  choies  qui  dépendent  de  l'expcrien-  ^^^^^^cafiie  foa 

ce, fans  en  avoir  fait  l'épreuve  auparavant,    M.  Candifche  lettr.  Mf.â 

communiqua  la  lettre  qu'il  avoit  reçue  de  M.  Defcartes  à  Mei^.  du  14 

M.  de  Roberval,  qui  y  fit  aufli-tôt  des  obfervarions  que  ce  ^l^e^ 

Seigneur  Anglois  ne  manqua  point  d'envoyer  à  M.  Defcar-  Elles  fetrou- 

tes.   Il  en  reçut  la  réponfe  quelque têms  après;  &  M.  DeC  vemaiapage 

ATirïiii  •  -i         498. du  3. ton», 

cartes  voyant  que  M.  de  Koberval  s  appuyoït  principale-  Pa„.  jo^. 
îTient  flir  fes  expériences  touchant  les  Vibrations  des  trian-  ibid. 
gles,  il  manda  au  P.  Mer/ènne  par  une  lettre  du  10  d'A- 
vril, "  qu'il  nepréfumoit  pas  aflèz  de  luy-même  pour  entre-  ^^  p^^ 
prendre  d'abord  de  rendre  raifon  de  tout  ce  qu'on  peut  a-  ^^  5io^ibid.* 
voir  expérimenté.   Mais  qu'il  croyoit  que  la  principale  ad-   ^^ 
drelîe  qu'on  pût  employer  dans  l'examen  des  expériences  ^^ 
confiftoit  à  choifir  celles  qui  dépendent  de  moins  de  caufès  ^^ 
diverfès ,  6c  dont  on  peut  le  plus  aiiement  découvrir  les  vrayes  „ 
raifbns.  La  difpute  ne  finit  point  avec  l'année  1646.  M.  de   ^^ 
Roberval  l'entretenoit  avec  d'autant  plus  d'avantage  qu'el- 
le fiifoit  alors  le  point  de  fà  Profefllon  qu'il  exammoit  ac- 
tuellement pour  fes  écoliers.    Quoiqu'il  parût  y  procéder 
d*aflez  bonne  foy  ,  &  que  M.  Candifche  &:  le  P.  Merfenne 
ne  l'excitafTènt  à  continuer  la  difpute  que  pour  en  faire  naî-   Pag.nr,  yî4; 
tre  un  plus  grand  bien  par  quelque  nouvelle  décou^'erte,  il   &îi7.ibid. 
ne  laifîa  point  de  mettre  en mauvaife humeur  M.  Defcartes,   L^ttr.  MIT  de 
qui  auroit  voulu  finir  de  bonne  heure,  âc  qui  n'étoit  pas   JuY&^ju  il"^  ' 
content  de  fè  voir  obligé  de  continuer  pour  M.  de  Rober-   oaobiv&du 
val  ce  qu'il  n'avoit  commencé  que  pour  le  P.  Merfenne  &   ^  ^'^  Novem- 
M.  Candifche.  Mais  quoiqu'il  eût  renoncé  aux   Mathéma-     ^"^  ^^^^' 
tques  depuis  plufîeurs  années,  il  ne  \ç:s  avoit  pas  encore 
tellement  oubliées  qu'il  ne  luy  fût  trés-facile  de  faire  l'ana- 
lyfc  delà  régie  de  M.  de  Roberval  pour  les  Vibrations  des   Pag.  çc?.  <Sfc: 
triangles,  &  de  montrer  que  de  la  manière  qu'il  la  propo-  ^^^^• 
foit  elle  étôit  comme  une  étrivière  qui  s'allonge  ^  s  accourcit  au-^ 
tant  que  l'on  veut  3  ou  comme  les  Oracles  de  la  Décffe  de  Syrie 

qui 


i88  La   Vie    de    M.  D  es  caktes, 

164.6.      ^^^  poHvoiem  fe  tourner  en  tous  fcns.   II  ne  nioit  pourtant  pas 
___________   qu'elle  ne  put  s'accorder  avec  l'expérience  :   mais  il  faifoit 

voir  que  dans  qq^  fortes  de  matières  les  expériences  ne  poa- 
voient  jamais  être  fort  exades. 

Qiiant  à  l'autre  point  fur  lequel  M.  de  Roherval  auroit 
DansfaGéo-   été  u'iiumcur  à  tourmenter  M.  Defcartes  qu'il  accufbit  de 
mércnTi^/y!   ^^'^voir  pas  réfolu  la  queilion  de  Pappus,  il  ne  fut  pas  agité, 
parceque  M.  de  Roberval  ne  voulut  point  déclarer  le  iéns 
différent  de  celuy  de  M.  Defcartes  ,  qu'il  prétendoit  avoir 
Pag.  487.  du    trouvé  par  la  folution  de  cette  quefnon.  M.  Defcartes  le  fit 
leur?  *  '^^      prier  néanmoins  par  le  Père  Merfèime  de  vouloir  le  mettre 
par  écrit,  afin  qu'il  p  lit  le  comprendre  plus  facilement.  Et 
pour  l'engager  en  galant  homme  à  ne  luy  pas  refufèr  cette 
faveur ,  il  offrit  en  récompenfe  de  l'avertir  des  principales 
Livre  de  M.     fautes  qu'il  avoit  remarquées  dans  fon  Ariflarque  ,  touchant 
imprrmé'^c-   1^  ^Y^éme  du  monde.   Le  Père  Merfenne^  qui  depuis  long- 
puîs  peu  feus    têms  follicitoït  M.  Defcartes  de  porter  fbn  jugeaient  fîir  ce 
ce  nom.         livre,  dont  il  I  uy  en  avoit  envoyé  deux  exemplaires  à  différen- 
tes fois  dans  cette  intention,ne  laifla  point  tomber  cette  offre  ; 
&;  M.  Defcartes fè  voyant  fbmméde  fi  parole  par  l'ordinaire 
Elle  eft  au  j     fuivant,ne  pût  refufer  à  ce  Père  la  cenfîire  de  l' Ariftarque  qu'il 
tom  des  leur.    j^„  envova  cu  latin  àh  le  xx  d'Avril  iGa.6.  C'étoit  pour  la  fe- 
I.  Le  livre  de   condc  lOis  que  M.  Deicartes  le  meloit  de  ceniLirer  les  ouvra- 
Gahiée.  gg^  d'autruy  qui  ne  le  regdrdoient  pas.  M.-is  c'étoiren  l'une 

Q^yç^    ^^  ^^'   &:  l'autre  occafîon  l'effet  des  importunitez  de  {^^  amis.  Car 

3.  Car  la  il  avoit  un  vray  déplaifîr  lorfqu'il  ne  pouvoit  fuis  bleilèr  la 
Géoftatique  vérité  portcr  un  kiçement  à^s  icrvis  qu'on  luy  donnoit  à 
l'intcreffoit.     examiner  qui  put  plaire  a  leurs  Auteurs.   La  principale  des 

4.  Etiejuge-  fautes  qu'il  avoic  remarquées  dans  ce  faux  Ariflarque  ,  c^ 
dlTaizaceft'  ^^^  règuoit  partout  le  livre,  étoit,  que  les  chofès  que  M 
plutôt  un  éio-  de  Roberval  avancoit  &  fuppofbit  pour  en  expliquer  d'au- 
ge qu'une  j-j^.^^^  ètoicntmoiiis  probables ,  moins  évidentes ,  moins  fîm- 

pies ,  ou  enhn  moins  connues  de  quelque  manière  que  ce  mt, 
que  celles  qu'il  vouloit  expliquer  par  leur  moyen  y  &  qu'a- 
vec cela  ce  qu'il  avoit  voulu  conclure  ne  fuivoit  pas  de  (qs 
fuppofîtions.  Il  fe  contenta  d'envoyer  au  P.  Merfenne  l'e- 
xamen  ài^s  quatre  premières  pages  de  ce  livre,  rebuté  du 
grand  nombre  de  fautes  qu'il  auroit  dii  remarquer  dans  le 
Pag.  f  10  du    ^^f|.ç^  ybX^  il  accorapaçrna  cet  écrit  d'un  autre  iu2;ernent  qu'il 

).  vol.  oc  pag,  1    w>  )    o  i     , 

J37.  IiUloïC 


Livre    VII.    Chapitre    VIII.  289 

fajfoit  de  refprit  &  de  La  capacité  de  M.  de  Roberval ,  à  qui  164.6. 
il  ne  laiila  qu'une  gloire  fort  médiocre,  nonobftant  la  gran-  - 
de  réputation  que  ce  Géomètre  s'étoit  acquifè  dans  Paris, 
M.  de  Roberval  ne  dilîimula  point  fon  chagrin  lorfque  le 
P.  Meilénne  luy  eût  fait  voir  la  cenfure  des  premières  pa- 
ges de  fon  Aàilarque.  La  crainte  que  M.  Defcartes  ne  la 
continuât  le  fit  pafler  à  des  menaces  mêlées  d'invectives  qui 
dévoient  ctre  fuivies  flir  la  certitude  de  les  promefles,  d'une 
réponfe  à  cette  cenfure  :,  d'un  examen  rigoureux  de  fa  Géo- 
métrie, &:  d'une  réfutation  de  fes  Principes.  C'étoit  au  moins 
pour  l'obli  ;er  à  donner  ce  qu'il  promettoit  depuis  fept  ans 
contre  fi  Géométrie,que  M.  Defcartes  avoit  ufé  de  ce  ftrata- 
géme.  Mais  toute  la  colère  de  M.  de  Roberval  s'évapora  en  y^idcm. 
difcours  frivoles  :  &  quoy  qu'il  fe  vantât  éternellement  d'avoir 
dans  fon  cabinet  de  quoy  faire  des  leçons  à  M.  Defcartes  ,  ja- 
mais il  n'^eutle  courage  de  rien  produire,  ny  pour  ladéfenfe 
de  f  n  Ariftarque  ,ny contre  la  Géométrie,  ny  enfin  contre 
les  Principes  de  M.  Defcartes. 

M.  de  Roberval  eut  de  quoy  fè  confbler  delà  févérité  de 
la  cenfure  que  M.  Defcartes  avoit  faite  de  fon  livre  dans 
la  manière  dont  Sènèque  fut  traité  vers  le  même  têmsr 
fiir  tout  s'^il  confidéroit  qu'il  n'étoit  pas  de  meilleure  con- 
dition que  ce  Philofbphe  ,  àc  qu'il  avoit  fur  luy  le  privi- 
lège des  auteurs  vivans,  c'eft-à-dire ,  l'avantage  de  pouvoir 
fè  plaindre  &  fe  corriger.  M.  Defcartes  fè  trouvant  en  hu- 
meur de  faire  des  jujeniens  de  livres  lorfque  la  Princelîè 
Elizabeth  luy  demanda  dequoy  s'entretenir  aux  eaux  de 
Spa,  ne  put  imaginer  rien  de  plus  propre  à  divertir  cette. 
Princefîe  Philofophe  dans  fes  difgraces  éc  dans  fes  remèdes, 
que  le  livre  de  Senéque  touchant  la  vie  hcureufc  ,  fur  lequel 
il  s'avifa  de  faire  des  obfervations  en  fa  confîiération  tant 
pour  luy  en  faire  remarquer  les  fautes  ,  que  pour  luy  £iire 
porter  Çqs  penfees  encore  au-delà  de  celles  de  cet  Ancien. 
Voyant  augmenter  de  jour  en  jour  la  malig^nité  de  la  Fortune 
qui  commençoit  à  perfecuter  perfonnellement  cette  Prin- 
cefîe, il  s'étoit  attaché  depuis  quelque  têms  à  l'entretenir 
fbuvent  dans  fes  lettres  des  moyens  que  la  Philofophie  pou- 
voit  luy  fournir  pour  être  heureufe  6c  contente  dans  cette  ^^^^  ^  ^^^ 
Y.ie:&il  avoit, entrepris  de  luy  perfuader  que  nous  ne  fçau-  lettr.  pag.  7, 

O  0     *       rions 


8. 


19^  LaViede   m.  Des  carte  s. 

1646.     rions  avoir  que  de  nous-mêmes  cette  félicité  naturelle  que 
.  lésâmes  vulgaires  attendent  en  vain  de  la  Fortune.  Lorfqu'il 

choifit  le  livre  de  Séncque  De  la  vie  heureufe^  pour  le  pro- 
pofer  à  la  PrincelTe  dans  la  vue  d'un  entretien  qui  pourroit 
luy  être  agréable  6c  divertiflant  pendant  le  têms  que  les 
Médecins  luy  avoient  recommandé  de  n'occuper  fbn  efpnt 
à  rien  qui  put  le  travailler ,  »  il  eut  feulement  égard  à  la  ré- 
"  putation  de  l'Auteur  &  à  la  dignité  de  la  matière,  fans  fbn- 
"  ger  à  la  manière  dont  il  Tavoit  traitée.  Mais  l'ayant  confidé- 
Ce  juge-        j.^Q  depuis ,  il  ne  la  trouva  point  aOez  exacte  pour  mériter 
iTvrcdeSc.      d'être  fuivie.   Pour  donner  lieu  à  la  Princcfle  d'en  pouvoir 
nëquc  eft       juger  plus  aifément,  il  luy  expliqua  d'abord  de  quelle  forte 
renfermé        -^  ^^j-^yQ^j-  gyg  cette  matière  eût  dû  être  traitée  par  un  Phi- 
dans  laiv,       tri  1  c'     '  •     ï'  '    1    •    '    j     1 
la  V,  &  la  VI,    lolophe  tel  que  Seneque  ,  qui  n  étant  pomt  éclaire  de  la 

icttr.  au  I.      fQy  n'avoitque  la  raifon  naturelle  pour  2;uide.  Enfuite  il  luy 
rit  voir  >j  comment  Seneque  eut  au  nous  enieigner  toutes  les 
"  principales  véritez  dont  la  connoifïance  efl  requife  pour  fa- 
"  ciliter  l'ufage  de  la  vertu,  pour  régler  nos  deCirs  &  nos  paf. 
"  fions ,  Se  joiiir  ainfî  de  la  béatitude  naturelle  :  ce  qui  auroit 
"  rendu  fbn  livre  le  meilleur  &;  le  plus  utile  qu'un  Philofophe 
Jâg- 15  &  »  Paven  eût  fçû  écrire.  Après  avoir  marqué  ce  qu'il  luy  fèm- 
bloit  que  Seneque  eut  du  traiter  dans  Ion  livre,  il  examina 
dans  une  féconde  lettre  à  la  PrincefTe  ce  qu'il  y  traite,  avec 
une  netteté  &  une  force  d'efprit,  qui  nous  fait  regretter  que 
M.  Defcartes  n'ait  pas  entrepris  de  redifîer  ainfî  les  penfees 
de  tous  les  Anciens.    Les  réflexions  judicieufes  que  la  Prin- 
ceife  lit  de  fon  côté  fur  le  livre  de  Sénéque  portèrent  M. 
Defcartes  à  traiter  dans  Ces  lettres  fuivantes  des  autres  quef^ 
rions  les  plus  importantes  de  la  Morale ,  touchant  le  fbuve- 
rain  Bien,  la  liberté  de  l'Homme  ,  l'état  de  l'Ame,  l'ufàge 
de  la  Raifon,  l'ufige  des  Pafîions,  les  adions  vertueufes  & 
vicieufes,  l'ufage  des  biens  &  des  maux  de  la  vie.  Ce  commer- 
ce de  Philofophie  morale  entre  leMaîrre  àc  laDifciple  fut  con- 
tinué parla  Prince  (îe  depuis  fbn  retour  des  eaux  de  Spa'avec 
une  ardeur  toujours  égale  au  milieu  des  traverfes  de  fa  viej  Se 
rien  ne  fut  capable  de  le  rompre  que  la  mort  de  M.  Defcartes. 
La  joye  qu'il  eut  de  voir  fà  Philofbphie  fî  heureufèmcnc 
cultivée  par  la  Princefle  fut  un  peu  tempérée  par  la  morti- 
fication qu'il  eut  de  voir  paroître  enfin  le  livre  de  M.  Re- 


gms 


Livre   VII.    Chapitre    VIII.  191 

gius  dédié  au  Prince  d'Orange,  foas  le  titre  de  Fuyidamcnta      164.6. 

I^hyjjca.  Il  trouva  q'ie  l'Auteur  n'avoit  rien  retranché  des - 

erreurs  qu'il  luy  avoit  fait  voir  fur  ce  qi-i  regardoit  la  Meta- 
phyfique  ^  &  qu'en  ce  qu'il  avoit  écrit  de  Phy^que  &  de  Mé- 
decine ,